Le chant militaire français
Un patrimoine vivantLe chant militaire reste un domaine complètement inexploré de l’histoire militaire française.
Il est pourtant une source de renseignements de premier ordre sur le soldat, de son attitude face à la société, à la guerre, à la mort…
Malgré l’importance de son rôle dans la formation des personnels et l’entretien de la cohésion, le chant militaire se transmet toujours exclusivement par tradition orale, pratique hors du cadre réglementaire. Si chaque époque a ses chants spécifiques, certains morceaux se maintiennent à travers les siècles, apportant poésie et musique dans un milieu qui laisse peu de place à la fantaisie. On trouve généralement deux grands types de chants militaires, les chants destinés à la distraction des fatigues de la marche ou au bivouac ; ceux exprimant une idéologie militaire et chargés de contribuer à la cohésion des unités. Si le répertoire reste mal connu, son rôle et son influence sont aussi sous-estimées. Par exemple, ces dernières décennies, le chant militaire a acquis un rôle protoclaire qu’il n’avait jamais eu auparavant. Il peut ainsi suppléer à la disparition des musiques régimentaires et maintenir le décorum indispensable aux cérémonies militaires. Mais les répertoires se nourrissent d’influences qui se jouent des modes et des frontières. À cet égard, la confrontation des répertoires militaires des ramées qui se sont combattues ou ont été alliées ouvre des perspectives de recherches historiques et musicologiques novatrices.Le chant militaire français est resté en dehors de toutes les campagnes de collecte du chant populaire engagées depuis le milieu du xixe siècle.
Ces campagnes avaient été lancées pour sauvegarder ce patrimoine en voie de disparition devant les grandes mutations de la société française qu’ont été l’exode rural et l’industrialisation. Le chant militaire ne constituant pas un répertoire en danger, nul ne s’était inquiété d’en dresser un inventaire. L’intérêt aurait pu être relancé dans la première moitié du xxe siècle qui a vu les instruments de reproduction du son faire disparaître complètement la chanson populaire. En fait, le répertoire militaire a continué de s’élargir de manière autonome à cause du rôle indispensable qu’il joue auprès du soldat.
Pour assurer la sécurité du pays, l’armée doit préparer les soldats à affronter la peur et la mort. Le chant a développé un univers de poésie et de musique qui permet de surmonter ces épreuves particulières.
Mais il pose le problème de sa délimitation. Il apparaît en effet à son étude que ce répertoire est en constante mutation, au gré de goûts et de critères qui lui sont propres, et sans être vraiment coupé des modes musicales de son temps. On constate qu’il fait des emprunts fréquents à la chanson populaire, mais aussi à des mélodies étrangères. Répertoire de métier et répertoire populaire, ces chants se sont toujours transmis par tradition orale. Les recueils ne servent que d’aide-mémoire puisqu’ils ne sont qu’exceptionnellement publiés avec les partitions. L’absence de collectes et d’enquêtes musicologiques pose le problème des sources et de la fiabilité de l’image qu’elles donnent du répertoire d’une époque déterminée. De plus, non seulement ce dernier évolue dans sa thématique et ses mélodies, mais le rôle du chant lui-même au sein de l’institution militaire peut changer comme c’est le cas actuellement. Son histoire et son évolution est liée à la fonction particulière du soldat qui est appelé à donner la mort et risque de la recevoir. L’émotion intense née de la confrontation avec la mort, ainsi que la fraternité des soldats dans les épreuves, créent cette alchimie qui permet le développement d’un répertoire de chants puisant ses racines dans la nuit des temps historiques.
Définition du répertoireAvant d’entreprendre un inventaire du répertoire militaire, il faut définir le domaine d’investigation en répondant à la question : qu’est-ce qu’un chant militaire ?
Si l’on peut assez facilement cerner la liste des chants actuellement en usage, cela devient beaucoup plus difficile dès que l’on remonte dans le temps.
Car il existe des chants spécifiquement militaires, pendant que d’autres sont empruntés à différents répertoires (chanson contemporaine, scout, chant grivois, etc.).
Trois jeunes tambours 1 qui figure maintenant dans les chants enfantins a d’abord été un véritable chant militaire, tout comme Malbrough s’en va-t-en guerre 2. Comment classer la quantité de chansons à thèmes militaires que l’on retrouve en abondance dans les chansonniers des provinces ? Le cas des chants de conscrits est à cet égard significatif car ce sont d’authentiques chants populaires mais manifestement ils débordent sur le répertoire militaire comme l’atteste le plus célèbre d’entre eux Le conscrit du Languedo 3. Rentrer dans le détail des répertoires ne simplifie pas la question, car on sait que les légionnaires ont des chants différents de ceux des troupes de marine ou de la cavalerie, de plus, certaines unités peuvent avoir créé ou emprunté des chants pour leur usage propre. Il n’est pas anecdotique d’apprendre par exemple que le chant des lieutenants du 1er bataillon étranger de parachutistes (BEP) à la fin de la guerre d’Indochine était Quand un soldat 4, composé par Francis Lemarque et créé par Yves Montand en 1953. Dans un esprit différent, le 1er régiment étranger de parachutistes (REP) reprendra la chanson popularisée par Édith Piaf à la fin de la guerre d’Algérie, Je ne regrette rien 5. Plus récemment, on pourrait citer le cas de La blanche hermine 6 de Gilles Servat, cette chanson d’auteur est maintenant adoptée par les soldats. Ils ne font que poursuivre une longue tradition d’emprunt aux chansonniers. Au xviiie siècle, il s’agit par exemple de La bataille de Fontenoy 7 dont les paroles sont écrites sur le timbre en vogue à l’époque de Catiau dans son galetas ou encore Dans les Gardes françaises 8 du chansonnier Jean-Joseph Vadé. De plus, il ne faut pas limiter le répertoire aux chants des fantassins, même si ce sont les troupes les plus nombreuses, car les marins disposent aussi de leur propre répertoire. Depuis la disparition de la voile il a en grande partie disparu, néanmoins, il en subsiste quelques-uns qui sont d’authentiques chants de la Royale (Au trente-et-un du mois d’août 9, À Brest la jolie 10, Le corsaire le Grand coureur 11, etc.). Les élèves de l’école navale ont leurs propres chants comme toutes les écoles d’officiers (La légende du Borda 12, Le testament de la Bouline 13, La lettre d’Édith, 14etc.). Pour ne rien oublier, il faut citer aussi les cantiques religieux attestés par les chroniques dès le haut Moyen Âge que ce soit le Vexilla regis 15 composé en 569 ou plus tard le Veni creator Spiritus encore chanté par les routiers de Jeanne d’Arc allant délivrer Orléans. Ces quelques exemples permettent de saisir l’ampleur et d’avoir un aperçu de la richesse d’un répertoire bien vivant en constante mutation, mais qui ne se laisse pas enfermer dans un cadre définitif.
Les sources du chant militaireL’approche la plus courante de ce répertoire se fait naturellement par le contact avec le milieu militaire.
Généralement, c’est par la conscription que la majorité des Français ont appris quelques chants. Dès les classes, qui permettent de donner l’instruction de base aux nouvelles recrues, des chants sont enseignés. C’est-à-dire pendant les toutes premières semaines du service, preuve de l’importance qui est attribuée au chant dans la formation.
Cette première approche manifeste que le chant est d’abord une tradition orale.
Les chants appris ne seront donc pas les mêmes suivant les unités et les époques. Des différences considérables sont constatées qui montrent l’évolution du répertoire. Cette transmission orale reste la première source d’informations concernant celui-ci. Malgré la suppression de la conscription, elle conserve toute sa valeur, par les témoignages de ceux qui sont passés sous les drapeaux et par les personnels engagés qui maintiennent la pratique du chant.
La deuxième source réside dans l’étude des recueils de chants militaires.
Certains sont régimentaires, généralement élaborés dans les unités à usage exclusivement interne. Ils ne sont pas mis dans le commerce et ne font pas l’objet d’un Dépôt légal, comme c’est la règle pour toute publication, ou d’une conservation dans les archives militaires. Ce sont des documents consommables, il est donc difficile d’y avoir accès.
D’autres, commercialisés, peuvent être retrouvés dans les bibliothèques.
Réalisés le plus souvent par des militaires, ils présentent une sélection de chants qu’il faut replacer dans leur contexte. Ces ouvrages sont relativement peu nombreux. Le plus ancien chant de soldat imprimé avec sa musique se trouve dans les Cantilènes B de Petrucci, publiées à Venise en 1503 ; il s’agit de Réveillez-vous Picards 16. Il n’existe pas, à notre connaissance, de véritable recueil de chants de soldats antérieur à la Révolution. Néanmoins, on peut retrouver certains de ces chants dans les éditions de chansons populaires commercialisées par Ballard au xviiie siècle. La Révolution va intensément utiliser la chanson, mais la fièvre retombe dès l’Empire et il faut compulser les mémoires des soldats de la Grande Armée pour retrouver des allusions à leurs chants. Le seul travail important est réalisé par Georges Kastner en1855 avec son Essai historique sur les chants militaires des Français 17. Même s’il ne fournit pas les partitions, son ouvrage est la première sur le sujet. À la fin du xixe, nous disposons du livre du major Sarrepont, puis de celui de Joseph Vingtrinier en 1902. Botrel lance avant la Grande Guerre le périodique La bonne chanson du soldat, des recueils avec partitions sont commercialisés. En 1930, le capitaine Lehuraux publie ses chants et chansons de l’armée d’Afrique. En 1940, la France est traumatisée par la défaite, ses nouveaux gouvernants vont vouloir régénérer la jeunesse par le chant populaire. S’appuyant sur les travaux de Patrice Coirault et Joseph Canteloube, le secrétariat d État à la Guerre fait publier deux volumes de chants militaires avec leurs partitions harmonisées par les éditions Chiron en 1942 et 1943. De plus, de nombreux recueils sont diffusés dans les chantiers de jeunesse. L’impact de cette initiative n’a jamais été mesuré par les historiens de la chanson, mais il se fera sentir jusque dans le courant folk des années soixante-dix et encore de nos jours. Après la guerre, de nombreux chansonniers vont faire revivre les vieilles chansons populaires françaises ainsi redécouvertes, Les compagnons de la chanson, Jacques Douai, Colette Renard, Yves Montand, Les frères Jacques, Les quatre barbus. Plus tard, ce seront Serge Kerval, Lionel Rocheman qui seront suivis par Malicorne, Tri Yann, Alan Stivell et bien d’autres. Les chorales « À Cœur joie » de César Geoffray qui ont essaimé dans toute l’Europe en sont les héritières. C’est l’ensemble de la chanson populaire et pas seulement le chant militaire qui est concerné. Cette politique se situait dans la ligne de l’enseignement de la chanson tel qu’il était pratiqué par les instituteurs des écoles de la fin du xixe siècle. Le clairon de Déroulède figurait alors sur les couvertures des cahiers scolaires et Maurice Bouchor revoyait les paroles des manuels de chansons destinés aux élèves. Les deux recueils de chants militaires publiés par Chiron seront réunis et complétés pour une nouvelle édition conçue par le capitaine Lamaze en 1961.
Au xixe siècle, certains musicologues comme Julien Tiersot 18 évoquent le chant militaire dans leurs ouvrages, surtout d’un côté historique, en présentant les chants anciens.
Les chapitres que Paul Olivier consacre aux chants des soldats dans Les chansons de métiers 19 constituent manifestement les résultats d’une authentique mais succincte collecte. Depuis, il semble qu’une espèce de prévention ou de manque de curiosité intellectuelle empêche les musicologues de se pencher sur le répertoire militaire.
La seule véritable enquête sur les chants des soldats est réalisée par le chef de musique Léonce Chomel qui regroupera sa collecte dans trois importants volumes manuscrits déposés à la bibliothèque du musée de l’Armée en 1912.
Ils fournissent un état du répertoire militaire à la veille de la Grande Guerre. Ce travail se rapproche plus de la troisième source dont nous disposons sur ce répertoire et qui réside dans les carnets manuscrits des soldats. Ils présentent un intérêt particulier car les chants consignés ont été sélectionnés par le rédacteur. En effet, chez les soldats, l’usage a longtemps été répandu au cours des siècles passés de recopier dans des cahiers les chansons qu’ils avaient l’occasion de chanter. Cet usage devait être forcément limité compte tenu du fait que la majorité des soldats sont illettrés jusqu’au xixe siècle. Néanmoins, le plus ancien recueil manuscrit de chansons de soldats remonte à la fin du xviiie siècle. Il s’agit du chansonnier Berssous, certainement rédigé par un soldat des gardes suisses. Les guerres révolutionnaires donnent les premiers mémoires d’officiers et il faut attendre la Première Guerre mondiale pour trouver ceux de simples soldats. À leur lecture, et quelle que soit l’époque, on constate une grande différence avec les chants des recueils imprimés. Car seuls 30 % des chants sont communs. Ce qui signifie que 70 % du répertoire des soldats ne figurent pas dans les recueils imprimés. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce constat, tout d’abord une sélection a été opérée lors de la réalisation d’un ouvrage imprimé. Les chansons trop banales et grivoises ont été éliminées, de même celles empruntées aux chansonniers à la mode. D’un autre côté, les rédacteurs de cahiers ont ajouté des chansons qui leur plaisaient sans qu’elles aient jamais été chantées dans le cadre militaire. Le disque et la radio vont supplanter la pratique traditionnelle de la chanson dans l’entre-deux-guerres. Auparavant, elle était un moyen de distraction populaire et l’usage de cahiers de chansons pour mémoriser les paroles était très répandu.
Enfin, la quatrième source réside dans les enregistrements.
Ils ne nous renseignent que sur le répertoire moderne puisqu’il est difficile de remonter au-delà de la Deuxième Guerre mondiale. Néanmoins les pressages disponibles sont très précieux pour apprécier l’évolution du répertoire en même temps que la façon d’interpréter les chants. Si les disquaires ne réservent plus aujourd’hui de bacs aux productions militaires, dans les années soixante, les éditions Decca diffusaient une collection de plus de quatre-vingts titres militaires. Président avait à son catalogue une douzaine de titres de chants parachutistes, on en trouvait aussi chez Philips, VégaouLumen, etc. D’autres éditeurs ont par la suite continué à commercialiser ce genre musical, notamment Janeret et la Serp. Actuellement, on trouve des titres chez Corélia et Oméga. Le croisement de ces sources documentaires permet de préciser l’étendue du répertoire sans pouvoir, sauf témoignage précis, obtenir de certitude quant aux morceaux effectivement chantés lors d’un événement déterminé.
Les influences populairesLe chant militaire n’est pas un répertoire qui survit en circuit fermé, bien au contraire, il a toujours procédé à des échanges avec les répertoires populaires.
Les premiers recueils dans lesquels figurent des chants de soldats sont des manuscrits et offrent surtout des chansons populaires (chansons d’amour et chansons à boire). Mais les soldats vont toujours s’inspirer des créations des chansonniers à la mode de leur temps. On l’a vu pour Gilles Servat et La blanche hermine, on peut aussi citer Tri Yann et Guerre, guerre, vente, vent 20. On connaît la popularité d’Édith Piaf chez les légionnaires et les coloniaux qui adoptèrent plusieurs de ses chansons. À l’époque de son rayonnement, le café-concert a fourni des quantités de chansons pour les soldats, dont la plus célèbre est Quand Madelon, mais on peut citer : Les cailloux, Les godillots 21, Sur la route de Dijon, Le rêve passe 22, En revenant de la revue 23 ou L’Alsace et la Lorraine 24 parmi de très nombreux autres titres. Les chansonniers comme Aristide Bruant Le 113e de ligne, Serrez vos rangs 25, La Noire 26 etc., Théodore Botrel Rosalie 27, Le petit Grégoire 28, Kergariou 29, etc. Après la défaite de 1870, une des figures de la reconquête des provinces perdues est le poète et homme politique Paul Déroulède, auteur en 1871 des Chants du soldat, ouvrage qui connaîtra de multiples rééditions où l’on trouve Le clairon 30. Avant le café-concert, ce sont les goguettes, ces débits de boissons populaires, qui donnent le ton. Le petit peuple parisien vient y pousser la chansonnette, rapidement imité par les soldats. On y reprend les chansons de Debraux (La colonne 31, Te souviens-tu ? 32 etc.) et de Béranger (Le vieux drapeau 33, Les Gaulois et les Francs 34 etc.). Ces lieux de rassemblement ne font que perpétuer une vieille coutume de la monarchie qui avait vu le pont Neuf devenir le grand centre de la vie chansonnière française depuis le début du xviie siècle jusqu’à la Révolution. Quantité de morceaux y sont lancés et les plus grands chansonniers participent au mouvement. Favart avec La marche du Royal-Soissonnais 35, Vadé qui écrit Dans les Gardes françaises 36, le grand François-Joseph Panard et sa célèbre chanson Le grenadier 37, sans oublier l’abbé de l’Atteignant auteur de la toujours vénérée Fanchon 38.
Si l’on retrouve encore des chansons du xvie et même plus anciennes, elles restent trop peu nombreuses pour permettre de se faire une idée précise du répertoire. On chante encore La Piémontaise 39, Réveillez-vous Picards et la Chanson des adventuriers 40 et Le roi Renaud 41. Hersard de La Villemarqué a exhumé Le chant du glaive 42, improprement nommé par certains Le vin gaulois. Mais on ne peut plus chanter des chants de légionnaires romains, comme Mille, mille 43, car s’il nous reste les paroles, la musique a disparu.
Les différents rôles du chant militairePendant longtemps, le chant militaire a eu deux rôles principaux :
Soutenir l’effort durant les déplacements des soldats et maintenir la cohésion. Les armées se déplaçaient uniquement à pied par tous les temps et les fantassins étaient chargés de leur paquetage, de leur arme avec munitions. Il était alors indispensable de chanter pour oublier les fatigues de la marche. Ce rôle a été essentiel pendant des siècles et c’est lui qui a permis la transmission du répertoire.
Le musicologue Julien Tiersot soulignait ce rôle en 188944 :
« Dans les marches libres, au pas de route, lorsque les tambours et les clairons n’astreignent pas les soldats à marcher d’un pas uniforme, ceux-ci, de groupe en groupe, se chargent eux-mêmes, par leurs chants, de suppléer au silence des instruments. »
Les chansons de marche sont très nombreuses et n’ont bien souvent que des paroles très ordinaires et même parfois grivoises quand la fatigue est trop grande. Voici quelques titres : L’as de carreau 45, Les cailloux 46, Eh ! voyez-vous là-bas, Et pourquoi n’en ririons-nous pas 47, Gardons courage 48, J’ai un pied qui remue 49, Un jambon de Mayence, J’ai perdu le do de ma clarinette, Ous qu’est Saint-Nazaire 50, etc.
L’autre rôle séculaire du chant est de maintenir la cohésion des unités.
Ce rôle est souligné dans les deux éditions du TTA 10751 qui constituent le recueil de chant officiel de l’armée française. » Tout cadre doit en effet être conscient que le chant est la première manifestation de la cohésion d’un groupe : il concrétise l’esprit d’équipe ; il est le lien de l’unité dont il reflète l’âme », avant-propos du TTA 107, éditions de 1980 et 1985. Nombreux sont les chants qui ont été composés pour distinguer une unité des autres. Il s’en crée toujours notamment dans les écoles où chaque promotion veut son propre chant. Mais cette pratique est ancienne ; on connaît La marche des bonnets à poils 52 ou Les dragons de Noailles 53, au xixe siècle, nous avons encore La marche du 1er zouave 54 ou Le chant des chasseurs d’Afrique 55. Plus près de nous, nous pouvons citer La marche du bataillon de choc 56 et Le chant du 8e RPIMa 57, mais les exemples abondent.
Et ils ont pris plus d’importance avec le nouveau rôle qu’est amené à jouer le chant militaire en ce début du xxie siècle.
En effet, si le rôle du chant dans les déplacements a tendance à disparaître du fait que tous les grands mouvements de troupes se font en véhicule ou en avion, le chant a, en revanche, trouvé un nouvel espace d’expression depuis quelques années.
Malgré la progressive disparition des musiques régimentaires, il était nécessaire de maintenir la solennité et le faste des cérémonies militaires. Les soldats ont donc utilisé le chant dans les prises d’armes pour pallier l’absence de musiques. La mise en place et le défilé des unités se fait de plus en plus en chantant. Le chant a donc acquis un rôle protocolaire. Cette pratique est relativement récente. L’usage de défiler au pas en chantant remonte au début de l’occupation et a été emprunté à l’armée allemande. Auparavant, les régiments français disposaient tous de leur musique régimentaire. Mais la découverte de ce nouvel emploi du chant a fortement impressionné les militaires et cette pratique s’est immédiatement répandue dans l’armée et les chantiers de jeunesse. D’abord utilisé pour les entrées et sorties des quartiers, cet usage s’est étendu aux rassemblements puis aux cérémonies. Il s’est développé parallèlement à un autre type de chant qui est le chant de tradition régimentaire. Si celui-ci n’est pas totalement nouveau, sa généralisation reste récente puisque tous les régiments ne disposent pas encore d’un chant spécifique.
Cet emprunt à notre voisin germanique est passé totalement inaperçu puisque plus personne ne se souvient maintenant de son origine.
Il faut peut-être y voir une des raisons pour lesquelles de nombreux airs d’outre-Rhin sont utilisés dans le répertoire français moderne. L’armée française a toujours compté des soldats étrangers dans ses effectifs. Cela depuis son origine. Ce sont des mercenaires suisses qui servirent d’instructeurs aux premières unités permanentes créées au xvie siècle. Les Suisses qui furent fidèles à la monarchie, la République et l’Empire seront encore là lors de la constitution de la Légion étrangère. Le chant des Adieux suisses 58 reste le témoignage de leur engagement. Les autres unités étrangères ne laissèrent pas de traces chantées de leurs combats aux côtés des soldats français. Pourtant, sous la monarchie et sous le Premier Empire, elles furent nombreuses et variées.
Le témoignage d’influences étrangères n’apparaît dans le répertoire qu’à partir de la fin du xixe avec les légionnaires d’origine allemande.
Cette influence se maintient dans l’entre-deux-guerres avec notamment La Colonne 59, Anne-Marie 60 et Monica 61, mais acquiert une autre dimension pendant la guerre d’Indochine. Ce conflit engendre un style de chants totalement nouveau. Sans rentrer dans le détail de l’origine des paroles de chaque chant, on peut néanmoins remarquer qu’ils se caractérisent d’une part, par leur mélodie d’origine germanique, d’autre part, par des paroles à la thématique plus idéologique. L’idéologie n’avait fait son apparition dans le répertoire militaire qu’avec la Révolution pour disparaître ensuite. La politique fait une nouvelle incursion fugace dans le chant militaire au moment de la Libération. Mais suivant cette tendance, les soldats d’Indochine ont voulu donner un sens aux paroles de leurs chants qui marquent une rupture avec ce que chantaient leurs prédécesseurs en 1914 : Quand Madelon 62, Les cailloux, Vive le pinard 63, etc., et en 1940 : Sur la route de Dijon 64, Y’a qu’un casque sur la tête au biffin 65, Le sire de Framboisy 66, etc. Pour des raisons historiques liées à l’éloignement de la métropole, à l’attitude du pouvoir politique et au développement de l’antimilitarisme, les soldats du corps expéditionnaire et surtout les légionnaires, ont voulu exprimer dans leurs chants les motivations de leur combat. Si les légionnaires créent ces chants, c’est d’abord pour eux. En effet, il n’y a aucun exemple antérieur de reprise de leurs chants par d’autres unités. De plus, ces emprunts ne vont concerner que certains d’entre eux. Les plus caractéristiques de cette époque sont Contre les Viets 67, Képi blanc 68 et La Légion marche 69. Conservant la thématique ancienne, on peut citer Oh la fille 70 et Véronica 71. Mais tous ces chants empruntent leur mélodie au répertoire germanique. Sauf pour les deux derniers, les paroles sont originales et révèlent les nouvelles préoccupations du soldat. D’ailleurs, la manière de chanter est adaptée à des chants qui se veulent plus chargés de sens alors que les chants germaniques gardent une signification classique plus destinée à distraire le soldat.
C’est seulement à partir de la guerre d’Algérie que les parachutistes vont s’inspirer de ce nouveau style pour créer leur répertoire.
S’ils reprennent encore des airs allemands, ils sauront aussi composer de nouvelles mélodies en conservant un rythme solennel Rien ne saurait t’émouvoir 72, Dans la brume la rocaille 73,Chant du 8e RPIMa, Ceux du Liban 74. La raison de l’adoption de ces airs germaniques est à chercher à la Légion. En effet, elle est la seule troupe à même de tester les répertoires de chants de soldats du monde entier. Depuis la fin du xixe siècle et surtout après la Grande Guerre, elle avait remarqué l’efficacité de ces mélodies. Elle n’a pas pris en compte les chants espagnols, dont certains sont pourtant très beaux, ni de chants anglais, belges ou suisses. Elle a seulement retenu quelques chants russes et un chant américain, Les bérets verts 75. C’est d’ailleurs l’air d’un chant de l’Armée rouge qui a inspiré le chant de tradition du 1er régiment de hussards parachutistes, Les hussards de Bercheny 76. Si les airs d’origine allemande ont été majoritairement sélectionnés, il faut donc y voir une conjonction de plusieurs facteurs : d’abord historique, avec la présence dans les rangs de la Légion au début de la guerre d’Indochine d’une majorité d’Allemands ; ensuite, le succès de la nouvelle thématique adoptée pour les paroles des chants ; enfin et surtout l’efficacité du rythme et des mélodies de ces chants qui correspondent mieux ainsi à un nouvel usage plus démonstratif et protocolaire du chant militaire.
ConclusionMalgré l’importance de son rôle dans la formation des personnels et l’entretien de la cohésion, le chant militaire est transmis exclusivement par tradition orale.
À part le TTA 107 et quelques circulaires du commandement, sa pratique est laissée à la discrétion de l’encadrement de la troupe. Aucune archive ne permet de consulter les sources et aucune formation musicale n’est dispensée pour sa pratique. L’étude montre que, de par son rôle, le chant militaire n’en a pas eu besoin jusqu’ici pour prospérer. Si chaque époque a ses chants spécifiques, certains morceaux des époques précédentes continuent d’être chantés. Les nouveaux chants ne suppriment pas les anciens, mais créent, en quelque sorte, une strate supplémentaire venant enrichir les précédentes. On trouve généralement deux grands types de chants militaires, les chants destinés à la distraction, des fatigues de la marche ou au bivouac ; et les chants chargés d’une idéologie militaire plus destinés à créer la cohésion des unités. Cette idéologie militaire varie suivant l’époque considérée. Il n’est pas question de vouloir tout expliquer par le chant militaire, mais l’évolution du répertoire au xxe siècle est significative. Malgré la montée en puissance du courant antimilitariste à partir de l’affaire Dreyfus, la thématique de la Revanche a irrigué le répertoire jusqu’à la déclaration de guerre. Avec la victoire de 1918, le pacifisme s’impose et l’armée se voit cantonnée dans un rôle exclusivement défensif ; le chant est vidé de toute idéologie militaire, il n’est plus destiné qu’à la distraction. Le renouveau viendra des mouvements scouts et de l’enseignement officiel des chants anciens. Les campagnes de la Libération et surtout les guerres d’Indochine et d’Algérie voient le retour de l’idéologie militaire dans le chant, d’abord pour libérer le territoire national, ensuite pour l’adapter à la guerre subversive. En ce sens, le chant et sa thématique constituent un indicateur du niveau de motivation et de combativité des personnels.
Depuis la guerre d’Indochine, suite au rôle joué par la Légion étrangère et à une conjonction de facteurs historiques, l’armée française s’est dotée d’un répertoire nouveau dont l’efficacité montre qu’il est plus particulièrement adapté à la condition militaire moderne. Ses emprunts étrangers sont à envisager comme une ouverture sur les cultures musicales et militaires européennes. En ce sens, le rôle primordial du chant dans le conditionnement et la cohésion des troupes peuvent permettre le lancement d’une étude comparative sur la pratique du chant au sein des armées européennes. En raison du poids des particularismes culturels, il est sûrement un peu tôt pour proposer un carnet de chants militaires européen. Néanmoins, il est probable que les enseignements à tirer de ces travaux ne pourront qu’améliorer l’intégration et accroître l’efficacité des unités de l’Eurocorps et de la future armée européenne.
Bibliographie sommaireElle doit être complétée par les nombreux carnets de chants des unités, les cahiers manuscrits et une discographie.
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www.troupesdemarine.org
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Chansons de l’armée française, tome 2, secrétariat d’État à la guerre, éditions Chiron, s.d. (vers 1943).
Chante Légion, Aumônerie catholique de la Légion au Tonkin, s.d. (vers 1951).
Chants chansons et chœurs de l’armée française, éditions Chiron, 1961.
Le chant choral, École des sous-officiers de Cherchell, s.d. (vers 1944).
Chomel (Léonce), Marches historiques, chants et chansons des soldats de France, musée de l’Armée, 1912, 3 volumes manuscrits.
Collectif, Le manuscrit Berssous de la Chapelle d’Abondance, vers 2000.
http://f.duchene.free.fr/berssous/48.htm
Joubert (Pierre), En marchant avec les soldats de France, éditions de l’Orme rond, 1985.
Jouvin (colonel), et Gillet (capitaine), Marches et chansons des soldats de France, s. éd., s.d.,vers 1919.
Kastner (Georges), Les chants de l’armée française, Brandus, Dufour et Cie, 1855.
Lehuraux (capitaine Léon), Chants et chansons de l’armée d’Afrique, éditions Soubiron, 1933.
« Marches et chants de la Légion étrangère », Service d’information du 1er régiment étranger, 1959, Képi blanc, 1975, 1982, 1989, 1993, 1998.
Quarante Chansons de marche, éditions Balardy, 1932.
Recueil de chansons de la 11e DLI, s. éd., s.d. (vers 1961).
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Saint-Denis, (capitaine Vincent), Typologie du chant Légion 1831-1997, mémoire de DEA, université Paul Valéry-Montpellier III, 1997.
Sarrepont (major H. de), Chants et chansons militaires de la France, Librairie Henry du Parc, Paris, s.d. (vers 1896).
Sauvrezis (A.), Chants de soldats (1525-1916), Berger-Levrault, 1916.
Sauvrezis (A.), Autres chants de soldats (1200-1916), Berger-Levrault, 1916.
Servir, chansons de route, Servir, Issy-les-Moulineaux, s.d. (vers 1930).
Vingtrinier (Joseph), Chants et chansons des soldats de France, Albert Méricant éd., 1902.
Notes1 Trois jeunes tambours s’en revenaient de guerre,
Et ri et r’lan, ranpataplan,
S’en revenaient de guerre…
2 Malbrough s’en va t’en guerre,
Mironton, mironton, mirontaine,
Malbrough s’en va t’en guerre,
Ne sait quand reviendra…
3 Je suis t’un pauvre conscrit
De l’an mille huit cent dix :
Faut quitter le Languedo
Avec le sac sur le dos…
4 Quand un soldat s’en va-t-en guerre il a
Dans sa musette un bâton de maréchal ;
Quand un soldat revient de guerre il a
Dans sa musette un peu de linge sale.
5 Non rien de rien,
Non je ne regrette rien
Ni le mal qu’on m’a fait,
Ni la prise du corps d’armée d’Alger.
Non rien de rien,
Non je ne regrette rien
Au REP les officiers,
Sont tous fiers du passé…
6 J’ai rencontré ce matin devant la haie de mon champ
Une troupe de marins, d’ouvriers, de paysans
« Où allez-vous camarades avec vos fusils chargés ?
Nous tendons des embuscades, viens rejoindre notre armée »…
7 J’ons vu le poème fringant
Fait par ce maître Voltaire
Quoiqu’il ait de l’esprit tant
Est-ce que nous devons nous taire ?
Pour briller tout comme lui,
Je n’avons qu’à chanter Louis…
8 Dans les gardes-françaises
J’avais un amoureux,
Fringant, chaud comme braise,
Jeune, beau, vigoureux.
Mais de la colonelle,
C’est le plus scélérat,
Pour une péronnelle,
Le gueux m’a planté là…
9 Au trente-et-un du mois d’août
Nous vîmes venir sous l’vent à nous
Une frégate d’Angleterre
Qui fendait la mer et les flots
C’était pour aller à Bordeaux…
10 À Brest la jolie, à Brest la jolie,
Nous nous sommes, la lon lon la,
Nous nous sommes embarqués…
11 Le corsaire Le Grand Coureur
Est un navire de malheur,
Quand il se met en croisière
Pour aller chasser l’Anglais
Le vent, la mer et la guerre
Tournent contre le Français…
12 Je vais vous raconter
Une bien belle histoire
Cette histoire authentique
Est celle du Borda
Ce navire autrefois
Connu des jours de gloire
En suivant les vaisseaux
De l’antique armada
C’est lui qui des marins
Transportait les amies.
C’est vers lui qu’ils venaient souvent se délasser
Si vous êtes frappés par les bizarreries
De notre vieux ponton
Songez au temps passé…
13 Puisqu’il faut mourir
Avant que j’exhale
Mon ultime râle
Venez tous m’ouïr
Quoi que rien n’y vaille
Je veux que la Baille
Garde pieusement
Ce court testament
Cragnant seulement
Qu’un neveu dément
Me raille…
14 J’ai reçu ta lettre cousin
Celle où tu me dis ton chagrin
D’être si loin de ta famille.
Et pour que tu sois patient
Je veux t’écrire du couvent,
Suis-je gentille…
15 Vexílla Regis pródeunt ;
Fúlget Crucis mystérium,
Quo carne carnis cónditor
Suspésus est patíbulo.
16 Réveillez-vous Picards, Picards et Bourguignons
Apprenez la manière d’avoir de bons bâtons
Car voici le printemps et aussi la saison
Pour aller à la guerre donner des horions…
17 Les chants de l’armée française, précédés d’un Essai historique sur les chants militaires des Français, Georges Kastner, Paris, 1855.
18 Histoire de la chanson populaire en France, Paris, 1889.
19 Les chansons de métiers, Librairie Charpentier et Fasquelle, 1910.
20 Après sept années de guerre,
Sept années de bâtiment,
Je reviens de Grande-Terre,
Je reviens à Lorient.
Je reviens de Grande-Terre,
Guerre, guerre, vente vent…
21 Là-haut sur la colline
L’est un joli moulin
Le meunier qui l’habite
Est un charmant blondin…
22 Les soldats sont là-bas endormis sur la plaine,
Où le souffle du soir chante pour les bercer,
La terre aux blés rasés parfume son haleine,
La sentinelle au loin va d’un pas cadencé.
Soudain voici qu’au ciel des cavaliers sans nombre
Illuminent d’éclairs l’impassible clarté,
Et le petit chapeau, semble guider ces ombres, vers l’immortalité.
Les voyez-vous,
Les hussards, les dragons, la Garde ?…
23 Je suis l’chef d’une joyeuse famille,
D’puis longtemps j’avais fait l’projet
D’emmener ma femme, ma sœur, ma fille,
Voir la r’vue du quatorze juillet.
Après avoir cassé la croute,
En chœur nous nous sommes mis en route
Les femmes avaient pris l’devant,
Moi j’donnais l’bras à bell’maman,…
24 Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine,
Et malgré vous nous resterons Français,
Vous avez pu germaniser la plaine,
Mais notre cœur, vous ne l’aurez jamais !…
25 La voix du canon résonne,
L’air, tout empoudré, frissonne ;
Serrez vos rangs ! mes enfants !
C’est le cri de la mêlée Et l’écho de la vallée
Répète : serrez vos rangs !…
26 La Noire est la fille du canton
Qui se fout du qu’en dira-t-on,
Nous nous foutons de ses vertus,
Puisqu’elle a les tétons pointus.
27 Rosalie, c’est ton histoire
Que nous chantons à ta gloire
Verse à boire !
Tout en vidant nos bidons,
Buvons donc !…
28 La maman du petit homme
Lui dit un matin :
À présent t’es haut tout comme
Notre huche à pain.
À la ville tu peux faire
Un bon apprenti
Mais pour labourer la terre
T’es bien trop petit, mon ami,
T’es bien trop petit !…
29 Il s’appelait Kergariou,
Il s’en venait on ne sait d’où…
Probablement du Finistère ;
Bien qu’il eut d’illustres aïeux,
Il était pauvre comme un gueux
Il n’en faisait aucun mystère.
Portait l’habit des anciens jours,
Et mettait le même toujours :
Hiver, été, printemps, automne ;
Vint à Paris en bragou-braz,
Appuyé sur un grand penn-bas :
À la Bretonne !!!…
30 L’air est pur la route est large,
Le clairon sonne la charge,
Les zouaves vont chantant.
Et là-haut sur la colline,
Dans la forêt qui domine,
On les guette, on les attend.
31 Ô toi, dont le noble délire
Charma ton pays étonné,
Eh ! quoi ! Béranger, sur ta lyre,
Mon sujet n’a pas résonné ?
Toi, chantre des fils de Bellone
Tu devrais rougir, sur ma foi,
De m’entendre dire avant toi :
Français, je chante la Colonne !…
32 Te souviens-tu disait un capitaine,
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu’autrefois dans l’arène
Tu détournas un sabre de mon sein ?
Sous les drapeaux d’une mère chérie,
Tous deux jadis, nous avons combattu.
Je m’en souviens car je te dois la vie,
Mais toi soldat dis-moi t’en souviens-tu ?…
33 De mes vieux compagnons de gloire
Je viens de me voir entouré ;
Nos souvenirs m’ont enivré,
Le vin m’a rendu la mémoire.
Fier de mes exploits et des leurs,
J’ai mon drapeau dans ma chaumière.
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?…
34 Je veux au bout d’une campagne,
Te voir déjà joli garçon,
Des héros que l’on accompagne,
On saisit l’air, on prend le ton.
Des ennemis ainsi qu’des belles,
On est vainqueurs, les imitant,
Et r’li, et r’lan,
On prend d’assaut les citadelles,
Relantanplan, tambour battant…
35 Dans les gardes-françaises
J’avais un amoureux,
Fringant, chaud comme braise,
Jeune, beau, vigoureux.
Mais de la colonelle,
C’est le plus scélérat,
Pour une péronnelle,
Le gueux m’a planté là…
36 Je suis un bon soldat, rataplan,
Tout cède à mon courage.
J’ai dans mon fourniment, rataplan,
De quoy faire ravage…
37 Amis, il faut faire une pause,
J’aperçois l’ombre d’un bouchon,
Buvons à l’aimable Fanchon,
Chantons pour elle quelque chose…
38 Amis, il faut faire une pause,
J’aperçois l’ombre d’un bouchon,
Buvons à l’aimable Fanchon,
Chantons pour elle quelque chose…
39 Ah, oui, j’ai le cœur à mon aise, quand j’ai ma mie auprès de moi,
De temps en temps je la regarde et je lui dis : “Embrasse-moi”…
40 Le roy s’en va delà les monts.
Il mèn’ra force piétons.
Ils yront à grand’ peine,
La laine, la laine, me fault la laine.
41 Le roi Renaud de guerre vint,
Portant ses tripes dans ses mains,
Sa mère était sur le créneau
Qui vit venir le roi Renaud…
42 Vive le vieux vin de vigne, le vieux vin gaulois.
Tan, tan, terre et ciel, chêne, feu, rouge soleil,
Tan, tan, terre et ciel, flot de sang vermeil.
43 Mille, mille, mille mille, mille decollavimus.
Unus homo mille ; mille, mille decollavimus,
Mille, mille, mille vivant, qui mille, mille occiderunt !
Tantum vini habet nemo quantum fudit sanguinis.
44 Histoire de la chanson populaire en France, 1889, page 181.
45 S’engager est une folie
Car l’amour est un vrai tourment
Et pour être heureux dans la vie
Il ne faut s’aimer qu’un instant…Car dans la vie (bis)
Où tout varie (bis)
Où chaque pas nous amène au tombeau
Portons gaiement l’as de carreau…
46 Y’a des cailloux sur toutes les routes,
Sur toutes les routes y’a des chagrins,
Mais pour guérir le moral en déroute
Il y a des filles sur tous les chemins.
Y’en a autant qu’il y a de pierres,
Qu’il y a de fleurs dans les jardins,
Qu’il y a d’oiseaux sur la branche légère,
Il y a des filles sur tous les chemins.
Il suffit de trouver
Celle dont on a rêvé
Ainsi quand on pense à l’amour
Le chemin semble bien plus court.
Y’a des cailloux sur toutes les routes,
Mais aujourd’hui comme demain
Une raison suffit pour qu’on s’en foute :
Y’a des filles sur tous les chemins…
47 Le Français qu’au feu l’on admire
Est vraiment gai dans le malheur.
Éclats de bombes, éclats de rires
Ont pour lui la même valeur.
Dans la tente est notre demeure,
Sébastopol est à deux pas,
Le canon tonne, le vent pleure,
Et pourquoi n’en ririons-nous pas ?…
48 Ça fait deux jours que nous marchons,
Gardons courage,
Nous arrivons,
Vers le pays que nous aimons,
Laissons les rubis, rubans qui volent,
Laissons les rubans voler,
Viva, viva l’infanterie,
Viva l’infanterie.
49 J’ai un pied qui remue Et l’autre qui ne va guère
J’ai un pied qui remue Et l’autre qui ne va plus
Ah ! dites-mé Qui vous a donné
Ce beau bouquet
Que vous avez.
Môsieur c’est mon amant
Quand je le vois
J’ai mon cœur bien aise.
Môsieur c’est mon amant
Quand je le vois
J’ai mon cœur content.
50 Ousqu’est Saint-Nazaire ?
Disaient les troupiers éreintés,
C’est p’t’être plus loin qu’l’Angleterre
Le pôle Nord le cap Gris-Nez, sacrédié !
Ousqu’est Saint-Nazaire
Répétait l’écho rigolo ;
C’est pour sûr au bout d’la terre
En Chine ou bien au Congo
Chez la reine Indigo…
51 TTA 107, Troupe Toutes Armes 107, est le recueil de chants officiels de l’armée de Terre. Il a fait l’objet d’une première édition en 1980 de 45 chants avec leur musique, remaniée et complétée en 1985 mais sans les partitions.
52 On va leur percer le flanc, rantanplan tirelire,
On va leur percer le flanc, rantanplan tirelire.
53 Ils ont traversé le Rhin,
Avec monsieur de Turenne,
Jouez fifres et tambourins,
Ils ont traversé le Rhin…
54 Sous le soleil brûlant de l’Algérie,
Notre étendard flottait calme et vainqueur.
Au cri d’appel de la mère patrie,
Du nord il vole affronter la rigueur,
Va déployer au vent de la Crimée,
Tes plis sacrés, ô mon noble drapeau.
Déjà noirci de poudre et de fumée,
Au premier rang tu seras le plus beau…
55 Pour châtier
L’Arabe ou le Kabyle,
Cent contre mille
Partent sans hésiter,
Soldats, officiers,
Notre ardeur est la même,
Et le Troisième
Marche au feu le premier…
56 La route vers l’inconnu
Est toujours bien venue,
Le but est devant nous braquons les armes,
Plus rien ne compte plus,
La défaillance exclue,
Pour nous c’est le devoir,
Pour vous les larmes…
57 Nous sommes des volontaires Au 8e RPIMa,
Entends nos clameurs guerrières,
Nos chants de combat.
Colonial parachutiste,
Viens, tu connaîtras le risque,
Ah, ah, ah, avec le 8e RPIMa…
58 Nous étions trop heureux mon amie
Nous avions trop d’espoir et d’amour
Nous croyons nous aimer pour la vie
Mais hélas, les beaux jours sont si courts…
59 Une colonne de la Légion étrangère
S’avance dans le bled en Syrie,
La tête de la colonne est formée
Par l’Premier étranger de cavalerie…
60 Mein Name ist Anne-Marie,
Ein jeder kent mich schon,
Ich bin ja die Tochter, vom ganzen Bataillon…
61 Monica ma chère compagne,
Nous partirons bientôt,
Le pays est en campagne,
Pour faire les temps nouveaux,
Nous serons victorieux…
62 Pour le repos, le plaisir du militaire,
Il est là-bas à deux pas de la forêt,
Une maison aux murs tout couverts de lierre,“Aux Tourlouroux”, c’est le nom du cabaret.
La servante est jeune et gentille,
Légère comme un papillon,
Comme son vin son œil pétille,
Nous l’appellons la Madelon.
Nous y pensons le jour,
Nous y pensons la nuit,
Ce n’est que Madelon,
Mais pour nous c’est l’amour…
63 Dans les campagnes de France et de Navarre,
Le soldat chante en portant son barda,
Une chanson authentique et bizarre,
Dont le refrain est vive le pinard…
64 Sur la route de Dijon,
Le belle digue digue,
La belle diguedon,
Il y avait une fontaine,
La digue dondaine,
Il y avait une fontaine,
Aux oiseaux, aux oiseaux…
65 Savez-vous c’ qu’y a qu’un ? (bis)
Y’a qu’un casque sur la tête au biffin !
Y’a qu’un cheveu, sur la tête à Mathieu,
Y’a qu’une dent dans la mâchoire à Jean…
66 C’était l’histoire du sire de Framboisy,
Et hioup, et hioup, et tra la la la…
67 Contre les Viets, contre l’ennemi,
Partout où le combat fait signe,
Soldats de France, soldats du pays,
Nous remonterons vers les lignes…
68 Puisqu’il nous faut vivre et lutter dans la souffrance,
Le jour est venu où nous imposerons au front,
La force de nos âmes, la force de nos cœurs et de nos bras,
Foulant la boue sombre vont les képis blancs…
69 La Légion marche vers le front,
En chantant nous suivons,
Héritiers de ses traditions,
Nous sommes avec elle…
70 Oh la fille viens nous servir à boire,
Les paras sont là perce un tonneau,
Car la route est longue et la nuit noire,
Et demain nous ferons le grand saut…
71 À la sortie de la caserne,
Il y a un vieux moulin.
Deux jolies filles habitent là,
Et chantent soir et matin.
La blonde c’est Véronica,
Et la brune c’est Marie,
Ces jolies filles sont les amours de toute la compagnie…
72 Rien ne saurait t’émouvoir, Para rude parachutiste,
C’est ta loi dans les dangers de la piste,
Rien ne saurait t’émouvoir,
Tes anciens ont souffert sur la piste
Comme des chevaliers et des preux,
Toi le vaillant parachutiste,
Toujours prêt à faire aussi bien qu’eux…
73 Dans la brume la rocaille,
Para marche au combat,
Loin de chez ta bien-aimée,
Para tu souffriras.
74 Dans la boue, les sillons,
Sous le ciel gris nous marchons,
Malgré la fatigue et la pluie, Malgré la famine et l’ennui,
Nous veillons et nous attendons
Que pour nous gronde le canon,
Si demain il nous appelait,
Nous partirions sans un regret…
75 Dans le ciel, couleur d’acier,
Ils descendent par milliers,
Ceux qui vont sur cette terre
Lutter pour le béret vert.
76 Pour libérer le pays qu’on enchaîne,
Prêts au combat pour repousser ses ennemis,
Il faut des gars endurcis à la peine,
Chacun pour tous et tous pour un réunis,
Voyez bonnes gens, largués sur vos plaines,
Tombant du ciel et progressant dans la nuit,
Ne craignant rien ni la mort ni la haine,
Voyez ce sont les hussards de Bercheny…
Pour citer cet articleRéférence papierThierry Bouzard, « Le chant militaire français : un patrimoine vivant », Revue historique des armées, 242 | 2006, 98-113.
Référence électroniqueThierry Bouzard, « Le chant militaire français : un patrimoine vivant », Revue historique des armées [En ligne], 242 | 2006, mis en ligne le 05 septembre 2008, consulté le 26 octobre 2014. URL : http://rha.revues.org/3982
AuteurThierry BouzardAuteur de l’Anthologie du chant militaire français, Éditions Grancher, 2000, et d’un ouvrage sur l’histoire du chant militaire français, il est consultant au Conservatoire militaire de musique de l’armée de Terre pour le chant.