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| Les nouveaux Centurions | |
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| Sujet: Les nouveaux Centurions Sam Mai 03 2008, 15:44 | |
| Les nouveaux Centurions
Par ERWAN BERGOT La Seconde Guerre mondiale n'est pas encore terminée que des parachutistes sont en action en Indochine. En septembre 1945, le commando parachutiste de l'aéronavale du capitaine de corvette Ponchardier, suivi du commando George (aéronavale), des commandos coloniaux Rouanet, Rouan (puis Orsini), Trinquier, débarquent en Indochine et sont immédiatement engagés. Ils formeront le Groupement autonome Ponchardier. Puis ce seront le commando Conus, le 1°, bataillon de choc S.A.S. du commandant Mollat, la « demi-brigade S.A.S. » de Bollardière (commandée ensuite par Chateau-Jobert), les 1°, et 3° bataillons (commandants de Vismes et Fossey-François) du 1°, R.C.P. (lieutenant-colonel Sauvagnac), tandis que le capitaine Gral-ptends en mains des « Ecoles de commandos et de jungle ». L'efficacité de ces unités parachutistes menant dans les premiers mois une guerre de type S.A.S. et les multiples possibilités d'emploi qu'elles révélaient, incitèrent le commandement à développer les forces aéroportées d'Indochine. De 1947 à 1949 : création des 1°, (Ducasse), 6° (Dupuis, puis Trinquier), 3° (Ayrolles, puis Cazaux), 5° (Gralf, puis Romain-Desfossés), 6° (Vernières) B.C.C.P. (bataillons coloniaux de commandos parachutistes); du 1°, bataillon étranger parachutiste (Segrétain), du 2° bataillon du 1°, R.C.P. (François, puis Mollai), d'une compagnie parachutiste (Lt Morin) au 3° régiment étranger d'infanterie. Nous ne raconterons pas la guerre d'Indochine Historia l'a déjà longuement évoquée dans ses numéros spéciaux 24 et 25. Ce qui importe c'est que la France entre en 1945-194fi dans une guerre très spéciale de seize ans. Les soldats de carrière feront face à une guerre de type nouveau, car ta rébellion armée s'accompagne d'une subversion par l'idéologie et le terrorisme qui parvient à gangrener le pays même qui est censé la combattre.
La permanence de leur combat, leurs exploits, leurs sacrifices, les hésitations et les demi-mesures des gouvernements, le soutien idéologique apporté à leur adversaire par les communistes et « progressistes » français forgèrent peu à peu chez les officiers, constamment sur la brèche, un état d'esprit particulier. Le devoir, la discipline, le goût de la gloire et de l'aventure, l'émulation et la solidarité ne suffisent pas toujours à entraîner un constant dépassement de soi. Ils devaient trouver en eux-même les motifs et les justifications de leur combat, la France n'ayant su ou voulu les leur donner...
Parmi ces officiers, les parachutistes occuperont la première place. Un mot les définira, dû à Jean Lartéguy, témoin sagace, confident privilégié, artisan de leur légende : les Centurions.
En voici quelques-uns. Ce ne sont pas des prototypes. Ce sont des officiers paras parmi d'autres. Nous avons surtout évoqué quelques lieutenants et capitaines, mais des dizaines d'autres pourraient figurer à leur place ! Parmi les chefs de corps, nous avons cité Bigeard, mais combien d'autres centurions ont imprégné de leur foi et de leur bravoure la saga indochinoise des paras français : Romain-Desfossés, Gral, Trinquier, Jeanpierre, Brechignac, Le Borgne, Fossey-François, Chateau-Jobert, Buchoud, Tourret, etc.
C'est pendant la guerre d'Indochine - et pas avant - que naît le mythe para. C'est dans la guerre d'Indochine que naissent les sentiments et les états d'âme qui conduiront des paras à la révolte gagnante de 1958 et à la révolte perdue en 1961.
8 septembre 1945.
Alerte !
Derrière les meurtrières aménagées sommairement au moment de leur arrivée, les cinq parachutistes bondissent sur leurs armes et se précipitent à leurs postes de combat. Hier soir, quand ils ont décidé de faire halte au Bungalow, une ancienne auberge, à l'entrée du bourg de Na pé, ils ont barricadé portes et fenêtres avec ce qu'ils ont trouvé sur place, lits de fer, matelas éventrés, panneaux de portes, poutres de la charpente effondrée. Wavrant, leur capitaine, les y avait encouragés : la fuite des habitants à leur approche, ne lui disait rien qui vaille.
Le capitaine Wavrant, un soldat moine
Le premier coup de feu claque et la balle, en miaulant, vient s'écraser sur la façade en écaillant le crépi :
Ne ripostez pas, ordonne Wavrant.
Un ordre inutile. Les cinq parachutistes, tous officiers, appartiennent aux Jedburghs. ces commandos formés par les Britanniques pour opérer derrière les lignes ennemies. De redoutables combattants, des professionnels de la guerre. On les reconnaît à leur style, comme des fauves à l'affût, bien plus qu'à leurs uniformes, disparates, usés par des semaines de jungle. Ils ont été parachutés sur le Laos voici un mois pour combattre les Japonais, mais, une semaine plus tard, l'armée nippone a mis bas les armes. Les paras ont alors reçu, de Paris, l'ordre de marcher sur Vinh, en Annam, pour y rétablir la souveraineté française.
Ils ont fait halte à Na pé, un col stratégique sur la R.C. 8, au coeur de la chaîne annarnite. Et c'est là, ce 8 septembre 1945, à cinq heures du matin, qu'a été tiré le premier coup de feu. La guerre d'Indochine vient de commencer, mais les Français l'ignorent encore. Tout ce qu'ils aperçoivent, c'est un millier d'hommes en noir, gesticulant et hurlant à l'ombre d'un curieux drapeau rouge timbré de l'étoile jaune.
II y a des Japonais, constate Wavrant.
C'est vrai. Ces hommes en noir sont encadrés par des ex-gendarmes de la Kempeitâi, tirés de leurs camps de regroupement par des « conseillers » américains qui sont là aussi, reconnaissables à leur taille et au calot kaki des parachutistes U.S. Voici quelques semaines seulement, Jedburghs français et américains fraternisaient dans les rues de Calcutta. Et, maintenant, ils se retrouvent, face à face...
Ne tirez qu'à coup sûr, répète Wavrant en collant son oeil à la lunette de sa carabine.
Ses camarades le regardent, avec un peu d'amusement. II a troqué son chapeau de brousse informe contre son calot bleu des troupes d'Afrique. Un calot fétiche qu'il traîne depuis cinq ans dans tous les coups durs où l'a amené son caractère aventureux. Et ses actions d'éclat ne se comptent plus.
Wavrant n'est pourtant pas un officier de carrière, encore moins un baroudeur professionnel. II est simplement venu aux armes par un refus de la défaite et de l'occupation et, s'il a opté pour les Jedburghs et l'Extrême-Orient, c'est par écoeurement pour les règlements de compte qui ont accompagné et suivi la Libération.
Le capitaine Wavrant espérait en une France plus juste et plus fière. II est pur. Le cheveu court, l'oeil bleu, le teint clair, ce Flamand, impressionnant de force et de santé, n'a que l'apparence d'un grand guerrier blond, un lansquenet preneur de villes. C'est un doux, un pacifique, un mystique. S'il admire quelqu'un, sa préférence va plus à Psichari qu'à Bournazel. Et s'il a choisi de faire sa guerre au sein des commandos, c'est moins par ce qu'elle avait de violent, d'exaltant et d'inexpiable que pour une certaine idée qu'il se faisait de son devoir patriotique. C'est un soldat-moine plutôt qu'un moine-soldat.
Le Boudec, un héros discret, d'un courage tranquille, une des belles figures de DBP
En un combat obscur
II est midi. La chaleur est étouffante, aggravée par les incendies allumés, ici ou là, par les obus de mortier qui pleuvent, à cadence irrégulière, sur le Bungalow. Deux fois, les hommes en noir ont donné l'assaut au fortin dérisoire tenu par les cinq paras. Deux fois, ils se sont repliés. Contre l'avis de ses camarades, partisans de l'efficacité, le capitaine Wavrant a fait lever le tir pour permettre à l'adversaire d'emmener morts et blessés.
Nous avons tort, on dit les Jeds. Ils ne s'embarrasseront pas de considérations humanitaires, eux.
Mais Wavrant reste ferme. Tout comme il refuse d'envisager un repli, seule façon pourtant d'échapper au massacre. Les Jedburghs n'ont pratiquement plus de munitions.
Nous resterons, pour l'honneur du drapeau.
Le drapeau, c'est le pavillon tricolore qu'il a lui-même accroché au faite du Bungalow dès les premières minutes du combat. Là encore ses camarades contestent :
Le drapeau, répliquent-ils, ce n'est pas ce bout d'étoffe que les gens d'en face pourront arracher en piétinant nos cadavres. Le drapeau, c'est la France et la France, c'est nous. Mais vivants, aptes à poursuivre la mission.
Wavrant refuse toujours l'évacuation et se cramponne à un ordre, donné à douze mille kilomètres de là par des gens qui n'ont aucune idée de la situation réelle. Un ordre finalement plus imbécile que criminel. Mais, à 5 h de l'après-midi, le capitaine doit se rendre à l'évidence. L'auberge est en flammes et les Jedburghs n'ont plus ni eau, ni vivres, ni munitions. Une seule issue, donner l'assaut, briser l'encerclement et se disperser dans la jungle proche pour y poursuivre le combat.
D'accord, dit-il. Je partirai le dernier pour couvrir le repli.
Un par un, les Jedburghs s'éjectent du Bungalow, zigzaguent dans la plaine, poursuivis par les rafales. Puis ils s'enfoncent sous les arbres. Wavrant sort à son tour. En dépit des consignes permanentes qui prescrivent d'abandonner les blessés sur place, il a chargé un homme sur son dos. II ne peut aller loin. II s'effondre à quelques mètres de là. II a reçu une balle en plein front. C'est le premier mort de la guerre d'Indochine. Novembre 1950. Les officiers faits prisonniers au cours des sanglants combats de la R.C.4 ont été regroupés au camp numéro 1. Ils y font connaissance avec le système communiste qui broie les hommes, dissout les volontés, ronge les âmes. Pendant quelques semaines, aucun d'entre eux n'a envisagé de se conduire autrement qu'en officier. C'est une erreur. Mortelle. Les Viets ne pardonnent pas à ceux qui ne manifestent pas un « repentir sincère » de leurs fautes passées. Pour les Français, cela constitue un reniement qu'ils refusent.
Le lieutenant Trapp à DBP, un des atouts maître de Bigeard auquel il n'hésitait pas à tenir tête
Dernière édition par Ciel d'Azur le Sam Mai 03 2008, 16:31, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Les nouveaux Centurions Sam Mai 03 2008, 15:59 | |
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L’homme nouveau
Misérables, affamés, réduits à l'état de squelettes, les hôtes forcés du camp numéro 1 ne sont plus qu'une poignée à Noël. Les Viets leurs proposent d'apposer leur signature au bas d'un texte anodin. Quelques officiers sont sur le point de succomber à la tentation. Un capitaine se dresse alors et dit : Jamais. Plutôt crever.
Ce capitaine s'appelle Cazaux. Quelques semaines plus tôt, il commandait le 31 bataillon colonial de commandos parachutistes (B.C.C.P.) anéanti devant That Khé où il avait été parachuté le 7 octobre pour recueillir les survivants du désastre de Cao Bang.
Cazaux, une volonté de fer dans un corps d'athlète. II n'est pas grand, mais il donne une impression de puissance indestructible. Les épaules larges, le visage taillé à coup de serpe, noir de poil, noir de peau, Cazaux ne transige pas. Officier «le plus ancien dans le grade le plus élevé », il a pris la responsabilité totale du camp. La voix brève, le front têtu, il refuse l'humiliation, il dénonce la faiblesse. Prisonnier, mais pas vaincu.
La propagande viet piétine. Le camp change de responsable. Le nouveau a reçu mission d'amener les Français à une compréhension active du « bon » combat de l'armée populaire, de la « juste » lutte du peuple vietnamien. Cela implique une condamnation du « système capitaliste », un refus de « l'impérialisme », une « prise de conscience » politique. Cazaux dit toujours non. Le régime se durcit encore. Cazaux tente de s'enfuir. II est repris : « le devoir de tout officier français est de s'évader », dit-il. Vous avez voulu « déserter » le camp de la paix. Vous êtes un criminel endurci qui retombe dans l'erreur.
Les Viets essaient alors de couper Cazaux de ses camarades. Ils le désignent comme le responsable de leurs malheurs.
Les « malheurs », c'est une diminution de la ration de riz, l'absence totale de graisses, la pénurie à l'état pur. Des officiers meurent, en nombre important et le processus s'accélère. Cazaux dit toujours « non ».
Mais il tombe malade à son tour. Agonisant, il convoque Graziani, l'un de ses commandants de compagnie, un parachutiste, comme lui bardé de certitude et d'intransigeance :
Je vais mourir, lui dit-il. Je suis content de n'avoir jamais cédé au Viêt-minh, mais j'en crève. Ne faites pas comme moi car vous crèveriez aussi les uns après les autres. Ce serait la vraie victoire du Viêt. II ne le faut pas. Je vous le dis, vous devez vivre. Faites ce qui est nécessaire pour cela. Vous êtes officiers. Vous saurez ce que vous pourrez et ce que vous ne pourrez pas accepter.
Graziani et les camarades qui l'entourent comprennent le sens de ce testament. Audelà de sa mort, Cazaux reste le chef ; tout ce qui se passera désormais au camp n° 1 sera sous sa responsabilité.
La suite est connue. Jean Lartéguy dans « Les Centurions », Jean Pouget dans « Le manifeste du camp n° 1 », ont à leur façon raconté la « fiction politique du camp », ce cheminement de l'état d'esprit des officiers qui, sans se renier, ont navigué quatre années durant sur la crête fragile du double jeu. Le risque était énorme : il y allait de leur honneur. II y allait surtout de leur âme, car ils n'avaient comme référence et critère que leur propre jugement, constamment soumis à la dialectique monolithique de leurs gardiens. Au bout du tunnel, la terrible question restait posée :
Peut-on impunément tricher pendant quatre ans ?
Ils ont lutté pour survivre, et pour conserver intacte cette partie d'eux-mêmes qui s'appelle leur foi.
Le commandant Bréchignac, II/1er RCP, fera parti du dernier carré de DBP, les camps viets ne parviendront pas à l'entamer
Claude Barrès l'éternel rebelle
Sur le terrain, pour ceux qui n'ont pas succombé sur la R.C.4, l'année 1951 s'est d'abord traduite par un espoir. Cet espoir a un nom : de Lattre. II a dit : « je viens ici pour les lieutenants et les capitaines ». Et les lieutenants et les capitaines répondent. Conscients jusque-là d'être les sacrifiés, ils trouvent, en de Lattre une raison de faire la guerre, simplement parce que le « Roi Jean » a envie de la gagner.
Claude Barrès a vingt cinq ans. Jusque là, sa vie militaire, sa vie tout court, a été une perpétuelle scène de ménage. Avec sa famille, avec ses chefs, avec la mort. II est grand, il est riche, il est beau, il a de la chance. Mais il règle, sans trêve un interminable contentieux avec la vie. Héritier d'un grand nom, c'est le petit-fils du « grand » Maurice Barrès, il quitte le confort douillet de l'Université de New York pour rallier la France combattante en Angleterre. II a dix huit ans. Dix mois plus tard, il est officier après un stage mouvementé à l'Ecole des cadets. II choisit les parachutistes. A l'été 44, il est dans un maquis, au. nord de Lyon. En avril 1945, il est parachuté en Hollande (opération Amherst). La mort ne veut pas de lui. Démobilisé en juillet 45, réintégré dans le giron familial, il s'enfuit et part s'engager dans la Légion. Mais, son père, Philippe Barrès, directeur de Paris-Presse, fait pression sur le Ministère. On n'engage pas Claude Barrès.
Alors, furieux, il part en Indochine. II y fait sensation. Car il ne choisit pas l'état-major où sa silhouette racée, son beau visage romantique semblent avoir leur place. II opte pour les commandos, ceux qui se battent hors des normes, habillés de noir comme les Viets et qui se glissent, de nuit, par des sentiers de jungle, pour surgir, au petit jour au milieu des camps secrets, des villages' « ralliés », qui se postent au carrefours des pistes, aux débarcadères clandestins. Viet parmi d'autres Viets, Claude Barrès risque chaque jour un peu plus sa vie.
Tout se passe comme s'il avait envie de se venger. De sa famille, du grand-père encombrant, de son éducation privilégiée de fils de famille, de cette armée aussi qui semble l'écraser de son autorité tatillonne.
Barrès, c'est un archange d'une pureté de cristal, entier et ombrageux, d'un orgueil fou. II est à l'aise au milieu de ses tueurs de l'ombre, ces Viets dont on ne sait jamais quel maître ils servent, dont on n'est jamais sûr qu'ils ne vont pas assassiner leur chef et porter, en signe de bonne volonté sa tête à leurs anciens camarades.
Mais ce risque est connu de Claude Barrès. II est accepté, non comme un jeu sinistre, mais comme un défi à relever. II va plus loin, encore plus loin et, durant l'année 1951, il se fera parachuter six fois en brousse, dans cette partie de l'Annam où le Viêt-minh est chez lui depuis cinq ans. On l'admire, on veut le décorer. II démissionne et rentre en France. Pas pour longtemps. Quelques mois plus tard, il repart en Corée cette fois, avec le bataillon français.
Et pourtant, cette mort qu'il semble rechercher avec une sorte de fureur obstinée, Claude Barrès ne la trouvera pas en Extrême-Orient. Après une nouvelle brouille avec cette armée qui lui colle à la peau -ce qu'il déteste, lui qui s'est toujours rebellé contre ses sentiments, il reviendra en Algérie, cette fois pour s'y faire tuer, à la tête de sa compagnie de parachutistes, sur la frontière tunisienne, le 16 mai 1957.
Barrès, c'est le capitaine Esclavier des « Centurions » de Lartéguy. Un seigneur de la guerre, habité par le désir de faire craquer l'enveloppe de respectabilité dont il est vêtu malgré lui. Un romantique d'une espèce nouvelle, où la révolte, la violence et l'acharnement à mourir masquent une certaine inadaptation à vivre dans le confort, les idées toutes faites et le carcan d'un destin qui semblait tout tracé.
Claude Barrès (photo prise en 1943, à l'école des cadets de Ribbesford) les grands capitaines
A l'inverse, même s'il mène une guerre aussi acharnée, aussi totale, Bigeard n'a rien commun avec un Claude Barrès. D'abord, Bigeard prend la guerre au sérieux, tout comme la vie. Et s'il possède une personnalité aussi marquée, il se veut avant tout un chef et l'instrument qu'il a forgé, homme par homme, n'est pas destiné, dans son esprit à quelque aventure désespérée, mais, bien au contraire, à porter à l'ennemi des coups sévères.
Bigeard était déjà connu en Indochine dans les années 47-50. Mais son nom s'étale à la « une » des journaux quand, à la tête de son bataillon - le 6e B.P.C. - il rentre en vainqueur d'une opération où il aurait dû disparaïtre.
En octobre 1952, Giap a lancé son offensive d'automne en direction de la Haute Région. Deux divisions, vingt mille Bo-dois ont déferlé entre Fleuve Rouge et Rivière Noire, bousculant tout sur leur passage, anéantissant la plupart des postes éparpillés dans les vallées thai. Pour récupérer
les survivants de ces garnisons, Bigeard et son bataillon ont été parachutés à Tu Lé. Un petit poste auquel les régiments d'élite viêt-minh ont donné l'assaut, sans parvenir à l'entamer. Alors, Bigeard a reçu l'ordre de replier tout son monde.
II est parti, talonné par les Bo-doïs qui se réjouissaient déjà d'inscrire un bataillon de plus à leur bilan. Et pourtant, ils ont dû y renoncer. Surpris, dépités, ils se sont aperçus que des Français pouvaient se montrer aussi combatifs, aussi résistants, aussi frugaux et rustiques qu'ils le sont eux mêmes.
La grande force de Bigeard, ce en quoi il est exemplaire, au-delà de son goût du panache, c'est son manque de complexe vis-à-vis de l'adversaire. II lui arrive même de lui décerner des brevets de bravoure ou d'astuce et, quand une de leurs idées lui semble bonne, il n'hésite pas à s'en servir.
Ainsi, à Diên Bién Phu, il reprendra la colline Eliane 1 après avoir, à l'instar des Bo-dois, fait creuser un boyau d'assaut menant ses compagnies en limite de la position.
Bigeard sera, en Indochine, le favori des journalistes pour lesquels il incarnera l'efficacité et le courage des parachutistes. Ses mots à l'emporte-pièce donneront encore un peu plus d'épaisseur au personnage.
Un centurion ? Pas vraiment si l'on considère que pour lui, les états d'âme sont moins importants que le souci de gagner. Incontestablement, dans la mesure où il est l'inventeur d'une mystique de l'effort, au service de la victoire. Car c'est un gagneur, économe de la vie de ses hommes, s'il est prodigue de leur sueur.
Son grand mérite, et c'est une qualité de plus, c'est de savoir s'entourer d'officiers ou de cadres qu'il a su conquérir d'un mot et qui le suivraient, même en grognant, jusqu'au bout du monde. Des grognards comme Trapp, le seul lieutenant capable de lui tenir tête et qu'il écoutera car Trapp a souvent raison ; comme Le Page ; Breton, accrocheur, entêté, hargneux, d'un courage aussi fou que sa chance est insolente ; Le Boudec, autre Breton, mais d'une sensibilité de timide, d'une obstination tranquille. Des Centurions eux aussi, qui se lanceront dans le brasier de Diên Biên Phu sans un regard en arrière et traverseront l'enfer des camps viets sans être entamés en rien.
16 Mars 1954, Bigeard, peu après son saut sur DBP
Dernière édition par Ciel d'Azur le Sam Mai 03 2008, 16:32, édité 1 fois |
| | | Aokas Admin
Nombre de messages : 4031 Age : 83 Date d'inscription : 23/06/2007
| Sujet: Re: Les nouveaux Centurions Sam Mai 03 2008, 16:23 | |
| Merci CA pour ces fondamentaux des "centurions", moi qui a fait un peu d'études classiques latin-grec, cela me convient...
lorsque je suis arrivé à Cherchell en avril 1961, sortait « Cherchell, Promotion 102* "Capitaine Claude Barres" - Novembre 1960 - Avril 1961 »
Normalement si, il n’y avait pas eu les événements d’Alger (Putsch) et du 14... dont je venais, j’aurais dû faire partie de la promotion EOR suivante : c’est à dire la 105 mai-oct. 1961 et qui s’est appelé « Mémorial de Cherchell ». Qui fût pratiquement une des dernières dernières........dont le nom était déjà trés significatif !
(* plusieurs promo était en cours ceci expliquant les n° ne se suivant pas à date). ___________________________________ ____________________________________Aokas 14ème RCP - 9ème RCP AFN 194658 | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les nouveaux Centurions Sam Mai 03 2008, 16:26 | |
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Cabiro, le Landais
Pour tous ces jeunes officiers, prenant, à vingt-cinq ans la tête d'une compagnie, Diên Biên Phu sera le révélateur suprême.
Les caractères en sortiront plus trempés, l'intransigeance plus aiguisée, les certitudes plus absolues. Diên Biên Phu sera tout à la fois un sommet et un départ. Les Centurions s'y reconnaîtront.
Cabiro n'est pas de ces hommes que l'on remarque a première vue. Au contraire. Quand il est au milieu de sa compagnie, sa petite taille le cache aux regards. Il faut pourtant bientôt se rendre à l'évidence : toute l'activité de ses légionnaires tourne autour de lui. Il en est le centre et le point de départ. Il a le geste vif et précis, la voix, nasale comme celle de Dassary - un compatriote, jetant ses mots comme des balles de mitraillette ou de chistera, l'oeil noir acéré, Cabiro est le plus pur produit de ces Landes où l'on aime à la fois la bonne chère, la vie, et le rugby.
Si, au bataillon Bigeard, les capitaines existent d'abord en fonction du patron dont l'ombre obscurcit tout ce qui n'est pas lui, au bataillon étranger de parachutistes, les commandants, qui se succèdent, semblent cooptés par la « mafia » des capitaines. A quelques exceptions près, Brothier, le véritable créateur de l'esprit para légion, les autres bornent leur ambition à n'être que le chef de file des commandants de compagnie, ce qui n'est pas un mince mérite.
Le B.E.P., c'est d'abord cela. Un Cabiro, menant sa compagnie à son rythme, souple, accrocheur, empoignant l'ennemi, le forçant à reculer, une guerre très semblable à un match du tournoi des Cinq Nations. Mais aussi un « Loulou » Martin, aussi Breton que Cabiro est Landais. Martin, un maintien réservé, un silence obstiné rarement rompu par une voix d'une douceur qui force l'attention. L'oeil bleu et étonné, faussement naïf, le teint clair, se colorant à peine aux émotions, te geste réduit à l'essentiel. Et puis, si l'on y prête un peu d'attention, la réalité dément l'impression. « Loulou » Martin parle doucement, mais ces mots ont l'odeur de la poudre, du sang, de la mort. Et s'il lui arrive de sourire, ce n'est pas par simple gentillesse, mais seulement parce qu'il a trouvé une « combine » pour « blouser » le Viet.
Quand il revient d'opération, lorsque les boys des hôtels de Hanoi, qui travaillent tous un peu pour les Viets - entendent son rire discret, ils savent que, quelque part dans la jungle ou dans la rizière, commencent à pourrir quelques cadavres de Bo-dois.
Le capitaine Cabiro du 1er BEP, ici photographié lors de son retour de BDP.Il a été bléssé aux deux jambes en Mars.
la résistance de Luciani
Le « père Cab », « Loulou » Martin, « Nounours » Brandon. A l'inverse de ses camarades, Brandon ne rit pas souvent. II grogne et ne doit pas seulement son surnom %à son apparence massive, taillée dans la masse, un visage carré où les sourcils, touffus, noircissent encore davantage le regard lourd. II donne l'impression d'un bulldozer avançant, inexorable, à travers mille obstacles, sans dévier d'un pouce.
Ses hommes aiment ce sentiment de sécurité qu'il inspire, et s'ils ne savent pas toujours où il les emmène, c'est généralement en plein chez les Viets, ils sont au moins certains d'en revenir.
Luciani, lui, est un Corse de pure race. Mais un Corse d'une catégorie particulière que l'on pourrait imaginer façonnée par les Britanniques. Blond, des yeux bleus, il est calme, flegmatique même, pratiquant la litote et l'humour, et on l'imaginerait préférant un bon mot à une belle citation. En fait, Luciani est victime de son physique ; il est la dureté même, et, quand il dit « non », personne n'arriverait à le faire changer d'avis. A Diên Biên Phu, contre l'avis de ses supérieurs, en dépit des conseils reçus, il refusera de lâcher la position qu'il a été chargé de défendre.
Cela se passe le 30 mars 1954. Depuis sept heures du soir, toutes les collines de l'est, les Dominique et les Eliane ont été conquises par deux divisions ennemies. A 11 h, la mort dans l'âme, Langlais se résigne à donner l'ordre à son artillerie de matraquer le sommet des pitons conquis. C'est alors que, dans un poste, s'élève la voix tranquille de Luciani :
Je tiens encore sur le sommet d'Eliane 2, dit-il.
C'est tout. C'est énorme. L'on s'aperçoit alors que, dans la débâcle générale, sans autre appui que le courage de ses légionnaires, Luciani s'est battu quatre heures durant, opposant à une division au complet, a 316, 12 000 Bo-dois, la maigre centaine de ses hommes. Sans son entêtement, on peut être sûr que Diën Biên Phu aurait sombré avant le 1er avril.
Le temps des Centurions
Des hommes, des caractères, des styles différents. Un seul critère, le courage. Un seul moteur, la foi. Car les « Centurions » d'Indochine - et plus tard, d'Algérie - ne sont pas les héros marmoréens d'une légende bâtie sur des mythes. Ils sont de chair et de sang, animés d'un patriotisme ardent, sensibles aussi au caractère humain de leur mission. Ils vivent peut-être dans un univers clos qui n'admet que les hommes de la même caste. Mais ils ne sont pas coupés du reste du monde.
Ils croient surtout être les serviteurs des grands principes de Liberté, de Justice, de Fraternité. De Fraternité surtout. C'est en son nom qu'au moment de la bataille de Diên Biên Phu, des officiers lucides, sans illusions sur la suite de la guerre, et dont la présence n'est ni prévue, ni, finalement indispensable, choisiront malgré tout de rallier la « famille », le « clan » pour s'en gloutir dans ce que Bodard appelle « un Nirvana d'héroïsme ». Mais ils ne le font pas par goût du suicide, ou par orgueil nihiliste. C'est à la fois simple et plus méritoire. Ils arrivent parce qu'ils pensent, honnêtement, que c'est leur devoir.
Lorsqu'il se fait larguer sur Diên Biên Phu, le 23 mars 1954, le capitaine Alain Bizard n'a que cinq sauts à son actif. II conquiert ainsi son brevet « à l'arraché », sur la piste d'aviation battue par les obus. Au début, les « anciens » se méfient. Grand, trop grand pour un para, lourd, trop lourd pour un para, ce cavalier de vingt-six ans n'a en apparence rien de souple ou de félin, selon la définition qu'en a donné son - presque - homonyme le commandant Bigeard.
Et puis, c'est un intellectuel. Breveté d'état-major, ancien aide de camp du général Ely, Bizard est brillant, élégant, disert, d'une intelligence qui inquiète un peu. Alors, on lui confie le commandement d'une unité dont on n'attend rien de bon : la 4, compagnie du 5, bataillon de parachutistes vietnamiens dont la légende veut qu'ils se débandent à la première rafale.
Sans sourciller, Bizard accepte. II part s'installer à l'extrême pointe du dispositif, sur un point d'appui dévasté par les tirs directs de l'artillerie viët-minh, au bout de la piste d'aviation, Huguette 7.
Moins d'une semaine plus tard, c'est l'attaque. Les Bo-dois prennent pied dans les barbelés, s'infiltrent dans les boyaux, appelant leurs « frères ennemis » à la désertion. Bizard a alerté le P.C. Mais Langlais a d'autres soucis : le combat pour les Eliane requiert toute son attention, absorbe tous les renforts.
Dem...-vous, lui répond-on.
Et Bizard se dém... avec ce qu'il a, une centaine de Bawouans qu'il galvanise, dont il soutient le moral par sa seule présence. Ce jeune parachutiste se bat comme un ancien. Au matin, Huguette 7 tient toujours.
Le lendemain, dans ce qui n'est plus qu'un terrain vague où déjà s'entassent les cadavres, déferlant sur ce qu'il reste de barbelés, la division 308 se rue à nouveau à l'attaque. Les hommes de Bizard ne sont qu'une poignée. Alors le capitaine fait évacuer en silence la partie nord du dispositif et demande à l'artillerie de la « traiter » au canon. A l'aube, il lance une contre-attaque foudroyante et reconquiert son point d'appui. Au P.C., on commence enfin à le prendre au sérieux.
Commissaire politique Viet
" que l'on prenne garde à la colère des Légions "
Trente-sept jours encore, la 4, compagnie du Bawouan sera de toutes les attaques, de tous les coups durs. Elle s'extirpera du piège d'Huguette 6 en faisant voler en éclat l'encerclement ennemi. Elle participera aux tentatives pour reprendre Huguette 1.
Bizard sera partout, debout, le visage à peine marqué de fatigue, la voix égale, la silhouette rendue plus racée encore par une maigreur de loup. Pus tard, entre autres traits, c'est de Bizard que s'inspirera Lartéguy pour décrire Glatigny, l'aristocrateguerrier, n'abandonnant jamais, même aux pires moments le sens de la caste et le souci du geste élégant.
Lartéguy se servira aussi d'un autre personnage, proche de Bizard par les originnes et le destin : Jean Pouget, cavalier et ancien aide de camp du général Navarre. Pouget qui arrivera à Diën Biên Phu alors que le doute ne peut plus être permis et qui s'engloutira le 7 mai dans la nuit, sur Eliane 2, dont les Viets feront le symbole de leur victoire. Pouget, auquel la rumeur attribue un texte aprocryphe qui donne son sens et sa justification au terme de centurions et qui figure en exergue du roman de Lartéguy : cette lettre adressée par un officier romain à l'un de ses amis :
« Je t'en prie, rassure-moi au plus vite et dis moi que nos citoyens nous comprennent, nous soutiennent, nous protègent comme nous protégeons nous-même la grandeur de l'Empire.
« S'il devait en être autrement, si nous devions laisser en vain nos os blanchis sur les pistes du désert, alors, que l'on prenne garde à la colère des Légions ! »
De 1946 à 1954, il y a eu 150 opérations aéroportés (du parachutage d'une section, à celui de plusieurs bataillons). Mais la missions des paras à été celle d'une infanterie d'élite. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les nouveaux Centurions Sam Mai 03 2008, 16:37 | |
| Merci CA
que de grands Hommes
Claude Barres, j'étais sur sa tombe la semaine dernière!!!
il est mort d'une balle en pleine tête le 26 mai 1958 au Djebel Harraba, pour s'être porté à la pointe des combats sans attendre les renforts!!!
il pris cette balle à la place d'un observateur et radio Guy Labarthié, qui se trouvait aux avant post, Barres courru le rejoindre pour ce rendre compte de la situation, les balles pleuvaient autour d'eux, il se léva pour observer, une balle le faucha à jamais!!! pendant cette hommage au cimetière de Charmes des anciens de la 5°CIE était là!!! beaucoup d'émotion!!!! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les nouveaux Centurions Sam Mai 03 2008, 20:23 | |
| LUCIANI : Lt a l'époque . Il a coursé HO chi min , pendant des jours avec une section LEGION !!! Il a été a deux doigts de le capturer !!! Je vous raconterai cette épopée , plus tard , car l'histoire est très longue . Il y a qq années , j'ai été hospitalisé avec le cousin de ce FAMEUX LEGIO , nous avons passés des nuits a discuter !!! Ce dernier , est hélas DCD qq mois aprés , lui aussi un grand MONSIEUR de l'INDO , sergent aux GCMA . Il repose maintenant dans sont pays , la CORSE !!!! |
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| Sujet: Re: Les nouveaux Centurions | |
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