CONCESSIONS FRANCAISES EN CHINE :
ShangaiLe 20 mai 1847, Charles de Montigny s’établit à Shanghai où 3 ans auparavant il avait obtenu l’ouverture de cinq ports chinois dont Shanghai au commerce étranger et le droit de s’établir pour les ressortissants.
Le polycentrisme administratif de la ville n'entraîne pas sa partition en zones étanches et spécifiques. Certes des bornes ont été posées pour signifier sur le terrain la délimitation des compétences administratives. Mais nul poste frontière n'empêche le passage d'une /zone à l'autre, du moins jusqu'à l'occupation japonaise. Bien plus, la ville garde une certaine homogénéité en ce qui concerne la population : à l'origine, la résidence dans la concession était réservée aux ressortissants du pays signataire, mais l'afflux de réfugiés dès 1853 a obligé les autorités chinoises et françaises à revenir sur ce principe. La concession n'a ainsi jamais pris le caractère d'un ghetto isolé de son environnement chinois.
Il n'en reste pas moins que l'extension des limites de la concession, nécessitée justement par l'accroissement, dès 1851, de la population chinoise et étrangère, a suscité des négociations comme s'il s'était agi d'une question de frontière : négociation avec le daotai, négociations avec les autorités de la concession internationale.
La concession française, créée en 1849, s'est étendue par l'acquisition successive de parcelles toujours plus à l'ouest, en 1900 (accroissement de 145 hectares), puis en 1914 (la concession occupe alors 1000 hectares). Les espaces concédés, situés le long du Huangpu sur des terres libres de constructions se sont vite révélés insuffisants et dès 1882, tous les terrains étaient attribués.
En diverses occasions, le conseil municipal et le consul ont eu à affronter des émeutes populaires liées à des questions de territoire. Car L'espace revendiqué par les étrangers n'est pas vierge : comme le précisent de nombreux récits des années 1850, il s'agit de terrains ponctués d'habitations, de tombeaux et constructions diverses. En 1875 et 1898, la construction de nouvelles rues dans le quartier dit de la Pagode de Ningbo suscite un affrontement avec la guilde des originaires de Ningpo, corporation qui assure l'entretien et la protection des tombes et cet affrontement, qui dégénère en bataille rangée, fait plusieurs victimes chinoises.
Le percement des rues va de pair avec les travaux de drainage, de pavage, d'égouts. L'acquisition des terrains s'effectuant directement entre propriétaires chinois et occidentaux, le parcellaire originel perdure. La trame des rues, organisée selon deux axes nord-sud et est-ouest, est issue du tracé existant des voies qui sont élargies tandis que les canaux et voies d'eau sont comblés, tel le Yangjingbang en 1915 qui sépare la concession française de la concession internationale. Le conseil municipal est responsable de ces travaux d'intérêt public, financés grâce au cadastre créé en 1887, source d'impôts fonciers et locatifs. Les premiers quartiers habités sont très denses, puis les extensions permettent le développement d'espaces verts plantés de platanes, parcs de promenade ou agrément d'édifices publics ombragés, et de quartiers résidentiels avec des villas entourées de jardins.
La dernière extension se fera sous le signe de l'apaisement : la Révolution de 1911 a mis fin à la dynastie mandchoue, les murailles de la vieille ville de Shanghai sont abattues (1912) : c'est désormais un boulevard et non un mur qui, à l'est, sépare la ville chinoise de la concession française et, symboliquement, c'est l'accès au monde occidental qui lui est ainsi ouvert. Ce boulevard, on le baptise du nom des "Deux Républiques", française et chinoise, signe de confiance dans un avenir de rapprochement entre les peuples par le respect de mêmes principes.
L'administration française, soucieuse de l'intérêt public et de l'amélioration des conditions de vie, recourt aux progrès scientifiques et techniques pour accroître le bien-être collectif. Cependant la métropole n'est pas très généreuse et le financement des travaux qui s'appuie sur les revenus fiscaux, doit être complété par des ressources diverses, taxes sur les fumeries d'opium et les établissements de jeu notamment.
Consul et municipalité entreprennent tout à la fois des travaux de voirie et d'urbanisme - dés 1862, la construction des voies publiques et des quais est planifiée, en 1880 l'eau courante installée - et développent Station française de TSF de Koukaza : Filipetti, opérateur et Max Broelmann, directeur de la station.
Dans ce domaine, la France a été précurseur. La liaison par TSF (télégraphie sans fil) était devenue indispensable pour assurer la sécurité de la concession en cas de rupture des liaisons par cable. Le poste de Shangahai présentait un intérêt indéniable car il rendait possible la communication du gouvernement général d'Indochine avec la France par relai du poste de Saigon.
Français et Anglais sont amenés à coopérer pour la mise en oeuvre de certains services, tels que l'alimentation en eau. Ainsi a prospéré la Compagnie française de Tramways et d'éclairage électriques, grande firme de l'âge d'or de Shanghai. Les Postes et télégraphe et la TSF, Télégraphie Sans Fil, à Shanghai. sont aussi des éléments déterminants pour le développement du commerce international.
Sur la demande du Consul L. Ratard, un cahier des charges ainsi qu'un projet de réseau de tramways est réalisé par l'ingénieur de la concession : J.J.Chollot ( Ingénieur en chef de la Concession française de 1893 à 1907).
Cette étude fournira ensuite la base sur laquelle soumissionneront les compagnies pour l'obtention de la future concession des tramways.
Décidée en 1920, la nouvelle centrale électrique est totalement achevée dix ans plus tard. Elle remplace l'ancienne centrale à vapeur, trop peu productive Le bâtiment fait près de 85 mètres de long sur 25 de large et se situe sur les terrains de la Compagnie, à l'ouest de l'Avenue Dubail, à son carrefour avec la route de Zikawei.
A l'intérieur de la nouvelle usine électrique, se trouvent cinq moteurs diesels, les plus modernes de l'époque, fabriqués en Suisse. Ils développent une puissance totale de 12.000 chevaux et peuvent produire près de 20.000 kilowatts à leur plein régime. Cette puissance en fait une des plus importantes installations de production électrique de ce type en Asie..
Elle voit le jour à Shanghai en 1906. Le tramway, dont les premières lignes sont ouvertes en 1908, fait la gloire de la Compagnie qui s'est également fait attribuer, par contrat signé en 1908 et pour cinquante ans, le monopole de la distribution de l'eau dans la concession française.
La proximité de la concession internationale et de la ville chinoise nécessite des rapprochements avec les Anglais - exploitation d'une ligne commune en 1909 - comme avec les Chinois - exploitation d'une ligne en 1915. En 1930 la compagnie exploite dix lignes et possède cent tramways, le trafic étant passé de deux millions de voyageurs en 1907 à soixante millions en 1928, qui disposent de cartes de transport avec leur identité et leur photo.
Avec près de deux mille employés, la Compagnie est le creuset de nombreuses revendications. Un syndicat est créé en 1925, qui, surtout après 1930, passe sous la coupe de Du Yuesheng. Le chef du gang de l'opium, devenu un notable, attise ou met fin aux grèves, en fonction de ses intérêts.
Dernière entreprise à être nationalisée, la Compagnie des Tramways et d'électricité est l'objet, entre 1949 et 1953, d'une coopération franco-chinoise unique à cette époque.
L'amélioration des conditions de vie avec l'eau courante et l'électricité pour tous, les transports en commun, la création d'espaces verts dans la ville vont de pair avec une architecture de plus en plus moderne et conquérante, reflet de la réussite des entreprises comme des particuliers. Exprimée par les sièges sociaux des grandes firmes et des banques, les grands magasins, les hôtels, les théâtres et cinémas, les villas de luxe, la prospérité s'affiche ouvertement.
Le Bund dont la célèbre silhouette devient l'emblème de la modernité de Shanghai, offre un concentré de l'architecture contemporaine. Les meilleurs architectes, français, anglais ou américains y construisent et dans les années 20, apparaissent les premiers gratte-ciel en béton armé et structures métalliques. La hauteur d'un bâtiment devient alors l'expression de la puissance du commanditaire.
Parmi ces constructions, le siège des Messageries maritimes édifié par l'architecte suisse Minutti occupe une place symbolique forte, point de passage obligé de tous ceux qui débarquent à Shanghai, de même que le Cercle sportif français réalisé en 1926 par de jeunes architectes, Alexandre Léonard et Paul Veysseyre. Leur succès est tel que de nombreuses commandes vont suivre. Certains de leurs logements et commerces tels le Gascogne et le Béarn sont aujourd'hui classés par la municipalité de Shanghai, de même que la Chung Wai Bank devenue le musée de la ville après 1949, puis à nouveau affectée à des bureaux en 1994. En 1930, Shanghai est à son apogée, c'est l'âge d'or. Puis l'occupation par les Japonais en 1937 et la deuxième guerre mondiale avec le repli des Occidentaux, plongent la ville dans l'isolement et la pénurie.
L’entrée des troupes de Mao en 1949, mit un terme à la concession Française.