Retour Texte d’époque issu d’une brochure parue en 1944, sans auteur, ni date
(Intitulée « La Deuxième division blindée entre dans la bataille »)
En fait: "la deuxième DB avant le débarquement"
Cette brochure est dédiée au Peuple Français et à la Deuxième division blindée par leurs alliés à l'occasion du débarquement sur le sol de France des hommes de Leclerc. Il appartiendra aux Français eux-mêmes, une foi la dernière page écrite, de donner à la France l'histoire définitive de cette glorieuse division.
« Comment vous dépeindre notre émotion lorsque nous avons remis le pied sur le sol de la patrie. Ce sol, nous le quittions il y a quatre ans, laissant la France sous la botte de. l'ennemi, avec tout ce que cela représente pour chacun d'entre nous. Nous rentrons aujourd'hui, nous rentrons en combattants, après avoir lutté pendant quatre ans derrière le général de Gaulle. Nous retrouvons. les visages de nos compatriotes, qui nous saluent avec enthousiasme au milieu de leurs ruines. Nous devinons ce qu'ils ont souffert. Au nom de tous mes officiers, me sous-officiers et mes hommes, mon premier devoir est de saluer les Français qui n'ont jamais désespéré, qui ont aidé nos Alliés; qui ont facilité la victoire je les admire et je les félicite. Quant à nous, nous touchons au but, puisque nous venons enfin les aider, les relever et mener à leur côtés le grand combat pour la libération. »
GÉNÉRAL LECLERC.
L'ARRIVÉE EN FRANCE DE LA DEUXIÈME D. B.
(par un correspondant de guerre allié) La traversée de la Manche s'était effectuée sans incident. Maintenant, l'immense convoi était à l'ancre. L'a soirée était douce. Dans le ciel, les ballons de barrage se balançaient. Quelque part très haut dans les nuages, des avions allemands volaient, invisibles, détectés seulement par la D.C.A. Une heure s'écoula, puis les bateaux de débarquement s'avancèrent vers la côte, où ils devaient attendre le reflux de la marée qui les laisserait à sec sur la plage.
Les heures de la nuit passèrent. Peu à peu, sans hâte, les longues lignes blanches des ondes se retirèrent, découvrant les prairies stériles et humides de sable. La lune descendit, sur la Normandie et la brume commença à voiler les dunes. Enfin les fonds plats des lourds bateaux de débarquement touchèrent terre. On entendit un bruit de chaînes et les hauts vantaux s'ouvrirent. Les moteurs des chars se mirent à gronder et les chenilles grincèrent. Tout le long de la plage vide, les monstres d'acier commencèrent à descendre les rampes en frémissant et à cahoter sur le sable.
C'était le premier août 1944. Il était trois heures du matin. Au loin, à l'intérieur des terres, un obus à étoiles éclata et illumina le ciel. Une division entière française, la première à débarquer sur le sol français depuis le terrible été de 1940, était de retour. La deuxième division blindée française, commandée par le général Leclerc, fut constituée et entraînée en Afrique du Nord. Cela se passait en mai 1943, au lendemain de la marche héroïque du Régiment du Tchad depuis Fort Lamy jusqu'à Tripoli et de sa participation aux victoires de la 5ème armée britannique du général Montgomery.
Quoique Leclerc soit universellement connu comme le héros du Tchad, la vraie signification de son exploit, dans cette guerre globale, reste à peu près ignorée. de tous: Le Tchad est, en effet, le carrefour du continent africain. Ses routes, ses bases aériennes surtout celle dé Fort Lamy sont d'une importance capitale. Si des hommes de Vichy avaient été là pour permettre aux Italiens de s'emparer du Tchad, les résultats auraient pu être funestes pour les Alliés. Les lignes par lesquelles les Américains et les Anglais ravitaillaient les armées du Proche Orient, et le gros des armées russes, n'auraient pu être construites qu'avec un retard considérable, peut-être fatal et au prix d'énormes sacrifices en hommes. Il serait difficile d'exagérer la contribution à la cause alliée apportée par Leclerc et son régiment de Marche du Tchad.
C'est donc en mai 1943 que fut créée la Deuxième division blindée avec, pour noyau, les vétérans, du Tchad. Autour, de ce noyau de. troupes coloniales, habituées, elles, aux rigueurs du, désert et de la jungle,. ne. connaissant que l'improvisation et les épreuves, les rations réduites et les marches forcées, nous retrouvons aujourd'hui .des éléments de toute la France métropolitaine. II y a des héros de Narvik et de Dieppe ; Il y a des Spahis, arborant la " chéchia " rouge au-dessus de leurs uniformes de modèle américain, .des Chasseurs et des Cuirassiers convertis en canonniers de chars, des Fusiliers Marins qui ont abandonné la mer : aujourd'hui, ils servent des canons anti‑chars. Toutes les armes auxiliaires s'y trouvent, le génie, un bataillon médical dont les officiers suivent Leclerc depuis quatre ans, des infirmières et même des ambulancières françaises, bien entendu, mais dont beaucoup avaient été recrutées aux Etats-Unis par l'Américaine qui les dirige.
La division Leclerc est extraordinaire à tous points de vue matériel, humain et moral. Nous verrons tout à l'heure ce qu'elle représente au point de, vue humain. Quant à son matériel, laissons quelques-uns de ses officiers et hommes en parler.
(Tunisie 1943)
" Après l'armistice " explique le colonel D, ancien méhariste, on a commencé à se battre, avec les quelques vieilles seringues françaises qui nous restaient. On a emprunté immédiatement du matériel un peu plus moderne aux Italiens, en leur faisant sauter quelques portes. Ensuite, on a eu un apport de matériel anglais et, mon Dieu, on a fait les campagnes du Fezzan, de Tripolitaine, de Tunisie avec ce matériel. Pour la campagne de Tunisie on a été équipé définitivement en division blindée avec du matériel américain entièrement neuf."
(Embarquement des chars)
Son camarade, le colonel N., ajoute : " La brigade des chars que j'ai l'honneur de commander a été entièrement équipée par nos amis américains qui nous ont fourni nos chars, notre armement, notre équipement et tout le matériel indispensable pour mener à bien la bataille moderne. Pendant dix mois, nous nous sommes entraînés sur ce matériel, tout nouveau pour nous. Partis de rien, il nous a fallu mettre les bouchées doubles pour forger un instrument de victoire sur lequel la France puisse compter."
Un adjudant fait valoir la différence entre aujourd'hui et 1940. En 1940, dit-il, j'étais sergent-chef pilote dans un char français, un beau char de 33 tonnes. Malheureusement, le 4 juin 1940, à Abbeville, presque tous nos chars ont été détruits et ce jour-là, mes camarades et moi, nous nous sommes jurés de ne jamais rentrer dans Paris que dans des chars et pour chasser les Boches. Vous voyez, j'ai eu beaucoup de chance, puisque aujourd’hui j'ai été nommé adjudant et qu'au lieu d'un seul char, j'en ai cinq. Cinq beaux chars qui portent les noms des jardins de Paris. Il y a le char " Champs-Élysées," le char " Tuileries," " Buttes‑Chaumont," " Champ de Mars," et "Luxembourg." Le mien, c'est " Champs-Élysées " et les camarades qui sont dedans et qui sont aussi merveilleux que les camarades de 1940, sont bien décidés, je vous assure, à amener les chars de notre section dans les cinq jardins de Paris."
Le corps des officiers assemblé en Afrique, le même qui commande maintenant en France, est digne des plus hautes traditions militaires françaises. Le dynamique Leclerc l'inspire. A ses côtés se trouve son chef d'état-major, le colonel B., prudent, réfléchi, ne laissant rien au hasard. Il est accompagné du chef d'état major adjoint, le vigoureux commandant de G. II y a le colonel D. et le commandant F. qui "n'ont pas quitté Leclerc. d'une semelle," comme dit le colonel. Ceux-là sont des officiers de carrière, tout à leur métier, s'occupant peu de politique, mais jaloux de l'honneur français. Il y a encore des réservistes, des volontaires qui ont traversé le monde dans la moitié de sa longueur en 1940 pour rejoindre de Gaulle et maintenir la France dans la guerre.
On ne peut pas donner le véritable nom de beaucoup de ces officiers. Leurs familles vivent encore, pour peu de temps sous l'occupation allemande. C'est le cas de certains que leurs exploits ont déjà rendus célèbres. Parmi eux se trouvent des spécialistes comme le colonel R. et le colonel V., deux vétérans aujourd'hui experts du combat dé chars. (Déjà avant la guerre, quand de Gaulle faisait campagne en faveur des unités blindées auprès, d'un état-major général qui ne se laissait pas convaincre, V. se trouvait à ses côtés.) Il y a des guerriers pittoresques du désert, tel le lieutenant colonel R., Français d'origine russe et ancien officier de la Légion Etrangère. Parmi les idéalistes voués à l'aventure, nous trouvons le commandant P., autrefois général dans l'armée républicaine espagnole P., officier français qui avait fait la guerre de14‑18, était un homme d'affaires prospère quand la guerre espagnole éclata. Et comme l'explique un de ses camarades : "Vite, il vend son affaire et il f… le camp." Il y a des hommes appartenant à la Droite et à la Gauche, il y a des hommes appartenant au Centre. Tous, ils sont unis dans la même cause: Battre les Allemands et libérer la France.
Pour les officiers, comme pour les hommes, leur général est un demi-dieu. Le général Leclerc (un nom d'emprunt) n'a que quarante deux ans. II appartient à une famille noble du nord de la France. Il est indifférent au luxe et air confort. De famille pieuse, il est un croyant convaincu. Sorti de Saint Cyr en 1924, il devint lieutenant de cavalerie en 1926, capitaine en 1934.
Au début de sa carrière militaire, Leclerc fut officier dans un régiment de Goums. Il ne fume pas, ne boit pas. Ceux qui le connaissent disent que son abstinence n'est pas due à un ascétisme foncier mais plutôt au fait qu'ayant partagé la vie des Gouras, mangeant, vivant buvant comme eux, observant leurs coutumes et leurs mœurs, il tomba gravement malade et depuis ce temps là il doit prendre grand soin de sa santé.Leclerc sait ce qu'il veut, et ce qu'il veut il le veut bien. En 1940, blessé pendant la campagne de France, deux fois fait prisonnier par les Allemands, il s'évada deux fois. La deuxième fois, il fut recueilli par des paysans français qui le soignèrent et le cachèrent. Un soir, dans sa cachette, il entendit, venant de la radio dissimulée dans un coin du grenier, les notes assourdies de la Marseillaise. Puis, la voix du général de Gaulle qui disait, "Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas."
La décision de Leclerc était prise. Sa place était aux côtés d'un tel chef. Il traversa la France clandestinement et s'échappa à Londres. En août 1940, Leclerc parlait lui-même à la BBC. Il expliquait au peuple de France, de cette France où sa femme et ses enfants étaient restés, pourquoi il avait décidé de ne plus s'accorder ni trêve ni repos jusqu'à ce que la défaite des Allemands soit consommée.Quelques semaines plus tard, ses blessures à peine fermées; Leclerc arrivait au Cameroun. La suite de son histoire personnelle fait partie de l'histoire de la guerre.
Leclerc incarne ce que les Français attendent d'eux-mêmes . La revanche de juin 1940, la résurrection de l'armée française, l'honneur français enfin. Son visage si jeune, si fin, si maigre et énergique, ce regard terriblement moqueur, la petite moustache, font qu'un étranger en le voyant pour la première fois, ne peut pas s'empêcher de dire, "Tiens, il a bien le type français, celui-là." C'est un général qui exige autant de lui-même que de ses officiers. Chacune de ses victoires a été le fruit d'études acharnées et de préparatifs très poussés. Au combat il est homme d'action, partageant avec ses soldats les dangers et les peines. On ne le voit jamais sans ses cartes et, le stick en main; Il est toujours là où, ça chauffe.
Lorsque la Deuxième division blindée s'embarquait pour la Normandie, dans un port du sud de l'Angleterre, des rumeurs circulaient selon lesquelles le général était déjà arrivé en France par la voie des airs. Un de ses officiers démentit ces rumeurs en disant, "je le connais bien. Leclerc ne laissera pas ses troupes avant que le dernier camion, le dernier char soient chargés à bord, le dernier fusil et le dernier homme montés sur le bateau. Il ne partira pas avant mais avec eux."
L'officier avait raison. Ce fut d'un bateau que le général Leclerc débarqua sur le sol français, le mardi les août 1944.
L'histoire de la Deuxième division blindée, c'est l'histoire de la volonté de libération de la France vue à travers des hommes. Rarement dans l'histoire, une nation, un empire et une cause ont été reflétés à ce point en une seule division.
"Cette unité" disait l'aumônier des hommes du Tchad, celle dont nous faisons partie maintenant, est une unité qui représente vraiment la France." Et il ajouta, "Ces hommes ont un moral magnifique parce qu'ils font tous une guerre personnelle. Ils ont tous quelque chose à venger et ils. ont, pour la, plupart, des parents prisonniers en Allemagne. Il faut qu'ils, les libèrent avant qu'ils ne succombent de leurs privations."
Il y a des Bretons et des Normands qui quittèrent la France sur des barques de pêche pour aller en Angleterre; Des Parisiens qui firent du travail forcé pour les Allemands, des hommes de la résistance, obligés de quitter la France, traqués par la Gestapo. II y a des Juifs de Lyon et de Marseille dont les parents sont morts ou disparus, des hommes d'affaires qui fermèrent leurs entreprises et s'échappèrent par l'Espagne. Il y a des diplomates, des médecins, des étudiants qui bravèrent tous les obstacles pour entrer dans les rangs. Il y a des adolescents sortis de l'école, des ouvriers, des artisans, des paysans, des vieux soldats qui ne comptent plus leurs campagnes, sans parler de ceux, qui sont venus d'Algérie, du Maroc, de Syrie et même d'IndoChine pour délivrer la France.Écoutez quelques-uns d'entre eux, se présenter eux-mêmes au micro, en envoyant chez eux des messages radio‑diffusés par la BBC et Radio Amérique en Europe. L'un commence ainsi : "Je suis né en Alsace," le deuxième, "Ici Guy, né en août 1921 à Verdun," le troisième: "Louis-German, de Château-Thierry." Suivent "Emile, de Givors," "André, de' Troyes," "Raphaël, à ses parents dans un village près de Caen," "René et son fils Raymond, de Choisy," "Fernand, Jacques et Maurice,. trois frères qui combattent dans le même régiment," "Marcel, d'Argenteuil," "Jacques, de Gisors," "Daniel, du . département de l'Aube,." "Roger, de Besançon," "Marcel, du Havre," "Pierre, né en février 1923 dans un village de Bretagne," "Maurice, né à Bayonne .en 18," "Daniel; du pays des mouchoirs," "Jean, de Perpignan." C'est toute la France qui parle.
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Colonnes françaises en Angleterre | Embarquement du matériel | Embarquement des hommes |
Présentons quelques uns de ces hommes.
Voici l'aumônier que fit la campagne du Tchad. Comme son général, il a maintenant quarante deux ans. Né à St. Quentin, il a passé treize ans de sa vie au Cameroun. Mobilisé dans une unité coloniale en 1939, il n'a pas quitté l'armée depuis.
II est un des quinze, aumôniers. de la division, tous anciens missionnaires d'Afrique, tous gaullistes. Ils ne disent pas seulement la messe. Au combat ils sont aux côtés des hommes, du service de santé et soignent les blessés. Sous le feu des mitrailleuses, ils rampent à la recherche des hommes tombés.
Ils ont partagé toutes les peines des campagnes du désert pour la gloire de Dieu comme pour la gloire de la France. En cinq ans, l'aumônier dû régiment du Tchad a parcouru des milliers de kilomètres à dos de chameau, en bateau, en avion, à pied. Il était en Erythrée à la prise de Massaoua. Puis ce fut l'Égypte, la Syrie, où il fut blessé par un éclat de bombe. De là, on le renvoie au Cameroun. Il rejoint Leclerc au Tchad et l'accompagne au cours de la marche triomphale à travers le désert jusqu'à Tripoli. L'aumônier du Tchad croit aux Nations Unies. " II ne suffît pas de reconquérir la France" dit-il. "Le Japon tient l'Indochine. Les Américains, les Anglais, les Français sont d'accord pour dire que la guerre ne sera pas finie, ne pourra pas être finie, jusqu'à ce que le Japon comme l'Allemagne ne soit battu. La paix doit régner partout avant qu'elle puisse régner n'importe où. Les agresseurs doivent être détruits."
Continuons la présentation. Voici le soldat M. qui ne connaît pas l'aumônier, mais qui pense comme lui. Le soldat M. était coiffeur à Marseille quand la guerre éclata. II devint chasseur à pied. Il était à Laon en 1940 et se trouvait parmi les 4 000 soldats blessés faits prisonniers qui furent entassés dans l'ancienne caserne de cavalerie. Nourris de pain noir et de tisane, six cents d'entre eux moururent. Le soldat M. se retrouva su Stalag 12 près de Munich. Il travailla dans une ferme, sans salaire, jusqu'à ce qu'un coiffeur de Munich le prenne chez lui également sans salaire. Cependant, le soldat M. recevait de temps en temps des pourboires. Il put ainsi au bout d'un certain temps se, procurer des. vêtements civils. Un homme de la résistance hollandaise qui. s'occupait de l'évasion des prisonniers de guerre lui fit obtenir un poste de chauffeur sua une locomotive. C'est ainsi qu'il gagna la frontière et revint en France. En novembre 1942, Hitler occupa la zone sud. Le soldat M. se cacha. Son père, sa mère, son frère et sa sœur (ils sont israélites) furent arrêtés par la Gestapo. M. passa en Espagne d'on il réussit à gagner l'Afrique. Le soldat M. a un certain nombre de comptes à régler avec les Allemands.
Le sergent A. a quarante cinq ans. II a la peau basanée par vingt cinq ans d'Indochine, de Syrie, de Riff. La poitrine de ce dur à cuire est couverte de rubans ; croix de guerre à quatre palmes, médaille coloniale, etc. Son camarade, le sergent W., était, lui, ce qu'on appelle un fils à papa. Aujourd'hui endurci, discipliné, il conduit un tank Sherman.
Le sergent R. parle l'anglais aussi bien que le français (sa grand'mère était écossaise). Lieutenant, de réserve au moment de Dunkerque, il s'est battu à Narvik et en Syrie. Affecté à un poste administratif, il donne sa démission d'officier et s'engage bientôt comme simple soldat.
Le sergent C. a vingt-trois ans et des cheveux gris aux tempes. Réfléchi, parlant peu, il est d'une famille universitaire. Un de ses oncles était professeur de littérature française à l'université d'Harvard aux Etats-Unis. Un autre était chirurgien en chef d'un grand hôpital de Paris.
(Chansons à bord)
Deux lieutenants encore méritent leurs places dans ce palmarès improvisé. Le lieutenant L. et le lieutenant C., bien que d'origines très différentes, se retrouvent dans la division Leclerc parce que, comme les autres, ils visent le même but L; dans les chars, est à sa place. Avant la guerre, il était mécanicien dans un garage à Rouen. En Juin 40, il fut instructeur mécanicien dans la 5ème Division polonaise. II partit en Angleterre un mois plus tard et entra dans un régiment de tanks anglais à Falmouth. Plus lard, il rejoignit l'armée française en Afrique et pendant trois ans, sûr de son métier . et plein de bonne humeur, il continua à réparer et à remettre en marche des moteurs de tanks. Il a deux précieux souvenirs dans cette guerre: D'abord, un tank léger du modèle Honey qui roula près de cinq mille kilomètres sans la moindre panne. Ensuite la décision qu'il prit tout seul en 1940, de continuer la guerre.
"Je n'avais pas entendu parler de Gaulle à ce moment là" dit-il. Mais je savais ce qu'était Pétain. Ça suffisait."
Le lieutenant C. fut du même avis. Diplomate de carrière en Extrême Orient, explorateur, savant, il refusa d'obéir aux ordres de Vichy et devint représentant de la France Libre en Orient. Plus tard, il alla à Brazzaville, s'engagea, se battit avec les commandos britanniques et servit dans une unité aéroportée en Syrie. Comme beaucoup d'officiers gaullistes des‑ premiers jours, et malgré l'importance du. poste qu'il occupe en ce moment à l'état-major, il a refusé tout avancement. Il a gardé son grade de réserviste. (Leclerc lui-même, bien que nommé général de division, porte encore les deux étoiles de général de brigade.)
Parmi les vétérans des campagnes d'Afrique, les médecins se sont particulièrement distingués. Ils font partie, aujourd'hui, d'un service de santé digne par la, qualité des hommes comme par celle du matériel, des unités combattantes. En campagne, ce service est organisé sur, le modèle du corps de santé' américain. Le major M., qui le dirige, commande cinquante cinq officiers, la plupart médecins coloniaux. Il a été avec Leclerc depuis le début et il est lui-même une des grandes figures des campagnes du Fezzan.
(En vue des côtes françaises)
Le major M. et neuf de ses officiers du Tchad qui sont encore avec lui, maintinrent les indigènes et les Européens du régiment du Tchad en excellent état physique pendant toute la campagne du désert. Traitant les blessés dans les conditions les plus difficiles, ils écrivirent une des pages les plus brillantes de la chronique médicale militaire de cette guerre.
Le major M. raconta en Angleterre l'histoire de l'expédition. A quelques pas de là, les ambulances attendaient les ordres d'embarquement. Il n'y avait pas d'ambulances lorsque les hommes de Leclerc partirent de Fort Lamy. Il y avait seulement des camions lourds, dont beaucoup avaient déjà trop roulé, des camion poussiéreux aux bâches séchées parle soleil. Dans un de ces camions on avait installé une table d'opération.
Pour la randonnée à travers le désert, il fallait tout emporter: des vivres, des munitions, de l'essence, de l'eau, des médicaments. Il y avait des vivres pour un mois et de l'essence pour un millier de kilomètres. Si quelque chose venait à manquer, il fallait se le procurer chez l'ennemi. Et c'est ce qu'on fit. Les Allemands et les Italiens avaient des stocks abondants dans leurs postes du désert. Et cette prévoyance de l'ennemi, ces réserves abondantes, permirent aux Français de continuer à avancer sans avoir à se préoccuper du problème des vivres et des munitions.
Les médecins avaient plusieurs problèmes à résoudre. La chaleur pendant le jour, le froid pénétrant pendant la nuit, étaient très mauvais pour les blessés. L'eau manquait au point où on ne pouvait pas s'en servir pour les pansements: Il fallait laver les plaies à l'essence. Les blessés ne pouvaient naturellement pas être évacués. La nourriture ne variait pas: du "singe", du riz, de l'eau. On roulait sans arrêt et la nuit la caravane était plongée dans l'obscurité la plus complète. Les hommes perdirent six kilos, en moyenne.
Et pourtant, malgré toutes ces difficultés et grâce à toutes les précautions prises, 87 pour cent des blessés guérirent. La plupart se battent en ce moment en France.
Dès l'arrivée en France., la pensée, du Major M. alla tout de suite aux Forces Françaises de l'Intérieur et aux médecins qui les soignent. Voici le bel hommage que lui et ses officiers ont tenu à rendre à leurs confrères patriotes de .la métropole
"Les médecins, de la division Leclerc, médecins venus de tous les territoires français de l'Empire et évadés de la Métropole, adressent au moment si ardemment espéré où ils foulent enfin le sol natal un salut amical à tous les médecins de France. Ils rendent un vibrant hommage à ceux de leurs confrères, qui dans les rangs de l'armée de la Résistance, luttent pour la libération en prodiguant leurs soins aux soldats du Maquis."
La deuxième division arriva en Angleterre au début de mai 1944. Les soldats qui savaient les exploits du corps expéditionnaire français en Italie commandé par le général Juin, étaient impatients de se battre. Mais dans la guerre moderne, comme dans toute guerre, les hommes doivent attendre: Il fallait encore compléter l'équipement de certaines unités, contrôler le fonctionnement des armes, ajouter certains canons lourds dernier modèle à l'armement de la division.
A la fin de juillet, tout était prêt. La division se dirigea vers les ports de la Manche, traversant la campagne anglaise: Chars moyens et légers, canons portés, pièces et engins anti‑chars, motocyclettes, jeeps, files interminables de camions. Une division blindée, en l'espèce, une division blindée renforcée, emploie une énorme quantité de véhicules.
Le colonel américain officier de liaison auprès de la division, recevait le capitaine américain chargé de l'inspection du matériel blindé juste avant l'embarquement. Et le dialogue suivant s'engageait:
"Dans quel état se trouve « leur matériel? »
"Parfait, mon colonel. C'est à ne pas y croire. Pas une bougie encrassée.
"Qu'est-ce qui leur manque?"
"Rien, mon colonel."
"Qu'est-ce qu'ils demandent?"
"Des Boches."
Les troupes furent cantonnées dans des camps à cent kilomètres environ des ports d'embarquement et le chargement commença. Le quartier général des vétérans du Tchad se trouvait dans un domaine anglais qui date du dix huitième siècle. Avant de recevoir les Français, ce camp dont le commandant était un officier noir américain avait vu passer des Canadiens et des Américains. Derrière le château, il y avait un jardin à terrasses. Dans le salon, les panneaux de prix étaient, recouverts de contre plaque. Et, véritable domaine des Nations Unies en ce château anglais, les officiers français étaient servis et nourris par des soldats noirs américains.
Samedi et dimanche, le chargement se poursuivit. Dans les rues des villes anglaises, la foule s'amassait au passage des véhicules blindés et applaudissait. Elle savait où les soldats allaient. Des gosses faisaient le salut militaire et pendant les arrêts du convoi, des jeunes filles jetaient des fleurs.
Dans la nuit du dimanche 30 juin, l'embarquement était terminé. Les LST, navires spéciaux transportant les chars, étaient déjà partis. On devait les retrouver quelque part dans la Manche. Les LCI, navires spéciaux transportant l'infanterie, étaient sur le point de partir. Les cargos "Liberty" chargés étaient à l'ancre le long des docks. Il n'y avait plus à embarquer que les soldats courbés sous le barda. Rangés en longues files, les troupes avançaient lentement, faisant sonner le pavé de leurs bottes à clous et se pressant sur les rampes d'embarquement. Un caporal éperdu courut à toute allure pour aller chercher un clairon, qu'il avait oublié. Ce clairon trouvé sur un champ de bataille de Tunisie était la mascotte de la compagnie.
(Enfin, du sable français !)
Sur le quai, devant un autre bateau, on s'agitait beaucoup. Les infirmières et les ambulancières montaient à bord. Les photographes les entouraient.
Elles attendaient comme les soldats, souriaient, ajustaient leurs coiffures pendant que les photographes opéraient. Elles aussi, elles s'étaient entraînées sans répit à Rabat. Leur chef, une Américaine née à Chicago, donna un ordre. Le barda sur l'épaule, elles commencèrent à monter à bord.
Enfin, tout fut prêt. Dans les cales, les soldats fatigués essayaient de dormir. Sur les ponts, roue à roue, les camions étaient arrimés. A terre, les feux de signalisation brûlaient et les soldats français quittant l'Angleterre, virent la côte s'éloigner dans un brouillard presque impénétrable.
La journée de lundi passée en mer fut calme. Le convoi, divisé en trois colonnes avançait lentement vers les plages de Normandie. Il y avait des bateaux à droite, des bateaux à gauche, des bateaux devant et derrière. Des avions volaient dans le ciel. Un contre torpilleur français croisa le convoi. Il y eut des acclamations. Il était difficile d'imaginer dans le soleil et la tranquillité que cette zone avait été naguère une zone de mort ou les sous marins allemands guettaient les navires alliés.
Le cours de la guerre avait changé.
A quatre heures de l'après-midi, la côte française fut en vue. Trois soldats de Dijon grimpèrent au haut du mât central et déployèrent le drapeau tricolore. Mais il fallut encore attendre plusieurs heures avant d'arriver au point de destination et, à la nuit seulement, on jeta l'ancre.
Le débarquement de la Deuxième division blindée en France étant une opération militaire, entouré du plus grand secret, il n'y eut pas de cérémonie. Un représentant du général Patton, commandant la 5ème armée, vint recevoir le général Leclerc. Les véhicules et les hommes se regroupèrent. Les moteurs des chars pétaradèrent et la poussée vers Paris commença.
Une semaine plus tard le général dé Gaulle parlait d'Alger.
"Voici venir l'heure de la grande revanche; disait-il. Français, debout, et au combat!"
Les hommes de la Deuxième division blindée, au bivouac, l'entendirent. Ils étaient déjà en route. Les mains se serrent dans un geste rapide . . . on se comprend . . . sans s'arrêter le char poursuit sa route...