Les conflits : La guerre d'Algérie
1960 - Dégagement à Alger
La fin de semaine arriva et avec elle, la permission du dimanche.
Plusieurs types furent refoulés pour quelques défauts dans la tenue. Les autres, heureux veinards, montèrent dans les « Ford Canada ».
Les huit de la 6ème étaient tous là, bien entendu. Tout au long de la route, ils sifflèrent les filles et insultèrent les biffins qui traînaient.
Enfin, ils débarquèrent dans Alger comme en terrain conquis. Ils commencèrent par entrer dans un café pour se « jeter une bière derrière la cravate » comme disait Jo.
C’était le café du « vieux grenadier ». Devant la porte, sur le trottoir, trônait un grenadier de la Garde Impériale en contreplaqué, qui justifiait l’appellation du lieu.
Dans la salle aux fenêtres grillagées, une bande de légionnaires était déjà en train de faire un sort à une caisse de bière.
Ils appelèrent à grands cris nos bleus et se poussèrent pour faire de la place aux nouveaux soiffards.
Après deux heures et quelques bières dans la panse, Jo remarqua que le café s’était peuplé d’une foule de soldats, aviateurs et biffins.
La marine ne serait pas la marine si elle pouvait tolérer un biffin ou un aviateur, aussi, ignorant délibérément qu’il se trouvait dans un endroit public, Jo se leva et apostropha deux aviateurs qui buvaient tranquillement leur coup.
Eh vous deux, les volailles, foutez le camp d’ici, c’est réservé aux vrais hommes ici.
Allez taillez vous, coqs châtrés !!
Les aviateurs s’approchèrent de Jo et peu désireux de finir au trou, essayèrent de le raisonner.
Allez mon pote, bois ton coup et fait pas chier.
On ne demande rien à personne ; on boit notre coup et on rentre.
Si tu es nerveux, pisse sur un balai.
Jo n’était pas en état d’écouter ce langage de raison et il envoya son poing dans la gueule de l’aimable aviateur. La bagarre fusa comme un coup de tonnerre.
Jo se débattait sous les deux aviateurs qui y allaient de bon cœur.
Bon Dieu de Bon Dieu, pas moyen de boire tranquille dans ce rade avec ces cons de graisseurs de piste.
L’équipe se leva, les légionnaires qu’un peu de gymnastique réjouissait, se levèrent aussi. La mêlée devint générale.
Le patron, pendu au téléphone, essayait d’avoir la police militaire tout en esquivant les trajectoires de bouteilles vides ou pleines qui allaient fracasser le miroir derrière lui.
Tous y allaient de bon cœur, se défoulant allégrement au détriment du matériel.
Les curieux s’étaient agglutinés devant la porte et essayaient de voir ce qui se passait.
Un légionnaire se pointa avec une bouteille d’eau de seltz et arrosa la foule qui recula.
Un vacarme de fin du monde s’échappait de cet enfer miniature.
Aux beuglements des combattants se mêlait le fracas des tables et de la verrerie qui se brisaient.
Le patron, à moitié assommé par une bouteille qui ricochant sur son crâne, s’était finalement fracassée sur la caisse enregistreuse, l’inondant de vermouth, venait d’obtenir la police militaire.
Le hurlement lointain de la sirène des policiers sépara les combattants qui tous retrouvèrent le tonus nécessaire pour s’éloigner dare-dare des triques des représentants de l’ordre militaire.
Les huit se retrouvèrent dans un petit café sympa connu de Jo, dont il savait que la serveuse avait un faible pour lui.
Deux jeeps bourrées de soldats casqués s’arrêtèrent dans un terrible grincement de frein devant le café dévasté et jonché de débris.
Ils sautèrent avec ensemble dans le café et eurent la vision dantesque d’un carnage de bouteilles et de verreries diverses.
Le patron émergeant de derrière son bar, une bosse stupéfiante sur son front, renseigna les policiers militaires.
Ceux ci connaissaient les habitudes des loups de mer et se pointèrent dans la soirée à l’emplacement des camions de la Marine.
Ils surveillèrent l’arrivée des permissionnaires qui seuls ou en groupe, ralliaient leur bahut. Ils en interrogeaient certains, puis les laissaient embarquer.
Ce fut encore Jo qui les vit le premier.
Stop les gars !! regardez !!! La flicaille nous attend.
Avec les cocards que nous trimbalons nous allons nous faire coffrer.
Toi Luc, planque ta main gonflée et préviens le chauffeur de s’arrêter une minute en bas du Telemly.
On sera là bas. Allez les gars on file.
Luc n’attira pas l’attention des flics et, après avoir papoté avec le chauffeur, un gars compréhensif qui en avait vu d’autres, il embarqua.
Ouf !! gémit Jo en enjambant la ridelle du camion, je me fais vieux pour ce genre d’exercice.
Qu’avez vous foutu pour être dans cet état, s’étonna un passager.
Vous allez vous faire gauler par « Œil de Faucon ».
On verra ça mon pote.
C’est tout vu à voir ta gueule.
Le camion entra dans le camp et s’arrêta devant le BSI (Bureau du Service Intérieur), et les permissionnaires débarquèrent pour l’inspection de retour de terre
(un marin est toujours embarqué à bord d’un bateau ou dans un camp et il va à terre pour la permission).
En pleine lumière, Œil de Faucon, le bidel, se pointa l’air de mauvais poil (il avait dû entendre parler des exploits de la bande, et des emmerdements administratifs que cela lui vaudrait).
On est bons comme la romaine, chuchota Luc à Jo
Ouais sûr !!
Garde à vous et silence sur les rangs !!
La démarche souple, la gueule de travers, Œil de Faucon passa et pointa son doigt :
Vous, vous, vous et vous sortez des rangs et alignez vous devant le BSI !! Permissionnaires rompez !!!
Puis s’approchant des quatre les plus marqués (œil noirâtre, oreille saignante, tenue déchirée et bâchi crâdé)
Vous m’avez l’air d’aimer le grand air !! D’où viennent ces gueules ? Vous, résumez moi ça !!!
Nous marchions tranquillement Premier Maître, et des Arabes nous ont insultés.
Nous comprenons l’arabe et donc nous avons décidé de leur apprendre à vivre.
Ils étaient une dizaine et eux sont dans un état pire que le nôtre.
De quelle compagnie êtes vous ?
De la sixième, Premier Maître !!
A terre !! trente pompes chacun !! Comptez avec moi : Un …. Deux …. Trois…
Puis il les renvoya à leur couchette, tout contents de ne pas prendre quinze pains.
Le reste de la bande fut soulagé en les voyant entrer et se coucher. Bientôt, le silence envahit la chambrée.
Extrait du livre « les Saccos » de Lucien Henri Galea
Escorteurs d'éscadre
Hélicoptère Sikorsky H19 larguant un stick