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| Sujet: FIN DE LA LEGION A BEL ABBES SEPTEMBRE 1962 Mar Déc 15 2015, 01:17 | |
| L'ADIEU DE LA LEGION A BEL ABBES Cadeau ........pour ce Forum Les petites gares semblables à des gares de la province française étaient vides et désertes, quelques wagons noirs immobiles cuisant sur les voies de garage. On était en septembre 1962. Le train venant d'Oran débouchait sur une plaine entourée de hauteurs et soudain on était arrivé, on lisait l'inscription : Sidi-bel-Abbès. LA GARE EN 1960 Vous descendiez, vous regardiez sur le quai à droite et à gauche : personne, pas un autre arrivant. Mais sur le banc juste à côté de la sortie, à dix pas de vous, cinq statues aux visages sombres : la patrouille de l'ALN. Cinq hommes basanés en tenue léopard, casquette à la Castro, mitraillettes entre les jambes, ils regardaient droit DEVANT eux, avec l'expression de gens qui ne veulent rien voir ni entendre. Figés comme des statues, ils refusaient de toutes leurs forces d'entendre ce qu'il était absolument impossible de ne pas entendre, ils feignaient de ne rien entendre de ce boucan qui vous crevait les oreilles, qui vous laissait médusé, là, sur ce quai : venant de l'extérieur de la gare, un air fracassant de musique militaire, une musique assourdissante, orchestre d'au moins trente musiciens jouant à toute force"Tiens voilà du boudin" la marche de la Légion étrangère. Le spectacle s'offrait à vous dès que vous aviez traversé le hall vitré. Les musiciens n'étaient pas trente mais quarante. En grande tenue d'été, képi blanc, pantalon kaki, chemise kaki, repassée comme aucune chemise au monde, épaulettes vert et rouge à franges, ceinturon de cuir fauve sur la large ceinture de laine bleue, baudrier blanc, guêtres blanche, gants blancs à crispin immense. Jouant à toute force le "Boudin" sous la conduite d'un chef de musique. Cette musique qui empoigne Face à cette musique, quatre légionnaires au garde-à-vous. Quatre. Tout autour, la place vide, personne, pas un civil. Les quatre légionnaires quittaient Bel Abbès pour leur nouvelle garnison. Djibouti. Les tambours, les clairons, les cors, les trompettes et les fifres les avaient accompagnés à la gare, jouaient pour eux seuls, ils auraient été la même pour un seul partant ou un seul arrivant. La CLIQUE entière du régiment accueille et accompagne tout légionnaire. Au temps où les nouveaux engagés arrivaient de la métropole, fripés, minables, risiblement fringués dans les tenues provisoires distribuées à Marseille au fort Saint-Jean, un bon nombre d'entre eux déjà écœurés par l'initiation, par la pelle et la pioche, par les gueulements de sous-officiers, par les corvées de latrines, se demandent dans quel coup de folie ils avaient SIGNÉ, quelques uns déjà carrément révoltés, déjà obsédés de projets de désertion, ce troupeau fatigué, aigri, irrité, recevait en pleine face le La clique de la Légion étrangère boulevard Général Rollet à Sidi-bel-Abbès soufflet sonore, suffocant, à nul autre pareil, il faut avoir entendu cela de ses oreilles. Dans l'instant, on ne pouvait plus se dérober, on avait beau se répéter : < >, rien à faire, la protestation intime la plus véhémente s'étouffait. Plus que l'engagement SIGNÉ, plus que l'impossibilité physique de ficher le camp, cette musique était un coup de masse sur la volonté. Et elle était en même temps une prise à bras-le-corps, un coup de judo imparable.
Maintenant on était en septembre 1962. Le morcellement et l'évacuation de la Légion avait commencé vers la métropole, vers la Corse, vers Djibouti, il n'y avait plus à Bel Abbès que sept cents légionnaires au lieu de dix mille. Au terme des accords d'Evian, les troupes françaises n'avaient pas le droit, avant leur rapatriement de sortir de leurs casernes en unités constituées. La légion ne voulait pas le savoir. A Bel Abbès, des compagnies de la Légion continuaient à défiler en chantant le fameux "Anne-Marie". La CLIQUE accompagnit tout légionnaire quittant la garnison. Vous vous avanciez par les rues à la recherche des rares HÔTELS encore ouverts. La ville a été fondée par la Légion en 1843, sur un lieu marécageux où un marabout perpétuait le souvenir d'un pieux ermite, Sidi Bel Abbès. Ni le quartier arabe, ni le "village nègre", beuglants et maisons closes, n'offrent le moindre intérêt. Ailleurs, certaines rues gardent du peuplement de commerçants une allure vaguement espagnole, mais l'ensemble, maisons de ciment et de briques à deux ou trois étages, rues se coupant à angle droit, est sans caractère et sans attrait. Partout, les boutiques se touchent, commodité pour le militaire, avec cette particularité surprenante dans une ville de garnison : nombreuses pâtisseries. C'est que la Légion COMPTE beaucoup d'Allemands. On était en septembre 1962, dix semaines après l'indépendance. Il ne restait à Bel Abbès que quelques centaines de civils français, sur trente mille. Les musulmans ne se montraient pas dans les quartiers du centre. Les trois quarts des MAGASINS étaient fermés, rideaux baissés ; d'autres cachaient mal leur façade trouée (plastic) derrière des planches clouées. Partout des affiches et des grafitti. Affiches tricolores : "je suis français". "Une parôle de trop, un patriote de moins". "Vive Salan !" "OAS vaincra". A côté ou sur ces affiches mêmes, l'inscription adverse, "Vive le FLN, et les slogans FLN pour le référendum : "Votez Oui, Oui, oui, oui". On pouvait même lire sur un mur, au minium en très grandes lettres "Votez Voui". Les rares passants dérivaient lentement dans les rues, l'air absent.<> vous disait le patron d'un petit HÔTEL, mais sa curiosité n'allait pas plus loin. Questionné, il haussait les épaules : -Qu'est-ce que vous voulez qu'on dise ? On a l'impression que tout ça s'est passé il y a cent ans..
Au rythme des pas de l'ancien régime.
Au bureau de poste, le bourdonnement des mouches se détachait sur un fond de silence accablant. La cabine téléphonique sentait la poussière et le suri. Vous demandiez la Légion, l'officier pour lequel vous aviez une introduction. Et là soudain, vous sortiez de l'atmosphère de somnambulisme de ces rues presque vides, de cet HÔTEL moribond résigné, vous receviez un nouveau choc, analogue à celui de l'arrivée. La voix de l'officier claquait dans le téléphone, on aurait dit un coup de feu, puis plusieurs salves séparées. -Oui, oui, parfaitement, je suis averti de VOTRE arrivée. Quand vous pouvez venir me voir ? Tout de suite. Je vous attends. La caserne de la Légion de Bel Abbès s'appelle Quartier Viénot, du nom d'un colonel tué au premier rang de la Légion, DEVANT Sébastopol, par un merveilleux clair de lune dans la nuit du 1er au 2 mai 1855. Les brochures et fascicules officiels représentent le Quartier Viénot comme un paradis militaire, d'anciens légionnaires l'ont décrit comme un bagne. Vous arrivez, vous voyez au-delà du portail trois corps de bâtiment formant un rectangle ouvert, édifice dans le style caserne-école-hôpital-prison du XIXe siècle, bien connu. La sentinelle en grande tenue se met au garde-à-vous au passage d'un gradé, présente les armes aux officiers. Comme elle tourne le dos à la grille, elle ne voit pas ce qui vient de l'intérieur. Colonel Viénot tombé à la tête de son régiment devant Sébastopol le 2 mai 1855 Aussi, à quelques pas se tient un caporal, l'air de rien, qui siffle doucement, presque imperceptiblement, du plus loin qu'apparaîssent des galons. Le présentez-armes est executé avec la rigidité claquante d'automate qu'on n'observe que dans les armées de métier. La sentinelle vous désigne un petit bureau attenant à la grille où un adjudant-chef archidécoré, quinze ans de service au bas mot, vous dévisage d'un air glacial en téléphonant pour vérifier que vous avez bien RENDEZ-VOUS -Un légionnaire va vous accompagner.
Où que ce soit, vous ne pouvez pas parcourir seul deux mètres à l'intérieur d'un quartier de la Légion. Un légionnaire ou un gradé, selon VOTRE qualité et selon les circonstances, marche auprès de vous. Il marche au pas de la Légion, vous devez vous mettre à ce pas, et vous commencez à cet instant à comprendre que vous pénétrez dans un monde à part. Les autres corps de l'armée française défilent à la vitesse de 110 à 115 pas à la minute. Pour la légion, le tempo est de 80 à 85 pas. La Légion étrangère est reconnue pour l'une des troupes les plus efficaces au monde. Au COURS des opérations héliportées d'Algérie, ses sticks (=file des parachutistes sortant d'un avion par la même porte) opéraient à une vitesse exceptionnelle. Mais hors des opérations ou des exercices, on revient au pas légionnaire. Fondée en 1831, la Légion attira une foule disparate hautement colorée, survivants des armées napoléoniennes, homme des corps polonais, allemands, suédois, hongrois, ex-"soldats libres du Nord" levés par le Directoire, et ces hommes-là avaient dans les jambes, outre des milliers de kilomètres parcourus sur toutes les routes d'Europe, le rythme des pas militaires de l'Ancien Régime, or en ce temps-là les troupes défilaient LENTEMENT sur des musiques solennelles. La Légion garde ce pas à la fois par un culte fanatique de la tradition et comme une discipline, on dirait presque comme une attitude philosophique. Entretien de la voie sacrée Le légionnaire qui marche à votre côté ne traîne pas du tout les pieds, il marche vraiment, et cette LENTEUR calculée à laquelle vous devez vous accorder vous déconcerte, vous transporte dans un monde où le temps n'est plus votre tyran, mais vous appartient. Bien entendu, toutes ces pensées ne vous viennent à l'esprit qu'après coup.Moins de deux cents mètres séparent la grille du bureau où vous attend l'officier, et cependant il s'agit d'un voyage, non seulement à cause du pas légionnaire. L'homme qui vous accompagne, ou plutôt auprès de qui vous allez très docilement de temps en temps vous entraîne dans un léger détour. La cour est vaste et mais vous constatez que des traits sont tracés à la peinture sur le sol, délimitant des espaces. Même à vous, arrivant ici pour la première fois, ignorant tout de la légion, l'idée ne viendrait pas de marcher sur la "voie sacrée", bordée de fleurs, reconnaissable au premier abord, qui conduit du portail au monument aux morts
Le jour anniversaire de Camerone -30 avril- le colonel s'y avance sur le front de son régiment pétrifié, au milieu d'un silence impossible, et alors est lu le récit du combat fameux. Et d'autres espaces de la COUR sont interdits et d'autres permis. En septembre 1962, il était convenu que seuls les officiers pouvaient emprunter deux couloirs tracés de part et d'autre de "la voie sacrée". Aucun réglement écrit n'en avait décidé, et aucun des officiers que j'ai interrogés plus tard ne connaissait l'origine de cette tradition, pas tellement ancienne m'ont-ils dit. Peut-être avait-il suffi d'un ordre d'un adjudant de semaine fanatique de la hiérarchie ; et ensuite on avait CONTINUÉ. Cette inégalité était religieusement maintenue dans le corps où le pourcentage d'officiers tués a été de tout temps le plus élevé. On était en septembre 1962. L'indépendance avait été accordée aux Algériens non victorieux, les Français partaient, la légion morcelée préparait son évacuation définitive, il allait falloir transporter ailleurs armes et bagages, déménager le musée plein de glorieux souvenirs, le temps des héros, saints des saints où des milliers de NOUVEAUX engagés avaient été introduits d'autorité, obligés au respect, invités à l'admiration, à la vénération des reliques sacrées, main de bois du Capitaine Danjou, exposée dans la salle d'honneur, armes des régiments étrangers de l'Ancien Régime, boutons d'uniforme, drapeaux alourdis, écrasés de médailles, portrait de tous les colonels du 1er Etranger, noms gravés dans le marbre de tous les officiers tués au feu, sabre du président mexicain Juarez, trophées de Tuyen Quang et de Mousseifré, galons d'officiers, culasse des fusils des héros d'Alouana. Il allait falloir infliger à tous ces objets de vénération et de culte l'humiliation de l'emballage et du déménagement, et dans quelques semaines, les fellaghas non victorieux, pénétreraient dans le quartier Viénot. Voilà du moins ce qu'on croyait alors, ce à quoi on pensait avec dégoût. Les fellouzes fouleraient le sol sacré, ce serait la fin d'un règne, la fin d'une époque, la fin d'une épopée, peut-être ? La Légion ne voulait pas le savoir. Pas encore.
ENTREE DU QUARTIER VIENOT 1960
Devant la grille, le caporal dès qu'il apercevait un galon, sifflait doucement pour avertir la sentinelle en grande tenue. La COUR du Quartier Viénot demeurait ce qu'elle avait toujours été, un enfer des marques extérieures du respect, officiers et sous-officiers salués quatre cents fois par jour, talons claqués, garde-à-vous à dix pas, tout officier ou gradé rendant le salut. Dans quelques semaines, on démonterait et on emporterait tout ce qu'il était possible de démonter et de transporter, y compris le fameux monument aux morts, globe terrestre orné d'or, socle en onyx, quatre figures monumentales aux angles, ensemble de neuf mètres sur sept, six mètres de haut, poids énorme encore non calculé, édifice qu'on descellerait, transporterait et reconstruirait ailleurs, c'était décidé. Ce qu'on ne pourrait démonter ni transporter, c'était le "carré des légionnaires" quelques centaines de tombes dans le cimetière de Bel-Abbès. On savait que serait exhumé et transporté en France le corps du Général Rollet, le "père de la Légion", mais plusieurs centaines d'exhumations, c'était impossible, il faudrait laisser là les morts. A ce sombre et proche avenir, la Légion s'efforçait de penser le moins possible.
LE MIROIR DU CORPS DE GARDE
Chaque fin d'après-midi, les permissionnaires du 1er Etranger se présentaient devant le sergent d'inspection selon le cérémonial immuable. Sur un mur du corps de garde était fixé un miroir de deux mètres de haut* : à côté de ce miroir, le sergent. Le légionnaire se mettait au garde-à-vous à dix pas devant le miroir, il examinait sa tenue. Puis il s'avançait vers le sergent, rectifiait sa position, tirait de sa poche la permission. Il la tendait d'un geste d'automate, le bras brusquement allongé en oblique. Le sergent examinait l'homme de bas en haut, vérifiant notamment que les plis réglementaires de la chemise étaient exactement marqués : deux plis verticaux de poches de la chemise jusqu'à la taille, plis en V sur les poches. La vie à Bel Abbès était un cauchemar de repassage. Un bâtiment entier toujours plein, était consacré à ce travail, chaque légionnaire possédant un fer électrique (acheté de ses deniers). Les chemises DEVAIENTêtre impeccables non seulement pour les sorties, mais aussi pour les revues, à peu près une revue par jour : or en Afrique, toute chemise portée une fois est bonne à laver. *Ce miroir fut offert dans les années 30 par mon grand-père Maurice Debelle ancien légionnaire devenu miroitier à Oran. Engagé volontaire il fit carrière au 2° REI au Maroc, puis à Saïda, accéda à l'épaulette et termina Capitaine. Il était président de l'association des anciens légionnaires.A Bel-Abbès Notre père envoyait ses quatre fils chez le coiffeur du 1°RE au quartier Viénot. En franchissant le poste, mon plus jeune frère vérifiait à chaque passage si la signature du grand-père figurait toujours en bas du miroir (Souvenirs de Maurice Debelle)
L'adjudant-Chef Zoïs (mon voisin av du Général Rollet) futur propriétaire du bar de la Légion fut longtemps le responsable de l'entrée du quartier Viénot. Il devait coordonner les tours de garde, surveiller la propreté et l'ordre dans toute la caserne et même Avenue Rollet puisque les légionnaires punis de prison entretenaient les jardinières situées autour des platanes (plantations, arrosage, et peinture dès que nécessaire) Maître de cérémonie il était presque toujours présent pour présenter les honneurs de la garde lors de l'arrivée au quartier du Colonel Commandant la Légion. Lors des grandes prises d'armes je pense qu'il avait la responsabilité de faire marquer au sol des repères pour que chaque unité soit à sa place et dans un allignement parfait. Décoré de la tête aux pieds il était un peu la vitrine de la Légion pour les visiteurs. Après le Colonel c'était le personnage le plus important du Quartier Viénot. (Souvenirs d'André Amadeuf)
(extrait du n° spécial HISTORIA)
FIN synthèse guy
Dernière édition par MISS61 le Mer Déc 16 2015, 01:15, édité 1 fois |
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