DE SOURCE : LE FIGARO
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Exclusif - Le témoignage du Franco-américain qui s'est jeté sur le terroriste du Thalys
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Par Marie-Amélie Lombard Mis à jour le 29/08/2015 à 20:35 Publié le 29/08/2015 à 19:35
Mark Moogalian a arraché la kalachnikov de Ayoub El-Khazzani vendredi 21 août. Toujours hospitalisé, il livre son récit au Figaro.
Vendredi 21 août, dans le Thalys entre Amsterdam et Paris qui était la cible de Ayoub El-Khazzani, Mark Moogalian est l'un des passagers qui a permis d'éviter un carnage. Ce Franco-Américain de 51 ans s'est jeté sur l'homme qui sortait des toilettes et est parvenu à lui arracher sa kalachnikov. Mais son agresseur a alors tiré sur lui avec un pistolet Luger. La balle, entrée sous l'épaule gauche, est ressortie par le cou. Le professeur d'anglais, qui enseigne à Polytechnique, HEC et La Sorbonne, a été grièvement blessé. Hospitalisé depuis huit jours à Lille, Mark Moogalian, s'est confié au Figaro.
LE FIGARO. - Pourquoi prenez-vous la décision d'intervenir quand vous apercevez, depuis votre siège au fond de la voiture 12, une scène étrange, de l'autre côté du sas?
Mark Moogalian - Je lisais un article sur mon téléphone portable quand j'ai vu cet homme entrer dans les toilettes avec sa grosse valise à roulettes. J'ai trouvé cela bizarre, d'autant qu'il est resté longtemps. Puis je me suis levé quand j'ai vu, sans vraiment bien distinguer, qu'il se passait quelque chose, que deux hommes semblaient se battre, dont l'un portait quelque chose qui pouvait être une arme. Mon cerveau ne voulait pas «traiter» cette information mais en même temps je me disais «Cet homme va tuer tout le monde. Il faut faire quelque chose.»
- Vous avez en même temps le réflexe de dire à votre femme de s'éloigner?
- Je me suis retourné vers Isabelle qui, elle, «était encore assise et lui ai dit «Va-t'en. C'est du sérieux. Je voulais absolument la protéger. Elle a vu dans mon regard que je ne plaisantais pas. Et puis, je ne sais pas comment, j'ai réussi à arracher la Kalachnikov à l'homme.
- Avez-vous échangé une parole, un regard avec lui?
- Non, pas à ce moment-là. J'ai juste vu qu'il avait la peau mate. J'étais soulagé, je suis parti dans la voiture 12 pour m'éloigner de lui en criant «I've got the gun» (j'ai l'arme). J'étais content… mais pas très expérimenté car je n'ai pas pensé qu'il pouvait aussi avoir un pistolet. J'ai fait 4 ou 5 pas et j'ai ressenti une douleur épouvantable, un choc qui m'a poussé vers l'avant. Je me suis écroulé et j'ai lâché la kalachnikov.
- Continuez-vous à voir ce qui se passe?
- Un peu. J'étais entre deux rangées de sièges, un autre passager contre moi. Je sentais ma chemise se tremper de mon sang. J'ai essayé de regarder et j'ai vu Isabelle, quelques rangées plus loin. Nos regards se sont comme accrochés. Je lui ai dit «I'm hit (Je suis touché). C'est fini.». Je ne voyais que ses yeux. Dans le passé, depuis longtemps, j'ai toujours pensé: «Quand viendra l'heure de mourir, je veux le faire bien, pas dans la peur». Là, on y était. J'ai vu qu'Isabelle a failli se mettre à pleurer.
- Pendant ce temps, les militaires américains s'élancent pour maîtriser Ayoub El-Khazzani. Comment réagissez-vous?
- J'ai vu deux personnes qui, presque, sautaient en l'air pour intervenir. Cela m'a beaucoup plu de voir des gens se lancer là-dedans. Entre temps, l'homme avait récupéré la kalachnikov et je le voyais arriver vers moi. Je me suis dit: «Il va se tourner vers la gauche, me voir et me mettre une balle dans la tête». C'est très difficile à décrire. tout allait très vite en, en même temps, c'était comme dans un film au ralenti. J'ai fermé les yeux pour faire le mort.
- Avez-vous pensé que vous alliez mourir?
- La douleur de la blessure… C'était comme du feu partout dans mon corps. Je n'arrivais pas à garder la tête levée. J'ai commencé à faire une sorte de rêve. Je n'étais plus dans le train. Je voyais une maison en bois, peinte en blanc, comme celle de ma petite enfance. Et je voyais ma mère que j'ai perdue le 20 juin, il y a deux mois, avec ses lunettes des années soixante… mais une petite voix intérieure m'a dit «Tu es de plus en plus faible. Ouvre les yeux». Après Spencer Stone (l'un des militaires américains, secouriste) s'est occupé de moi. Il n'arrêtait pas de me parler pour que je reste conscient. il me disait: «Ah t'es de Virginie? Moi de Californie! Écoute, mec, t'es un héros. T'as sauvé plein de vies. Quand tout cela sera fini, on ira boire une bière ensemble». Je ne savais pas quoi répondre. Mon épouse me parlait beaucoup aussi. Je la voyais si belle. On venait de passer des journées merveilleuses à Amsterdam.
- Pourquoi avez-vous eu envie de prendre la parole?
- Pour raconter les choses comme elles se sont passées. D'après ce qu'on ma dit, dans les premiers jours, on me décrivait comme un passager qui avait reçu une balle perdue. On ne parlait que des autres Américains. Isabelle a dit qu'il fallait que je dise comment cela s'était passé même si l'hôpital voulait me protéger des médias.
- On a dit que ces réactions de courage pouvaient servir d'exemple, que, face à un terroriste, la passivité n'était pas la bonne solution. Qu'en pensez-vous?
Il faut être attentif. C'est comme cela maintenant avec ces attentats. Toutes les mesures de sécurité sont bonnes aussi: caméras, portiques, agents en uniforme ou en civil. Même si cela coûte de l'argent. J'ai reçu plein de mails, de partout dans le monde, me remerciant.
- Les gens s'identifient-ils davantage à vous qu'à des militaires bien entraînés?
- Sans doute. C'est vrai, je suis un peu M. Tout le monde.
- Vous avez eu des félicitations officielles. François Hollande vous a téléphoné. Des contacts avec les militaires américains?
- Oui j'ai eu Spencer et les autres au téléphone. Je l'ai remercié. Il est modeste. Et même si on ne va pas boire une bière ensemble, il restera un lien. Même si on ne se revoit jamais. J'aimerais aussi avoir des nouvelles de Damien, le premier passager qui est intervenu, un jeune banquier français qui vit à Amsterdam, je crois. C'est le premier à s'être jeté sur l'homme. Il faut que tout le monde le sache. J'aimerais aussi qu'il me dise comment je m'y suis pris pour m'emparer de l'arme. J'ai besoin de savoir.
- Vous ne prononcez jamais le mot de «terroriste» ou «El-Khazzani». Vous dites toujours «l'homme». Pourquoi?
- Je ne sais pas. Le nom est un peu difficile à mémoriser. Mais vous avez raison, peut-être que je n'y arrive pas.
- Votre état de santé s'améliore. Quand espérez-vous sortir de l'hôpital?
- Peut-être dans une semaine. Ici, je suis entre de très bonnes mains. Je n'étais pas allé à l'hôpital depuis une opération des amygdales quand j'étais petit… Mais je suis inquiet pour mon bras et ma main gauches dont je n'ai pas retrouvé totalement l'usage. Peut-être un nerf a-t-il été atteint. Je joue de la guitare. C'est important de récupérer ma main.
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MARK MONGALLAN : UN DES HEROS DU THALIS AMSTERDAM- PARIS