Le plaisir du soldat en Indochine (1945-1954) Fumerie-opiumLe sujet de cet article se heurte à de nombreuses difficultés à cause de sa richesse et de l’attitude des témoins. Dans l’historiographie de la guerre d’Indochine, la vie sexuelle des combattants du C.E.F.E.O. appartient aux thèmes quasiment inexplorés (...) comme si on considérait ce genre de travail comme mineur.
Pourtant, la satisfaction du repos du guerrier remplit de très nombreux cartons d’archives (Service de santé, Service social, rapports de commandement et de police, synthèses sur le moral...), ce qui montre bien l’importance du problème dans son ensemble.
D’eux-mêmes, les anciens combattants évoquent très peu ces questions. (...)
Il faut donc se contenter des archives officielles et des témoignages des cadres européens.
Fantasmes, réalités et constat Les premiers partants de la période 1945-1947 ne disposèrent pratiquement d’aucune information sur les Indochinoises. S’embarquaient des hommes insouciants, imaginant des femmes plutôt belles.
« au teint jaune, aux yeux bridés, aux longs cheveux noirs ». Les combattants du C.E.F.E.O., jeunes et célibataires pour une grande majorité, furent immédiatement conquis par les Indochinoises, surtout par les charmes des Vietnamiennes que d'aucuns appellent d'ailleurs encore les Annamites.
Le plaisir du soldat prenait d'innombrables nuances selon les grades, les troupes, les zones de guerre et les lieux de stationnement.
Les personnels féminins français étaient pratiquement une chasse gardée des officiers d'état-major. Les combattants trouvèrent l'assouvissement de leur libido auprès des prostituées régulières, clandestines, pensionnaires des B.M.C. et auprès des congay.
Les conséquences de la guerre (déplacements, destruction de villages, veuvage) firent exploser la prostitution clandestine, non médicalement surveillée.
Le Dich Van, service de la guerre psychologique du Vietminh, enrôla de nombreuses jeunes femmes comme agents de renseignements et comme propagandistes, pour tenter de démoraliser des combattants et les inciter à la désertion.
L'encongaillageL'encongaillage, qui signifie avoir des relations suivies et privilégiées avec une autochtone, participait à l'adoucissement du quotidien du soldat.
Souvent autour des postes, dans le cadre de la pacification, mais aussi dans les villes, des liens étroits se nouaient entre une Indochinoise et un militaire du C.E.F.E.O., car cela toucha toutes les composantes des T.F.E.O.
Certaines étaient louées à la semaine ou au mois, d'autres appartenaient quasiment au poste.
Quand un titulaire partait, la congay faisait partie de l'héritage du suivant.
Ce système fut très souvent interdit mais la répétition des notes de service et la distance entre le réglementaire et les habitudes firent que l'encongaillage devint un corollaire des TFEO.
Il permettait de donner aux hommes une certaine stabilité affective, d'éviter la fréquentation des prostituées clandestines, de tisser des liens avec les villageois dans le cadre de la pacification.
On vit même des chefs d'unité obligés de prendre une femme indigène pour pouvoir lever des hommes dans les villages.
La congay était donc, le plus souvent, une marchandise d'échanges.
L'encongaillage, enracina les combattants dans le pays, leur permettant de tenir dans les secteurs les plus perdus.
À plusieurs reprises, les responsables militaires interdirent l'encongaillage, menaçant les militaires de punitions et les autochtones d'être considérées comme des prostituées clandestines.
Mais les commandements locaux l'acceptaient à condition que la femme soit surveillée médicalement.
Sans une présentation volontaire de sa part au Service de santé, elle pouvait être considérée et traitée comme une prostituée clandestine.
Le B.M.C. Dès 1946, le système des B.M.C. devint la solution privilégiée.
Au sein des bordels militaires de campagne (BMC), contrôlés par l'armée, les pensionnaires étaient soumises à deux visites médicales hebdomadaires.
Les uns étaient fixes, attachés à une base ou à une localité, les autres appartenaient en propre à une unité, et certains se déplaçaient de poste en poste.
On vit même des B.M.C. provisoires comme ceux qui existèrent à Nasan et à Diên Biên Phû.
Il y en avait pour les hommes de troupe, d'autres pour les sous-officiers, et quelques-uns étaient réservés aux officiers.
Le B.M.C. était un petit monde très organisé avec ses règlements, son personnel et ses modes de fonctionnement très précis.
Les pensionnaires se recrutaient parmi les autochtones mais, pour satisfaire les soldats d'Afrique, on fit venir des femmes du Maghreb.
Les B.M.C. permirent de faire face aux épidémies de maladies vénériennes ; on relève néanmoins des pathologies contractées en leur sein.
Les hommes fréquentaient le B.M.C. en même temps que des prostituées clandestines et répandaient ainsi les affections tout en se dédouanant auprès de leurs supérieurs, puisque tout malade infecté hors d'un B.M.C. était puni.
L'arrivée du B.M.C. dans les postes, réjouissait les cœurs, et, au contraire, tout retard agaçait les personnels qui avaient encore plus l'impression qu'on ne prenait pas assez soin d'eux.
L'irrégularité de la venue du B.M.C. déterminait des sautes d'humeur et des formes de mauvais esprit, voire de l'irritabilité.