10 Février 1957 :
Trois bombes sur deux stades dans la banlieue d'Alger (stade d'El Biar et stade municipal), dans la foule qui regarde le match, 12 morts et 45 blessés.
Il faut un grand sang froid à la foule pour qu'elle ne se livre pas à des ratonnades aveugles en représailles de ces attentats non moins aveugles, aussi trois musulmans sont lynchés.
La police identifier assez rapidement les auteurs des attentats, comme toujours des femmes avaient porté les bombes, car elles n'étaient pas fouillées, pour ne pas froisser les susceptibilités.
Une d'entre elle est arrêtée dès le 28 février, Hocine Baya. Condamnée à mort, le jugement est cassé en 58, rejugée c'est en janvier 59 la perpétuité, elle est libérée à l'indépendance et nommée députée.
Aumônier de la Xème division parachutiste, chargée de rétablir l'ordre durant la bataille d'Alger, le père Delarue évoque depuis le premier jour, avec ses soldats, les difficultés morales de la guerre du renseignement. Le 10 février 1957, au soir de l'attentat des stades, il rédige un texte qui sera diffusé dans toutes les unités.
"La France, depuis sa naissance en tant que nation, s'est vue mêlée à plus d'une guerre; en général, nos soldats s'en allaient, forts de l'approbation de tous les honnêtes gens.
A ma connaissance, il n'y a pas eu, dans toute notre histoire, de conflit qui ait aussi profondément divisé les catholiques que cette lutte que nous menons en Algérie contre les fellaghas.
Des journaux qui, hautement, se proclament "chrétiens", en contestent publiquement la légitimité; des laïcs, des ecclésiastiques "très avancés" en flétrissent les méthodes ( ...) il y a là un fait troublant, angoissant pour notre conscience de chrétiens; il est grand temps que nous nous efforcions d'y voir clair.
Nous nous retrouvons en face d'une guerre d'un type nouveau, d'une guerre révolutionnaire. Nos défenses habituelles: supériorité d'armement, courage et savoir-faire au combat, ont été tournées. Nous sommes en face du TERRORISME dans toute sa lâcheté, dans toute son horreur;
Qu'on veuille bien se rappeler, parmi trop de cas similaires, les massacres d'El-Halia en août 1955, les enfants dépecés, les femmes violées, éventrées. ..
Le mitraillage à dix heures du matin dans les rues de Kroubs, ces treize familles de fermiers massacrées en mars 1956à Palestro.
..Et l'on conviendra sans hésiter qu'à vrai dire il ne s'agit plus de faire la guerre, mais d'annihiler une entreprise d'assassinat organisée, généralisée.
..Dans ce cas, qu'exige de vous votre conscience de chrétien, d'homme civilisé? Ce qu'elle exige?
C'est que, d'une part, vous protégiez efficacement les innocents dont l'existence dépend de la manière dont vous aurez rempli votre mission et que, d'autre part, vous évitiez tout arbitraire. Il suit de là que:
1° Par souci de loyauté, de justice, c'est au chef responsable, entouré de ceux de ses collaborateurs qu'il juge particulièrement compétents et indispensables - et de ceux-là seuls - que revient la charge de diriger l'information.
2° Vous ne devrez jamais oublier que votre seul but doit être d'obtenir des renseignements et non pas d'assouvir votre colère,
3° On n'a le droit d'être dur avec un homme que dans la mesure où il est certain qu'il est coupable et doit savoir quelque chose,
4° Il n'est jamais permis de prendre au hasard un passant, le premier venu, et d'essayer par la violence de lui extorquer l'aveu d'une culpabilité dont on prétend le charger - sans avoir recueilli par ailleurs aucune véritable preuve.
Il ne s'agirait plus, dans ce cas, de justice mais de l'arbitraire le plus odieux. ..Quand un homme n'a pas été pris sur le fait, qu'aucun témoignage valable, fourni par d'autres hommes ou par des preuves matérielles, n'a pu être retenu contre lui, on n'a pas le droit de le choisir arbitrairement comme bouc émissaire, ni de lui extorquer, par quelque moyen que ce soit, des aveux qu'il ne ferait pas librement, ni a fortiori de le condamner sur la seule foi de ces déclarations qu'il se serait résigné à souscrire.
Il serait également indigne des chrétiens, des civilisés que nous sommes, de "tirer dans le tas", sous le prétexte que nous n'arrivons pas à déceler les coupables et qu'il faut faire un exemple.
5° Par contre, dans l'intérêt commun, presque tous les peuples civilisés ont maintenu la peine de mort, bien qu'il y ait des erreurs de jugement et que parfois des innocents aient pu être exécutés.
Et, d'autre part, nous nous trouvons présentement en face d'une chaîne de crimes. En conséquence, puisqu'il est légalement permis - dans l'intérêt de tous - de supprimer un meurtrier, pourquoi vouloir qualifier de monstrueux le fait de soumettre un criminel - reconnu comme tel par ailleurs, et déjà passible de mort - à un interrogatoire pénible, certes, mais dont le seul but est de parvenir, grâce aux révélations qu'il fera sur ses complices et ses chefs, à protéger efficacement des innocents?
Entre deux maux: faire souffrir passagèrement un bandit pris sur le fait - et qui d'ailleurs mérite la mort - en venant à bout de son obstination criminelle par le moyen d'un interrogatoire obstiné, harassant, et, d'autre part, laisser massacrer des innocents que l'on sauverait si, de par les révélations de ce criminel, on parvenait à anéantir le gang, il faut sans hésiter choisir le moindre:
un interrogatoire sans sadisme mais efficace. L'horreur de ces assassinats de femmes, d'enfants, d'hommes dont le seul crime fut d'avoir voulu, par un bel après-midi de février, voir un beau match de football, nous autorise à faire sans joie, mais aussi sans honte, par seul souci du devoir, cette rude besogne si contraire à nos habitudes de soldats, de civilisés.
6° Le but de la justice est double: punir le coupable, décourager tous ceux qui sont tentés de l'imiter.
Il suit, de là, qu'on a le droit d'interroger efficacement - même si l'on sait que ce n'est pas un tueur - tout homme dont on sait qu'il connaît les coupables, qu'il a été témoin d'un crime, qu'il a sciemment hébergé quelque bandit, s'il refuse de révéler librement, spontanément, ce qu'il sait.
En se taisant - pour quelque motif que ce soit - il est coupable, complice des tueurs, responsable de la mort d'innocents pour non assistance à des personnes injustement menacées de mort. De ce seul fait, il n'a qu'à s'en prendre à lui-même s'il ne parle qu'après avoir été efficacement convaincu qu'il devait le faire. "