Élections en Turquie
Triomphe du parti du président ErdoganPremière publication 1 novembre 2015 à 09h49
Mise à jour : 1 novembre 2015 à 21h45Crédit photo : ReutersPar Burak Akinci et Philippe Alfroy | Agence France-Presse
Le parti du président islamoconservateur Recep Tayyip Erdogan a très largement remporté les élections législatives cruciales disputées dimanche en Turquie et réussi, contre tous les pronostics, son pari de reprendre la majorité absolue qu'il avait perdue il y a cinq mois.
(Crédit photo: Reuters)
Sur la quasi-totalité des bulletins dépouillés, le Parti de la justice et du développement (AKP) a recueilli 49,4% des suffrages et raflé 316 des 550 sièges de députés, ont annoncé les chaînes NTV et CNN-Türk.
Des employés du bureau de vote (Crédit photo: Reuters) M. Erdogan, 61 ans, a pris une revanche éclatante après un revers retentissant: le 7 juin, son parti avait perdu le contrôle total qu'il exerçait depuis 13 ans sur le Parlement et remisé son rêve d'instaurer une «superprésidence».
«Aujourd'hui est un jour de victoire", s'est réjoui dans son fief de Konya (centre) le premier ministre sortant Ahmet Davutoglu, ajoutant en tendant la main à ses rivaux: «nous allons reconstruire une nouvelle Turquie avec chacun de ses citoyens».
L'homme fort du pays avait alors laissé s'enliser les discussions pour la formation d'un gouvernement de coalition et reconvoqué les électeurs pour un nouveau scrutin, persuadé de pouvoir inverser les résultats.
Autre surprise de la soirée, le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), qui avait fait son entrée triomphale au Parlement en juin dernier, n'est pas assuré d'y rester. Avec un score encore incertain de 10% au niveau national, il atteint tout juste le seuil nécessaire pour être représenté sur les bancs du Parlement.
Des incidents ont éclaté en soirée entre forces de l'ordre et jeunes manifestants kurdes à Diyarbakir, la grande ville du sud-est à majorité kurde de la Turquie, a constaté un photographe de l'AFP.
Si l'échec du HDP était vérifié, il permettrait même à l'AKP de s'approcher de la majorité qualifiée des deux tiers de sièges (367 députés) requis pour le changement de la Constitution que souhaite M. Erdogan.
Selon les résultats partiels, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) arrivait en deuxième place avec 24,5% des voix, suivi du Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) avec près de 12%, tous deux en fort recul par rapport à juin.
La quasi-totalité des sondages avant le scrutin ne créditaient l'AKP que de 40 à 43% des intentions de vote, insuffisant pour gouverner seul.
«Je suis complètement effondré, mais ces résultats signifient que le peuple s'accommode très bien de la situation actuelle», a réagi Sevim, un étudiant en droit de l'université d'Istanbul. «Le peuple a le gouvernement qu'il mérite».
«La peur de l'instabilité en Turquie, ajoutée à la stratégie d'Erdogan se posant en +homme fort qui peut vous protéger+ l'ont emporté», a pour sa part commenté l'analyste Soner Cagaptay, du Washington Institute, sur son compte Twitter.
Dans un climat de tensions marqué par la reprise du conflit kurde et la menace jihadiste venue de Syrie, le chef de l'État et le premier ministre sortant et chef de l'AKP Ahmet Davutoglu se sont posés en seuls garants de l'unité et de la sécurité du pays, multipliant les discours sur le thème «l'AKP ou le chaos».
«Cette élection était nécessaire à cause du résultat incertain du scrutin du 7 juin», a encore plaidé dimanche M. Erdogan en votant en famille à Istanbul. «Il est évident combien la stabilité est importante pour notre pays», a-t-il ajouté.
Depuis l'élection du 7 juin, le climat politique s'est considérablement alourdi en Turquie.
En juillet, le conflit armé qui oppose depuis 1984 les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) aux forces de sécurité turques a repris dans le sud-est à majorité kurde du pays, et enterré le fragile processus de paix engagé il y a trois ans.
En outre, la guerre qui sévit depuis quatre ans en Syrie a débordé sur le sol turc. Après celui de Suruç (sud) en juillet, un attentat suicide perpétré par deux kamikazes du groupe jihadiste Etat islamique (EI) a fait 102 morts le 10 octobre à Ankara.
Cette montée des violences inquiète de plus en plus les alliés occidentaux d'Ankara, à commencer par l'Union européenne (UE), confrontée à un flux croissant de réfugiés, pour l'essentiel syriens, en provenance de la Turquie.
Face au discours du pouvoir, les rivaux de M. Erdogan avaient appelé les électeurs à sanctionner sa dérive autoritaire, illustrée cette semaine encore par un raid spectaculaire de la police contre le siège de deux chaînes de télévision proches de l'opposition.
«J'espère que le résultat d'aujourd'hui renforcera les espoirs de paix. C'est ce dont la Turquie a le plus besoin en ce moment», avait souhaité en votant dimanche à Istanbul le chef de file du HDP Selahattin Demirtas.
Les autres figures de l'opposition avaient elles aussi souligné l'importance du scrutin.
«Ce jour est très significatif pour notre démocratie, la République, nos enfants et notre avenir», avait estimé le président du parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), Kemal Kiliçdaroglu. «C'est un moment décisif», avait renchéri son homologue du Parti de l'action nationaliste (MHP, droite), Devlet Bahçeli.