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| Sujet: 11 Mai 1987 - Le proces de Klauss Barbie - Le boucher de Lyon. Jeu Mai 11 2017, 11:42 | |
| SOURCE : Journal La Croix. ------------------------------ Edite par Athos79 -------------------- 11 mai 1987, Klaus Barbie était jugé pour crime contre l’humanité -------- La Croix, le 11/05/2017 à 6h05 [CE JOUR-LÀ] Le 11 mai 1987, le procès de Klaus Barbie s’ouvrait à la Cour d’assises du Rhône. Pour la première fois en France, un homme était jugé pour crime contre l’humanité. Le chef de la Gestapo pendant la Seconde Guerre mondiale, Klaus Barbie, sort de la salle d'audience après avoir été condamné à la prison à vie le 4 juillet 1987 à Lyon. Le chef de la Gestapo pendant la Seconde Guerre mondiale, Klaus Barbie, sort de la salle d'audience après avoir été condamné à la prison à vie le 4 juillet 1987 à Lyon. / STF/ASSOCIATED PRESS ––––––––––––––––––––––––
CONTEXTE
–––––––––––––––––––––––– Novembre 1942, la « zone libre » était envahie. Lyon, capitale de la Résistance, « recevait » en même temps que les forces armées ennemies, un jeune homme de 29 ans, alors lieutenant SS, chargé de diriger la Gestapo de la région.
Quarante ans après, Klaus Barbie revenait sur les traces du passé après une expulsion rocambolesque de Bolivie, le 5 février 1983. Quatre années de longues procédures judiciaires auront été nécessaires pour venir à bout du dossier. Le 11 mai 1987, à 13 heures, s’ouvrait alors à la Cour d’Assises du Rhône le procès de Klaus Barbie. Pour la première fois en France, un homme était jugé pour crime contre l’humanité. Tous les procès de l’après-guerre s’étaient déroulés devant la justice militaire. Klaus Barbie y avait été condamné à mort par contumace par deux fois, en 1952 et 1954. Pour la première fois aussi, un procès était entièrement filmé.
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« Étrange procès où l’accusé fait encore peur, avec la seule arme qui lui reste : la parole » commentait Jean-Charles Duquesne dans un éditorial de La Croix daté du 12 mai 1987.
Mais voilà, au troisième jour de son procès, Klaus Barbie annonçait à la surprise générale qu’il refusait désormais d’assister aux audiences. « Je me considère ici comme un otage et non comme un détenu (…) Je suis détenu de façon illégale, victime d’un enlèvement. (…) Je n’ai donc plus l’intention de paraître devant vous. Monsieur le Président, je vous demande de bien vouloir me faire reconduire à la prison Saint-Joseph. » rapportaitalors La Croix, le 15 mai 1987,dans un article titré: « La dernière dérobade d’un nazi honteux ».
« Est-ce dans l’enfance qu’il faut rechercher le comportement de l’homme ? » se demandait Chantal Meyse, l’auteur de cet article. La Croix apportait une semaine plus tôt des éléments de réponse en revenant dans un long récit sur « l’enfance d’un bourreau », estimant toutefois qu’« il n’y a pas plus de chromosome du bourreau qu’il n’y a de chromosome du héros ».
Au terme de neuf semaines de procès, la Cour d’assises du Rhône reconnaissait Klaus Barbie coupable de dix-sept crimes contre l’humanité et le condamnait à la prison à perpétuité « pour la déportation de centaines de Juifs de France et notamment l’arrestation, le 6 avril 1944, de 44 enfants juifs et de 7 adultes à la maison d’enfants d’Izieu et leur déportation à Auschwitz. »
Le 25 septembre 1991, Klaus Barbie décédait d’un cancer du sang à presque 78 ans.
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ARCHIVES
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Le procès de la mémoire
(La Croix du 12 mai 1987)
L’éditorial de Jean-Charles Duquesne
Lyon s’est réveillée ce lundi sous un ciel menaçant. Comme si l’ancienne capitale de la Résistance revivait les jours sombres des années 40, où la Gestapo traquait le « peuple des ombres » et tous ces hommes, ces femmes, ces enfants, dont le seul crime était de porter un nom juif.
Que de torturés, de suppliciés, de déportés, de gazés ! Mais où sont les coupables ? Le régime nazi, ses innombrables serviteurs sous l’uniforme noir, ses auxiliaires zélés, Français discrets sous le costume anonyme…
Lyon retient un seul coupable : Klaus Barbie. Naguère fringant officier SS, impitoyable chasseur de victimes innocentes. Aujourd’hui septuagénaire fragile, à la mémoire défaillante, dans un procès qui, précisément, veut être le procès de la mémoire.
Lorsque s’ouvre ce 11 mai 1987, quarante-cinq ans après l’arrivée de Barbie, entre Saône et Rhône, la première audience d’un procès qui durera deux mois, que savent les neuf jurés de la Cour d’assises du Rhône du passage de Lyon sous la poigne de Barbie ? Que savent-ils des crimes contre l’humanité dont le capitaine SS devra répondre : coup demain contre l’Union, générale des israélites de France, rafle des 44 enfants juifs d’Izieu, dernier convoi de la mort où 632 juifs et maquisards étaient mêlés ? Grâce à eux, avec eux, les Français prendront une leçon d’histoire.
Procès chargé d’ombres autour du « peuple des ombres ». Ombre de celui ou ceux qui trahirent Jean Moulin, ombres des révélations de Barbie sur ses amis français, ombres de manœuvres de Me Vergés pour confondre Lyon, Vichy et Alger.,.
Étrange procès où l’accusé fait encore peur, avec la seule arme qui lui reste : la parole.
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La première audience : la dignité par la procédure
(La Croix du 13 mai 1987)
Par Chantal Meyze, envoyée spéciale
« Je demande au service d’ordre d’introduire l’accusé. » Une phrase rituelle, simple, évidente dans tout procès d’assises, mais qui, à 13 heures, ce lundi à Lyon, prend une dimension historique, presque étourdissante.
Ainsi donc le voilà cet homme sur lequel des milliers de pages ont été imprimées. Ce symbole vivant d’une période révolue, mais que l’on a si peur de voir un jour resurgir, comme l’affiche une banderole de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), à l’entrée du palais de justice : « Plus jamais ça ».
Klaus Barbie, qui d’emblée choisit de se présenter sous son identité d’emprunt d’Altman, gravit l’escalier qui le conduit à la cage de verre dressée pour le protéger d’éventuelles agressions. Il est petit, fluet, légèrement voûté dans son costume gris sombre sous lequel rayonne une chemise bleu ciel assortie à ses yeux enfouis sous la broussaille des sourcils. Un vieillard ? Certes il n’est pas très alerte. Mais derrière le visage osseux, la force du regard est saisissante. Il a choisi le sourire dont il ne se départit pas, mais qui, de temps à autre, se fige sur le visage, tendant démesurément le rictus et les pattes d’oie qui affaissent ses yeux.
Il se fige sur la haute et forte stature de Serge Klarsfeld quand celui-ci énonce la constitution de 25 nouvelles parties civiles de la part de victimes soit de la grande rafle au siège de l’Union générale des israélites, soit du dernier train du 11 août 1944.
11 mai 1987 à Lyon, l’ouverture du procès de Klaus Barbie.
13 h 03 : le procès historique a commencé. Mais l’histoire est étonnamment composée de toutes petites choses. Et pour la reconstituer, il faut en passer par des moments dont l’intensité n’est pas forcément à la hauteur des espérances du public, essentiellement composé de journalistes, de personnalités invitées, comme le maire de Lyon Francisque Collomb ou les députés du Rhône, Michel Noir et Charles Hernu.
Pour commencer, plus d’une heure de constitution du jury. Le résultat du tirage au sort parmi les 36 personnes sélectionnées est intéressant. Quatre femmes, cinq hommes, de milieux socio-professionnels très divers mais modestes : petits cadres, employés, techniciens, deux femmes au foyer. Mais surtout, ils sont jeunes. De 28 à 52 ans, avec une moyenne d’âge de 35 ans. Quatre seulement étaient déjà nés quand Barbie sévissait à Lyon.
Ces hommes et ces femmes gravissent dignement l’escalier qui les conduit vers les fauteuils de juge. Pour les aider dans leur mission, Thémis, une table des lois entre les mains, les exhorte à la sérénité en une immense fresque au-dessus de leur tête. Voient-ils au fond de la salle l’autre symbole qui leur fait face ? Une grande plaque commémorative des « morts pour la France » parmi le personnel de ce palais. Seule apparaît la liste des victimes de 1914-1918. Celle de la guerre de 1939 est occultée par la galerie spécialement, installée pour accueillir les nombreuses parties civiles. Coïncidence bien sûr, mais symbolique comme beaucoup de choses dans ce procès.
Quatre femmes et cinq hommes
L’heure de l’appel des témoins est quasiment surréaliste. Le greffier bafouille une centaine de noms dont cinq à peine auront un visage aujourd’hui. Les autres sont convoqués à des dates précises et déjà les grands rendez-vous sont pris : avec les mères des enfants d’Izieu, avec les torturés survivants et avec plusieurs personnalités dont on attend un éclairage historique comme Jacques Chaban-Delmas, Geneviève de Gaulle ou Elie Wiesel.
Procédure encore qui absorbera une grande partie de cette première audience avec la constitution de parties civiles de dernière minute, comme la loi l’autorise. Vingt-cinq ne poseront pas de problème. Il s’agit de plaintes entrant dans des affaires déjà instruites. La seule surprise est qu’elles interviennent si tard. Charles Libman, avocat avec Serge Klarsfeld de plus de 60 plaignants, l’explique par l’effet médiatique ces dernières semaines autour du procès. « Plusieurs personnes ont réalisé, après avoir souhaité le silence, qu’il était de leur devoir de parler », explique-t-il pendant une suspension d’audience.
La pièce maîtresse sur un plateau d’argent
Les autres plaintes, qui seront d’ailleurs toutes rejetée par la Cour, sont autrement problématiques et vont donner lieu aux premiers échanges oratoires entre Jacques Vergès, l’avocat général Pierre Truche et plusieurs avocats de parties civiles. Celle de Mme Vogel, par exemple, dont les parents ont été arrêtés, torturés, puis livrés à la Gestapo par le chef de la milice, Paul Touvier
Me Vergés sourit qu’on lui amène sur un plateau d’argent la pièce maîtresse de la collaboration Celle de Charlotte Larat, sœur de Bruno Larat, arrêté à Caluire en même temps que Jean Moulin et mort à Auschwitz. Là, Me Vergès bondit carrément.
« Voilà l’une des dimensions du procès qui éclate. On ne peut évacuer l’affaire de Caluire », lance-t-il. Mais, à regret, il ajoute : « Soucieux des lois, la défense reconnaît que le dossier de l’accusation est vide à ce sujet, que cette affaire n’a pas été instruite. La défense regrette néanmoins que cette plainte n’ait pas été déposée plus tôt.
À trois reprises, le ministère public et la défense vont joindre leurs voix pour rejeter ces plaintes et « faire respecter le droit » pour reprendre l’expression de Vergès qui se régale de donner une leçon de droit.
L’avocat général Truche, de toute évidence, est très soucieux d’éviter les incidents de procédure, et de faire respecter les droits de la défense, qui, la passion aidant, risquent, en effet, d’être bafoués. Et il n’a aucune envie de donner à l’avocat de Barbie des motifs d’introduction ultérieure d’un pourvoi en cassation.
À 17 heures, 30, le greffier, d’une forte voix qui couvre toute la salle, entame la lecture du premier arrêt de renvoi.
Les deux autres qui constituent toute l’accusation seront lus le lendemain. Le président André Cerdini suspend l’audience à 19 h 45. Déjà en cette première journée, il a joué les prolongations. Mais, sans doute est-il rassuré de l’atmosphère somme toute sereine dont ont été empreints ces débats préliminaires. Mardi, la procédure sera encore reine avant l’interrogatoire d’identité de l’accusé.
La foule s’égrène vers la sortie. Sur les marches du palais, les gerbes de fleurs déposées à l’ouverture sont intactes. Elles ont été offertes par les parties civiles à Beate Klarsfeld, épouse de Serge et chasseresse de nazis. Sans elle, il est vrai, ce procès n’aurait sans doute jamais eu lieu. Sa très grande discrétion dans la salle n’en est que plus remarquable.
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