Le pape François boude la FranceLe pape recule son éventuel voyage en France. Crispations après le mariage pour tous, refus d'accréditer l'ambassadeur désigné par Paris…
La fille aînée de l'Église n'est plus en odeur de sainteté au Vatican. "Prions pour la France, car elle en a besoin." Vendredi matin, 8 h 30, le cardinal Poupard commence son homélie dans la chapelle Sainte- Pétronille.
À l'extérieur, place Saint-Pierre, une foule de pèlerins et de touristes patiente déjà. L'aile droite de la basilique avait été fermée au public pour permettre à une centaine de Français, des prélats et des diplomates pour la plupart, de prier pour leur pays.
Messe solennelle, chœur et organiste de Saint-Louis-des-Français... Une tradition vaticane et une attention particulière réservée chaque année à la fille aînée de l'Église.Au Vatican, Paul Poupard, le président émérite du Conseil pontifical pour la culture, n'est pas le seul à s'inquiéter pour la France.
Le Saint-Siège et Paris ne sont plus sur la même longueur d'onde.
Une lecture jugée trop stricte du concept de laïcité, les débats sur la fin de vie, l'adoption de la loi sur le mariage homosexuel, les "violences policières" contre les catholiques pendant les manifestations qui l'ont précédée... déroutent la curie. "La France [...] est en crise d'identité, comme toute l'Europe, qui peine à l'évidence à vivre ses valeurs millénaires", poursuit le cardinal, évoquant "la dignité inaliénable de la personne, du premier instant de sa conception au terme naturel de son existence."
L'incompréhension a un nom, Stefanini Avec la France, l'incompréhension latente a désormais un nom : Laurent Stefanini.
Depuis le 5 janvier, Hollande
attend que l'ambassadeur qu'il avait choisi pour le Saint-Siège soit enfin agréé par le pape.
Vendredi matin, en son absence, c'est le chargé d'affaires, le numéro 2 de la villa Bonaparte, qui accueillait les participants.
Or, en langage diplomatique, un silence supérieur à deux mois signifie qu'il y a un... problème.
"Nous attendons toujours la réponse du Saint-Siège, explique le porte-parole du Quai d'Orsay, Romain Nadal. Nous avons toute confiance dans les qualités professionnelles de celui qui a été choisi par le président de la République et nous respectons les prérogatives du Vatican. Il n'y a pas d'autres commentaires."
La publication du nom du candidat français avant que le Saint-Siège ait donné son accord puis la révélation de son homosexualité ont choqué les autorités vaticanes et, dit-on ici, le pape lui-même.
"L'attitude de la France a été inqualifiable, s'époumone un prélat français en fonction à Rome. Ce n'est pas tant la personne choisie qui est en cause que le procédé, en contradiction totale avec les règles diplomatiques. C'est comme si nous désignions nos évêques avant que le ministre de l'Intérieur ne les accepte."
Priorité aux pays pauvres Dans ce contexte, la perspective d'un prochain voyage du pape en France s'éloigne de mois en mois. Envisagé en 2015, ce déplacement pourrait ne pas avoir lieu... avant le deuxième semestre de 2017.
Le Vatican évite les périodes préélectorales.
"Pour l'instant, aucune date n'a été arrêtée et aucun travail préparatoire n'est engagé, confirme le père Lombardi, responsable du bureau de presse du Vatican. Un déplacement en Europe est certes moins difficile à organiser que sur un autre continent, mais pour l'instant nous n'avons pas de date."
Incertain, donc. "Il y aurait peut-être une fenêtre au tout début janvier 2016", espère un diplomate français.
À un calendrier chargé se conjugue contre la France une priorité donnée aux pays pauvres.
"Son premier voyage en Europe a été pour l'Albanie, il est allé deux fois en Asie, il se rend prochainement en Bosnie, analyse le recteur de l'université pontificale grégorienne, François-Xavier Dumortier.
Le pape visite ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir un pèlerinage à Rome.
Les hôtels sont chers, ici.
Il a 78 ans, et sa priorité va aux périphéries."
François, le pape venu du bout du monde, a avec la France un lien beaucoup moins étroit que ses prédécesseurs.
Paul Poupard, qui a vécu plus de la moitié de sa vie - trente-sept ans exactement - au Vatican, se rappelle qu'en 1965 il écrivait les discours de Paul VI en français et en italien.
"Benoît XVI m'avait confié avoir appris le français pour pouvoir lire Le Soulier de satin de Paul Claudel dans le texte, quant à Jean-Paul II, il avait un attachement charnel à la France. Lorsque François va à Strasbourg, il s'exprime en italien et en anglais..."
Tout un symbole.Le Français, langue diplomatique du Saint-Siège, n'a pas attendu François pour perdre du terrain à la curie.
"À la secrétairerie d'État, au service diplomatique, remarque le directeur de L'Osservatore Romano, le très francophile Giovanni Maria Vian, certains agents rechignent à parler français." Une désaffection liée surtout à la perte d'influence du français dans le monde au profit de l'anglais.
Les Français, comme les cardinaux Tauran au dialogue interreligieux et Mamberti à la signature apostolique, occupent pourtant des postes clés. Jean-Louis Bruguès veille sur les archives secrètes et la bibliothèque du Vatican.
Il va avoir la lourde tâche d'ouvrir à la consultation les archives de 1939 à 1958.
Mais la relève est difficile. Le poste de "ministre des Affaires étrangères", souvent dévolu à un Français, a été confié il y a quelques mois à un Britannique, Paul Gallagher.
"Depuis cinq ans, explique le frère Serge-Thomas Bonino, doyen de l'université de l'Angelicum pour la philosophie, nous n'avons plus d'étudiant français à l'école des nonces apostoliques [les ambassadeurs du Saint-Siège].
Pour l'instant, la France compte six nonces en fonction.
Qu'en sera-t-il à l'avenir? Les diocèses français, confrontés à la crise des vocations, retiennent leurs prêtres dans les paroisses"
Paradoxalement, ce sont les laïques catholiques français qui prennent de l'importance aux Vatican.
Jean-Baptiste de Franssu, le banquier du pape, qui gère le patrimoine du Saint-Siège et à qui François a confié l'assainissement des finances ; et Michel Roy, le secrétaire général de Caritas Internationalis, confédération de 185 associations caritatives catholiques dans le monde - dont le Secours catholique.
Un sujet cher au pape, qui a l'ambition de créer un grand "ministère social" incluant à la fois les questions de charité, d'environnement, de santé et le problème des migrants.
"Cette évolution est à l'image de l'Église de France, analyse Michel Roy.
En France, l'Église est de plus en plus sécularisée. Elle a trouvé d'autres moyens de se développer avec une forte montée en puissance des laïques pour pallier le manque de prêtres."
L'enfant rebelle a encore des ressources.