Jubilé. Les dépendances insulaires de la Couronne d’Angleterre
Jean-Paul Pancracio
A l’occasion du jubilé de diamant de Sa
Majesté la reine Elisabeth II d’Angleterre
Les dépendances insulaires de la Couronne d’Angleterre
Pour bien comprendre cette affaire pleine de subtilités juridiques,
il faut commencer par se dire que le Royaume-Uni est une chose et que la Couronne
en est une autre.
L’Etat et la Couronne sont donc deux personnes juridiques,
en l’occurrence des personnes morales, distinctes ;
et la reine est une troisième personne qui fait lien entre les deux premières.
La dissociation Royaume-Uni/Couronne/Personne royale
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est l’Etat dont le chef est la reine.
Elle en est le représentant suprême.
La Couronne – The Crown – est une autre institution.
Différente. On perçoit bien en pratique que les deux sont différents puisque
la Couronne d’Angleterre est aussi celle de l’Australie,
du Canada et de plusieurs autres Etats du Commonwealth of Nations,
alors que ces pays sont, dans le même temps indépendants du Royaume-Uni
et totalement souverains.
La Couronne n’est pas représentée, elle est incarnée, au sens propre du terme,
par la personne royale. On peut dire plus encore qu’elle est habitée par la personne royale.
Tout en ayant sa personnalité propre, est figurée par la reine.
Elle n’existe qu’à travers le roi ou la reine qui, durant le temps de son règne, en est le titulaire.
Mais leurs biens ne se mélangent pas. Le roi n’a pour ainsi dire
que l’usufruit des biens de la Couronne.
La personnalité propre de la Couronne est d’ailleurs une puissante
garantie de pérennité de la monarchie. Dans les siècles passés,
il a très tôt été permis aux barons, en Angleterre, de critiquer des décisions du roi,
spécialement quand il montrait des tendances tyranniques, tout en disant que
l’on défendait ce faisant la couronne d’Angleterre.
Ce fut notamment le cas de la révolte des barons contre le roi Jean sans Terre qui contraint
ce dernier à signer la Grande Charte (Magna Carta) dans la prairie de Runnymède,
près de Windsor (1215)
: « Aucun homme libre ne sera emprisonné ou exilé,
ou en aucune façon détruit, si ce n’est par le jugement légal de ses pairs et la loi du pays.
» En application de celle-ci, les barons au nombre de 24 auxquels s’ajoutait
le maire de Londres formaient un comité dont la fonction était
de juger les plaintes contre le roi et de rendre un avis que ce dernier avait tout intérêt à suivre.
La différenciation est également visible dans ce que l’on appelle
« les dépendances de la Couronne.
Ce sont des possessions territoriales, ultramarines, qui appartiennent à la Couronne.
Elles ne sont ni des propriétés personnelles du roi,
ni des possessions d’outre-mer du Royaume-Uni.
Le roi exerce sur elles une forme de souveraineté personnelle en raison
de titres juridiques de nature féodale. Il en est resté à travers les siècles jusqu’à
nos jours, le suzerain.
Ce sont à proprement parler des fiefs féodaux,
que la personne royale transmet à son successeur à sa mort.
C’est ainsi par exemple que la reine Elisabeth II exerce une souveraineté personnelle,
ce qu’est la suzeraineté, sur les îles anglo-normandes,
les baillages de Jersey et de Guernesey avec leurs dépendances –
petites îles satellites d’Aurigny, Sercq, Herm, Jéthou, Brecqhou, Burhou…
– en sa qualité de duc de Normandie (et non duchesse).
Elle est en effet le successeur de Guillaume le Conquérant,
duc de Normandie devenu roi d’Angleterre à l’issue de la bataille d’Hastings en 1066 et de son sacre.
Il en est de même pour cette autre dépendance de la Couronne
qu’est la seigneurie de Mann, sur l’île de Man (il n’y a pas de faute d’orthographe :
c’est bien Mann et Man !). Les îles anglo-normandes constituent en effet le dernier
réduit de l’ancien duché de Normandie.
Lorsque le duc de Normandie Guillaume le Conquérant, partant de son château de Caen,
conquiert l’Angleterre à l’issue de sa victoire à la bataille d’Hasting en 1066,
il règne alors des deux côtés de la Manche, roi en Angleterre et duc en Normandie.
Mais lors de la conquête de la Normandie par le roi de France Philippe Auguste en 1204,
qui ouvre ainsi le premier débouché du royaume de France sur la mer,
le duché se trouve partagé.
La Normandie continentale devient française tandis que la Normandie insulaire
que le roi de France n’a pas attaquée, reste anglaise, dans les mains du roi Jean sans Terre.
A la suite de Guillaume Ier d’Angleterre (William Ier), ses successeurs,
continuent donc d’y régner. Depuis cette époque, les îles anglo-normandes
sont demeurées possessions ducales de la Couronne d’Angleterre.
Elles n’ont jamais été placées sous l’autorité du gouvernement et du
parlement de Londres.archipel est un ancien royaume viking de la mer d’Irlande:
76 000 habitants y vivent.
Le fait que ces territoires appartiennent à la Couronne et non au Royaume-Uni
les fait échapper à toute emprise de l’Union européenne,
contrairement aux territoires d’outre-mer du Royaume-Uni, possessions de l’Etat,
qui entrent à ce tire dans la catégorie des « régions périphériques de l’Union européenne »
à l’instar des régions d’outre-mer de la
France ou des Pays-Bas. Ces petits archipels dépendances de la Couronne
ne sont pas des United Kingdom Overseas Territories (UKOT).
En raison de ce statut très particulier de dépendances de la Couronne,
les deux îles anglo-normandes bénéficient d’une autonomie extrêmement poussée.
Celle-ci découle en droite ligne des Constitutions du roi Jean sans Terre par lesquelles
le duc a permis aux îles de s’administrer librement.
La reine y est aujourd’hui représentée par un lieutenant-gouverneur.
Chacune de ces deux possessions est administrée par un ensemble exécutif-législatif
étroitement lié, appelé « Etats ». Les Etats de Jersey comme ceux de Guernesey
sont dirigés par un bailli nommé par la reine qui préside l’Assemblée desEtats,
parlement élu par les îliens. Le bailli est secondé par un Premier ministre.
Au même titre que s’il s’agissait d’Etats libres associés,
catégorie parfaitement connue du droit international public
(cas de Porto-Rico envers les Etats-Unis),
les deux bailliages ont néanmoins confié au Royaume-Uni,
auquel ils sont liés par l’intermédiaire de la personne de la reine
(ce qui peut s’apparenter à ce que le droit international public appelle une
« union personnelle » entre deux Etats), la charge d’assurer leur défense
ainsi que leur représentation à l’étranger dans certains domaines.
Dans les matières qui relèvent de leurs compétences autonomes
(fiscalité, environnement, commerce, culture, pêche…),
les deux bailliages assurent eux-mêmes leurs relations extérieures.
C’est la raison pour laquelle l’accord intervenu entre Jersey et la France le 4 janvier 2000
en matière de répartition des droits de pêche autour de l’île et de délimitation maritime
a été négocié et signé directement par le lieutenant-gouverneur du bailliage.
C’est un accord international entre la France et l’île de Jersey.
Vous l’aurez compris, c’est tout une histoire ! Beauté de la tradition,
de l’histoire et du droit. Vous l’aurez deviné, j’aime aussi beaucoup l’Angleterre.
Jean-Paul Pancracio