La « Bataille» d'Alger du 20 janvier au 20 mars 1957 Suite à quinze jours de permission passé en France dans ma famille, le retour se fait dans une ambiance morose sur le bateau Kairouan parmi des rappelés protestataires et démoralisés. Alger 1957 " Le Ruisseau"Me voici à nouveau avec mes camarades de l'Escadron, et en particulier au 4ème peloton du s/lieutenant Michel et de l'Adjudant Rebouillet son adjoint.
Après notre retour de Chypre, les chauffeurs dont je fais parti, sont dirigés sur Zéralda(1) ou Bigeard nous a trouvé un terrain pour le régiment.
Le colonel Jeanpierre commandant le 1er Régiment Etranger Parachutiste (2), ayant un vaste espace, a offert d'héberger notre régiment en attendant mieux. C'est un très grand terrain au milieu des pins près d'une immense plage de sable fin au bord de la mer a 8 kilomètres de Staouili ou s'est implanté la 4e compagnie «Bir-Hakeim» (3) à distance égale de Sidi-Ferruch ou nous allons nous retrouver bientôt.
Les marabouts montés, le village de toile prend forme, d'autres compagnies sont installées aux alentours, il nous faut de la place avec tout nos véhicules.
J'ai d'ailleurs profité d'un peu de temps libre pour aller faire un tour du côté de la Légion qui possède une superbe structure en dur. L'entrée du camp est impeccable, une sentinelle en tenue irréprochable, nous gratifie d'un superbe présentez-arme, à notre étonnement, Jojo Plisson me dit
«il nous prend pour des gradés ?» obligé de saluer la sentinelle, j'en apprend tous les jours sur la Légion parachutiste.
Leur foyer est artistiquement décoré, l'ambiance est parfaite, nous sommes reçus cordialement et je retrouve le légionnaire de ma traversée pour Chypre qui est de service au foyer, il a fallut accepter sa tournée de bière au risque de le vexer, un type bien, une conversation s'établit sur notre travail et nos opérations, nous les retrouverons à Alger et dans les Aurés.
Nous nous préparons pour cette bataille d'Alger, afin de sécuriser la population et démanteler les réseaux terroristes implantés. La ville est prise sous l'étreinte du FLN. Nous sommes ici en opération au même titre que dans le djebel. Dans Alger les fells se terrent dans les inextricables réseaux de la zone urbaine, et font subir des actes terroristes des plus violents et atroces.
Notre compagnie est installée dans un immeuble à El Biar, petite ville dans la périphérie d'Alger, situé à 3 kilomètres sur une voie très accessible sur les hauteurs d'où l'on aperçoit la baie et le port de la grande ville.
L'immeuble presque fini, comporte trois ou quatre étages avec de multiples appartements, une chambre pour quatre c'est l'idéal; les véhicules parqués dans un grand espace au pied de l'immeuble permettent des départs rapides, les jeeps sont sollicitées 24 heures sur 24.
La situation au moment de notre absence due au conflit égyptien du canal de SUEZ. Alors que notre état-major est absorbé dans les préparatifs à l'investissement du canal de Suez et de Port-Saïd, le FLN a la partie belle pour se réorganiser dans les grandes villes, en particulier à Alger.
Les actes terroristes se multiplient et les premiers attentats à la bombe se font dans les quartiers européens. Les chefs de la rébellion s'installent dans la clandestinité, et veulent par ces actes durs et spectaculaires, frapper le symbole de la réussite Française en Algérie.
L'arrestation d'un complice d'Ali la pointe ne résoudra pas grand chose.
Le 26 janvier, des bombes explosent à l'Automatic Bar, à la Cafétaria et au Coq Hardi où la jeunesse algéroise vient se rencontrer: le bilan est lourd, vingt victimes sont à déplorer affreusement déchiquetées, une boucherie.
Bigeard, les dents serrées sur le tuyau de sa pipe, réfléchit au moyen de motiver ses paras et les commandants d'unités, il n'est pas question de faire de la répression aveugle et tomber dans le piège auquel le FLN aurait vite fait de rebondir.
Une note de service dictée à Martial Chevalier son fidèle secrétaire, est dispatchée dans les compagnies: «
nous sommes ici en opération au même titre que dans les Nemetchas ou ailleurs.
Pour nous, la ville, ses tentations, ses filles n'existent pas.
La situation, le travail actuel exigent de la part de tous une tension, une discipline de vingt-quatre heures sur vingt-quatre.27 janvier 1957Les paras Bigeard étaient fin prés pour briser
la grève générale dans Alger, mot d'ordre lancé par le FLN et qu'il fallait casser à tout prix.
Ben M'Hidi, chef de la résistance algérienne, président du congrès de la Soummam du 20 août 1956, capturé le 23 février 1957, a révélé au cours de ses longues conversation avec le colonel Bigeard en toute liberté d'expression et sans contrainte, que:
nos méthodes étaient les seules valables pour briser leur action, que le développement du terrorisme était dû à l'impunité dont ils étaient assurés de par notre législation.Le FLN a provoqué un climat de terreur avec les bombes qui explosent n'importe quand n'importe où. Ce sont en général de jeunes femmes habillées à l'européenne moins susceptibles d'être repérées qu'un homme qui pose les engins meurtriers dans des lieux fréquentés de la ville.
Le 21 février 1957, nous avons un saut à faire pour notre alignement de la solde de l'air, prime qui nous apporte un plus financier. C'est à Blida où un grand terrain d'aviation nous attend avec ses Nord Atlas 2501, celà fait deux mois que nous n'avons pas passé la portière, un petit pincement au cœur vite disparu dans l'ambiance para, une bonne sortie et un temps idéal me permettent une arrivée au sol comme dans un fauteuil même pas de roulé-boulé je me réceptionne debout avec quelques pas pour accompagner la voilure qui s'affaisse doucement, retour à midi pour El Biar.
Des patrouilles incessantes nous donnent peu de temps de repos, à pied, en jeep, les interventions à plusieurs véhicules pour des contrôles d'identités, des arrestations, mais aussi des interminables heures de garde à surveiller le PC ou les interrogatoires des suspects de notre zone se multiplient, ce sont pour la plupart des malfrats, proxénètes, voleurs en tous genres, le capitaine Le Boudec à préféré cette zone qui nous demande moins de scrupule malgré la dangerosité des suspects arrêtés.
Notre tenue doit être rigoureusement propre et bien taillée pour qu'elle colle au corps, casquette neuve, et rasé de près, je coupe les cheveux au plus court ce qui me libère de beaucoup de corvées, les sous-off me laissent une pièce de monnaie cela améliore mon budget.
Les permis passé en France sont devenus je ne sais pourquoi plus valables? Nous allons ce matin repasser les permis de conduire dans un centre de conduite, l'épreuve est passée haut la main.
Le 26 février, je touche ma solde de 8360 Fr et 14 paquets de cigarettes de quoi acheter le strict minimum et de la pellicule pour mon appareil Kodak. Les patrouilles sans cesse et les planques avec un mouchard qui nous désigne les gars suspects, arrestation parfois musclée.
J'ai un nouveau caporal Makao Doukouré ancien d'Indochine venu sur le tard dans les paras, brave type avec un fort accent Sénégalais la peau noir d'ébène, un peu bizarre par moment mais il ne restera pas longtemps chez nous avec le régime «Bruno» la sélection est naturelle.
Samedi 2 marsCe soir, quartier libre, je fonce prendre ma douche, avec l'équipe, nous prenons un taxi et direction « La Lune », une maison de plaisir qui fait un bénéfice substantiel avec sa clientèle de soldats, à la sortie de la boite nous sommes provoqués par un groupe de biffins éméchés, j'ai une fourchette que j'ai subtilisée au restaurant et quand le gars me balance son poing je lui enfonce la fourchette dans la main, il pousse un hurlement et la bagarre dégénère à notre désavantage, huit troubadours contre trois paras de plus André Veau a un problème d'épaule, alors que cela se passe mal pour nous, j'entends un hurlement sauvage!
C'est Mario Piacenza mon caporal de l'équipe voltige, qui vient nous sauver d'une sacrée trempe, c'est un taureau sauvage de 90 kilo, ancien d'Indo et de Corée il a eu une blessure à la tête et parfois il pique des crises de colère et ce n'est pas le moment de rester dans ses mains larges et épaisses comme des entrecôtes, il rentre dans le tas et cogne sans distinction les poivrots, deux sont déjà KO et les autres battent en retraite devant ce cyclone.
Nous finissons dans un restaurant pied-noir, avec 400 francs de taxi, la solde est bien entamée, mais qu'importe!.
3 mars 1957Il est 5 heures quand nous arrivons à Blida pour un autre saut, décidément c'est bon pour le moral, ce saut effectué au « Tombeau de la Chrétienne »(4) lieu très connu en bordure de mer, immense DZ (5), il y a foule à l'embarquement des bérets vert, bleu, rouge, la sarabande des Nord 2501 qui après avoir largué leur cargaison de paras reviennent faire un autre chargement de candidats au saut.
Notre tour arrive, la routine se voit sur les visages décontractés, les blagues fusent de part et d'autre, la sortie du «Tapin» se fait avec le regard clair, la gueule de bois de la veille a disparu, le vent me donne une claque à la sortie et l'ouverture du pépin stoppe la chute libre un coup d'oeil à la coupole du parachute me laisse voir une superbe une corolle blanche parfaitement ouverte, un gars me coupe le champ de vision en frôlant de ses pieds mes suspentes, c'est mon pote Jacky Fièvre qui doit se trouver dans un courant d'air, il arrive au sol déséquilibré, sonné par une mauvaise réception, il ne bouge plus, je dégrafe mon harnais, et fonce vers lui, rien de grave, il saigne du nez percuté par le casque, quel gamelle!
Je l'aide à revenir au point de ralliement, sans penser qu'il va disparaître en octobre, mort d'un éclat de grenade en plein cœur dans ma chambre.Le soir, toute l'équipe, commandée par le s/ lieutenant et le chef Rebouillet avec deux jeeps, nous filons sur Draria où une fouille a lieu dans une propriété bourgeoise.
Les gendarmes nous accompagnent, les propriétaires proches du FLN sont en fuite, il faut fracturer la porte de cette immense maison bourgeoise, une multitudes de pièces, un secteur nous est attribué tellement la demeure est grande, en ouvrant une valise je déniche un magot que j'estime à deux cent mille francs caché dans un double fond de malle dans une autre des louis d'or sertis enchâssés en médaillon enfilé dans une grosse épingle de sûreté, une vingtaine de médailles une petite fortune à nos yeux le tout remis au s/lieutenant, des papiers, documents etc,, cela nous change des patrouilles monotones.
Le 4 mars nous emmenons nos jeeps en révision, vidange et peinture au service garage. Nous y restons trois jours libres de corvée que je déteste (les pluches et la garde)
De nouveau nous partons en vitesse l'Escadron au complet sur la casbah pour une fouille minutieuse, tout le périmètre est bouclé par des unités non paras fermant les issues par des rouleaux de fil barbelés.
Le travail peut commencer méthodique dans chaque rue, chaque passage, les portes qui refusent de s'ouvrir à l'injonction des paras, sont systématiquement ouvertes de force, des passages secrets se dévoilent dans ce labyrinthe de couloirs voûtés, reliés entre-eux, dans des pièces des vieillards dans une pénombre où ne filtre qu'un rai de lumière, de vraie niche à chien, une impression oppressante des lieux, se sont des coupe-gorges, les cris et les engueulades en arabe, nous portent sur les nerfs, la tension est palpable.
Daniel Belot étant de la partie avec un autre groupe, ouvre les portes récalcitrantes d'un élan de sa grande carcasse, il percute la porte qui cède et va s'étaler dans un panier d'œufs, il en ressort dégoulinant au grand dam de ses copains, les quolibets fusent.
Pas de bombe ni d'imprimerie clandestine, et pourtant, les terroristes sont là, mais les caches invisibles, seront démasquées plus tard suite aux investigations et aux renseignements du deuxième bureau.
Des dénonciations des retournements de veste de fells qui seront récupérés et serviront dans les rangs de commandos harkis, terriblement efficaces dans le démantèlement des filières, caches, groupuscules.
Pendant ce temps là, la presse fait la première page des évènements et des résultats obtenus par le 3eRPC et son chef. Le colonel Bigeard et ses officiers travaillent d'arrache pied, l'organigramme de la rébellion prend forme, les responsables tombent les uns après les autres.
L'arrestation de Ben M'Hidi chef du secteur d'Alger, âme de la résistance, âgé de 34 ans est un fanatique, il se bat pour l'indépendance de son pays, Bigeard aura de longues conversation avec ce dernier, et va devenir presque un ami car ses idées sont sincères.
Mais le sort en décidera autrement.Réclamé par Massu, on le retrouvera pendu dans sa cellule.Le service de renseignement organisé par le capitaine Fréquelin du 3e RPC met en route avec une efficacité certaine l'organigramme, impliquant les commandants de compagnies responsables de leur secteur d'investigation, comme notre Escadron s'occupant du secteur malfrats.
Notre compagnie interviendra de nombreuses fois pour des arrestations musclées sur des souteneurs et racketteurs, puis envoyés au 2eme bureau pour leurs faire livrer d'autres complices.
Nous sommes très estimés de la population, je suis invité à prendre un repas dans une famille pied-noir, reçu avec gentillesse, je suis impressionné par la prestance de ces personnes qui ne sont pourtant pas des gens aisés, la fille de la maison plus âgée que moi me fait visiter la demeure, nous parlons de la France de notre climat, et aussi des évènements actuels, ils sont pessimistes quant à leur avenir, je repars après embrassades pleines d'affection, les bras chargés de cadeaux en demandant de revenir, mais cela ne se fit pas, notre départ étant programmé pour d'autres aventures.
Le 20 mars, l'annonce d'un départ pour le djebel me fait bondir de joie, car si certains ont fait connaissance avec des filles du coin, c'est avec une grande tristesse qu'ils se voient obligés de couper court à leurs idylles; beaucoup dans l'année 1958 se marieront à El Biar ou dans d'autres localités des environs d'Alger et resteront une fois leur contrat terminé, en Algérie avec un travail assuré pour les quatre années à venir.
1962 les verra faire un adieu à cette terre où ils ont tant souffert sur les pistes du Nord au Sud et d'Est en Ouest, puis trouveront le bonheur dans les bras d'une belle pied-noir.-0-0-0-0-0-0-0-0-0-0-[*]Zéralda: village de 3000 habitants fondé en 1844,en 1955 implantation du 1er R.E.P dans la forêt de pins.
[*]1er R.E.P: Régiment Etranger de Parachutistes créé en 1948 et à sa tête le Lt/Colonel Jeanpierre indicatif « Soleil » mort au combat le régiment dissous en 1961 suite au putsch des généraux..
[*]« Bir-Hakeim » capitaine Florès de la 4e compagnie, ancien de la Bataille de Bir-Hakeim d'où le surnom.