Les prisonniers de guerre allemands dans la France de l'immédiat après-guerreSix fois plus nombreux en 1945 qu'en 1918, les prisonniers de guerre allemands sur le sol français sont immergés dans la situation dramatique du pays à la Libération. Ils connaissent l'urgence sanitaire des premières semaines puis participent à l'effort de reconstruction, finissant par s'attirer le respect de la population locale.
Un épisode noirci par plusieurs controverses. Il y a 750 000 prisonniers de guerre allemands (PGA) sur le sol français en 1945. Pour la plupart transférés par les autorités militaires américaines, certains vont y rester plus de quatre ans, jusqu'en décembre 1948.
Cette donnée est aujourd'hui méconnue en France, et généralement absente des manuels scolaires, plus diserts sur les prisonniers français en Allemagne entre 1940 et 1945 ou les requis pour le Service du travail obligatoire (STO).
Il faut dire qu'une série de controverses a fait de cet épisode un sujet historique délicat. Les conditions de détention des Allemands ayant été souvent difficiles, certains commentateurs sont allés jusqu'à établir un parallèle entre les pratiques de la République française renaissante et celles des nazis.
Une polémique s'est nouée dès l'origine. Devant l'état physique déplorable des soldats remis par les autorités américaines, un rapport de l'abbé Deriès accuse ces dernières de chercher à se défausser sur les Français d'un grand nombre de décès.
La presse américaine renverse l'accusation de mauvais traitement, et laisse entendre que les Français ne respectent pas leurs engagements et affament les PGA.
Certaines plumes se montrent particulièrement outrancières. La National Catholic Welfare Conference parle d'une « nouvelle forme d'esclavage », et on évoque des cas de stérilisation forcée.
Plus sérieusement, la durée de détention des prisonniers, encore 301 000 début 1948, nourrit l'indignation.
Il est vrai que leur libération aura été accélérée par les pressions américaines visant, au moment de la mise en place du plan Marshall, à serrer les rangs face à l'URSS.
En France, où les PGA sont fréquemment perçus comme une compensation légitime quand le pays manque de main-d'œuvre pour sa reconstruction, il faut les efforts de la Croix rouge et de l'aumônerie catholique pour que l'opinion prenne conscience de la situation.
Si Le Figaro écrit le 19 septembre 1945 : « Nul ne songerait à s'étonner que dans les camps de prisonniers allemands la discipline fût rude, le régime ascétique, le travail pénible », c'est pour mieux affirmer :
« Chaque injustice, chaque affront, chaque vol, chaque coup qui frappe un soldat allemand vient, à travers sa victime, souffleter le visage de la France. »
De Gaulle lui-même considère qu'il y a trois raisons suffisantes de bien traiter ces hommes : l'humanité, la réputation internationale du pays et la recherche de l'efficacité dans le travail.
La ration alimentaire passe de 1600 à 1835 calories en octobre 1945, ce qui est supérieur aux rations anglo-saxonnes dans l'Allemagne occupée.
De plus, passés les premiers mois dans des camps, la situation des PGA s'améliore avec leur intégration à des commandos de travail où, passée la méfiance initiale, ils se font accepter par la population.
Les plus chanceux travaillent à la campagne, auprès de l'habitant, échappant ainsi au contrôle de l'armée.
Les moins bien lotis peinent sur de grands chantiers urbains.En 1989, le Canadien James Bacque prétend que la France et les Alliés ont organisé, sur les ordres d'Eisenhower, la « disparition » de plus d'un million de PGA. Il s'agit d'une grossière manipulation statistique, mais le fantasme dévoile la présence d'un non-dit.
De fait, les pertes dans l'Hexagone furent concentrées lors de l'afflux massif des prisonniers.
Le Service historique de l'armée de terre française (Vincennes) a recensé 17 773 morts en 1944 et 1945 puis 5 112 en 1946.
Sur l'ensemble de la période 1944-1946, la proportion de décès représente 3,05%, un taux tout à fait comparable au 3,7% de décès parmi les PG français détenus en Allemagne entre 1940 et 1945.
Les causes principales sont la maladie, dans 68 % des cas souvent liée à des carences alimentaires, et les explosions de mines.
C'est en définitive la polémique concernant l'utilisation de PGA pour le déminage du pays qui est demeurée la plus vivace, relancée en 1995 par des médias britanniques.
La France aurait violé la Convention de Genève de 1929, interdisant l'utilisation des PG pour des « travaux insalubres ou dangereux ».
En 1948, le Comité international de la Croix rouge évoquait 20 000 morts dans l'exercice. En réalité, si la vie des prisonniers a bien été exposée, les périls ont été partagés : ils localisaient les engins, dont la neutralisation était confiée à des démineurs français professionnels.
Et les pertes s'avèrent proportionnellement équivalentes : 2 500 mineurs allemands sur 48 500 et 180 démineurs français sur 3 000 y ont perdu la vie.Il apparaît aujourd'hui, notamment dans les travaux de François Cochet, que les souffrances des PGA ont résulté avant tout de l'impréparation et l'état de délabrement matériel de la France à la Libération, et non d'une volonté de vengeance à l'égard des anciens occupants.