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A 93 ans, le général Bigeard, le militaire le plus décoré de France publie un ouvrage coup-de-poing, une sorte de testament.Les livres, c’est comme ses médailles, le général Bigeard ne les compte plus.
Mon dernier round est celui d’un homme lucide qui affronte la vieillesse comme il s’est battu : droit dans ses bottes.
Le général Bigeard livre son dernier combat.
Contre un ennemi dont il sait qu’il sera le vainqueur : le temps.
«Je savais que ce serait dur, la vieillesse.
Contre elle, on ne gagne jamais.
La mort, je la regarde en face, elle ne baisse pas les yeux.
Mais j’ai encore de l’énergie».
Celle d’écrire. Un livre, Mon dernier round, qui sort aux éditions du Rocher, et des dizaines de lettres par semaine, à la plume, d’une grande écriture nerveuse, pour répondre à ses lecteurs.
A 93 ans, le vieux soldat, le militaire le plus décoré de France publie un ouvrage coup-de-poing sur son sujet de prédilection : la France.
«J’avais décidé qu’on le publierait après ma mort.
Et puis vous savez ce que c’est. L’éditeur m’a pressé.
Alors je lui ai dit oui », rigole-t-il, assis derrière son grand bureau de chêne, avec son air «de vieux caïman aux yeux pochés ».
Nulle irrévérence là-dedans, la formule est de lui.
Choc, comme d’habitude.
L’âge n’a pas érodé son franc-parler. Peut-être même l’a-t-il rendu encore plus libre.
La mort est présente dans son esprit et dans le livre aussi.
Il y a souvent songé en Indochine, à Dien Bien Phu, en Algérie, ou en Afrique Noire, quand il voyait tomber ses camarades, ou quand une balle est venue se loger «à un centimètre du cœur ».
Mais cette fois, c’est autre chose.
Coup de foudre pour Gaby
Marcel Bigeard ne sort plus guère de chez lui. Un peu fatigué ces derniers mois.
«Tu as passé trop de temps à écrire derrière ton bureau, tes jambes sont toutes ankylosées » le gourmande Gaby, la compagne de toujours pour justifier le fauteuil roulant.
Gaby et Marcel, c’est une histoire d’amour qui commence à Toul quand la gamine avait 14 ans et lui 18. Ils étaient voisins.
Sophie, madame Bigeard-mère, rêvait pour son fils d’une fille bien dotée. Lui n’avait d’yeux que pour la jolie brunette d’à côté. Les deux femmes se sont affrontées.
Gaby a gagné. Ça fait 75 ans qu’ils s’aiment et se chamaillent.
Dans sa maison touloise de la rue François-Badot, où un canon planté dans le jardin accueille le visiteur, il vit au milieu des souvenirs de ses campagnes et de ses compagnons d’armes.
Ses décorations sont entassées, en vrac, dans une grande boîte en carton. Dans son bureau, une grande photo en noir en blanc attire le regard, accrochée juste sous le fanion brodé d’une devise héroïque : Croire et oser.
Un soldat, beau, semble dormir, la tête posée sur un sac de toile. «Il s’appelait Sentenac, il avait 24 ans, il était sergent-chef.
Il savait qu’il était perdu.
Il m’a dit "colonel, dans une minute je serai mort".
Vous savez, j’ai toujours trouvé des très grands chez les petits…», se rappelle-t-il avec l’émotion qui fait un peu vibrer sa voix.
Tout au long de sa vie, cette photo a accompagné le général Bigeard.
Manuel de contre-guérilla
«Tiens, quand je serai crevé, dans quelques années, voilà ce qu’on publiera !»,
dit-il d’une voix forte en montrant une série de classeurs noirs où il a rangé les lettres les plus intéressantes de ses lecteurs.
Elles viennent de partout et chaque livre en suscite une avalanche.
Le dernier n’échappe pas à la règle.
Il y parle de lui, et de son enfance de saute-ruisseau «dressé » par une mère qui avait une grande ambition pour son fils. «Avec elle, fallait être le premier.
Si j’étais 3e, c’était une baffe !» A 20 ans, il travaillait à la Société Générale à Toul, et ses supérieurs ne tarissaient pas d’éloges sur le jeune Marcel.
«J’avais des notes fumantes de mes chefs ». Qui sait, s’il n’avait pas embrassé la carrière militaire, peut-être aurait-il terminé chef de la succursale ?
Il ne s’appesantit pas longtemps sur le sujet, le seul qui l’intéresse, c’est son pays et la menace du terrorisme islamiste.
L’actualité qu’il suit au jour le jour, lui donne matière à réflexion.
«Obama m’a surpris, c’était courageux d’envoyer des soldats en Afghanistan, même si c’était pas populaire.
Mais foutre le camp, c’est laisser la porte ouverte à ces gens-là qui ont des volontaires de la mort dans leurs rangs.
Alors il faut continuer à se battre », conclut-il en ajoutant que quelques-uns devraient s’inspirer de son manuel de contre-guérilla, écrit en 1956 contre les poseurs de bombe en Algérie, pour traquer les réseaux d’aujourd’hui !
Monique RAUX.