Bien qu’elle ait toujours prétendu être née en 1768,
c’est bien le 23 juin 1763 que Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie voit le jour en Martinique dans une famille de planteurs.
Se sentant à l’étroit sur son île, le rêve qu’elle caresse très jeune de rejoindre la métropole devient réalité lorsqu’on la marie à l’âge de seize ans au vicomte Alexandre de Beauharnais,
capitaine dans l’armée du Roi.
Enfin Paris et sa vie trépidante…
Mais la capitale ne tient pas ses promesses.
Souvent seule, la jeune femme n’est guère heureuse avec Alexandre qui la trompe délibérément, dilapide la fortune de sa femme et souffre d’une jalousie maladive.
Deux enfants naissent pourtant du mariage, Eugène et Hortense, avant que le couple ne se sépare en 1785.
« Yéyette », ainsi qu’on la surnomme, se retire alors avec sa fille à l’abbaye de Panthémont, rue de Grenelle, qui accueille les femmes de haute lignée.
Au contact des pensionnaires, elle parfait son éducation parisienne que la vie martiniquaise ne lui a guère offerte avant de la mettre en pratique chez son beau-père à Fontainebleau, où sa jolie tournure ne laisse pas indifférents les séduisants jeunes hommes.
En 1788, Rose retourne en Martinique avec Hortense et l’espoir de soutirer quelque argent à son père afin d’améliorer sa situation financière devenue critique.
A la faveur de la Révolution qui éclate l’année suivante, Alexandre de Beauharnais est devenu un personnage politique majeur, en phase de devenir le président de l’Assemblée constituante.
Celle que l’on nomme la « belle créole », attirée par les atouts que procure le pouvoir, revient à Paris pour se rapprocher de ce mari influent, sans pour autant reprendre la vie commune, et fréquente indifféremment des salons politiques que tout oppose.
Mais la roue tourne sous la Terreur avec la Loi des suspects de 1793 qui traque ceux « qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté, ceux qui ne pourront pas justifier,
de la manière prescrite par le décret du 21 mars dernier, de leurs moyens d'exister et de l'acquit de leurs devoirs civiques ; ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme, les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou par ses commissaires et non réintégrés, ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs, et agents d'émigrés, qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution, ceux qui ont émigré dans l'intervalle du 1er juillet 1789 à la publication du 30 mars - 8 mars 1792, quoiqu'ils soient rentrés en France dans le délai prescrit par ce décret ou précédemment ».
Démissionnaire et aristocrate, Alexandre est arrêté pour trahison, incarcéré à la prison des Carmes et condamné à la guillotine.
Rose, elle aussi arrêtée, attend de subir le même sort que son mari mais ses geôliers reportent de deux jours l’exécution car la belle est malade.
Un report miraculeux.
Deux jours de sursis salvateurs.
Quarante-huit heures historiques qui vont voir la chute de Robespierre le 26 juillet 1794 et la libération de certains suspects.
Bien que profondément marquée par la prison, veuve et pauvre, Rose de Beauharnais parvient grâce à ses relations et sa beauté à fréquenter les salons thermidoriens qui veulent renouer avec les plaisirs oubliés pendant la Terreur, celui notamment de sa grande amie Thérésa Tallien.
Entretenue par ses amants, dont le très influent Paul Barras, Rose est toujours très élégante et tient place de l’une des reines mondaines du Directoire.
Barras lui présente un jeune général corse du nom de Napoléon Bonaparte qui tombe éperdument amoureux d’elle.
Soucieuse de l’avenir de ses enfants, Rose accepte d’épouser cet homme de six ans son cadet qui la laisse insensible mais dont elle croit en l’avenir prometteur.
C’est à partir de cette date qu’elle trichera sur sa date de naissance même si sa belle-sœur Pauline la prénomme « la vieille ».
Bonaparte se refusant à prononcer un prénom susurré par tant d’amants rebaptise sa femme « Joséphine » et part pour les campagnes d’Italie.
Trop heureuse de sa liberté, Joséphine refuse de suivre son mari et s’adonne à des conquêtes bien différentes de celles de son mari…
Elle passe son temps dans les bras de ces amants dont le capitaine de hussards Hippolyte Charles. Elle s’amuse des lettres enflammées, tellement bourgeoises, qu’elle reçoit de son général de mari et le fait enrager par ses réponses dans lesquelles elle mélange le « tu » et le vous », comme le montre cet extrait d’une lettre de Bonaparte à sa femme :
« Tu me traites de vous. Vous toi-même ! Ah ! Mauvaise, comment as-tu pu écrire cette lettre ! Qu'elle est froide !
Et puis, du 23 au 26, restent quatre jours ; qu'as-tu fait, puisque tu n'as pas écrit à ton mari ?...
Ah ! Mon amie, ce vous et ces quatre jours me font regretter mon antique indifférence.
Malheur à qui en serait la cause ! Puisse-t-il, pour peine et pour supplice, éprouver ce que la conviction et l'évidence (qui servit ton ami) me feraient éprouver ! L'Enfer n'a pas de supplice ! Ni les Furies, de serpents ! Vous ! Vous ! Ah ! Que sera-ce dans quinze jours ?...
Mon âme est triste ; mon cœur est esclave, et mon imagination m'effraie... Tu m'aimes moins ; tu seras consolée.
Un jour, tu ne m'aimeras plus ; dis-le-moi ; je saurai au moins mériter le malheur... Adieu, femme, tourment, bonheur, espérance et âme de ma vie, que j'aime, que je crains, qui m'inspire des sentiments tendres qui m'appellent à la Nature, et des mouvements impétueux aussi volcaniques que le tonnerre ».
C’est sur les bords du Nil que Napoléon Bonaparte apprend les frasques de sa femme et envisage le divorce. Mais son amour et l’attachement qu’il porte à Eugène et Hortense, ses enfants adoptifs, l’en dissuadent.
De retour à Paris, il ne se prive pourtant pas à son tour d’afficher des maîtresses…
Joséphine malgré tout se dévoue encore et toujours à la carrière de son mari, et grâce à ses relations et sa diplomatie joue un rôle prédominant dans la préparation du coup d’Etat du 18 brumaire. Elle devient une actrice du complot qui met définitivement fin à la Révolution.
Le Consulat fait d’elle la première femme de France, et sa connaissance des milieux aristocratiques lui permet d’aider à la réconciliation de la nouvelle société avec l’ancienne. Elle œuvre au retour des émigrés en veillant à les rallier à la cause du futur empereur.
C’est au château de la Malmaison qu’elle a acquis pendant la campagne d’Egypte que sont prises de grandes décisions pour relever la France.
Cependant une ombre demeure dans le tableau. Le couple n’a pas d’enfant ce qui est problématique au regard de l’ambition du Premier consul. Faisant fi de ses mauvaises relations avec sa belle-famille, Joséphine se résout à sacrifier sa fille en la mariant avec le frère de Napoléon, Louis Bonaparte, espérant donner un héritier à la lignée. Le calcul n’est pas idiot puisque le futur Napoléon III naîtra de leur union, mais Bonaparte ne veut pas se contenter d’un neveu.
Devenue impératrice des Français en 1804, Joséphine joue son rôle avec une aisance remarquable, bien consciente qu’elle succède à Marie-Antoinette dont elle partage le goût pour les toilettes et la musique. Protectrice des arts et des lettres, elle collectionne les objets antiques et excelle dans la botanique. Dépensant sans compter, sa motivation étant davantage d’acquérir que de posséder, l’Impératrice ne s’attire pourtant pas la foudre de ses sujets, ses qualités, son charisme et sa bonté faisant oublier ses petits travers. Mais elle n’est toujours pas enceinte et Napoléon Ier a levé le doute sur sa stérilité avec la naissance d’un fils adultérin de Marie Walewska. Il se résout à se séparer de sa « douce et incomparable Joséphine » et demande le divorce « pour raison d’état ».
Encore amoureux, c’est le cœur déchiré qu’il subit la cérémonie de divorce et l’achève par ces mots : « Elle a embelli quinze ans de ma vie », avant de se mettre en quête d’une impératrice*.
Joséphine qui avait appris à aimer son mari se retire à la Malmaison et crée une ménagerie d’animaux exotiques et des serres où pousse une immense variété de fleurs rares. L’Empereur qui lui conserve une affection particulière lui rend visite une fois par an et finance tous ses caprices.
Grand-mère dévouée, elle se consacre à ses petits-enfants qui feront des mariages royaux et qu’elle marquera profondément si l’on en croit cette phrase de Napoléon III annonçant son mariage avec Eugénie de Montejo : « Gracieuse et bonne, elle fera revivre dans la même position, j'en ai le ferme espoir, les vertus de l'Impératrice Joséphine »**.
Voyageant beaucoup et ayant conservé son titre d’Impératrice des Français, elle accueille les têtes couronnées d’Europe qui la respecte. Elle meurt en 1814, après avoir pris froid en faisant visiter son domaine au tsar Alexandre Ier…
Albane de MAIGRET Bottin Mondain