Peut-on vraiment dresser un bilan des victimes de la Première guerre mondiale?Corps de soldats britanniques en attente d'être enterrés, avril 1918. Lieu inconnu .La Première guerre fut «totale et industrielle», comme l’explique l’Historial de Péronne.
«Ses besoins mobilisent toutes les ressources et toute la population.» Les pertes humaines sont à la hauteur de cette «industrialisation» : colossales.
On les estime parfois à 10 millions de morts pour 65 millions de soldats engagés.
A ce niveau, les chiffres ont-ils encore un sens pour évoquer l'horreur? La France et l’Allemagne ont mobilisé chacune «entre 3 et 4 millions d’hommes», selon un cartel de l’Historial.
«L’armée britannique, composée jusqu’en 1916 uniquement de volontaires, se développe progressivement», précise cette source.
En août 1914, le corps expéditionnaire britannique n’est «composé que de 70.000 combattants, mais bien entraînés et bien équipés», souligne le site de l’Ecpad (Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense).
«Face aux lourdes pertes subies», Londres lance «rapidement un appel aux volontaires pour combattre, avant de finalement recourir à la conscription.
Près de cinq millions de soldats britanniques sont mobilisés pendant la guerre», poursuit le site. Dans le même temps, les colonies de la France et du Royaume-Uni fournissent aux alliés occidentaux «des renforts en effectifs, élément dont l’Allemagne ne peut bénéficier», explique l’Historial.
«Les contingents provenant des colonies françaises apportent plus de 500.000 hommes».
Côté britannique, «plus de 600.000 Canadiens, 400.000 Australiens, plus de 100.000 Néo-Zélandais et 100.000 Sud-Africains servent dans les forces alliées. Un million d’hommes supplémentaires combattent dans l’armée indienne.»
Il faut aussi parler d’autres nationalités comme les Portugais. Sans oublier les ouvriers chinois et égyptiens (70 d’entre eux furent tués à Boulogne lors de la répression d’une grève qu’ils avaient entamée, évènement sur lequel il est difficile de trouver des éléments).
Et les pertes dans tout ça ? Prudemment, l’Historial estime que «15 à 16%» des mobilisés allemands et français ont disparu».
De même que «plus de 12%» des mobilisés britanniques.
Une source sérieuse comme la Documentation française qui, elle-même, cite des chiffres américains repris par des historiens de renom comme Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker (dans Encyclopédie de la Grande Guerre, ouvrage sorti chez Fayard en 2004), est plus précise.
Elle fait ainsi état de 1,4 million de «morts ou disparus» pour la France, 900.000 pour le Royaume-Uni, 1,8 million pour la Russie, 2 millions pour l’Allemagne, 1,1 million pour l’Autriche-Hongrie. On évitera de donner le nombre des blessés, lui aussi colossal. Un bilan qui se chiffre en millions pour les principaux belligérants.
Assaut français en 1916 à VerdunDes soldats français sortent de leur tranchée et montent à l'assaut pendant la bataille de Verdun en 1916. Un bilan «impossible» à établir Aujourd’hui, les historiens les plus compétents de la période ne s’entendent pas forcément entre eux sur les chiffres.
L’universitaire Antoine Prost, président du conseil scientifique de la Mission du centenaire, estime ainsi que le nombre de soldats tués a été sous-estimé.
D’une manière générale, cet historien reconnu reste prudent face aux données chiffrées.
«Lorsque l’on avance tel ou tel chiffre, il faudrait dire de quoi on parle exactement, car cette comptabilité tragique peut varier selon les critères retenus : ne parle-t-on que des pertes militaires, ou aussi des civils ? Des historiens ont calculé que 1,5 million de civils sont morts de maladie et de malnutrition dans l’Empire ottoman, en plus des victimes du génocide des Arméniens», explique-t-il dans une interview au Monde.
Et de poursuivre : «Compte-t-on les soldats morts de leurs blessures après l’armistice ?
Les décès dus aux maladies contractées dans la boue des tranchées ?
Les soldats morts dans les camps de prisonniers ennemis?»
La majorité des données utilisées par les scientifiques «sont les comptages effectués par l’institution militaire des différents pays belligérants au cours ou à la fin de la guerre.
Dans le premier cas, (ces institutions) ont tendance à minimiser officiellement les pertes pour montrer qu’elles économisent les vies humaines ; dans le second, elles tendent au contraire à les gonfler car il s’agit de négocier les conditions du traité de paix», observe Antoine Prost.
Selon lui, «les travaux les plus aboutis (…) sont ceux de l’historien américain Jay Winter (cité par la Documentation française, NDLR) et de l’historien russe Boris Urlanis». Des données qui font état d'environ 10 millions de morts et que leurs collègues n’ont fait que reprendre !
Au fond, estime le scientifique français, la comptabilité des morts est «impossible» à établir.
Et de conclure :
«Il n’y a pas besoin de chiffres pour démontrer l’ampleur du massacre et l’horreur de la guerre : chaque famille le sait.»