SOURCE : LA PLUME ET LE ROULEAU
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1792 : La bataille de VALMY, mystère autour d'un mythe républicain (2)
Publié le 19 septembre 2010 par La Plume et le Rouleau
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Eté 1792 : La monarchie K.O., le pays dans le chaos
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NDLR : Tiens! tiens! Le pays dans le chaos - pas pour les même raisons . mais les résultats sont les mêmes - L'Histoire recommence
Kanesataké
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Valmy duc de Brunswick
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Le 3 août 1792, le journal officiel Le Moniteur publie un document daté du 25 juillet et appelé « Le manifeste de Brunswick ». Ce texte est officiellement signé par le duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick, général prussien qui commande les armées autrichiennes et allemandes réunies pour l’invasion de la France. Il a en fait été rédigé par les « émigrés », ces Français partis à l’étranger et qui poussent à l’invasion du pays pour rétablir le roi.
Ce document est infiniment menaçant : il prévient que les Alliés entreront en France pour restaurer l'autorité royale et livreront « la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale » s’il est « fait la moindre violence, le moindre outrage à Leurs Majestés le roi, la reine et à la famille royale ».
De quoi, des menaces ? L’indignation populaire est à son comble. Loin de faire peur, ce texte conforte les « sans-culottes » dans l’idée que le roi est bien le complice des despotes étrangers et, qu’à la moindre occasion, le processus révolutionnaire sera étouffé dans l’œuf.
Le 10 août 1792, le peuple envahit de nouveau le palais des Tuileries (un palais qui n’existe plus aujourd’hui, situé à l’entrée de l’actuel jardin du même nom) : la monarchie est renversée, le roi est destitué, lui et sa famille sont emprisonnés à la prison du Temple (qui n’existe plus non plus de nos jours). C’est le signal de la guerre
D’un côté, 150 000 hommes austro-prussiens avancent franchement à l’intérieur du territoire : des soldats de métier aguerris et bien équipés. C’est l’armée romaine.
De l’autre : l’« armée » française, ou ce qu’il en reste puisque nombre d’officiers, issus de la noblesse, l’on quittée. « Conglomérat de soldats désunis » (Jean-Michel Gaillard), assemblée de bric et de broc par l’adjonction de régiments de métier et de volontaires exaltés mais inorganisés, arrivés de tous les coins de France, encadrée tant bien que mal par des officiers formés (le duc de Chartres, de la branche des Orléans) mais aussi parfois fraîchement nommés au hasard des nécessités, les troupes françaises ne semblent vraiment pas au niveau.
On le voit rapidement. Longwy est prise le 23 août et Verdun capitule les 2 / 3 septembre 1792. La route de Paris est ouverte à Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick qui, dans un premier temps, établit son cantonnement à Verdun. Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II vient alors le rejoindre.
Pendant ce temps, dans la capitale, c’est le chaos : la violence se déchaine. Du 2 au 5 septembre 1792, des bandes armées envahissent les prisons et y massacrent sauvagement les prisonniers, que ceux-ci soient là pour des raisons politiques ou de droit commun : 1 300 morts, avant que les forces de l’ordre ne reprennent péniblement le contrôle de la situation.
Valmy moulin
A la mi-septembre, au nord et au nord-est, les généraux Dumouriez et Kellermann regroupent leurs troupes tant bien que mal tandis que les officiers Rochambeau, Luckner et La Fayette sont démis de leurs fonctions (l’arrestation de ce dernier, sans raison, est même décidée !) Kellermann s’installe près de Sainte-Menehould, sur les hauteurs du village de Valmy, dominé par un moulin. Celui-ci pourrait facilement servir de point de mire à l’ennemi pour ajuster son tir d’artillerie : Kellermann le fait brûler. Et on attend. On attend le duc de Brunswick qui, lui, a reçu ses instructions du roi de Prusse, resté à Verdun, puis a quitté cette ville pour se diriger maintenant vers Valmy. Les Prussiens sont confiants, ils ont organisé des festivités les jours précédents et ont porté de nombreux toasts au champagne à la défaite des armées révolutionnaires et à la libération prochaine de la famille royale.
1792 : Drôle de bataille à Valmy
Nous sommes le 20 septembre 1792, il est sept heures du matin, le jour se lève à peine, il pleut à verse (comme les jours précédents) et il y a encore du brouillard.
Et quand le brouillard se lève… on aperçoit les Prussiens ! Ils sont commandés par le duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick et, bien qu’ils aient été affaiblis par une pénible marche de nuit et des attaques sporadiques de bandes de paysans isolées, affichent une supériorité évidente aux armées françaises. Comme il est d’usage depuis l’invention du canon, on commence par bombarder l’adversaire pour l’affaiblir avant, logiquement, de se ruer à l’assaut à cheval puis de lui régler son compte à la baïonnette : cette technique sera utilisée encore durant la guerre du Golfe de 1991 !
Là, le duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick fait donner ses 54 canons. Hélas pour lui, le tir semble imprécis et les canons français ripostent. Le duel d’artillerie se poursuit toute la matinée. Kellermann est même jeté à bas de son cheval, l’animal étant tué net par un boulet ! Les Prussiens accusent peu de pertes (moins de 200 morts) et en infligent davantage aux Français (300) mais ce n’est pas vraiment l’hécatombe. Nous sommes maintenant en fin d’après-midi, il tombe toujours des trombes d’eau et les deux armées restent encore l’arme au pied. Sans doute va-t-on maintenant passer aux choses sérieuses. Les Prussiens se préparent à l’assaut en formant trois colonnes dont deux se dirigent vers le moulin de Valmy.
Valmy bataille2
Côté Français, soyons clairs, on n’en mène pas large. L’enthousiasme du début est un peu retombé et on se prépare à subir le choc en situation d’infériorité manifeste. Le général Kellermann, pour éviter tout flottement, se porte en tête des lignes pour galvaniser l’ardeur des soldats. Il les fait mettre en colonnes, comme s'il allait ordonner l'attaque. Il les harangue « Camarades, voilà le moment de la victoire ; laissons avancer l’ennemi sans tirer un seul coup de fusil, et chargeons-le à la baïonnette. ». Il brandit au bout du sabre son chapeau et crie: « Vive la Nation ! » : un cri bientôt repris par des milliers d’hommes. Mais les Français se gardent bien de charger et préfèrent entonner, pour se donner du courage, un chant composé au printemps 1792 par un capitaine du Génie, un dénommé Rouget de Lisle, précisément à destination de l’« Armée du Rhin ». On appellera cette chanson, un peu plus tard, « La Marseillaise »…
Les Prussiens, pourtant, ne bougent pas. Les Français non plus, d’ailleurs… Et puis, vers seize heures, un évènement inattendu se produit : le duc de Brunswick… ordonne à ses troupes la retraite !
Etonnés, les Français restent donc seuls maîtres du terrain. Ils veulent croire que c’est leur détermination, leur enthousiasme, leur courage qui ont impressionné l’ennemi lequel, intimidé, a préféré se replier plutôt que d’affronter les soldats de la révolution, sûrs de leur bon droit, de la justesse de leur cause et, donc de la victoire. C’est une victoire, donc. C’est la victoire de Valmy ! Elle sera suivie par d’autres victoires, plus réelles, de Dumouriez, deux mois plus tard, en novembre 1792, qui chasseront les Prussiens de Belgique.
Mais « Valmy », elle, est la première victoire de la « Nation » française rassemblée pour s’opposer à l’invasion des « despotes » étrangers. C’est la victoire symbolique du peuple en armes… même si il y a en réalité, parmi les Français, davantage de soldats de l’ex-armée royale que de jeunes recrues volontaires. Qu’importe. C’est l’intention qui compte ! L’historien Jean-Michel Gaillard nous explique que Jules Michelet, le grand historien du XIXème, dont les écrits façonneront les manuels d’histoire de l’école laïque, « y voit la naissance d’une France transfigurée par l’enthousiasme révolutionnaire ».
La nouvelle est connue à Paris le lendemain et, évidemment, c’est la liesse. Dès le surlendemain, le 22 septembre 1792, on proclame dans l'allégresse l'abolition officielle de la monarchie et, partant, l’« An 1 de la république » et l'on met en place le calendrier spécifique « républicain » aux jolis noms de mois trouvés par la poète Fabre d'Eglantine (Brumaire, Frimaire, Pluviôse, Ventôse, Germinal, Floréal...) qui ne prendra fin qu'en 1806. Aujourd’hui encore, Valmy reste l’un des mythes fondateurs de la république, celui de la résistance du peuple en armes.
1792 : Valmy ? « Illogique » (Napoléon Bonaparte) mais pas inexplicable
Pour autant, cet épisode exaltant reste une énigme. La question est simple : alors que la bataille était militairement largement gagnable par les Prussiens, pourquoi le duc de Brunswick a-t-il d’abord engagé les hostilités avant d’ordonner une incompréhensible retraite ? On en cherche vainement la réponse dans le compte-rendu officiel paru à Berlin quelques jours plus tard : la Prusse aurait « remporté le triomphe le plus glorieux si des motifs prépondérants n’eussent retenu le roi de se déterminer à livrer bataille ». Des « motifs » ? « Prépondérants » au point de ne pas livrer une bataille quasiment gagnée d’avance ? Il en faut certainement de sérieux ! Lesquels, alors ?
Examinons donc les thèses en présence et voyons leur degré de plausibilité ainsi que leurs faiblesses.
Evacuons (si l’on peut dire) la thèse médicale (et par ailleurs laxative) avancée par certains : les Prussiens, amateurs de raisins verts, auraient fait de ceux-ci une consommation excessive les jours précédents et auraient attrapé une dysenterie pas possible, laquelle aurait nuit gravement à leurs capacités de manœuvre. Bref, nous affirment certaines sources (sans rire) les solides Teutons auraient opéré une opportune retraite afin d’éviter d’avoir la diarrhée devant les vaillants soldats de la République. Il s’agit là, précisons-le, d’une explication peu… courante, c’est le cas de le dire !
Plus sérieusement, d’aucuns mettent en avant la combinaison d’éléments militaires plus décisifs que prévus et qui ont défavorablement surpris les Prussiens :
- une résistance imprévue de la population civile, qui avait miné le moral de Germains désormais dépités de ne pas être accueillis en libérateurs
- une résistance inattendue des armées françaises, regroupées et apparemment décidées à livrer bataille, alors que les émigrés avaient assuré Brunswick que les va-nu-pieds révolutionnaires se débanderaient vite fait
- un brouillard dense (qui aurait nui à l’efficacité de la redoutable artillerie teutonne)
- l’utilisation-surprise par les Français du canon « Gribeauval », fleuron technologique qui n’avait rien à envier à la soi-disant supériorité matérielle prussienne, trop sûre d’elle
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NDLR : Lprs de la guerre des Malouines - la France leur avait sorti le missile
EXOCET ! Nous avons toujours une carte dans notre manche, lors de situations difficiles
Kanesataké
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- le positionnement des armées de Dumouriez, très défavorable aux envahisseurs d’outre-Rhin qui avaient avancé trop vite (c’était déjà une forme de blitzkrieg) et qui se trouvaient trop loin de leurs lignes d’approvisionnement et de soutien, même en cas de victoire
Ces arguments techniques sont largement réfutés par l‘appréciation que les experts militaires ont pu faire, a posteriori, de la bataille : en fait, aucun élément n’apparait suffisamment déterminant pour qu’une armée supérieure en hommes et en armement refuse une victoire facile, ne serait-ce que pour l’impact psychologique qu’il aurait induit. La résistance de paysans sans-culotte ? Prévisible. Le brouillard ? S’il faut s’arrêter de se battre aux moindres frimas et brume… Le fameux canon français ? Il a fait, rappelons-le, moins de morts chez l’ennemi (184 morts) que les canons prussiens ne l’ont fait dans les rangs français (300) ! Alors ?
Alors d’autres évoquent une manipulation autour des deux principaux éléments qui, depuis que le monde est monde, font tourner ce dernier. En l’occurrence, précisons-le, nous n’évoquerons ici que… l’argent. Quatre jours avant la bataille, en effet, un vol spectaculaire a eu lieu au garde-meuble : celui des diamants de la couronne royale. Et, pour expliquer la victoire de Valmy, c’est Georges Danton que d’aucuns accusent d’avoir perpétré ce forfait, grâce auquel il aurait « acheté » ensuite le duc de Brunswick.
Pourquoi Danton ? Parce qu’il est, à ce moment, membre d’une « loge » maçonnique, au même titre que Dumouriez, que Brunswick et son frère et que, la vénalité pouvant grandement aider à cimenter les idéologies et les amitiés, les trois larrons vont s’entendre pour se mettre les cailloux dans les fouilles et faire croire qu’on s’est vaillamment battus…
Outre qu’aucune preuve objective de ces allégations n’a jamais été valablement être apportée, il faut souligner le caractère éminemment rocambolesque d’une telle hypothèse, reposant sur l’idée que des tractations pouvaient avoir immédiatement eu lieu après le vol (alors que les communications étaient difficiles dans le pays) et aboutir dans des délais brefs (quatre jours). Certainement original mais peu compatible avec les réalités du terrain, le postulat repose également sur une collusion transfrontalière improbable des loges maçonniques : une sorte de préfiguration d’un « complot » mondial dont la Révolution française constituait la première étape. Il s’agit là d’une hypothèse difficilement crédible à une époque où la Franc-maçonnerie est plus qu’atomisée, ne serait-ce qu’en France qui compte, on l’a vu, autour de 1 000 loges ! A cette époque, toute l’élite française et européenne est, de près ou de loin, membre d’une loge, y compris parmi les aristocrates émigrés !
Mais les tenants de l’influence maçonnique dans la « pseudo » victoire de Valmy ne désarment pas et, en sus de l’intelligence entre divers Francs-maçons, avancent une hypothèse également influencée par des considérations de politique internationale. Dans celle-ci, on soupçonne le duc de Brunswick, d’avoir retenu ses armées puis d’avoir convaincu son souverain, le roi Frédéric-Guillaume II de Prusse de renoncer à poursuivre le combat afin de ne pas pénaliser les intérêts de… son beau-frère le roi d’Angleterre, George III, lui aussi proche de la Franc-maçonnerie. Une victoire rapide de la Prusse et un règlement de l’« affaire française » sans l’Angleterre aurait en effet certainement été préjudiciable aux relations avec celle-ci et donc à l’équilibre européen : personne n’avait donc intérêt à précipiter les choses.
Pis encore, ajoutent-ils, la Prusse s’est certes engagée dans une campagne contre la France à l'été 1792 mais, au même moment, la Russie et l’Autriche ont envahi la Pologne ! La configuration des traités à venir dépendant fatalement des forces en présence sur le terrain, la Prusse a désormais un besoin impératif de son armée pour faire le poids et participer au dépeçage de la malheureuse Pologne.
L’argument n’est pas sans valeur mais il reste faible : il induit que la Prusse aurait mal apprécié le montant des forces nécessaires à l’invasion de la France et aurait du ensuite se retirer précipitamment… C’est oublier que, un mois plus tard, les armées prussiennes, loin d’être redéployées vers l’Est, repasseront au contraire la frontière française et y mèneront de nouvelles batailles (avec, par ailleurs, de vraies défaites à la clé).
Bref, tout cela ne nous éclaire guère, reconnaissons-le. Alors laissons la place à la thèse désormais centrale et consensuelle de tous les historiens doctes, sérieux, diplômés, galonnés, universitaires et officiellement estampillés.
1792 : Valmy, thèse officielle, thèses confidentielles
Tout bien pensé, pour eux, « aucune des monarchies d’Europe (le Saint Empire germanique, le royaume de Prusse, le royaume d’Angleterre) n’(a) intérêt à une rapide défaite française » (Jean-Michel Gaillard). Elles ne se sentent en réalité pas menacées, chez elle, par la Révolution et, si elles avaient voulu l’étouffer dans l’œuf, elles l’auraient fait dès 1791, sans attendre que, au contraire, ce soit la France qui, au printemps 1792 (et avec l’aplomb de la jeunesse et de l’enthousiasme) leur déclare la guerre !
Les trois principaux royaumes d’Europe, certes, ont intérêt à l’effacement de la France sur la scène internationale (c'est-à-dire européenne). Mais elles n’ont pas intérêt à son écroulement ni même à la voir sombrer dans un chaos insurrectionnel interne, non plus qu’elles auraient les moyens de mettre fin à celui-ci. Affaiblir : oui, vaincre : non, telle pourrait avoir été la tactique décidée par des Prussiens perplexes quant à la restauration hâtive d’un roi contesté et déçue des marques d’hostilités à leur encontre d’une population que les « émigrés » leur avait pourtant décrite comme acquise à la cause du monarque. Bref, « le jeu n’en vaut pas la chandelle, mieux vaut laisser la France à elle-même ». Le duc de Brunswick, « en accord avec son roi Frédéric-Guillaume II de Prusse » retient donc prudemment son armée en attendant d’observer les développements ultérieurs.
Pourquoi pas ? C’est, à ce jour, certainement l’explication sinon la plus convaincante, au moins la plus plausible. Elle s’appuie évidemment sur un raisonnement réaliste. Réaliste mais pas forcément rationnel car, objectivement, quel général, en situation de supériorité sur un champ de bataille, choisirait d’essuyer la perte de 184 hommes et de se retirer sans combattre, plutôt que de remporter une victoire facile à peu de frais ? Qu’est-ce qui aurait empêché Brunswick de flanquer une bonne raclée à une troupe de va-t-en-guerre inconscients, en guise d’avertissement, quitte, même, à rebrousser chemin ensuite ? Quand on est un chef de guerre, on est là pour gagner des batailles et non les perdre et une occasion facile de montrer sa force n’est jamais à négliger.
Globalement, avouons-le, aucune explication rationnelle imparable ne vient réellement clore le débat. C’est la raison pour laquelle je livre à ce dossier une pièce… irrationnelle. D’aucuns la jugeront peut-être extravagante. Voire. Son pittoresque et, osons le dire, son caractère presque incroyable a cependant retenu mon attention et, puisque l’on sait combien la fiction est parfois en dessous de la réalité, je n’hésite pas à vous la faire partager.
Cette hypothèse est évoquée avec une certaine nonchalance et (c’est inévitable) d’insuffisants développements, dans l’excellent livre de Gonzague Saint-Bris : La Fayette (éd. Télémaque, 2006, écrit avec un style d’une recherche et d’une finesse épatantes – et je ne suis pas payé par l’auteur pour dire cela ! -) J’en ai cependant aussi retrouvé la trace dans un livre de 1977 écrit par les journalistes et écrivains Louis Pauwels et Guy Breton et intitulé Histoires magiques de l’histoire de France (Albin Michel). Ce n’est pas tout. La revue grand public Historia en parle également dans son numéro 14 de septembre 1949 (ce qui ne nous rajeunit pas). Mais, surtout, cette étrange et ténébreuse affaire trouve son origine dans un article d’un dénommé Lenotre, rédigé dans la revue Journal des villes et des campagnes, parue en… 1839, soit 47 ans seulement après l’évènement (ce qui, comparé aux écrits postérieurs, serait presque considéré comme contemporain).
Dans son article, Lenotre met en perspective :
- des rumeurs abracadabrantesques (si l’on peut utiliser la terminologie chiraquienne) qui avaient suivi la bataille de Valmy
- le témoignage personnel du ministre prussien Bischoffswerder (sorte de Ministre de l’Intérieur auprès du roi Frédéric-Guillaume II de Prusse) auquel celui-ci s’était confié
- le témoignage de l’abbé Sabattier, un ami du dramaturge français Beaumarchais
Quel rapport ? Nous l’allons voir.
1792 : Un fantôme s’invite à la bataille de Valmy
On se rappelle que, à la fin du XVIIIème siècle, l’ésotérisme, l’occultisme, le « paranormal » fascine des élites européennes avides de nouveautés et de sensations fortes. Toutes, à un degré ou à un autre, entrent dans des « sociétés secrètes » aux cérémoniaux étranges et pompeux, aux buts mal définis, aux idéaux parfois abscons mais à la convivialité certaine et, bien souvent, à la pérennité limitée. Le roi Frédéric-Guillaume II de Prusse, pour sa part, n’y fait pas exception.
Jetons un bref coup d’œil sur l’histoire récente de la Prusse.
Le grand-père de Frédéric-Guillaume II s’appelait Frédéric-Guillaume 1er, le « Roi-sergent » de Prusse. Il est mort en 1740. A ce roi a d’abord succédé, en 1740, son fils aîné : Frédéric II (d’accord, avec tous ces « Frédéric » et ces « Guillaume », on a du mal à s’y retrouver…). Valmy Frederic II Prusse
Frédéric II est un souverain moderne, ami des arts, tolérant vis-à-vis de la minorité catholique et en même temps protecteur de Voltaire, un partisan du « despotisme éclairé ». C’est un souverain avisé, habile diplomate et remarquable organisateur, c’est un personnage central dans l’histoire de la Prusse (et de l’Allemagne) : la mémoire collective en fait « Frédéric le Grand » et aussi, plus populairement et affectueusement « Le vieux Fritz » ! Contraint à un mariage arrangé pour raison d’état et, par ailleurs, probablement homosexuel, Frédéric II meurt sans héritier en 1786, à l’âge de 74 ans.
Ce n’est pas son frère cadet mais son neveu, Frédéric-Guillaume, qui lui succède sous le nom de Frédéric-Guillaume II : une lourde responsabilité après un règne majeur d’une longueur exceptionnelle (près d’un demi-siècle).
Résumons :
Frédéric-Guillaume 1er « le roi-sergent » (jusqu’en 1740)
puis
Frédéric II « le grand » (de 1740 à 1786) fils de Frédéric-Guillaume 1er
puis
Frédéric-Guillaume II (depuis 1786) neveu de Frédéric II
Or, si le nouveau roi de Prusse Frédéric-Guillaume II est, comme son oncle, un ami des arts, un mécène et un homme cultivé, il est aussi, contrairement à son prédécesseur, un individu influençable, dilettante, velléitaire et dépensier. Il rassemble autour de lui divers intrigants controversés et s’adonne ouvertement aux pratiques alchimiques de la secte paramaçonnique mystico-chrétienne dite des « Rose-Croix » : un intérêt que son entourage juge avec sévérité.
En 1792, Frédéric-Guillaume II marche avec les armées prussiennes à la rencontre des troupes françaises. Dans le nord de la France, c’est l’affolement et, on l’a vu, les premiers engagements entre Prussiens et Français, à l’été 1792, tournent à la débandade des seconds. A la mi-septembre, quelques jours avant la « bataille » de Valmy, le roi de Prusse, le duc de Brunswick, les ministres et la troupe cantonnent à Verdun.
Valmy Frederic-Guillaume II de Prusse
En attendant de se battre, on organise divers festivités pour fêter la prochaine défaite des Français. Or, un soir (le 15 ou le 16 septembre 1792, ce n’est pas clair), alors que la fête bat son plein, un homme vêtu de noir s’approche du roi Frédéric-Guillaume II et lui murmure quelque chose à l’oreille. A l’étonnement des invités, le roi s’éclipse pour suivre l’étrange individu qui l’entraîne par un escalier qui descend au sous-sol. Dans la pièce dans laquelle ils pénètrent, les murs sont recouverts de draps noirs et des torches éclairent cette scène étrange. L’homme disparaît alors quelques instants, laissant le souverain seul.
Frédéric-Guillaume II est un individu irrationnel et crédule. Il s’avise aussi soudain qu’il est seul, sans escorte et s’inquiète d’un possible guet-apens. Alors qu’il tourne les talons, une voix le fige sur place : « Arrête ! Ne sors pas d’ici sans m’avoir entendu ! » ordonne familièrement un homme qui sort maintenant de l’ombre.
Et là, stupéfait, Frédéric-Guillaume II voit apparaitre la silhouette bien connue de son oncle… Frédéric II, pourtant décédé six ans auparavant ! Pas d’erreur : il s’agit bien de Frédéric « le grand », ses épaules voutées, son profil mince, son visage maigre et mal rasé, sa redingote, son bicorne, sa canne… Tout y est.
« Tu me reconnais ! », dit-il, avant d’expliquer que les armées prussiennes ont été trahies, qu’elles essuieront une cuisante défaite si elles poursuivent leur marche et que la France entière se dressera devant elles. « Je te le répète, dit une dernière fois le fantôme, arrête tes troupes, ne vas pas plus avant ! ». Et il disparait dans l’obscurité.
Impressionnable, le roi de Prusse est très impressionné. Songeur, il remonte l’escalier et rejoint ses officiers. Le lendemain, au moulin de Valmy, après une matinée de canonnade, de concert avec le duc de Brunswick, il fait ordonner aux troupes de faire retraite. Et la rumeur parle simultanément d’une bizarre « apparition » au roi de Prusse…
Toute cette curieuse histoire n’aurait sans doute mérité aucun intérêt de la part de qui que ce soit de sérieux (à commencer par vous !) si elle n’avait retenu ultérieurement l’attention d’un prêtre, l’abbé Sabattier, ami du dramaturge et poète Beaumarchais qui se rappela une curieuse anecdote. Beaumarchais lui avait rapporté que, après les journées agitées des massacres de septembre 1792, vers le milieu du mois (soit, donc, quelques jours avant la bataille de Valmy du 20), le poète s’était rendu chez un ami dénommé Fleury. Mais celui-ci était absent, « parti à la campagne, à Verdun » et Beaumarchais était rentré bredouille, étonné de cette brusque et lointaine villégiature dans des temps particulièrement troublés. Pis : de retour de cette absence, Fleury n’avait donné à Beaumarchais que des explications vagues et contradictoires.
Or, qui était Fleury ? Un… comédien, ami de Beaumarchais pour avoir joué plusieurs de ses pièces de théâtre. Fait intéressant, il avait joué, vers 1785-86, une pièce au Théâtre-Français où il tenait le rôle de… Frédéric II de Prusse : une composition si saisissante de vérité (Fleury parlait allemand, ce qui n’était pas si courant à cette époque) qu’elle avait enthousiasmé le public de l’époque.
Aussi Lenotre, compilant tous ces faits dans l’article de sa revue, conclut-il à une sombre machination grandguignolesque, potentiellement montée par le poète et homme de théâtre Fabre d’Eglantine avec Fleury afin de tenter un coup inattendu destiné à affaiblir l’ennemi.
Et ce coup réussi, que fallait-il faire ? Discréditer le crédule roi de Prusse ou accréditer la valeureuse victoire des armées Révolutionnaires ? Pour faire l’Histoire, on choisit alors la seconde option. C’est en tout cas ce que certains affirmèrent…
Valmy est le premier des symboles républicains. Il n’est pas non plus le dernier des évènements bizarres sur lesquels toute la lumière n’a pas été faite.
Bonne journée à tous et à toutes.
La Plume et le Rouleau
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