Califat : malédiction, défi et exemple"
’infostratégie" est un néologisme que François-Bernard Huyghe a forgé,[1]
est l’étude des conflits (modalités, occurrences, motivations et finalités...) liés aux systèmes de transmission et communication caractéristiques de la société dite de l’information.
Le champ de cette discipline à inventer serait celui des changements régissant les rapports entre conflit et information. « Les nouvelles technologies ont bouleversé les conditions du faire-savoir, avec la constitution de méga-archives numériques et des réseaux informatiques, du faire-percevoir - avec à la fois des instruments de surveillance omniprésents, le cyberespace et les réalités virtuelles, du faire-faire -
les machines informationnelles qui “commandent” l’action d’hommes ou de machines, d’une station spatiale au portillon du métro et du faire-croire : à l’époque des télévangélistes ou de la politique-spectacle, on ne croit plus de la même façon qu’à l’époque de la chaire ou du préau d’école.
Du même coup, elles bouleversent les conditions de l’affrontement ».[1] François-Bernard Huyghe analyse ici le message du "Califat" et la stratégie. Paris le 13
janvier 2015.(©) Source : (huyghe.fr).
Par François-Bernard Huyghe
Pas d'ambiguïté sur le message "Qu'Allah maudisse la France" ! Dar al islam, la revue francophone en ligne de l'État islamique produit par son centre médiatique al-Hayat est clair. Coulibaly (présenté sous son nom de guerre, al-Ifriqui est nettement privilégié par rapport aux frères Kouachi, plutôt attachés à al Qaïda canal historique) est un exemple à suivre et sera récompensé parmi les martyrs, son épouse, Hayat Boumedienne interviewée, l'approuve et invite les sœurs à rejoindre le califat en pratiquant la piété.
Ceux qui disent "je suis Charlie" sont des impies et des apostats promis aux pires châtiments. Exemple de slogan : "Que je meure si l'adorateur de la Croix ou le partisan du Taghout (l'idolâtre) vit."
Et la revue de reprendre les appels à attaquer n'importe quel mécréant français ou américain, avec une pierre ou une voiture ou en incendiant sa maison si l'on ne dispose pas d'une Kalachnikov.
En revanche dar al islam s'en prend à ceux qui se contentent de simuler le jihad en bavardant sur les réseaux sociaux : pas de salut sans actes.
Personne ne pourra donc plaider la surprise face à ce programme de "salut par l'allégeance et l'épée".
Ce pourrait d'ailleurs être une des explications du succès du califat (au moins en termes de recrutement), un système doctrinal structuré de façon simple :
- Autorité : pas une phrase qui ne soit accompagnée de citations, sourates, hadiths et autres, seule source de légitimité et seul critère de l'interdit et de l'obligatoire
- Territorialité. Dès qu'il est question du désir qu'éprouvent les musulmans de vivre en terre de charria et de la nostalgie qu'ils éprouvent de la Hijrah, le retour ou l'émigration vers un pays enfin pur où s'applique la loi de Dieu, le ton devient lyrique. Le succès du Cham (Irak et Syrie) comme utopie réalisée ou pays de la consolation attirant les jihadistes n'a pas d'autre source
- Talion justifiant la vengeance : nous allons vous bombarder comme vous nous avez bombardés et nous allons vous faire verser autant de sang que vous avez versé du sang de nos frères de l'Oumma.
- Punition et récompense. La plus grande faute étant d'offenser le Prophètes, la simple manifestation de solidarité avec les mécréants offenseurs vaut la même peine.
- Obligation universelle : le croyant qui ne cherche pas à tuer un mécréant n'est pas vraiment un croyant.
- Désignation de l'ennemi. La France en particulier a un long passif d'inimitié envers l'islam, haine "sourde et irrationnelle" que l'on fait remonter à la monarchie. De par sa politique étrangère et de par la persécution qu'elle exerce, la France a donc déclaré la guerre la première et doit s'attendre au pire.
La califat semble donc développer sa stratégie du défi et de l'humiliation : prolifération des Tweets avec le slogan "je suis ISIS" (Islamic State in Irak and Syria), numéro de Dabiq (équivalent anglophone de dar al Islam montrant le drapeau de Daesh flottant sur le Vatican, promesses de bombes et de voitures piégées à la France et à la Belgique.
Et lorsqu'ils recourent à des méthodes de hackers, ainsi lorsque le "cyber califat" pirate le compte Twitter de Newsweek, c'est aussi pour adresser un message d'avertissement à la famille Obama sur le sort qui les attend.
Rappelons pour mémoire que le jihad cyber, par des attaques informatiques, est théologiquement considéré comme licite et vaut le mérite du moudjahiddine à celui qui le pratique.
François-Bernard Huyghe