Mémoires - Cinq ans de lettres du stalaghttp://www.francesoir.fr/actualite/international/memoires-cinq-ans-lettres-du-stalag-57461.html
Il y a soixante-dix ans, près de deux millions de militaires français étaient prisonniers de guerre en Allemagne. Dans un livre, préfacé par Jean Lacouture, qui sort mercredi en libraire, Jean-Marie Rosenfeld publie les lettres que son père a écrites de son stalag à sa femme et à ses parents pendant cinq ans.
A la Libération de Paris, le 25 août 1944, Jean-Michel Rosenfeld, a 10 ans. « Nous n’étions plus des condamnés à mort », confie-t-il. Fini la peur des rafles, de la déportation, les interdictions de fréquenter les squares, les salles de cinéma et les lieux publics. Sa mère, Jacqueline, découd l’étoile jaune de leurs vêtements. Pendant quatre ans, à Paris, ils avaient vécu dans l’angoisse. « Nous ne nous sommes pas cachés. Nous nous sommes faits tout petits. » Socialiste, Jean-Michel Rosenfeld sera plus tard conseiller de Pierre Mauroy à Matignon, puis intégrera le cabinet de Michel Delebarre, ministre du Travail dans le gouvernement de Laurent Fabius et sera adjoint au maire du XXe arrondissement de Paris. Aujourd’hui, conseiller spécial de Pierre Mauroy, qui préside la Fondation Jean-Jaurès, il rend hommage à son père en publiant les lettres (éditions Bruno Leprince) que celui-ci, prisonnier en Allemagne, a envoyées, pendant cinq ans, à sa femme et à ses parents. Evoquant peu ce qu’il subit, il s’inquiète surtout pour sa famille et ses proches.
Il était devenu un « étranger »
Quand
Joseph Rosenfeld, est rentré de stalag, le 6 mai 1945, il ne pesait plus que 36 kg pour 1,70 m. Il avait perdu toutes ses dents. Et était, après cinq ans de séparation, devenu un « étranger » pour son fils. « A cet homme, dit-il, je n’ai pu dire papa que quelques mois plus tard. » Mobilisé en septembre 1939, Joseph Rosenfeld avait participé à la campagne de France dans les rangs du 21e régiment d’infanterie coloniale. Capturé en juin 1940, dans la forêt de Warne, près d’Epinal, il avait échappé à une exécution sommaire, en affirmant au sous-officier SS qui braquait son arme sur lui, qu’il n’était pas Juif. Néanmoins, au camp de Klagenfurt, en Autriche, non loin de la frontière yougoslave, il allait être intégré dans un Kommando composé uniquement de Juifs. La Convention de Genève protégeant les prisonniers de guerre leur éviterait, certes, les camps de la mort, mais ne les protégerait pas des travaux les plus pénibles et les plus dangereux.
« Mon père, écrit Jean-Michel Rosenfeld, fut donc un héros, pour moi, mais avant tout un héros du quotidien et un homme. » Pour lui, le message de ces lettres « est simple » : « Nous devons défendre, toujours et partout, une certaine idée de l’homme et combattre sans faiblesse toutes les résurgences de l’inacceptable. »
Lettres du Stalag, 1940-1945, de Joseph Rosenfeld. Avant-propos de Jean-Michel Rosenfeld, éd. Bruno Leprince, 207 p., 15 €.
Extraits
5 janvier 1941
« La présente pour vous souhaiter une meilleure année. Cela doit être bien difficile de vivre en ce moment à Paris, si cela doit vous priver ne faites pas trop de frais pour les colis, seulement du tabac. N’ayez pas de chagrin, patientons, il n’y a hélas rien d’autre à faire, 41 sera peut-être le retour de notre bonheur… »
9 novembre 1941
« Lorsque la chance ne vient pas il faut aller au devant d’elle. Comme autrefois les choses passeront finalement selon ma volonté ? Ce triste dimanche invite au cinéma, par la pensée allons ensemble revoir un film qui nous a tant plu : La Grande Illusion. Te rappelles-tu le dernier épisode ? » En évoquant la fin du film de Jean Renoir, où deux des prisonniers s’évadent, Joseph Rosenfeld informe sa femme qu’il projette de les imiter. Il fera trois tentatives. Trois échecs.
19 avril 1942
« Tu ne peux t’imaginer comme la séparation et la captivité changent un homme, moralement et physiquement. Et toi, chérie, dont l’image ne m’a pas quitté un seul instant, seras-tu celle qui est restée dans mon esprit ? C’est pourquoi j’ai le cœur serré d’appréhension à l’idée du retour. Comment serai-je lorsque je paraîtrai devant toi ? Oh ! Non ! Je n’ai pas, je crois, vieilli, mais il a tout de même cette petite transformation naturelle qui dans la vie civile aurait pu s’effectuer sans que tu ne t’en rendes compte. C’est un homme nouveau que tu reverras en d’autres lieux que chez nous ! J’espère que je n’apporterai que de bonnes choses. C’est peut-être une femme nouvelle que je retrouverai. Ne crains rien, chérie, j’entrerai doucement, sans bruit, pour ne pas troubler tes nouvelles habitudes, ton organisation, je ferai de mon mieux pour aligner ma vie sur la tienne. »
19 juillet 1942
« J’ai du retard dans la réception de mon courrier, à défaut je me contente des nouvelles que contiennent les lettres de mes camarades. Il est évidemment fort question de la fameuse décoration (Il fait allusion à l’étoile jaune, NDLR), j’ai même vu non sans émotion la photo de l’épouse et de l’enfant d’un de mes consorts dont les poitrines étaient affublées de cette distinction. Portez-la fièrement avec dignité, avec la sérénité que donne une conscience tranquille… »
4 novembre 1942
« Une seule angoisse m’étreint le cœur, c’est votre sort. Je supporte avec plus de patience et de courage ma captivité puisqu’elle peut être pour vous une garantie de sécurité… » (On disait à l’époque que les femmes de prisonniers ne risquaient pas d’être arrêtées. Ce qui s’est souvent révélé faux, NDLR.)
26 septembre 1943
« En attendant impatiemment de vos nouvelles je suis en partie rassuré par les informations, et la foi qu’il ne vous est rien arrivé de fâcheux. J’ai confiance en vous… »
23 avril 1944
« Les jours à venir peuvent te réserver une vie bien tourmentée et je ne suis pas sans inquiétude en ce qui concerne le petit. As-tu songé à le placer ? A le mettre à l’abri ? Peut-être n’y a-t-il pas lieu ? Je ne sais pas ! Enfin, je te fais confiance ! »
11 juin 1944
« Mon dieu ! Pourvu qu’il ne vous arrive rien ! Je ne puis te décrire les pensées qui roulent dans ma tête. Qu’ils tiennent, qu’ils soient courageux, voilà l’idée fixe qui me poursuit quand je pense à toi, au petit, à nos parents… »
17 décembre 1944
« Tu ne peux imaginer combien je souffre d’être loin de toi et tous les ennuis de tout ordre ne sont rien à côté des chagrins que me causent le manque de toi ! Je pense aussi souvent au petit, qui grandit ! grandit ! Sans que je le voie… »
Par Alain Vincenot