Danemark : quand les gangs deviennent djihadistes
Au Danemark, le phénomène des gangs se transforme en terreau du djihadisme. Avec un risque de violences multiplié. De nombreuses zones d'ombre restent à éclaircir sur le parcours d'Omar Hamid El-Hussein, le suspect des attentats de Copenhague au Danemark. Le jeune Danois de 22 ans a tué deux personnes et en a blessé cinq autres, dans deux fusillades à quelques heures d'intervalle, le week-end dernier. La police l'a abattu dans la nuit de samedi à dimanche.
Immédiatement, la Premier ministre Helle Thorning-Schmidt a qualifié ces attaques de "terroristes". Les enquêteurs ont expliqué que l'auteur des coups de feu avait pu être "inspiré" par des groupes comme l'Etat islamique, soulignant la similarité avec les attentats du mois de janvier en France.
El-Hussein, des gangs au djihad.Omar Hamid El-Hussein était emprisonné pour avoir poignardé à plusieurs reprises un jeune homme de 19 ans et était sorti de prison 15 jours avant les attaques.
Son appartenance au gang Brothas a rapidement été révélée, mais il a fallu plusieurs jours pour apprendre que le tireur avait effectué un virage vers la radicalisation lors de sa détention.
Auprès d'autres prisonniers, Omar Hamid El-Hussein avait tenu des propos antisémites très violents et était donc surveillé par la police pour ses tendances djihadistes. Sur son compte Facebook, le jeune homme avait partagé des vidéos et des statuts en lien avec l'organisation Etat islamique, dont il semblait se réclamer.
Depuis sa sortie, un membre de son ancien gang a affirmé à la presse danoise qu'il avait rompu tout lien avec ses anciens amis.
Les gangs à la danoise ... Les gangs ne sont pas un phénomène nouveau dans le pays scandinave. Dès les années 80, les Hell's Angels, un club de motards né en Californie, s'implantait à Copenhague dans le sang, comme le racontait Libération.
Dans les années 2000, la guerre fratricide des motards s'est étendue. Les bastonnades et fusillades ont commencé à faire des victimes dans des gangs de jeunes immigrés de première ou deuxième génération, suscitant un climat de peur chez les habitants de la capitale danoise, même si eux sont restés physiquement épargnés par la guerre entre bandes rivales.
A Copenhague, le quartier de Nørrebro, où s'était caché le suspect, était réputé pour abriter les QG de nombreux gangs. Entre les groupes criminels et le djihadisme, le Danemark découvre avec Omar Hamid El-Hussein l'ampleur de liens inquiétants, dont les fils se tirent à partir d'un militantisme islamique.
… sur un terreau militant. En parallèle de cette violence de rue, le Danemark abrite un militantisme radical profond. Hizb ut-Tahrir, un groupe né en Jordanie d'une scission d'avec les Frères musulmans, représente ce mouvement politique généralement non-violent, explique à Europe 1 Jytte Klausen*, professeur danoise de coopération internationale, chercheuse à l'université Brandeis du Massachussets aux Etats-Unis.
Ces militants se réclament souvent d'un salafisme dérivé de l'idéologie d'Al-Qaïda, précise l'universitaire. "Désormais, et c'est un phénomène nouveau, on voit une convergence entre les gangs et ces groupes profondément radicalisés", dit-elle en soulignant la dangerosité de cette fusion.
"Les militants ont l'expérience du combat politique. Les gangs, celle d'une escalade rapide de la violence. On voit une fusion entre deux groupes dangereux, mais dangereux différemment : des gens qui parlent et des gens qui agissent. Cela augmente le niveau de menace." Pourtant, les membres de gang abandonnent souvent la criminalité de rue et le trafic de drogue - un poste de finances important - en s'intéressant au djihad. Car un des principes importants professé par ces groupes est la sobriété. Mais les réseaux d'accès aux armes restent.
Big A, gangster djihadiste. Parmi les figures marquantes de ce rapprochement, Big A (Store A en danois), le chef d'un des gangs du quartier de Nørrebro, s'est engagé dès 2012 dans la guerre civile syrienne. Le quadragénaire a combattu auprès d'Ahrar al-Sham, un groupe armé salafiste qui prône l'instauration d'un califat.
A son retour de Syrie, la police danoise l'a gardé dans son collimateur, mais a estimé que les preuves pour l'inculper sont insuffisantes. Il est aujourd'hui incarcéré pour violences sur sa compagne.
Combien sont-ils, comme Big A, à avoir franchi le pas du djihadisme en Syrie ou en Irak ? Difficile de le savoir. Selon les autorités, une centaine de Danois sont partis en Irak ou en Syrie, mais tous n'étaient pas affiliés à des gangs. Le plus inquiétant, pour Jytte Klausen, est encore la radicalisation qui s'opère en prison, comme dans le cas d'Omar Hamid El-Hussein.
L'an dernier, 39 détenus ont été désignés à risque par les services pénitentiaires danois.
Un nombre qui, vu de France, peut paraître faible. Mais, rappelle la chercheuse, "le Danemark est un pays de 5,5 millions d'habitants. 39 djihadistes potentiels, sans compter ceux partis en Syrie, c'est beaucoup".
Rapportés à la population, les Danois constituent en effet le deuxième contingent de djihadistes étrangers en Syrie. *Jytte Klausen est l'auteur de Les cartoons qui ont ébranlé le monde, ainsi que Le défi islamique : politiques et religion en Europe occidentale.