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| | L'Odyssée de Maurice Rilhac, du 6 de Bigeard | |
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Invité Invité
| Sujet: L'Odyssée de Maurice Rilhac, du 6 de Bigeard Ven Déc 30 2016, 15:32 | |
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Odyssée de quatre sous-officiers en Indochine du Bataillon Bigeard Sergent-chef Maurice Rilhac Sergent-chef Jacques Sauterau Sergent-chef René Sentenac Sergent-chef Michel Skrodzki A la mémoire de mes compagnons d’évasion, les Sergents-chefs Jacques Sautereau, Michel Skrodzki et René Sentenac, du 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux. « Personne ne peut nous enlever ce que nous avons vécu… » Maurice Rilhac Chef de bataillon honoraire Les Evadés de Diên Biên Phu.... Maurice Rilhac Récit de Maurice RILHAC Novembre 2008 PRÉFACE Le 7 mai 1954 à 17h30 les combattants de Diên Biên Phu ont cessé le feu. Epuisés, ayant depuis des semaines lutté de jour et, le plus souvent, de nuit, blessés, malades, trempés par la pluie, pataugeant dans les tranchées inondées, alimentés au hasard des parachutages imprécis, ils sont profondément choqués. Leur avenir est un immense point d’interrogation. La capture imminente reste pleine de dangers et la perspective de rejoindre le « royal balancier » suivant l’expression du moment, est une ultime épreuve sans espérance.
Pourtant certains songent déjà à rester maîtres de leur destin. Rilhac et ses trois compagnons sont de ceux-là. Blessé et grabataire, le choix m’est interdit et j’ai vu les misérables colonnes des valides ou blessés légers partir vers les camps d’internement.
Quitter ces convois est relativement facile. Mais dans quelle direction ? Comment se nourrir, se soigner, lutter contre la faim, la maladie les défaillances des compagnons d’échappées, le doute et l’épuisement ? Jusqu’au 25 mai, à Diên Biên Phu, durant les évacuations de blessés consenties par les Viêts, nous voyons revenir ceux qui ont choisi de partir vers le sud où se trouve la colonne Crêvecœur venue du Laos et, s’appuyant sur la rivière Nam Youn, retrouver des lieux parcourus antérieurement. D’autres ont rêvé de la rivière Noire qui les ramènerait vers le delta du fleuve Rouge. Beaucoup de ceux qui souhaitaient s’évader déplorent qu’aucun renseignement n’ait filtré concernant les zones d’implantation des maquis du G.C.M.A. qui nous sont favorables.
C’est vers l’ouest, direction vraisemblablement la moins surveillée, que les quatre évadés réussiront dans leur entreprise, mais au prix de combien de doutes, d’espoirs déçus, d’efforts surhumains en ne choisissant jamais la facilité. Tous quatre ont été à un moment ou l’autre, placés sous mes ordres et je suis particulièrement fier de rédiger cette préface. Rilhac, maintenant seul survivant, nous livre un récit criant de vérité, sans forfanterie ni affectation, décrivant les difficultés qu’ils ont dû surmonter, racontant les faits marquants qui ont jalonné la réussite de leur entreprise, payée de tant de souffrances et surtout de la mort de l’un d’eux, Sautereau, si près du but.
Le chef de bataillon Rilhac, commandeur de la Légion d’honneur remplit un devoir de mémoire vis-à-vis de ses compagnons et témoigne de la qualité de ces hommes, rescapés de la bataille et prenant tous les risques pour retrouver leur liberté. Ils sont l’honneur des combattants de Diên Biên Phu et méritent notre admiration et notre reconnaissance.
Général Le Boudec
Commandant la 6ème C.I.P.du 6ème B.P.C.à Diên Biên Phu
AVANT PROPOS En août 1954, pendant mon congé de fin de campagne de 90 jours, de temps à autre, il m’arrivait de griffonner dans un cahier d’écolier, quelques phrases sur mon évasion. C’étaient des faits marquants, gravés dans ma mémoire, des moments forts, douloureux où la souffrance se mêlait à la faim et à la fatigue. Diên Biên Phu, c’était il y a 54 ans. Il est temps de raconter notre évasion. Après la chute du camp retranché le 7 mai 1954, évadés de la colonne de prisonniers le 13 mai 1954, en fin de journée, mes trois camarades et moi avons vécu des moments de souffrance qui ne peuvent être oubliés...
J’ai estimé, à vol d’oiseau ; avoir crapahuté 160 kilomètres, ce qui fait facilement le double sur les zones que nous avons parcourues. Crapahuter durant 46 jours dans la brousse, en milieu hostile, des journées entières sans voir le ciel ! L’orientation avec une boussole ? Pas évident quand on domine une vallée ... La contourner pour éviter une mauvaise rencontre ? La vallée pouvait être occupée par les Viêts. De plus, nous étions méfiants envers la population thaïe… Que d’heures de marche !
Pourquoi relater seulement aujourd’hui notre évasion ? Je me dois de révéler aux proches de mes compagnons disparus la réalité sur les 46 jours de marche à travers la brousse en milieu hostile. J’ai tellement été déçu par les récits auxquels celle-ci a pu donner lieu ici et là que j’ai tenu, étant aujourd’hui le dernier survivant de cette odyssée, à rétablir les faits en souvenir de mes frères d’armes :
- Le sergent-chef Jacques Sautereau décédé en cours d’évasion d’un accès de paludisme pernicieux le 12 juin 1954, à deux jours à peine de marche d’un Groupement de Commandos Mixtes aéroportés, - Le sergent-chef René Sentenac, blessé mortellement au combat à Timimoun en Algérie le 21 novembre 1957, - Le sergent-chef Michel Skrodzki, décédé le 27 juin 1983 des suites d’une longue maladie. De bonne source du ministère de la défense le 7 juin 1954, le Viêt Minh fit 11.048 prisonniers, une cinquantaine réussit à s’évader mais pour beaucoup l’aventure se termina par un échec.. LA CAPTIVITE 1954, en fin d’après-midi depuis le P.C., Bigeard fait parvenir, le message :
« Cessez-le-feu à 17 heures 30 - Ne tirez plus - Pas de drapeaux blancs - A tout à l’heure - Pauvre 6 - Pauvres paras – Bruno* » C’étaient les ordres et l’attente commença avec la trouille aux tripes : la peur d’une grenade lancée par les Viêts dans les blockhaus avant d’en faire l’inventaire. Cette appréhension nous tenait... Quelle réaction allaient-ils avoir ? Et ce calme… I1 y avait bien longtemps que nous n’avions pas vécu un tel silence ! Pas de bruit d’arme automatique, pas d’explosion, un calme inquiétant même... Mais cela se passa sans dégâts. Les Viêts nous firent sortir de nos retranchements, les mains sur la tête. Nous voici regroupés, paras et non paras, puis dirigés vers la Route Provinciale (R.P.41). Nous étions prisonniers... Diên Biên Phu était tombé... Nous marchions sans vraiment nous poser de questions. Nous étions soulagés de la fin des combats et inquiets à la fois. Inquiets des jours à venir, des mois, des années peut-être...
Dans la colonne, je retrouvais un de mes chefs de groupe, le sergent Merlet dit « Loulou », un bordelais que j’avais connu en Bretagne au camp de Meucon. La colonne s'étirait sur la R.P. 41. Le moral n’était pas au plus bas, loin de là. J’étais vivant, pas de blessure et relativement en bonne condition physique, mais l’amertume d’être là, dans ces conditions. Chez Bigeard, nous n’étions pas habitués à capituler. J’avais conservé ma boussole ainsi que mon couteau commando à plusieurs lames que j’ai encore. Je les avais glissés dans la patte d’entrejambe de ma veste de combat. Pourquoi ? Je ne sais pas... Je ne sais plus. Peut-être avais-je déjà l’intention de fausser compagnie à mes bo-doï ? (soldats vietminh). Je ne saurais le dire.
Notre première nuit de captivité, nous l’avons vécue en bordure de la R.P. 41. Inutile de décrire le froid, la fatigue que nous avions endurés durant les combats et qui se faisaient sentir à présent... Nous avons dormi en chien de fusil serrés les uns contre les autres pour nous réchauffer. Cette nuit-là, nous l’avons tout de même appréciée. Le matin, au lever du jour, nous avons repris notre marche, encadrés par les Viêts qui voulaient accélérer la marche, mais en vain. Nous avions beaucoup de blessés parmi nous, la colonne s’étirait lentement. Sur cette R.P. 41 une fouille sommaire fut organisée par les Viêts.
Un par un, il nous fallut passer dans un couloir formé par nos gardiens et remettre ce que nous avions comme objet militaire ou sanitaire. Je pensais à ma boussole et à mon couteau, mais, pour moi, la fouille fut superficielle : arrivé à leur hauteur, je leur remis de bonne grâce mes deux paquets de pansements individuels. Après avoir reçu quelques tapes sur mes poches, je quittais le contrôle avec un soulagement indescriptible. Mai 1954 « Et la longue marche commença..» Au cours de cette longue et pénible marche, arrivée au bord d’un arroyo (rivière à fort courant). Une pause nous fut accordée. Un de nos gardiens, gradé je pense, est venu nous voir et nous a fait comprendre que nous étions sales, qu’il fallait se laver. C’était évident… L’un de nous commença à faire sa toilette. Faire sa toilette...c’était beaucoup dire. Il avait de l’eau jusqu’aux mollets ! Un des gardiens l’obligea à aller plus loin. Le pauvre ! Il ne tenait presque pas sur ses jambes, car il était très mal en point. Il avança vers le milieu de la rivière. Le bo-doï, le menaçant de son arme, lui fit comprendre d’avancer encore. Quand l’eau lui arriva à la ceinture, nous l’avons vu basculer et être entraîné par le courant sous le regard sadique de quelques gardes. Très vite, il disparut, emporté par le courant sous nos regards presque indifférents.
Une autre fois, je fus menacé par un prisonnier. J’avais réussi à resquiller une boule de riz à un Viêt. Il me menaça de le dire à l’un de nos gardes, j’étais fou de rage. Dans une telle circonstance, j’ai appris qu’il fallait se méfier, car pour avoir un petit privilège ou espérer en obtenir un, certains étaient capables du pire. Je me souviens de lui avoir dit : « Si tu fais ça, je te tue. ». J’ai dû être persuasif, car il est parti vers un autre groupe et je ne l’ai jamais revu.
Les Viêts avaient formé des groupes de 12 ou 14 prisonniers. Comme chef de groupe, ils désignèrent l’un des nôtres pris au hasard. Ce responsable devait contrôler les effectifs à chaque halte et signaler toute anomalie. En fait, ce chef de groupe était punissable si l’on manquait à l’appel. Décision peu efficace...
Après quelques jours de marche, nous sommes arrivés un soir dans un camp de passage situé au fond d’un thalweg. Quelques cahutes en bordure d’un arroyo nous ont permis de passer la nuit à l’abri. A cette période de l’année, il pleut beaucoup, c’est la mousson. Au petit matin, nous avons eu la possibilité de faire un petit brin de toilette à l’arroyo. Oh, évidemment, pas de rasage, faute de rasoir. Mais simplement se mouiller le visage, se dégourdir les pieds dans l’eau, ce « brin de toilette » nous redonna un peu de tonus mais très vite nos gardiens nous firent rejoindre nos cahutes. Pour la première fois, on nous distribua une boule de riz et un morceau de viande dure comme de la semelle. Quelques instants plus tard, un de nos gardiens nous fit sortir pour nous regrouper avec d’autres prisonniers devant une case sur pilotis. Nous avons été contraints de nous asseoir à même le sol. Et ce fut l’attente. Que pouvait-il bien nous arriver ? Au bout d’un moment, un Viêt est venu. Il prit place sur la petite plate-forme de la case et nous dit bonjour en français. Immédiatement nous avons compris que nous étions en présence d’un can-bô (Commissaire politique en vietnamien). Toujours dans un français remarquable, il nous dit à peu près ceci : « Vous êtes prisonniers de l’Armée Populaire, vous serez bien traités. Vous allez bientôt partir dans un camp où vous serez bien nourris et bien soignés. Vos chefs sont responsables de votre situation, ils vous ont menés à la défaite. Vous ne pouvez gagner cette guerre. L’Armée Populaire se bat pour sa liberté et vaincre le capitalisme ». C’est avec ces quelques mots que débuta le lavage de cerveau. Le commissaire politique nous demanda ensuite de chanter, de prendre exemple sur les Légionnaires qui effectivement chantaient souvent de leur propre initiative. Avec nous, le can-bô n’eut pas beaucoup de succès. Nous étions mêlés à d’autres unités et il était plutôt difficile de s’accorder. De plus, il faut avouer que nous n’avions pas du tout envie de chanter.
Au départ de Diên Biên Phu, les can-bô, avaient formé plusieurs colonnes. La nôtre était composée de paras et de non paras, de sous-officiers et de soldats. D’autres colonnes comprenaient des officiers, des Africains, des Nord-Africains, des Vietnamiens et des Légionnaires. Nous avons rencontré ces derniers au cours de la marche. Ils étaient arrêtés en bordure d’une piste et chantaient dans un ensemble parfait. Nous avons alors décidé de chanter une vague chanson de marche. Pas très satisfait de cette chanson, le can-bô nous menaça : « Pas de chant, pas de riz ... » Et nous voici partis à rechanter, quelques voix par-ci, par-là, dans un ensemble presque parfait. Après quelques hésitations, au bout de quelques minutes, des voix se levèrent avec cette admirable chanson « A la Salope... ».Mais, très vite, le can-bô aidé de ses gardes nous ordonna le silence. Le calme revint. Un peu la trouille tout de même, mais pas de réaction. Le can-bô se retira. Quelques instants plus tard, les gardes passent parmi nous avec des feuilles de cahier d’écolier. Ils en distribuent une à chacun. Nous voici donc avec une feuille à la main. Le can-bô arrive de nouveau. Les gardiens passent parmi nous avec des stylos bille et nous donnent l’ordre de signer. A tour de rôle, nous avons signé mais quelle signature ! Curieusement, nous avions de drôles de noms, enfin, tout du moins, ceux qui étaient proches de moi. Les autres, je ne sais pas. Après le ramassage des feuilles, nos gardes nous ont fait rejoindre nos cahutes faites de branchages et feuillages.
Un matin, je fus désigné pour effectuer une corvée de riz. Mon ami Merlet et quelques autres faisaient également partie de la corvée. Les Viêts ont remis à chacun de nous un balancier et deux paniers pour le transport du riz. Et, nous voici partis, escortés de trois ou quatre gardes. Après avoir marché toute la journée, nous sommes parvenus à un village thaï, en bordure d’une grande rizière, fatigués, l’estomac vide, trempés comme une soupe. Par contre, nos gardes étaient bien protégés de la pluie avec une toile en forme de poncho et leur casque en latanier. Ils nous ont conduits vers un entrepôt où une énorme quantité de riz était stockée. Après avoir rempli les sacs de riz et reçu d’un Thaï de l’eau dégueulasse que nous avons cependant appréciée, le responsable de l’escorte voulait reprendre le chemin du retour. Nous avions marché toute la journée, et aucune envie de reprendre la piste de nuit.
Le responsable ne voulait rien savoir, mais un des nôtres lui suggéra de nous faire dormir au village et de repartir le lendemain matin. Le palabre dura un certain temps, puis il réussi à convaincre le chef d’escorte de rester au village pour la nuit. Nous étions tous heureux de ne pas affronter la piste de nuit avec nos balanciers. On nous affecta une case sur pilotis avec interdiction d’en sortir. La nuit était venue et nous nous sommes installés pour passer une nuit au sec mais rien dans l’estomac.
Dans la nuit j’éprouvais un besoin pressant, j’avais plus ou moins la diarrhée. Il fallait bien que je sorte de là pour satisfaire cette envie. Mais, comme il était interdit de sortir, je serrais les fesses. La pression se fit telle qu’à un moment donné je me précipitais très vite vers la porte, en faisant le moins de bruit possible. Je m’installais dans la case aux cochons. Soulagement et peur à la fois, car recevoir une bastos (balle d’arme à feu) en posant culotte aurait été une drôle de fin ... Les cochons en profitèrent pour prendre un repas inattendu. Tout juste s’ils ne m’ont pas léché le derrière, quoiqu’ils m’auraient rendu service, car je n’avais même pas de papier. Un morceau de chiffon fit l’affaire. Je remontais dans la case, pas tranquille, la sentinelle aurait très bien pu me tirer dessus. II faut croire que tout ce petit monde dormait puisqu’il n’y eut pas d’incident. Le reste de la nuit s’acheva dans le calme. A suivre
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| Sujet: Re: L'Odyssée de Maurice Rilhac, du 6 de Bigeard Ven Déc 30 2016, 15:41 | |
| De gauche à droite et debout : Herraud, Baliste (5° mort à Diên Biên Phu le 10 avril 1954) et derrière lui, Couture, Rilhac (avant-dernier). Accroupis de gauche à droite : Tissen, Miossec Aussitôt le lever du jour, départ avec notre chargement de riz. Quelle rigolade, au début tout au moins ! Très vite, nous sommes aperçus qu’il n’était pas simple de transporter le riz de cette façon. Nous avions une large rizière à traverser, et avec la pluie, les diguettes étaient devenues glissantes. Plus d’une fois, avec d’innombrables jurons, nous nous sommes retrouvés le derrière dans la rizière. Heureusement que le riz était dans des sacs. Sans compter la colère de nos gardiens qui pensaient que l’on mettait de la mauvaise volonté. Mon ami Merlet marchait devant moi sur la diguette détrempée et il jurait. Plus il jurait, plus il glissait. Il était pieds nus, car il avait quitté ses bottes de saut à cause d’une verrue plantaire qui le faisait souffrir. A chaque pas, c’était des jurons bien souvent destinés à nos gardiens. Hors de lui, il avait du mal à se contrôler. Marcher avec un balancier bien chargé n’est pas aisé ! Je demandais à Merlet de faire attention à ses propos. On ne pouvait connaitre la réaction de nos anges-gardiens certes, ils ne comprenaient pas le français mais prudence quand même... Les uns et les autres nous avons pris l’initiative : se mettre à deux pour porter les paniers, un balancier sur chaque épaule et les paniers au centre. Cette méthode nous permettait de mieux marcher. Nous sommes arrivés ainsi au camp tard dans la nuit où une boule de riz nous attendait avec un morceau de buffle, toujours aussi dur, immangeable.
Après ce maigre repas, nous nous sommes effondrés sous nos cahutes. Nous étions exténués.
De gauche à droite : Sergent Rilhac, Lieutenant Jacobs et Bourgois (tués à Diên Biên Phu respectivement les 28 mars et 2 avril 1954) Chef de Bataillon Bigeard. Capitaine Géraud, En captivité, on se pose beaucoup de questions. Nous étions prisonniers, mais pour combien de temps ? J’étais à peu près en bonne condition physique, capable de marcher, et de là germa une idée d’évasion, comme ça dans ma tête. Sentenac, Skrodzki et moi-même en avons parlé. Skrodzki avait l’avant-bras dans le plâtre ; le bras gauche ou le droit, je ne m’en souviens plus. Le soir, nous étions couchés les uns à côté des autres et nous parlions avant de sombrer dans le sommeil, nous parlions d’une éventuelle évasion. Quand ? Comment ? La nourriture ? La direction à suivre ? Nous étions en pleine brousse et non dans la forêt de Fontainebleau. Un minimum de préparation était indispensable. Et Skrodzki avec son bras dans le plâtre n’enchantait pas Sentenac. Il ne voulait pas de lui, préférant faire cavalier seul. Pourtant, Skrodzki très tenace, et qui ne voulait pas moisir dans un camp Viêt, réussit à le convaincre. Cette volonté de s’évader était devenue une idée fixe et la décision fut prise. Restait à prévoir le moment et avoir du ravitaillement. Il nous fallait du riz, donc, trouver le moment où l’on pourrait s’en procurer. Quant à la direction à prendre ? Il fallait faire le point. Le sous-lieutenant Herraud ayant eu vent de notre projet nous avait dit : « Si vous voulez vous évader, suivez un cours d’eau et descendez-le. » Nous étions bien conscients que ce n’était pas une marche de 48 heures. Il y avait beaucoup de difficultés et d’imprévus. Je mis mes camarades au courant de la boussole que j’avais gardée. Ce soir-là, nous nous sommes endormis en rêvant à notre évasion ...
Le matin, sur ordre des Viêts, des camarades nous ont apporté du riz, seul repas de la journée. Parmi eux, Sautereau que j’avais bien connu lors d’un premier séjour en Haute Région avec le capitaine Bigeard. Venant me trouver, il me demanda s’il était vrai que j’avais l’intention de m’évader avec d’autres camarades.
D’abord, je fus très surpris d’apprendre qu’il était au courant de nos projets. Pourquoi lui ? Pourquoi pas d’autres aussi ? Ce n’était pas bon signe. Sur une réponse affirmative de ma part, il me déclara : « Je suis des vôtres. Es-tu d’accord ? ». Pour moi, il n’y avait aucun problème. Un de plus, ce n’était pas gênant. Sautereau était en assez bonne condition physique, et connu comme bon crapahuteur. Je lui ai donc parlé de nos projets d’évasion, de nos soucis de nourriture et autres détails importants.
En fin de matinée, nous nous sommes retrouvés tous les quatre sous la cahute, et la préparation de la belle commença. Pas de difficulté de la part de Sentenac pour accepter Sautereau parmi nous. Première chose, trouver du riz par tous les moyens, si possible du poisson séché. Sautereau se proposa d’être notre « cuisinier ». Il avait gardé son casque lourd, objet très utile pour faire cuire le riz et son sac à dos. Sentenac de son côté avait réussi à conserver son couteau commando à lames multiples, très utile également, et j’avais ma boussole modèle 22 (que j’ai toujours) indispensable pour mener à bien notre marche vers la liberté. D’un commun accord, nous avons décidé de ne plus nous quitter et dès que l’occasion se présenterait, de prendre la nourriture, de nous fondre dans la brousse, en marchant les deux premiers jours droit devant nous, plein nord, afin d’éviter la cuvette de Diên Biên Phu. Comme nous ne connaissions pas exactement notre position, la prudence était de rigueur. Trop de Viêts devaient circuler dans le secteur et, les villages nous étaient devenus plus ou moins favorables à cause des représailles que les populations pouvaient subir. Nous avons décidé de marcher au sommet de la montagne, le plus haut possible. Suivre les cours d’eau était plus facile peut-être, mais plus risqué, nous en étions conscients.
Ensuite, marcher vers l’Ouest en évitant les pistes et villages jusqu’à la Nam-Ou, fleuve du Laos. De là, mettre quelques bananiers à l’eau et se laisser porter par le courant jusqu’à un poste français dont nous connaissions l’existence en bordure du fleuve. Nous étions gonflés à bloc avec la ferme intention de nous en sortir. Nous n’envisagions pas un seul instant d’échouer. La guerre pouvait durer encore longtemps, et, comme nous n’étions pas trop mal en point, mieux valait marcher vers la liberté que vers un camp Viêt et y séjourner combien de temps encore, des années peut-être...
Sautereau avait fait sauter le plâtre de Skrodzki sur sa demande, car celui-ci le gênait beaucoup. Sa blessure n’était pas grave. Dans la plaie, on voyait un pus épais où les asticots grouillaient, cela peut sauver une vie, paraît-il. Il nous fallait aussi des récipients pour le transport de l’eau, puisque nous avions décidé de marcher au sommet des montagnes. Dans ces régions, il n’existe aucun point d’eau à ce niveau. Nous n’avions plus nos bidons, ce qui nous obligea à couper des bambous femelles d’environ 60 centimètres, d’y faire un trou à l’extrémité d’un nœud pour y faire pénétrer l’eau. Le 11 mai, date que je ne peux oublier (car c’était le jour de mes 27 ans), en fin de matinée, sur la R.P.41 une colonne de prisonniers passa devant nous. Ils se rendaient soi-disant à une corvée de riz. Quelle aubaine ! Nous en avons profité pour nous faufiler dans la colonne, sans difficulté…
De gauche à droite et debout : Herraud, Baliste (5° mort à Diên Biên Phu le 10 avril 1954) et derrière lui, Couture, Rilhac (avant-dernier). Accroupis de gauche à droite : Tissen, Miossec Aussitôt le lever du jour, départ avec notre chargement de riz.Quelle rigolade, au début tout au moins ! Très vite, nous sommes aperçus qu’il n’était pas simple de transporter le riz de cette façon. Nous avions une large rizière à traverser, et avec la pluie, les diguettes étaient devenues glissantes. Plus d’une fois, avec d’innombrables jurons, nous nous sommes retrouvés le derrière dans la rizière. Heureusement que le riz était dans des sacs. Sans compter la colère de nos gardiens qui pensaient que l’on mettait de la mauvaise volonté. Mon ami Merlet marchait devant moi sur la diguette détrempée et il jurait. Plus il jurait, plus il glissait. Il était pieds nus, car il avait quitté ses bottes de saut à cause d’une verrue plantaire qui le faisait souffrir. A chaque pas, c’était des jurons bien souvent destinés à nos gardiens. Hors de lui, il avait du mal à se contrôler. Marcher avec un balancier bien chargé n’est pas aisé ! Je demandais à Merlet de faire attention à ses propos. On ne pouvait connaitre la réaction de nos anges-gardiens certes, ils ne comprenaient pas le français mais prudence quand même... Les uns et les autres nous avons pris l’initiative : se mettre à deux pour porter les paniers, un balancier sur chaque épaule et les paniers au centre. Cette méthode nous permettait de mieux marcher. Nous sommes arrivés ainsi au camp tard dans la nuit où une boule de riz nous attendait avec un morceau de buffle, toujours aussi dur, immangeable.
Après ce maigre repas, nous nous sommes effondrés sous nos cahutes. Nous étions exténués.
De gauche à droite : Sergent Rilhac, Lieutenant Jacobs et Bourgois (tués à Diên Biên Phu respectivement les 28 mars et 2 avril 1954) Chef de Bataillon Bigeard. Capitaine Géraud, En captivité, on se pose beaucoup de questions. Nous étions prisonniers, mais pour combien de temps ? J’étais à peu près en bonne condition physique, capable de marcher, et de là germa une idée d’évasion, comme ça dans ma tête. Sentenac, Skrodzki et moi-même en avons parlé. Skrodzki avait l’avant-bras dans le plâtre ; le bras gauche ou le droit, je ne m’en souviens plus. Le soir, nous étions couchés les uns à côté des autres et nous parlions avant de sombrer dans le sommeil, nous parlions d’une éventuelle évasion. Quand ? Comment ? La nourriture ? La direction à suivre ? Nous étions en pleine brousse et non dans la forêt de Fontainebleau. Un minimum de préparation était indispensable. Et Skrodzki avec son bras dans le plâtre n’enchantait pas Sentenac. Il ne voulait pas de lui, préférant faire cavalier seul. Pourtant, Skrodzki très tenace, et qui ne voulait pas moisir dans un camp Viêt, réussit à le convaincre. Cette volonté de s’évader était devenue une idée fixe et la décision fut prise. Restait à prévoir le moment et avoir du ravitaillement. Il nous fallait du riz, donc, trouver le moment où l’on pourrait s’en procurer. Quant à la direction à prendre ? Il fallait faire le point. Le sous-lieutenant Herraud ayant eu vent de notre projet nous avait dit : « Si vous voulez vous évader, suivez un cours d’eau et descendez-le. » Nous étions bien conscients que ce n’était pas une marche de 48 heures. Il y avait beaucoup de difficultés et d’imprévus. Je mis mes camarades au courant de la boussole que j’avais gardée. Ce soir-là, nous nous sommes endormis en rêvant à notre évasion ...
Le matin, sur ordre des Viêts, des camarades nous ont apporté du riz, seul repas de la journée. Parmi eux, Sautereau que j’avais bien connu lors d’un premier séjour en Haute Région avec le capitaine Bigeard. Venant me trouver, il me demanda s’il était vrai que j’avais l’intention de m’évader avec d’autres camarades.
D’abord, je fus très surpris d’apprendre qu’il était au courant de nos projets. Pourquoi lui ? Pourquoi pas d’autres aussi ? Ce n’était pas bon signe. Sur une réponse affirmative de ma part, il me déclara : « Je suis des vôtres. Es-tu d’accord ? ». Pour moi, il n’y avait aucun problème. Un de plus, ce n’était pas gênant. Sautereau était en assez bonne condition physique, et connu comme bon crapahuteur. Je lui ai donc parlé de nos projets d’évasion, de nos soucis de nourriture et autres détails importants.
En fin de matinée, nous nous sommes retrouvés tous les quatre sous la cahute, et la préparation de la belle commença. Pas de difficulté de la part de Sentenac pour accepter Sautereau parmi nous. Première chose, trouver du riz par tous les moyens, si possible du poisson séché. Sautereau se proposa d’être notre « cuisinier ». Il avait gardé son casque lourd, objet très utile pour faire cuire le riz et son sac à dos. Sentenac de son côté avait réussi à conserver son couteau commando à lames multiples, très utile également, et j’avais ma boussole modèle 22 (que j’ai toujours) indispensable pour mener à bien notre marche vers la liberté. D’un commun accord, nous avons décidé de ne plus nous quitter et dès que l’occasion se présenterait, de prendre la nourriture, de nous fondre dans la brousse, en marchant les deux premiers jours droit devant nous, plein nord, afin d’éviter la cuvette de Diên Biên Phu. Comme nous ne connaissions pas exactement notre position, la prudence était de rigueur. Trop de Viêts devaient circuler dans le secteur et, les villages nous étaient devenus plus ou moins favorables à cause des représailles que les populations pouvaient subir. Nous avons décidé de marcher au sommet de la montagne, le plus haut possible. Suivre les cours d’eau était plus facile peut-être, mais plus risqué, nous en étions conscients.
Ensuite, marcher vers l’Ouest en évitant les pistes et villages jusqu’à la Nam-Ou, fleuve du Laos. De là, mettre quelques bananiers à l’eau et se laisser porter par le courant jusqu’à un poste français dont nous connaissions l’existence en bordure du fleuve. Nous étions gonflés à bloc avec la ferme intention de nous en sortir. Nous n’envisagions pas un seul instant d’échouer. La guerre pouvait durer encore longtemps, et, comme nous n’étions pas trop mal en point, mieux valait marcher vers la liberté que vers un camp Viêt et y séjourner combien de temps encore, des années peut-être...
Sautereau avait fait sauter le plâtre de Skrodzki sur sa demande, car celui-ci le gênait beaucoup. Sa blessure n’était pas grave. Dans la plaie, on voyait un pus épais où les asticots grouillaient, cela peut sauver une vie, paraît-il. Il nous fallait aussi des récipients pour le transport de l’eau, puisque nous avions décidé de marcher au sommet des montagnes. Dans ces régions, il n’existe aucun point d’eau à ce niveau. Nous n’avions plus nos bidons, ce qui nous obligea à couper des bambous femelles d’environ 60 centimètres, d’y faire un trou à l’extrémité d’un nœud pour y faire pénétrer l’eau. Le 11 mai, date que je ne peux oublier (car c’était le jour de mes 27 ans), en fin de matinée, sur la R.P.41 une colonne de prisonniers passa devant nous. Ils se rendaient soi-disant à une corvée de riz. Quelle aubaine ! Nous en avons profité pour nous faufiler dans la colonne, sans difficulté… |
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| Sujet: Re: L'Odyssée de Maurice Rilhac, du 6 de Bigeard Sam Déc 31 2016, 14:43 | |
| L’EVASION Le dépôt de riz se trouvait dans un petit village thaï. A proximité, dans une grotte à plafond très bas et sombre, de grands sacs en bambou tressé contenaient le riz. L’opération fut facile : une ké-bat (petit récipient) pleine de riz dans nos poches et dans le sac à dos de Sautereau, deux ké-bat dans le panier que nous avait donné un bo-doï pour le transport, et nous sommes sortis deux par deux. Nous n’avions pas de nourriture pour un mois, mais peut-être pour une semaine à quatre, en se rationnant. Après… nous comptions sur les Méos. Nous voici de nouveau sur la piste carrossable, la R.P. 41. En fin de journée, à notre droite des monticules, à notre gauche un thalweg et beaucoup de végétation. En outre, un garde Viêt à peu près tous les 50 mètres, donc surveillance réduite. Ils savaient qu’une évasion dans cette région était vouée à l’échec à 90%.Nous marchions en attendant le moment le plus opportun qui se produisit en fin de journée. La piste formait un coude en épingle à cheveux : l’occasion était trop belle. A mes côtés, un autre prisonnier avait compris. Il me demanda de faire la belle avec nous. Le moment était mal choisi pour discuter.Méchamment, Sentenac refusa, nous étions tous de son avis, car c’était un inconnu pour nous. Quelques années plus tard, lors d’une réunion d’anciens paras, je fis connaissance d’un ancien du 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux, le caporal RAGOUILLAUX. Une longue conversation s’ensuivit… sans rancune bien sûr ! Depuis, ce Caporal-chef est devenu chef de Bataillon, Commandeur de la Légion d’Honneur…
Regards en arrière, regards en avant et, d’un même élan, nous courons vers le thalweg après avoir fait quelques pas de course. Nous voici tous les quatre à plat ventre, au milieu de la végétation, à 10 mètres environ de la piste carrossable, le cœur battant, le nez cloué au sol, le souffle court, figés sur place à attendre le passage des derniers de la colonne pour filer. Le temps nous paraissait terriblement long.Au bout de quelques instants qui nous parurent interminables, le silence... le silence total... Je me hasardais à lever un peu la tête, plus personne sur la route. Nous avons attendu encore quelques minutes et, très vite à travers la brousse, nous avons dévalé vers la liberté en bousculant tout sur notre passage. Essoufflés, nous sommes arrivés au fond du talweg. Le souffle court, nous écoutions. Calme total. Nous venions de réussir la première étape. Comme convenu, nous avons grimpé sur l’autre versant devant nous, toujours plein Nord.Il était décidé qu’à tour de rôle, on porterait le sac de ravitaillement, et que chaque jour, chacun d’entre nous prendrait la tête de la colonne, sauf Skrodzki qui risquait d’avoir des problèmes avec son bras.
Ce premier jour de liberté, je pris la tête de notre petit groupe. Après bien des efforts pour arriver au sommet, la progression fut pénible. Il fallait faire vite. Nous voulions nous éloigner le plus possible de la piste carrossable. Par endroit, la montée était tellement abrupte et sur un terrain détrempé que je m’accrochais à tout ce que je trouvais. Je montais de deux pas, je descendais d’un, je jurais comme un charretier. Et Sentenac derrière : « Allez, avancez, bon dieu, on va se faire piquer si nous n’allons pas plus vite ! » Skrodzki qui devait souffrir le martyre avec son bras ne pipait mot.Le plus gueulard était Sentenac. Après bien des efforts, nous arrivâmes au sommet à la tombée de la nuit. Si nous avions été des touristes, nous aurions certainement apprécié le panorama. La vue sur la petite vallée était magnifique. Nous avons suivi la crête militaire, je ne voulais pas prendre de risque surtout sur une crête dénudée. Périple effectué au cours de l'évasion (tracé en pointillés rouges) A un moment : une piste qui devait être assez fréquentée d’après les traces de pas au sol. Je la suivis sur 200 ou 300 mètres, mais, pas du tout tranquille. Très vite, nous l’avons quittée. Nous nous sommes enfoncés dans la brousse en nous efforçant de marcher plein Ouest. Il n’était plus question de prendre la direction Nord.Il nous aurait fallu descendre vers la vallée, c’était trop risqué. Quand nous avons jugé être assez éloignés de la piste, nous avons décidé de passer notre première journée de liberté à cet endroit. La nuit était là, nous étions satisfaits de nous reposer après de tels efforts et une aussi grande tension nerveuse. Après avoir mangé le reste de la boule de riz que nous avions gardé de notre dernier repas de captifs, nous nous sommes couchés tous les quatre sur un sol humide, les uns contre les autres, sans prévoir de garde.
Il était peu probable d’être dérangés hors piste et nous étions tellement fatigués que cela n’aurait pas servi à grand chose. Le lendemain, très tôt, Sentenac me réveilla. J’avais très froid, et, à la tête de mes camarades, je voyais bien qu’ils éprouvaient la même sensation. Sentenac avait raison, il ne fallait pas moisir. Il prit la tête de la colonne, en crapahutant vers l’Ouest, dans la mesure du possible. Notre but : le fleuve Nam Ou et toujours le plus haut possible.Pas question de descendre dans la vallée, nous étions tous conscients du danger. Bien sûr, c’était la facilité, la nourriture dans les villages, de l’eau, mais nous étions persuadés qu’au bout de quelques jours, nous aurions été repris. On trouvait une piste, on la suivait sur 200 mètres environ, puis de nouveau crapahut dans la végétation. Progression lente et fatigante avec des arrêts fréquents à une halte, alors que nous avions bien marché et besoin de repos, Sautereau proposa de faire cuire du riz. L’endroit était propice pour une telle action, Nous étions tous heureux de pouvoir faire une longue pause. Sautereau fit un foyer avec de grosses pierres, et quatre branches enfoncées à la verticale dans le sol à proximité du foyer. Un treillage de feuilles et de feuillages au dessus du foyer pour éviter que la fumée nous fasse repérer. Notre camarade Sautereau était doué. Quant à nous trois, nous allions chercher du bois pour entretenir le feu. Nous avions donné un peu d’eau à Sautereau qui, grâce à son casque lourd, pouvait préparer la tambouille. Après avoir mangé un peu de riz - il fallait absolument se rationner - nous n’étions pas au bout de nos peines, il restait à s’installer pour la nuit.
Au petit matin, nous avons repris notre progression en direction du Laos et du fleuve. Nous devions descendre prudemment dans la vallée pour renouveler notre réserve d’eau, nos bambous étaient vides. Nous avons fait le plein d’eau dans un arroyo et très vite rejoint le sommet. Le trajet s’effectua sans mauvaise rencontre, pas de Thaï ni de Méo. Dans la nuit, nous étions à nouveau au sommet. Toute la nuit, nous avons emprunté une piste. Le ciel était dégagé, la marche facilitée par une pleine lune. Mais, toujours aux aguets, pas tellement tranquilles.
Quelques arrêts pour écouter... toujours le silence... Peur de se retrouver nez à nez avec les Viêts ou un campement provisoire. Malgré l’appréhension, la fatigue et une sous-alimentation, nous avons marché d’un bon pas jusqu’au matin. Nous avons quitté piste la pour prendre du repos et finir notre riz. Après un bon moment, départ à nouveau à travers la brousse. Skrodzki souffrait beaucoup de son bras. Quand je lui demandais : « Est-ce que ça va ? » il nous répondait : « Oui, ça va, ne vous occupez pas de moi, avancez ! », sur un ton assez agressif.
Quant à moi, je souffrais depuis quelques jours de la main droite, à la première phalange du majeur. Je faisais un panaris, dû à une piqûre, je pense. Mon doigt était enflé, plein de pus. Sentenac me fit un pansement avec un morceau de chiffon pris dans la doublure d’une poche. Que faire d’autre ? De temps en temps, Sautereau chauffait un peu d’eau dans son casque, et je nettoyais mon doigt tant bien que mal.Nous évitions de faire trop souvent du feu, il fallait économiser les allumettes, d’autant plus qu’il était bien rare d’allumer le feu du premier coup. De nouveau, nous avons trouvé une piste. La fatigue se faisait sentir et l’estomac bien vide ce qui n’améliorait pas nos caractères. Sentenac et moi commencions à nous accrocher verbalement pour des bagatelles. La fatigue, le manque de sommeil étaient là. Nous avons décidé de suivre cette piste, nous n’avions plus rien à manger, il fallait trouver un village méo pour se nourrir.
Au bout de quelques jours, nous sommes arrivés en vue d’un village. Bien avant d’y arriver : seulement quelques paillotes. Les Méos nous regardaient avec de grands yeux. On ne devait certainement pas être beaux à voir. Nous voici bientôt dans le village, la trouille aux tripes. Marchant avec précaution, prêts à fondre dans la brousse à la moindre alerte. Dans ce genre de situation, on est loin d’être à l’aise. La faim nous poussait à prendre des risques. Arrivés à peu près au centre du village, nous nous sommes arrêtés et avons demandé au Méo le plus proche à manger avec des gestes simples et significatifs. Un Méo est venu vers nous et d’un signe de la main nous a demandé de le suivre jusque dans une paillote. Nous faisions toujours des signes pour faire comprendre que nous voulions manger et nous avons été entendus. Au bout de quelques instants, une femme est venue nous offrir quatre boules de riz noir que nous n’avons pas tardé à engloutir. Mais nous n’étions pas tranquilles et avions hâte de quitter le village. Pourtant, nous sommes restés quelques heures. En plus du panaris à la main droite, j’avais un anthrax à l’omoplate droite. Il me faisait souffrir celui-là, nom d’un chien. Sentenac, à chaque pause, le nettoyait. Il appuyait dessus à me faire gueuler et le désinfectait avec un peu de choum (alcool de riz) que nous avions eu au village. Et, nous sommes repartis de nouveau. Je ne pouvais plus supporter le sac à dos, l’anthrax me faisait trop souffrir. Seuls Sautereau et Sentenac portaient le sac tandis que Skrodzki ne pouvait plus se servir de son bras. Il avait un courage et une volonté extraordinaires. On ne l’entendait plus. Valait mieux ne pas lui demander si cela allait. Il nous envoyait sur les roses et violemment. Quant à Sautereau, il avait un carnet de poche qu’il mettait à jour de temps en temps, et qu’il rangeait soigneusement dans une pochette de plastique avec différents objets personnels.
Un jour, nous avons commis l’imprudence de descendre dans la vallée, poussés par la faim et la facilité de pénétrer dans un village thaï. Arrivés aux abords du village qui était assez important, à proximité des premières paillotes, nous avons aperçu deux Viêts. Très vite, sans aucune parole, nous avons compris et trouvé les forces pour fuir à travers la brousse, la trouille aux fesses.Je crois que ce jour-là, nous avons battu un record de vitesse. Et nous voici repartis à travers la brousse jusqu’à la nuit, en évitant les pistes.
Une autre fois, nous marchions sur une piste en bordure d’une vallée. Depuis quelques jours, il nous arrivait d’emprunter une piste pendant quelque temps et reprendre à nouveau à travers la brousse. Et puis un jour que nous étions sur la piste, nous avons entendu des appels et même des cris, des appels en français, sur notre gauche, côté montagne.D’abord étonnés, en alerte, prêts à s’enfoncer à nouveau dans la brousse, nous voyons deux hommes courir, dévaler la pente en poussant des cris, gesticulant les bras. « Nous sommes français, nous sommes français..». Au fur et à mesure de leur approche, deux blancs en treillis kaki dévalant la pente jusqu’à nous.« Qui êtes-vous, d’où venez-vous ? etc... ». C’était deux soldats de Diên Biên Phu, deux appelés évadés qui erraient dans la brousse, complètement paumés. Là, la mémoire me fait défaut je ne me souviens plus de leurs noms, ni de leur unité. Ce que je sais, c’est qu’ils n’étaient pas paras. Nous leur avons proposé de venir avec nous. Le soir même, avec les nouveaux venus, nous nous sommes arrêtés dans un petit village.
Le fait de venir dans un village thaï était déjà une imprudence. Pourtant, nous avons été bien reçus. Mais les gens n’étaient pas tranquilles, on s’en rendait compte. Sautereau avait cru comprendre que les Viêts passaient souvent dans le village. Il ne fallait pas moisir ici. Un Thaï pouvait très bien partir prévenir les Viêts.Les villageois nous ont offert du riz et un morceau de poulet, quel festin ! Il y avait bien longtemps que nous n’en avions pas mangé. Mais pour obtenir ce repas, il a fallu que Sautereau fasse des palabres à n’en plus finir. Nous avons décidé de partir assez vite, le secteur nous paraissait malsain et les Thaïs pas très tranquilles. Nous sommes partis avant la nuit en désaccord total avec nos deux appelés qui voulaient passer la nuit au village se disant fatigués, avoir mal aux pieds. Nous aussi, nous serions bien restés pour la nuit, bien à l’abri, au chaud et avec peut-être une autre boule de riz. Mais, il ne fallait pas céder à la tentation. Malgré notre insistance, nous n’avons pu les convaincre. C’est de cette façon que nous nous sommes séparés après une journée passée ensemble. A notre retour à Hanoï, nous avons signalé cette rencontre aux officiers du G.C.M.A. Nous n’avons jamais plus entendu parler de ces deux appelés.
Un autre jour, après être descendus jusqu’en bordure d’un cours d’eau d’une dizaine de mètres de large pour faire le plein de nos bambous et nous rafraîchir, nous décidons de suivre ce cours d’eau pendant un certain temps avec de l’eau jusqu’aux mollets. Ce jour-là, j’étais de nouveau en tête et nous marchions dans le lit de la rivière avec de chaque côté une végétation abondante.Mon dos me faisait souffrir avec cet anthrax qui n’en finissait pas. Cela puait la vermine, j’avais du pus plein le dos. Et mon doigt qui me lançait ! Les nuits étaient pénibles, intenables. Quand je trouvais un peu de sommeil, je rêvais. Je me voyais entrer dans une pâtisserie, acheter une quantité invraisemblable d’éclairs au chocolat, dix, douze peut-être. Je montais dans ma voiture et m’arrêtais en pleine campagne pour les savourer !
Nous étions donc dans le lit de la rivière depuis une heure ou deux peut-être quand tout à coup à 200 mètres devant nous... les Viêts. Je n’ai pas dû parler trop fort, ils semblaient n’avoir rien entendu. Nous voici tous les quatre, plongeant dans la brousse, à plat ventre à 10 mètres de la rivière, le nez enfoncé dans le sol, le souffle court. Très vite, un premier Viêt arriva à notre hauteur, je me hasardais à le regarder, le trouillomètre à zéro. Le Viêt était là, regardant à droite et à gauche.Aussitôt derrière, deux autres suivis d’un européen, assez grand, mains attachées derrière le dos qui marchait la tête basse. Derrière lui, un Viêt, pistolet-mitrailleur à la hanche. Après le passage de ce petit détachement, nous étions sur le point de nous relever quand un autre Viêt arriva d’un pas pressé. Quelle trouille ! Après son passage, nous avons attendu un petit moment avant de nous relever. Nous avons eu vraiment les chocottes...
Nous avons décidé alors de quitter rapidement le lit de la rivière pour foncer à travers la brousse et monter toujours plus haut. A notre première halte, nous avons évoqué cette rencontre avec les Viêts, en nous disant que peut-être nous aurions pu leur tomber dessus et libérer le prisonnier. Mais nous avions peu de chance de réussir. Tout d’abord, nous étions tous les quatre déjà faibles et dispersés dans la brousse. De ce fait, aucune coordination pour mener à bien cette embuscade. Nous risquions de nous faire abattre les uns après les autres vu les distances entre chaque Viêt, et le dernier qui était éloigné du groupe ne nous aurait pas facilité la tâche.
Très vite, sans aucun remords, nous avons repris notre progression à travers la brousse jusqu’au sommet. De là, nous avons pris la direction plein Ouest. Nous avons passé la nuit dans une paillote isolée et quelle nuit ! Une nuit accompagnée de moustiques qui nous dévoraient et qui a donné lieu à un nouvel accrochage avec Sentenac, car il voulait marcher jusqu’au milieu de la nuit. Je préférais me ménager et la sous-alimentation se faisait sentir. Comme Skrodzki et Sautereau étaient de mon avis, nous nous sommes arrêtés.
Au petit matin, nous avons suivi l’arroyo. Eh oui, encore une fois ! Il fallait avancer et rejoindre le fleuve au plus vite. La meilleure façon était de suivre la piste ou le cours d’eau malgré les risques que cela comportait. Au bout de quelques heures de marche, après le passage d’une boucle de l’arroyo, un pont. Un petit pont en bois et bambou qui permettait à une piste carrossable de franchir le cours d’eau. La piste Pavie, déclara Sautereau. Effectivement, nous étions arrivés à la piste qui menait à Laï-Chau. A quelle distance étions-nous de Diên Biên Phu ? Aucune possibilité de le savoir. Quoi qu’il en soit, il fallait redoubler de prudence.
Nous allions traverser la piste, quand tout à coup, à un détour de cette piste, nous avons vu arriver deux coolies (porteurs) poussant chacun une bicyclette chargée de sacs de riz. Surprise de part et d’autre, un temps d’arrêt et observations de quelques secondes, et puis, je ne sais pourquoi moi, mais ce fut comme ça, je leur ai fait de grands signes de la main, avec des bonjours et un large sourire, tout en m’approchant d’eux, avec Sentenac. Je me souviens même avoir serré la main du premier coolie. A notre approche, le second coolie lâcha sa bicyclette et s’enfuit à toute jambe en poussant des cris, des hurlements.
A cet instant, j’ai attrapé le coolie qui était à ma portée, le ceinturant par derrière, une main sur la bouche pendant que Sentenac le frappait d’un coup de couteau au bas-ventre. J’ai lâché le coolie qui s’est effondré sur la piste, près de sa bicyclette. J’avais ma main pleine de morve. Je pense que ce geste gratuit n’était pas nécessaire, et pourtant ... l’un de nous a crié : « Barrons-nous, du monde arrive ! ».Effectivement, beaucoup de bruit et des cris, le village ne devait pas être loin. Certainement, les Viêts étaient là. Nous étions conscients du danger. Nous voici de nouveau en cavale dans la brousse, il ne fallait pas se laisser prendre car, la mort pour nous était certaine et dans quelles conditions ! Après avoir tué un coolie, notre compte était bon.
Au bout de quelques centaines de mètres, nous sommes arrêtés dans notre course par un mouvement de terrain, une descente presque abrupte d’une dizaine de mètres et en bas, la Nam-Meuk, cours d’eau identifié beaucoup plus tard. Nous ne pouvions rester là, il fallait descendre, les Viêts étaient derrière nous.La descente vers la rivière fut réalisée en un temps record. On s’accrochait tantôt aux branches, tantôt aux racines, aux rochers, avec le trouillomètre à zéro. Nous nous retrouvions au bord de la Nam-Meuk, le dos contre la falaise. Nous avons regardé la rivière à traverser. Elle devait faire à peu près 40 mètres de large, avec un fort courant. La décision devait être prise très vite. Nous entendions au dessus de nos têtes, les Viêts qui nous cherchaient.
Heureusement pour nous, l’endroit était accidenté, avec beaucoup de végétation, et ça gueulait de toute part. Comme je me débrouille pas mal en natation, je décidais de passer le premier. Je demandais à mes camarades d’attendre, de me regarder traverser pour se rendre compte de la profondeur et des difficultés pour atteindre l’autre rive. Me voici parti, pas très rassuré, je l’avoue. D’abord le courant, et les Viêts pouvaient me voir et me tirer comme un lapin.Me voici les pieds dans l’eau, j’avançais lentement, l’eau aux mollets puis aux genoux, j’avançais toujours, trébuchant sur les cailloux, les rochers. J’avais de l’eau à hauteur des cuisses et j’avais encore une bonne moitié à parcourir pour arriver sur l’autre rive. L’eau m’arriva à la taille et me voici déséquilibré et emporté par le courant. Je nageais de toutes mes forces, je me voyais très bien dériver et je nageais. Je mettais toute l’énergie qui me restait. Je ne pensais plus aux Viêts, mais à la rive qui se rapprochait lentement.De temps en temps, j’allongeais une jambe pour sonder le fond. A un moment, je sentis les cailloux au bout de mes pieds. Je fis alors quelques mouvements et me mis debout. |
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| Sujet: Re: L'Odyssée de Maurice Rilhac, du 6 de Bigeard Sam Déc 31 2016, 14:50 | |
| J’avais dérivé à peu près de 50 mètres, pas plus. J’avais de l’eau jusqu’à hauteur des cuisses. J’étais à quelques mètres d’une plage de galets, j’avais réussi. Très vite, je me suis confondu avec la nature. Je n’entendais plus les Viêts, peut-être nous cherchaient-ils plus loin ? J’ai fait de grands signes de la main à mes camarades pour qu’ils me rejoignent. En partant d’un peu plus bas, il me semblait que la rivière était moins profonde.
Couché, j’observais mes camarades. Sautereau, Skrodzki tout d’abord. Je les voyais commencer leur progression dans l’eau, excepté Sentenac qui était resté le dos collé à la falaise. Je pensais qu’il devait supposer que deux hommes en pleine découverte suffisaient et qu’il attendait de les voir atteindre l’autre rive pour partir.
Mes camarades semblaient avoir dérivé un peu moins que moi. A cet endroit, la rivière était moins profonde. Il a fallu quand même qu’ils nagent une centaine de mètres, Skrodzki n’a même pas voulu que Sautereau l’aide. Il a traversé tout seul, quel cran ! Les voici tous deux à mes côtés ; Sentenac sur l’autre rive. Nous lui faisions de grands signes pour traverser. Nous l’avons vu commencer à marcher dans la rivière, et puis, tout à coup, plus de Sentenac. Où était-il ? Rien. Pas de Sentenac en vue. Toujours couchés dans la végétation, nous cherchions du regard notre camarade. Et puis, environ à 100 mètres de nous, sur notre rive, nous apercevons notre Sentenac venant vers nous. De nouveau, nous entendions les Viêts qui nous cherchaient.
Très vite, nous avons repris à travers la brousse sur un terrain où la végétation était dense. Il fallait nous éloigner du secteur au plus vite. Sans un mot, à bout de souffle, nous avons franchi cette montée pour nous arrêter près du sommet avec l’intention d’y passer la nuit. Après avoir repris notre respiration, je demandai à Sentenac ce qui s’était passé. Pour toute réponse, je me fis traiter de tous les noms, que nous étions des salauds, que nous l’avions laissé tomber, une belle engueulade, quoi. Cela a duré un bon moment. Nous avons fini par savoir qu’il ne savait pas ou peu nager. Et, au moment où il avait senti qu’il perdait pied, il s’était couché et avait marché à quatre pattes au fond de la rivière, en s’accrochant aux rochers. Il nous fit la gueule jusqu’au matin ...
Au cours d’une halte, il arrivait que Sautereau nous fasse un petit menu, en imagination bien sûr. Tout y était, sans oublier la bouteille. On se régalait l’esprit, mais pas l’estomac, si bien que Sentenac, bien des fois, lui demandait de la boucler. Après avoir marché à travers la brousse, sous une pluie battante, nous sommes arrivés sur un versant dominant une vallée. Sur notre droite, un peu plus bas, un mouvement de terrain en forme d’éperon. Nous avons aperçu un poste avec des fortifications, sans drapeau. Après un moment d’observation, nous nous sommes rendu compte que le poste avait été évacué. Nous avons décidé de descendre et d’aller voir de plus près. Reprise de notre marche. Sautereau criait : « Nous sommes au Laos, regardez là-bas, des palmiers ! ». Nous étions heureux. Redoublant de courage, nous avons repris notre marche. Arrivés au poste, nous avons fait le tour qui a été très vite fait et constaté qu’il n’y avait rien d’intéressant. Nous avons repris notre marche en direction de l’Ouest, vers la Nam Ou.
Un jour, nous nous sommes arrêtés pour passer la nuit dans une petite case au bord d’un ray (culture sur brûlis, on brûle l’herbe pour préparer le sol à la culture du riz). Nous étions arrivés depuis une heure environ, bien installés pour y passer la nuit, quand, brusquement, la porte s’ouvrit pour faire apparaître un Méo, les yeux grands ouverts, figé à l’entrée de la porte, nous regardant avec un étonnement de surprise et de méfiance à la fois. Très vite, il reprit ses esprits et s’approcha de nous légèrement courbé et les mains jointes. Après avoir regardé à l’extérieur pour savoir s’il était seul, rassurés, nous avons tenté, surtout Sautereau, de lui faire comprendre que nous voulions manger et dormir. Il nous a proposé de descendre au village. Pas très chauds, nous étions sur le qui-vive. D’un commun accord, nous avons mis une petite tactique au point. Il n’était pas question de descendre au village tous les quatre. Nous avons donc décidé que l’un entre nous irait avec le Méo voir comment les choses se présentaient. Si le secteur était calme, il préviendrait les trois autres de le rejoindre. Sautereau se proposa pour aller avec le Méo, et de nous avertir si la voie était libre. Il avait été convenu d’écrire sur une feuille de papier arrachée de son carnet de route : « Vous pouvez venir. Signé : Sautereau ». La voie était libre. Ou bien : « Vous pouvez venir R.A.S. »
Dans ce cas, mettre les voiles. Le mot devait être rapporté par le Méo. Sautereau partit. Quant à nous, nous nous sommes cachés à proximité de la case. Il était plus prudent de bien voir les choses venir. Un bon moment après, dans une attente tendue, aux aguets, prêts à fondre dans la brousse, nous avons vu arriver notre Méo qui nous remit le papier de Sautereau. (« Vous pouvez venir. Sautereau »). Nous avons suivi le Méo, pas très tranquilles tout de même. Arrivés au village nous avons retrouvé notre ami qui nous confirma qu’il n’y avait rien à craindre. Les Méos nous avaient préparé à manger. Après un repas de riz et poulet, nous avons passé la nuit. Au matin, le chef de village nous a fait comprendre qu’il ne faillait pas rester plus longtemps. Il nous proposa un guide pour nous rendre au village voisin, toujours dans la direction du fleuve et cette fois- ci, en empruntant la piste. De nouveau, crapahut. Nous sommes arrivés avec notre guide dans un village méo. Nous avons apprécié le peu de repos et surtout le riz.
Le chef de village nous fit comprendre que dans une case, il y avait un soldat. Arrivés à cette case, nous avons vu un soldat vietnamien, un déserteur peut-être, en uniforme de chez nous, complètement dans le cirage en train de fumer l’opium, avachi sans pouvoir articuler un mot. Nous n’avons rien fait pour lui.
Pendant cette halte, comme bien souvent, Sentenac regardait mon anthrax. Pourquoi lui, je ne sais pas. Et pourtant, cela n’allait pas toujours bien entre nous deux, il appuyait sur ce sacré anthrax pour en sortir la vermine, le pus et si possible le germe. Ce jour-là, après bien des efforts, il réussit à l’extraire de ma chair meurtrie. Après avoir nettoyé la plaie avec du choum et laissé la plaie à l’air libre faute de pansement, je reprenais mes esprits. Quelle souffrance ! Quant à mon panaris, j’en souffrais beaucoup moins. Nous sommes enfin arrivés dans un autre village méo, qui dominait la Nam-Ou. Il nous suffisait de descendre vers le fleuve à quelques heures de marche, d’abattre quelques palmiers, les mettre à l’eau et nous laisser transporter par le courant jusqu’au premier poste français de Muong Saï. A Muong Khoua, nous étions exténués, très faibles.
Il s’en fallait de peu pour que l’on s’écroule, rester sur place, dormir, se laisser aller ; mettre un pied l’un devant l’autre demandait beaucoup d’efforts. Nous voulions réussir, rentrer chez nous, revoir les nôtres, quitter ce putain de pays, ces pistes sans fin. Mais, très vite, nous avons dû renoncer Å ce projet. Le Méo nous avait fait comprendre que le long du fleuve, il y avait beaucoup de Viêts et que le poste français que nous avions l’intention de rejoindre avait été évacué. Les Viêts y étaient implantés. Douche froide, grande déception. Le moral au plus bas. Après avoir mangé un peu de riz et gobé un œuf qu’un Méo nous avait apporté, nous avons décidé de passer la nuit au village pour prendre une décision le lendemain. Prendre le risque par le fleuve ou de nouveau à travers la brousse à proximité du fleuve ?
Au matin, nous avons vu arriver deux Méos, des partisans Hmong de la minorité de la Haute Région. Ils étaient vêtus de treillis kaki, bien de chez nous. Nous n’avons même pas pensé un seul instant qu’ils pouvaient être des sympathisants des Viêts. Ils nous ont fait comprendre qu’ils pouvaient nous conduire dans un maquis où se trouvait un européen, à trois jours de marche. Un maquis ? Nous avons pensé au GCMA, peut-être. Sentenac, increvable, décida de partir avec un Hmong et de rejoindre ce maquis qui devait se trouver au nord, nord-est. Ce qui nous a fait beaucoup réfléchir. Cette direction ne nous convenait pas. C’était l’éloignement. Fatigués, écœurés, malades, nous décidons, Skrodzki, Sautereau et moi-même de rester encore au village, une journée et une nuit, afin de récupérer et de partir le lendemain matin avec le second Hmong. Nous avons passé la journée au village, couchés la plupart du temps, dans une case auprès d’un feu. La nuit fut pénible, surtout pour moi. Plusieurs fois je dus me lever et aller aux toilettes sous la case. J’étais faible, très faible, j’en avais marre et pourtant je voulais réussir. Je voulais rentrer chez moi.
Au petit matin, les Méos nous ont fait comprendre qu’il fallait partir avec notre guide. Nous souhaitions de tout cœur trouver le maquis et savoir si ce renseignement était exact. A partir de ce jour, je n’ai plus utilisé ma boussole. Nous sommes donc partis. A quelques kilomètres du village, sur la piste qui menait au sommet, j’ai eu un évanouissement, je me suis effondré sur la piste. Tout en étant dans le cirage, incapable de bouger, ne voyant absolument rien, j’entendais tout ce qui se passait autour de moi. Sautereau et Skrodzki me remuaient, essayaient de me mettre debout, sans résultat. Je restais inerte. Je les entendais dire « Laissons-le au village, continuons vers le maquis et là, on viendra le faire récupérer ! » Et ils sont partis. Je me souviens que des Méos étaient autour de moi, qu’ils me soufflaient dans les oreilles, dans le nez...
J’ai repris conscience dans le village. J’ai mangé du riz, du poulet, mais très peu. J’étais très faible. Je suis resté un jour ou deux. Un matin, les Méos m’ont fait partir à dos de mulet. Une petite équipe faisait partie de l’escorte. Me voici à dos de mulet, pour rejoindre ce soi-disant maquis à trois jours de marche. J’étais un peu mieux. Je n’avais pas la grande forme, mais, je tenais assis sur le mulet. Je voulais rentrer chez moi, revoir ma femme et mes enfants. Il fallait tenir.
Au bout de deux jours à cheval sur ma monture, quel calvaire, j’avais les fesses en sang ! Nous sommes arrivés devant une petite case en bordure de piste. J’ai entendu qu’on m’appelait. Je suis descendu de mon mulet, aidé par un Méo, et j’entrais dans la case. Assis à même le sol, Skrodzki seul, plutôt effondré qu’assis. Il me dit qu’il en avait marre, qu’il ne bougerait plus. Je lui demandais des nouvelles de Sautereau. Il avait continué à marcher. Je lui proposai mon mulet, il refusa. J’ai insisté pour qu’il vienne avec moi, il m’envoya méchamment sur les roses. Je suis donc reparti.
Après un jour de marche ou plutôt de mulet, les fesses endolories, le derrière en feu, nous sommes arrivés à un nouveau village méo. Ma petite équipe m’a conduit directement à une case où je retrouvais Sautereau, affalé dans un coin, sans force, au bord de l’agonie. D’une voix faible, il me fit comprendre qu’il avait vu Sentenac avec le partisan hmong. Je pris un peu de riz, mais mon estomac refusait toute nourriture. J’avais des obligations qui me contraignaient à sortir sans cesse, déplacements devenus un acte de courage vu les difficultés que j’avais à me déplacer. J’étais assis à côté de Sautereau quand, à un moment donné, il me demanda d’une voix tout juste audible de prendre dans sa poche de veste un petit carnet qu’il tenait à jour et de le remettre à une infirmière de l’hôpital Lanessan à Hanoï. Tout en prenant son carnet, je lui promis de le faire. Dans la nuit, Sautereau tomba dans un coma profond. Je ne pouvais rien faire pour lui, hélas.
Le matin, quand je me suis réveillé, je constatais qu’il n’était plus là. J’ai demandé à un Méo où était mon camarade. Il me fit comprendre qu’il était mort et qu’il avait été enterré en dehors du village. Je n’eus même pas la force, le courage d’aller voir où était sa tombe. Ce fut un moment d’écœurement, de grande peine. J’étais vidé, j’ai pleuré. Je me souviens d’avoir sorti de ma pochette en plastique une photo de mon portefeuille, une petite photo de ma femme, de l’avoir regardée longuement. Je ne croyais plus au retour. Nous avions échoué, j’étais une loque, dans un état d’épuisement extrême.
A Hanoï quand j’ai donné les détails sur la mort de Sautereau, un médecin m’a confirmé qu’il avait dû mourir d’un accès de paludisme pernicieux.
Les Méos ne voulaient plus me garder. Ils m’avaient fait comprendre que de temps en temps, les Viêts venaient au village. Le risque était trop grand. Je suis parti tant bien que mal, à une très courte distance du village, m’installer dans une toute petite case. Je me suis allongé sur une petite natte à même le sol et toujours ces nombreux déplacements dus à une dysenterie. Dans la journée, un Méo m’a rendu visite et apporté quelques petites boules brunes qu’il avait dans le creux de la main en me faisant comprendre d’en manger une de temps en temps. J’ai compris que c’était de l’opium pour ma dysenterie et que cela calmerait mes douleurs. J’ai pris ces boulettes et les ai avalées à divers moments de la journée. Il y a longtemps que je ne pouvais plus manger, mon estomac était fermé. VERS LA LIBERTE Dans cette case, je suis resté peut-être deux jours, puis, un soir ou un matin, je ne m’en souviens plus, les Méos sont venus me chercher avec un mulet. Me voici reparti avec cette escorte. Dans l’état où je me trouvais, j’avais la trouille de tomber sur les Viêts, peur de me faire prendre bêtement sans réagir. Me voici à nouveau sur la piste. Ah, mes pauvres fesses ! Il y aurait de quoi écrire des pages sur les souffrances que j’ai endurées.
Après quelques jours de crapahut sur ma mule, plutôt allongé sur la crinière qu’assis, nous sommes arrivés à un éperon dénudé. A quelques centaines de mètres, des hommes, fusil à la main. Ils devaient être 7 ou 8. En l’espace de quelques secondes, j’ai cru que j’étais perdu, que les Viêts étaient là. Mais, très vite, au comportement des Méos, à leurs sourires et leurs gestes, j’ai réalisé que c’étaient des hommes du maquis, le G.C.M.A. J’ai appris par la suite que j’étais près du village de Te-Kin qui servait de sonnette d’alarme au maquis. J’étais heureux, je faisais de grands gestes, en criant « Je suis un para du 6, je suis français, sergent-chef parachutiste ». Ces hommes m’entouraient et m’ont fait comprendre que, pas très loin, il y avait un blanc. Nous voici tous partis en direction d’un piton couvert de végétation. J’avais les larmes aux yeux. Je ne sentais plus mes douloureuses fesses. J’avais réussi. Arrivé au pied d’une pente abrupte, j’ai été transporté à dos d’hommes pour atteindre le sommet.
Tout en les aidants de mon mieux, je m’accrochais aux branches, aux racines. J’étais poussé, tiré. Que d’efforts pour arriver au sommet. J’étais plein de bonne volonté, de courage. Après tant d’efforts, je suis parvenu au sommet, devant un blanc, un Français. « Je suis le sergent-chef Voilant du G.C.MA. – Je suis le sergent- chef Rilhac ». Quelle poignée de main ! Je suis allé au P.C. en marchant, titubant, mais seul. Il savait que nous étions dans le secteur et nous étions recherchés par ses Méos.
Arrivé à son P.C., je me suis assis. Là, une nourriture m’est apportée, mais rien ne voulait passer. J’ai bu de l’eau, seule chose que mon estomac acceptait. Et, j’ai vu Sentenac. Il était debout devant moi, apparemment en assez bonne forme. Je l’ai mis au courant pour Sautereau et Skrodzki tandis que le sergent-chef Voilant regardait mon anthrax. Après l’avoir désinfecté ainsi que mon panaris, il me fit un pansement. Il n’y avait rien d’autre à faire. J’étais pratiquement guéri. Je suis allé me coucher dans une case faite de branchages, car je ne pouvais rester longtemps debout, j’étais trop faible. Le sergent-chef Voilant attendait l’heure de la vacation radio pour signaler notre présence.
C’était le 29 juin 1954. La case que j’occupais était le lieu de repos d’une équipe méo. Il y avait une boîte de lait concentré qui devait appartenir à l’un d’eux. J’y ai goûté et l’ai vidée en quelques minutes. Que c’étai bon !
Je crois que nous sommes restés une journée et une nuit. Un matin, un hélicoptère Sikorski est venu se poser à proximité du piton. Après une dernière et chaleureuse poignée de main à Voilant, Sentenac et moi sommes montés à bord. Il m’a fallu l’aide des aviateurs. Nous voici partis pour Luang-Prabang. Je me souviens que nous nous sommes posé près d’un poste pour faire le plein de carburant.
LE RETOUR SUR HANOÏ Sentenac est sorti de l’hélico pour se rendre au Foyer boire une bière. Quant à moi, c’était un effort que je ne pouvais fournir. J’ai bu une orangeade que Sentenac m’avait apportée. Arrivés à Luang-Prabang, nous avons été transportés à l’hôpital où un médecin nous a examinés. J’en garde un souvenir un peu flou. Ce dont je me rappelle, c’est qu’un officier est venu nous demander si nous voulions envoyer un télégramme à nos familles. Je lui ai demandé de faire parvenir à ma femme le télégramme suivant : « Suis en bonne santé, arrive bientôt. Maurice ». Télégramme que ma femme a reçu dans les délais, mais qui la dérouta, car, quelques jours auparavant, elle avait lu dans un journal de la région, la liste des prisonniers de Diên Biên Phu où mon nom était inscrit. Peu de temps après, elle recevait le télégramme « Suis en bonne santé. Arrive bientôt. Maurice ». Il y avait de quoi être dérouté. Sentenac et moi-même avons été invités à un repas en notre honneur. Pour moi, le repas fut bref, je n’ai pratiquement rien mangé. Mon estomac ne voulait toujours rien savoir.
Après une nuit agitée, le lendemain matin, un officier, un lieutenant du G.C.M.A., est venu nous chercher. Nous sommes partis par Dakota pour Hanoï, trajet que j’ai effectué en grande partie aux toilettes du bord. Je me vidais de plus en plus, si bien que le lieutenant s’inquiétait de mes absences. Il frappait souvent à la porte pour me demander si j’allais bien. Nous sommes arrivés à. Hanoï de nuit. Le lieutenant nous a conduits chez lui pour y passer la nuit. Le lendemain matin, il nous a emmenés au G.C.M.A. Sentenac et moi avons été séparés.
J’ai subi un interrogatoire dans les règles. « Comment vous êtes-vous évadés ? Où ? Quand ? Comment vous êtes-vous nourris ? La R.P. 41 avait-elle subi de gros dégâts suite à l’intervention de l’aviation ? Avez-vous vu des véhicules Viêts ? L’artillerie ? Comment est mort votre camarade Sautereau ?... » Et, j’en passe... Je ne désirais qu’une chose : dormir. L’interrogatoire terminé, on mit un lit picot à ma disposition dans un dortoir du C.C.M.A. où je rencontrais le sergent Lasserre que je ne connaissais pas et qui est devenu depuis un très bon camarade, mais qui hélas, nous a quittés. Ce fut le seul à s’occuper de moi, à m’apporter jus de fruit et réconfort.
J’ai appris, quelques jours plus tard, que le G.C.M.A. nous avait considérés comme des déserteurs et non des évadés. Mais très vite, à l’évidence même, les choses avaient été claires. J’ai été dirigé sur l’Infirmerie de l’E.D.A.P. pour un examen complet avec le diagnostic suivant : asthénie, anémie, amaigrissement anormal, dysenterie, poids : 42 kilos. Quant à mon panaris : guéri, mais la phalange était toujours en flexion. Le médecin me proposa deux solutions : garder le doigt tel quel ou le couper. J’optais pour la première solution. J’ai donc toujours le majeur droit en flexion. Quant à l’anthrax, il était complètement guéri. Cependant, je suis resté 18 jours à l’infirmerie avec un traitement uniquement par cachets.
Je ne pouvais recevoir aucune piqûre, j’étais trop maigre. Pendant ce séjour, j’ai reçu bien des visites de la base arrière du 6èmeB.P.C dont l’adjudant André Sol qui était notre adjudant-chef de Bataillon à qui j’ai confié le carnet de Sautereau. Ce carnet a été remis ensuite au sergent Blanzy, du P.C. du bataillon, lequel en fit une copie partielle (en évitant les passages très intimes) et le transmit au lieutenant Gauche, officier d’état-civil du bataillon.
Après décision du médecin-chef, le capitaine Chaize, je suis sorti de l’infirmerie à peu près d’attaque. J’avais appris par la base arrière du bataillon que Skrodzki était à l’hôpital Lanessan, sauvé d’une mort certaine par les Méos du sergent-chef Voilant. Avec Sentenac, je suis allé lui rendre visite. Nous nous sommes retrouvés tous les trois, les larmes aux yeux. La visite fut de courte durée car il était très faible. Une infirmière nous avait demandé de ne pas trop tarder.
Le médecin-chef m’avait proposé d’aller passer un mois de repos au centre de Dalat. Je refusais. Mon séjour était terminé, j’avais hâte de revoir ma femme et mes enfants. J’ai demandé à rentrer en France. Je suis allé chez un tailleur chinois me faire confectionner un complet pour mon retour en France prévu les jours suivants. A partir de ce moment, je n’ai plus revu Sentenac.
Après voir passé quelques jours à Hanoï, j’ai été rapatrié par avion le 29 juillet 1954 avec d’autres militaires, des gros, des minces, d’une corpulence raisonnable, tous apparemment en pleine santé. Parmi eux, je faisais figure de gringalet. Nous avons atterri au Bourget le 31 juillet 1954. |
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