1945, les derniers secrets: l'or enfoui des Japonais"Soldats nippons dans un village proche de Shanghai, en 1937" Après la reddition de l'empire du Soleil-Levant, on perd la trace du fabuleux butin amassé par les troupes nipponnes dans toute l'Asie. Une incroyable chasse au trésor est ouverte; elle se poursuit aujourd'hui encore.
Des bouddhas en or de Birmanie, des pierres précieuses des îles indonésiennes, des tonnes de lingots d'or et d'argent saisis dans toutes les banques de l'Extrême-Orient, des manuscrits et imprimés rares subtilisés à l'empereur fantoche du Mandchoukouo, Puyi, d'antiques céladons arrachés aux tombes des anciens souverains de Corée...
On le sait peu en Europe, mais, durant la longue période du joug sanglant imposé dès 1931 à la Chine, avant de s'étendre à l'Indochine française, en septembre 1940, puis aux Philippines, à la Malaisie, aux Indes néerlandaises et à la Birmanie et qui ne s'achève qu'en août 1945, l'empire du Soleil-Levant a pratiqué un pillage systématique et à vaste échelle.
Non content de prélever les denrées agricoles et matières premières dont il a besoin pour son effort de guerre ou de couvrir un immense trafic d'opium dont il tire un bénéfice substantiel, le Japon a raflé tout ce qui pouvait l'être dans les collections nationales comme chez les riches particuliers, dans les temples comme dans les coffres des banques.
Rien ou presque n'a échappé à la cupidité méthodique des autorités d'occupation. Un des plus importants trésors anthropologiques, les ossements fossiles de l'homme de Pékin, âgé de 500000 à 700000 ans, longtemps considéré comme le plus vieil hominidé du monde, ont ainsi disparu pour être dépêchés, selon certains témoignages, vers Tokyo.
On ne les a toujours pas retrouvés. "Entrée de troupes japonaises dans une ville fortifiée du nord de la Chine (1937)"Durant l'occupation, l'ensemble des mines d'or de l'Asie du Sud-Est tombe sous le contrôle japonais. Prisonniers de guerre et civils sont contraints d'y travailler dans des conditions épouvantables et avec un taux de mortalité, souvent due à la malnutrition, bien supérieur à celui enregistré dans les
camps de prisonniers militaires du IIIe Reich. Les ressources extraites du sous-sol viennent gonfler le butin.
Gigantesque chasse au trésorOù l'or japonais a-t-il fini après la capitulation nipponne?
C'est le point de départ de la plus vaste chasse au trésor de tous les temps.
Aujourd'hui encore, le destin du produit de ces razzias enflamme les imaginations.
En 2013, une rumeur partie des îles Salomon, un micro-Etat du Pacifique Sud, déclenche durant quelques mois une ruée d'aventuriers venus de tous les continents et armés de gadgets à la James Bond.
Un pêcheur, affirme un élu local, aurait découvert un sous-marin nippon datant de la Seconde Guerre mondiale et bourré d'or.
Curieusement, l'homme à l'origine de la supposée trouvaille - et dont l'identité n'a pas été établie - s'évanouit dans la nature...
Les chasseurs, eux, repartent bredouilles.
L'histoire du trésor d'Extrême-Orient de la Seconde Guerre mondiale est pleine de témoins aux identités aussi floues que certains paysages d'estampes japonaises. Du valet philippin d'un prince de la maison impériale aux supposés agents de la CIA qui auraient prétendument utilisé ce butin pour financer, lors de la guerre froide, les opérations de renseignement contre l'ennemi soviétique, aucune des figures - toutes anonymes - caractéristiques d'un bon thriller ne manque dans les récits - non circonstanciés et largement fantaisistes - que cet épisode mystérieux du conflit a suscités.
Un couple de journalistes américains fait ainsi sensation en publiant, en 2002, un ouvrage intitulé "Gold Warriors" (traduit en France, aux éditions Michalon, sous le titre Opération Lys d'or).
La thèse de Sterling et Peggy Seagrave peut se résumer en une phrase: le butin japonais, collecté sous l'étroite surveillance de la famille impériale, aurait été récupéré après la guerre, afin de financer la reconstruction du Japon et d'irriguer, via les services américains, les réseaux anticommunistes dans le monde entier. Un très hypothétique tunnel creusé aux PhilippinesL'essai commence d'ailleurs par le récit d'une scène digne de Hollywood, supposée se dérouler quelque part aux Philippines.
Alors que les troupes américaines ne sont plus qu'à quelques kilomètres, à plusieurs dizaines de mètres sous terre, le général Yamashita, accompagné de princes, fait obstruer l'accès du dernier des tunnels dont il a ordonné, dans la plus grande discrétion, le creusement.
A l'intérieur: des tonnes d'or, résultat de la fonte des trésors de l'Asie, et les derniers ingénieurs qui se suicident pour l'empereur.
Leur mort garantit le secret. "Le prince Chichibu, l'un des frères de Hirohito, et son épouse"Ce ne serait qu'une des multiples caches enfouies dans des cavernes, creusées sous des églises, sous des forts et des camps de prisonniers, derrière des chutes d'eau, qui abriteraient le magot.
Après la bataille de Midway et l'offensive décisive de la Navy, qui reprend le contrôle des lignes de communication maritimes, les autorités japonaises auraient préféré le dissimuler dans l'archipel philippin plutôt que de prendre le risque de le rapatrier par mer au Japon.
On nage en plein romanesque. Certes, le général Tomoyuki Yamashita, surnommé "le Tigre de Malaisie", a bien existé et a été jugé, condamné à mort et exécuté par les Américains, le 23 février 1946, pour crimes de guerre.
Qu'il ait organisé à la fin de l'année 1943 le rassemblement du butin nippon provenant de l'Asie du Sud-Est dans l'archipel philippin, faute de pouvoir le rapatrier au Japon, à cause du contrôle des routes maritimes par la Navy, reste à prouver.
Tout comme la responsabilité du prince Chichibu, un des frères cadets de l'empereur Hirohito, désigné par les Seagrave comme le grand ordonnateur du pillage.
Invité à Berlin en 1937 - on le voit dans les actualités filmées de l'époque assister à un immense rassemblement à Nuremberg -, ce partisan de l'alliance avec l'Allemagne nazie a suivi une carrière d'officier active.
Mais la version officielle de la maison impériale, donnée par sa veuve dans ses Mémoires, l'exonère de toute responsabilité.
Malade de la tuberculose, le prince, à l'en croire, se serait retiré dans sa demeure au pied du mont Fuji, dès juin 1940, et il y aurait passé le reste de la guerre, dégagé de ses devoirs officiels.
Ce qui, étonnamment, ne l'empêche pas d'être promu général au printemps de 1945. Le prince Chichibu, tout comme l'ensemble de la famille impériale, ne sera pas inquiété par les autorités d'occupation américaines.
Un stade de Tokyo porte aujourd'hui son nom. Le jeu troublant du dictateur MarcosLa mansuétude américaine à l'égard du trône du Chrysanthème n'est pas innocente.
Le général Mac Arthur, à la tête des troupes d'occupation, sait que celle-ci est la condition de la docilité de la population.
Négocié, côté américain, par John Foster Dulles, le traité de paix, signé à San Francisco en 1951, évacue, lui, la question de la restitution du pillage japonais dans son article 14:
"Il est reconnu que le Japon devrait payer des réparations aux puissances alliées pour les torts et les souffrances que ce pays a causés durant la guerre. Mais il est aussi reconnu que les ressources du Japon sont actuellement insuffisantes pour, s'il veut maintenir une économie viable, s'acquitter totalement de ces réparations."
"Manifestation antijaponaise à Hongkong, en 2001" La guerre froide a déjà commencé. Le Japon est devenu un allié des Etats-Unis.
Un traité de sécurité entre les deux pays est d'ailleurs conclu juste après.
Aujourd'hui, la législation américaine ne permet pas le libre accès à toutes les informations sur les crimes commis par l'armée impériale nipponne, à la différence des documents sur les crimes nazis. Les services de renseignement américains sont autorisés à filtrer ce que le directeur de la CIA juge trop "sensible".
De telles précautions contribuent forcément à entretenir le halo de mystère. D'autant que, au fil des décennies de l'après-guerre, la quête de l'or perdu a suscité d'étranges vocations, y compris chez des individus que l'on peut qualifier de tout sauf d'hurluberlus.
Au milieu des années 1980, un général américain à la retraite, John K. Singlaub, s'engage ainsi dans une coûteuse campagne de fouilles aux Philippines. C'est un personnage hors du commun.
Véritable héros de guerre, bardé de médailles, il a participé à des opérations clandestines pour le compte des services de renseignement américains (OSS, puis CIA) en France, en 1944, ainsi qu'en Chine, contre les troupes de Mao; il a été présent sur le front de la guerre de Corée, a lutté contre le Vietcong au Laos et au Vietnam.
Chef d'état-major des troupes américaines stationnées en Corée du Sud, cet anticommuniste déclaré est relevé de ses fonctions par le président Jimmy Carter, en 1977, pour avoir critiqué la décision de ce dernier de réduire le nombre de boys dans la péninsule.
"L'or de Yamashita""Le général Yamashita, dit "le Tigre de Malaisie" (au centre), lors de son procès, en 1946"On le retrouve, à l'époque de la présidence de Ronald Reagan, dans l'affaire du financement des Contras, les insurgés anticommunistes au Nicaragua.
Aux Philippines, Singlaub a déposé un très officiel permis de chasse au trésor.
Il est à ce point convaincu d'aboutir qu'il va jusqu'à demander au ministre philippin de la Défense une protection pour ses équipes.
Soupçonné d'ourdir de sombres machinations avec l'extrême droite philippine sous le couvert de sa quête, il doit quitter le pays au bout de quelques mois, tout en prétendant avoir localisé plusieurs caches du fameux or de Yamashita.
Si les Philippines fascinent tant les aventuriers, c'est parce que la mythologie autour du trésor japonais a été constamment relancée par des déclarations parfois fanfaronnes, y compris au plus haut niveau.
A la tête de l'Etat philippin pendant deux décennies, Ferdinand Marcos avait ainsi coutume, lorsqu'on l'interrogeait sur sa colossale fortune - évaluée à 10 milliards de dollars à sa chute, en 1986 -, de sourire et d'invoquer "l'or de Yamashita".
Une aimable plaisanterie destinée à border d'une aura de légende son régime
kleptocratique. La fable trouve toutefois un troublant épilogue judiciaire, en 1988, devant un tribunal à Hawaii.
Le couple Marcos s'y est réfugié après avoir été chassé de Manille.
Un chasseur de trésors philippin, Rogelio Roxas, prétend que l'ex-dictateur lui aurait dérobé, en même temps que des lingots, un bouddha en or de 22 carats dont la tête, une fois dévissée, abritait des gemmes.
L'homme affirme avoir découvert ce butin à Baguio (Philippines), en 1971, grâce aux indications d'un ancien interprète de Yamashita.
Roxas meurt à la veille du procès, mais les magistrats américains jugent son témoignage, enregistré peu avant, suffisamment étayé, notamment par des témoins convoqués à la barre - un expert minier américain, un courtier australien -, pour reconnaître la réalité du trésor.
La cour condamne, en 1996, la succession Marcos à rembourser les héritiers de Roxas à hauteur de 40 milliards de dollars!
La Cour suprême de l'Etat de Hawaii confirme le verdict peu après, tout en ramenant la somme à quelques millions de dollars.
Le jugement de Hawaii reste à ce jour la seule reconnaissance officielle de l'existence de l'or des Japonais.