Le raid sur Saint-Nazaire (mars 1942)
Opération Chariot
Par : Nghia NGUYEN (ENS-WEB)
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]27 mars 1942-27 mars 2012. 70e anniversaire de l’opération Chariot.
Le sacrifice des commandos britanniques empêche les raiders de la Kriegsmarine - notamment le cuirassé Tirpitz - de peser dans la bataille de l’Atlantique aux côtés des U-Boats.
La bataille de l’AtlantiqueEn ce début d’année 1942, les combats les plus cruciaux pour les alliés occidentaux se déroulent non pas en Afrique du Nord mais dans l’océan Atlantique. L’une des plus grandes batailles de toute la guerre depuis l’ouverture des hostilités s’y déroule, et elle semble tourner à l’avantage de la Kriegsmarine, la flotte de guerre du Reich. Par l’Atlantique, l’Angleterre reçoit le ravitaillement qui lui permet à la fois de nourrir sa population et de continuer la lutte. Par l’Atlantique passent également les liaisons vitales pour aider l’allié soviétique en grande difficulté. Si Washington a pendant longtemps considéré l’océan Atlantique comme son meilleur “fossé antichar” face à l’expansionnisme allemand, c’est ce fossé qu’il faut désormais franchir afin de pouvoir libérer l’Afrique du Nord et l’Europe. Pour résumer la situation stratégique, l’Atlantique concentrent toutes les liaisons vitales qui conditionneront rapidement le cours de la guerre.
Or, la situation des alliés est particulièrement sombre en ce début d’année 1942. L’Angleterre reste assiégée par la Kriegsmarine dont les sous-mariniers attaquent avec succès les convois navals, coulant de nombreux navires. Nous sommes à l’époque où l’Amiral Karl DÖNITZ - l’architecte des forces sous-marines du Reich - cherche à atteindre le seuil record de 500 000 tonnes de navires coulés, chiffre à partir duquel il estime que les constructions navales britanniques ne pourraient plus soutenir le rythme des destructions. Profitant de la quasi absence de défense des côtes américaines, DÖNITZ lance l’opération Paukenschlag dès l’entrée en guerre des États-Unis. En mars 1942, alors qu’il fallait au moins quatre tankers par jour pour maintenir l’économie de guerre britannique, le tonnage envoyé par le fond par les U-Boats allemands approchait dangereusement les 500 000 tonnes. Au large de la côte Est des États-Unis et du Canada ce fut un véritable carnage. Au mois d’avril 1942, près d’un million de tonnes de navires américains et britanniques furent ainsi coulés (1).
Neutraliser les grandes unités de surface de la KriegsmarineL’épine dorsale de la Kriegsmarine était alors constituée par les terribles U-Boats. L’Allemagne n’avait pas eu le temps - au lendemain de la Première Guerre mondiale et après le sabordage de ses bâtiments de guerre à Scapa Flow (juin 1919) - de reconstruire une flotte de surface capable de rivaliser avec la Royal Navy et l’US Navy. Cependant, les quelques bâtiments qu’elle avait pu lancer lorsque la guerre éclata, étaient parmi les plus puissants, les plus modernes et les plus dangereux raiders, au premier rang desquels figurait le cuirassé Bismarck. Pris en chasse par la Home Fleet, le Bismack fut finalement contraint au sabordage en mai 1941. En revanche, son sister ship, le cuirassé Tirpitz, continuait - avec les croiseurs lourds Admiral Scheer, Scharnhorst et Gneisenau - de faire planer une grave menace sur les convois alliés. Cependant, hormis le fait que les bâtiments britanniques étaient plus nombreux, le Tirpitz souffrait de la faiblesse stratégique dans laquelle se trouvait la Kriegsmarine à savoir la rareté des points d’appui indispensables pour réparer les dommages en cas d’affrontement avec la Home Fleet. Sur l’ensemble de la côte occidentale française, ouvrant sur l’Atlantique centre et sud, il n’y avait qu’un seul point d’appui pouvant jouer ce rôle pour le cuirassé Tirpitz : le port de Saint-Nazaire, plus particulièrement le dock Normandie (2) aussi appelé forme-écluse Joubert. Il s’agissait d’une vaste cale-sèche de 349 m x 50 m dont la destruction revenait à condamner le Tirpitz à rester dans son fjord norvégien de Faettenfjord.
Frapper les infrastructuresEn d’autres termes, le fait de rendre inutilisable la forme-écluse Joubert aboutissait à une neutralisation tactique des grandes unités de surface allemande, plus particulièrement le Tirpitz. Pour cela, le plan britannique consistait à amener une force commando jusque dans l’estuaire de la Loire à bord de vedettes non blindées mais dont le faible tirant d’eau permettrait d’approcher au plus près de l’objectif. C’était tout un complexe qu’il fallait neutraliser - et non seulement un bassin - pour rendre inutilisable la forme Joubert. Les maisons de treuil, la station de pompage et, surtout, les portes des écluses (8 au total) de 11 mètres de haut devaient être détruites à l’aide de puissants explosifs. D’autres objectifs étaient également prioritaires comme 4 ponts et 6 centrales électriques. Saint-Nazaire étant également une importante base de U-Boats, l’opération Chariot était une opération de grande ampleur avec pas moins de 24 objectifs différents. Elle devait réussir du premier coup, et la plupart des hommes qui y participeraient, savaient qu’ils n’en reviendraient pas. L’action la plus spectaculaire consistait à amener le destroyer HMS Campbeltown (3) directement dans la forme Joubert afin de la détruire à l’aide de plusieurs tonnes d’explosifs disposés dans les réservoirs arrières du bâtiment. Ce dernier, dont la silhouette fut maquillée en celle d’un torpilleur allemand, devait enfoncer les premières portes écluses et pénétrer dans le bassin avant d’exploser.
Planifiée par le Combined operations de Lord Louis MOUNBATTEN, l’opération Chariot fut conduite par le Lieutenant-colonel AC. NEWMAN. Après un raid de diversion de la Royal Air Force, soutenus par les marins de la Royal Navy, les commandos devaient débarquer des vedettes et du HMS Campbeltown, neutraliser les troupes allemandes sur place, détruire plusieurs positions d’artillerie ainsi que les éléments fonctionnels de l’énorme dock. Une autre partie des 256 commandos engagés devait se mettre en position défensive afin de ralentir l’arrivée rapide des renforts allemands (5000 hommes dont 1 brigade d’infanterie présente sur les lieux) dans un combat prévu à 1 contre 10. Seuls les hommes les plus durement entraînés de l’armée anglaise pouvaient faire face à une telle mission : les commandos.
La mise sur pied d’unités de commandosC’est au Royaume-Uni, durant la Deuxième Guerre mondiale, que nous devons la mise sur pied des premières unités de commandos au sens moderne du terme, à savoir des hommes dédiés à des missions particulièrement difficiles, échappant aux savoir faire des unités régulières. D’abord issus des fusiliers marins (Royal Marines), leur recrutement fut rapidement étendu à l’ensemble des unités de l’armée. Sélectionnés dans les Highlands sur des critères physiques, psychiques et intellectuels élevés, entraînés au sein de petites équipes spécialisées, dotées d’une très grande initiative, rompus aux exercices en milieu amphibie, les commandos britanniques sont créés au début du conflit dans le contexte particulièrement catastrophique de la défaite française et de l’évacuation de la poche de Dunkerque (opération Dynamo).
Dans l’attente de pouvoir réorganiser son armée, et de remettre pied sur le continent, la Grande-Bretagne ressent le besoin de disposer d’hommes capables de mener des raids et des actions ponctuelles dans la profondeur du dispositif ennemi. Elle créé un service entièrement dédié à ces opérations spéciales : le Combined operations. Les commandos sont donc des hommes capables de redonner aux armes britanniques ces actions d’éclats indispensables pour remonter le moral d’un pays désormais isolé du continent et acculé à la défensive. Sur une idée du Lieutenant-colonel Dudley CLARKE, rapidement admise par Winston CHURCHILL, l’armée britannique va très rapidement mettre sur pied des unités commandos selon un modèle qui fera aussi école auprès d’autres armées alliées.
C’est ainsi que vont naître, entre autres, les Commandos Marine français, constitués, entraînés et commandés par le Commandant Philippe KIEFFER. Encore de nos jours, les Commandos Marine français portent le béret vert incliné dans le sens du béret britannique, et orné d’un écusson (non d’un macaron) rappelant l’origine historique de cette troupe. Commandos marines, Special Air Service (SAS) et bien d’autres unités commandos nées durant le deuxième conflit mondial, sont les ancêtres de nos actuelles forces spéciales.
Un succès britanniqueDéclenché dans la journée du 27 mars, l’opération Chariot dégénéra en une véritable bataille à la fois navale et terrestre aux premières heures du 28. Lorsqu’à 1.34 du matin, le HMS Campbeltown s’écrasa sur la première porte écluse, de nombreux marins et commandos avaient déjà été tués dans le déchaînement des tirs allemands. La plupart des vedettes furent également coulées mais l’extraordinaire courage des commandos survivants permit la destruction de la station de pompage et de plusieurs maisons de treuil. Surtout, à 10.30, alors que la bataille venaient de s’achever, les 24 charges de profondeur du HMS Campbeltown explosèrent, détruisant la porte écluse et tuant de nombreux soldats allemands qui s’étaient approchés du destroyer alors encastré dans le caisson coulissant. L’objectif était atteint. Le bassin était désormais inutilisable. Il ne devait être restauré que plusieurs années après la guerre. Le raid de Saint-Nazaire fut un haut fait d’armes de la bataille de l’Atlantique, à la gloire des marins et des commandos de sa Majesté dont 169 périrent et 200 autres furent capturés pour la plupart blessés.
(1) Cf. (John) COSTELLO et (Terry (HUGHES), La bataille de l’Atlantique, Albin Michel, Paris, 1980, 320 p. Au terme de l’opération Paukenschlag (août 1942), les alliés perdirent 609 navires soit plus de 3 millions de tonnes.
(2) Du nom du paquebot Normandie qui fut construit dans cette cale. Lors de sa mise en service en 1935, le Normandie était le plus grand navire de sa catégorie au monde (314 mètres de long).
(3) Le HMS Campbeltown était un vieux destroyer de l’US Navy, le USS Buchanan, reversé à la Royal Navy dans le cadre d’accords de coopération entre les États-Unis et le Royaume-Uni.[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Quatre jours après la bataille, le 1er avril 1942, des cadavres de commandos britanniques gisent encore dans le port de Saint-Nazaire (crédit photographique - AP Photo/Schlemmer-Atl)