Paras, bérets bleus, verts et rouges, tous unis ! Forum pour Parachutistes et Sympathisants de par le Monde |
| | La Belgique et la Grande Guerre | |
| | |
Auteur | Message |
---|
L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:56 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_08.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 145, 18 juillet 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Haelen - 12 Aout 1914' Recueillis par le Baron C. Buffincarte-postale des combats à Haelen Haelen - 12 Aout 1914Après avoir défendu Liège, la 3 division a rejoint l'armée belge, qui a pris position sur la Gette: en première ligne sont placées les 1re, 3e et 5e divisions; en deuxième ligne, les 2e et 6e divisions; la 4e division défend Namur, Ces forces sont couvertes par la division de cavalerie qui, placée d'abord à Waremme, se replie sur Saint-Trond, puis sur la gauche de l'armée dont elle prolonge la ligne, du nord de Tirlemont jusque vers Diest. Le 12 août, la cavalerie ennemie cherche à forcer à Haelen le passage de la Gette: à six régiments des 2 et 4 divisions de cavalerie allemande, soutenus par les 7e et 9e bataillons de chasseurs et par trois batteries, soit 4000 cavaliers, 5 000 fantassins et 18 canons, la division de cavalerie belge oppose victorieusement 2 400 cavaliers, 410 cyclistes et 19, canons. (Voir rapport du commandement de l'armée). Depuis plusieurs jours déjà, des détachements de cavalerie ennemie sont venus audacieusement tâter en tous ses points notre ligne de déîense de la Gètte; partout ils l'ont trouvée bien gardée. Aujourd'hui, 12 août, l'ennemi s'est renforcé partout, nous disent nos intrépides reconnaissances d'officiers de guides et de lanciers, et nous avons l'impression assez nette qu'il va tenter un effort sur Haelen pour y percer notre ligne. Nous sommes sur nos gardes, et si réellement la division de cavalerie allemande espère passer par là, elle y rencontrera la masse principale de la division de cavalerie de l'armée belge. Elle nous croit échelonnés, comme les jours précédents, tout le long de la rivière, depuis Diest jusqu'à Drieslinter, mais elle ignore que, par une habile manœuvre, le lieutenant général de Witte, ne laissant aux points de passage secondaires qire le minimum de forces, s'est constitué une réserve imposante, prête à foncer sur l'ennemi. Pendant que cette masse se forme, le général de Witte remet entre les mains du colonel du 5e lanciers l'étendard que ce régiment de nouvelle formation vient de recevoir. Le jour même cette vaillante troupe mérite l'honneur de faire inscrire « Haelen » sur la soie encore immaculée. Le Terrain du CombatLe soleil, qui à son lever paraissait maussade, éclate maintenant dans toute sa splen- deur, éclairant les fermes et les métairies blanches égrenées le long de la route qui réunit Loxbergen à Haelen, en serpentant entre les champs fertiles, garnis encore en partie de leurs riches récoltes de blé et d'avoine. Le quartier général de la division a mis pied à terre à la lisière de Loxbergen, d'où la vue s'étend au loin. A gauche, une vallée étroite, dans un encadrement de peupliers et de saules; çà et là émergent quelques toits rouges. Sur la croupe qui domine la vallée, une batterie belge est installée. Les clochers de Diest lancent leur sonnerie claire et recueillie, au loin se profile dans le ciel le petit clocher trapu de Haelen. Cette bourgade, hier encore ignorée, sera le témoin de l'effort violent et brutal que fera la cavalerie allemande pour déloger la cavalerie belge et s'ouvrir le chemin vers le cœur du pays, après avoir gagné le flanc de l'armée belge que couvre la division de cavalerie. Les Allemands escomptent bien, pour aujourd'hui, une revanche de tous les succès que la division belge a obtenus pendant les huit premiers jours de la campagne. Ils espèrent tirer vengeance des Belges, qui leur ont enlevé toutes leurs reconnaissances, leurs patrouilles, leurs postes de liaison et leurs centres de renseignements, et ont désorganisé leur savant mais fragile réseau de découverte. Les Premiers Coups de FusilBientôt des lueurs d'incendie apparaissent, c'est le signal donné par les reconnaissances allemandes pour annoncer aux leurs que nous sommes en travers de leurs projets. Là-bas, nos vaillants carabiniers cyclistes sont déjà au feu et défendent chèrement les positions qu'ils occupent: avec le concours des pionniers-pontonniers cyclistes, ils ont fouillé la terre, approfondi les fossés, organisé les haies et les clôtures, barricadé les chemins et les routes, installé leurs fusils mitrailleurs aux endroits favorables et ils sont décidés à infliger un rude châtiment à l'envahisseur. Dès qu'apparaissent les premiers escadrons de dragons et de hussards, la fusillade crépite; l'ennemi, un instant, hésite; puis, poussé par ses chefs, il se ressaisit et dirige sur nos petits cyclistes le feu de ses fusils, de ses mitrailleuses et de ses canons. Les lâches hobereaux qui les conduisent ou les poussent se font couvrir par d'inoffensifs habitants qu'ils traquent devant eux, mais les carabiniers, bien dissimulés, ajustent froidement chaque coup de fusil et, chaque fois, un casque à pointe, un colback ou un schapska roule à terre, et un homme vêtu de gris s'écroule dans les moissons. « Nos diables noirs » reculent pas à pas, défendent chaque sillon, chaque buisson. carte-postale des combats à Haelen Les Charges de Cavalerie AllemandeTout à coup, l'avalanche des escadrons allemands surgit, et, dans un galop furieux, se précipite sur les fantassins, qui reçoivent le choc sans sourciller, à coups de feu et de baïonnettes. Les escadrons, entraînés par leur élan, poursuivent leur route et arrivent vers les lanciers belges, qui ont mis pied à terre, en arrière des cyclistes, et qui reçoivent la charge par un feu roulant à courte distance. Le galop de ces masses hurlantes et cliquetantes fait vibrer le sol, les longues lances acérées et tenues en arrêt semblent devoir renverser tout sur leur passage; mais, à la première décharge des carabines de nos lanciers, aidés puissamment par les quatre fusils mitrailleurs que dirigent avec sang-froid les lieutenants Scouvemont et Ouverleaux, et de loin par le feu de trois escadrons du 1re guides, placés à droite du champ de combat, la masse pirouette et se désagrège. Les premiers escadrons sont suivis d'autres. Cette deuxième charge est reçue comme la première, la troisième comme la seconde. Sept charges successives sont ainsi écrasées. Le moment est tragique, quantité de chevaux errant à l'aventure, fous de terreur et de douleur, rouges de sang, galopent éperdus; quelques-uns d'entre eux viennent bousculer les chevaux haut-le-pied de nos lanciers; la panique se propage parmi ceux-ci et, à un moment, un immense troupeau dévale dans la plaine, au milieu des coups de fusil et des éclatements secs des schrapnells. Stoïques, nos soldats rechargent leurs armes et s'apprêtent à repousser de nouveaux assauts, jetant à peine un regard de commisération aux cadavres amis et ennemis qui les entourent, aux blessés qui hurlent leurs douleurs. Nouvelles Attaques de l'EnnemiLes chefs de la cavalerie allemande, reconnaissant l'inutilité de l'action à cheval, font cesser les charges et n'envoient plus contre nous que des cavaliers pied à terre, destinés à agir par le feu de leurs carabines et soutenus par leurs mitrailleuses. Ils s'avancent dans la plaine, rampant dans les blés, se terrant dans chaque repli du sol, s'abritant derrière chaque gerbe pour échapper au feu terrible de nos courageux et adroits cavaliers. Déjà six régiments de dragons, de hussards et de cuirassiers sont engagés et avancent péniblement, quand le secours de deux bataillons de chasseurs leur est envoyé. Notre artillerie, alors, entre en action. La première batterie à cheval, maniée par un chef énergique et sûr de lui-même, envoie avec précision ses obus et ses shrapnells sur les cavaliers et les fantassins qui inondent la plaine, et, en même temps, elle couvre de ses obus brisants le pont de Haelen et le village où s'entassent alors de nouveaux régiments de cavalerie accourus pour renforcer et soutenir leurs camarades. Sous la poussée du nombre, nos cavaliers tiennent difficilement, mais ne reculent cependant pas d'une semelle et donnent à notre infanterie le temps d'arriver. Les Premiers Renforts Nous ArriventIl est 15 heures, quand enfin apparaissent les premiers secours: trois bataillons du 4e de ligne et deux du 24e, accompagnés d'un groupe d'artillerie, partis de Hautem-Sainte- Marguerite à 10 heures et demie. Une partie de l'infanterie fut dirigée sur Velpen, pour de là gagner Haelen, l'autre fut envoyée en renfort des défenseurs de la ferme de l'Yserbeek; l'artillerie soutint ces deux attaques; malheureusement, des deux batteries qui prirent position au moulin de Loxbergen, une seule put ouvrir le feu sans être immédiatement contrebattue par l'artillerie allemande qui était en position au nord de Velpen. Pendant que l'infanterie progressait vers Velpen et la ferme de l'Yserbeek, la 1re brigade de cavalerie était reformée à cheval et dirigée vers l'aile gauche du champ de bataille. La 2e brigade, qui est au feu depuis sept longues heures, se met à la recherche de ses chevaux. A 19 heures, la ferme de l'Yserbeek ou plutôt les ruines fumantes de cette ferme sont reprises par le bataillon Leconte, et le bataillon Rademaekers a reconquis Velpen. Autour de nous, des chevaux aux membres mutilés, naseaux en sang, flancs déchirés, râleat dans les fossés de la route ou dans les champs; d'autres galopent éperdument, ensanglantés et la selle ballottant entre les jambes. Puis commença le lamentable cortège des blessés, qui, l'œil hagard, se traînent péniblement vers l'arrière, tantôt seuls, courbés, marchant da- s les fossés, tantôt soutenus par des ambulanciers ou des prêtres de la colonne d'ambulance, tantôt, transportés sur des civières ou même dans leurs propres manteaux tenus aux quatre extrémités. Debout, au milieu de la route, méprisant les obus brisants qui abattent des chevaux autour d'eux, les shrapnells qui atteignent leurs chevaux de main, les balles qui sifflent dans les branches, le général de Witte et son état-major, donnant aux troupes l'exemple du mépris du danger, suivent les phases de la lutte. Déjà des débris de toutes sortes jonchent le sol, des caissons à munitions galopent sur la route pour porter aux tireurs des cartouches de ravitaillement, et sur tout le front, des incendies allumés par les obus lancent dans le ciel pur leurs lueurs sinistres et leur fumée acre. Victoire!La bataille, quand déjà le soleil descendait à l'horizon, semblait encore indécise. A ce moment, nos artilleurs observent un mouvement de recul de la ligne ennemie qui, sous la poussée de notre infanterie, commence à refluer vers le pont et le village de Haelen. Aussitôt, ils font feu de tous leurs canons vers le couloir où s'engouffrent les fuyards; ceux-ci entraînent, malgré les efforts et les menaces des officiers, les régiments de cavalerie arrivant encore à la rescousse. La fuite, à la nuit tombante, dégénère en une débandade folle qui ne s'arrêta qu'à Hasselt et à Herck-Saint-Lambert où les troupes battues se fortifièrent hâtivement pour s'opposer à toute poursuite éventuelle. Des corbeaux jettent leur croassement lugubre dans la nuit, presque noire déjà. La galopade des chevaux effarés et éperonnés cruellement par leurs cavaliers martèle le pavé. Sous la pluie incessante de projectiles belges, les dix régiments allemands, magnifiques le matin, ne forment plus qu'une cohue désordonnée qui foule aux pieds les fantassins, les morts et les blessés et abandonne les officiers et les généraux. A l'autre extrémité du champ de bataille, nous entendons s'élever les chants de victoire des troupes belges qui saluent leur premier fait d'armes. La Nuit Après le CombatPeu à peu, le champ de bataille devient muet, un voile de ténèbre, de deuil et de terreur couvre cette terre où tant d'hommes jeunes et qui, hier encore, souriaient à la vie, dorment leur dernier sommeil, ou gémissent de douleur, abandonnés. Le silence nocturne qui suit ce vacarme infernal semble plus profond que jamais; les étoiles qui déjà scintillent et la lune qui brille de tout son éclat font un contraste saisissant avec les horreurs dont nos yeux sont encore pleins. Nos pensées se précisent pendant que nous cheminons lentement, les nerfs enfin détendus, vers nos cantonnements... La marche à pied dans l'obscurité (beaucoup d'eitre nous n'ayant pas retrouvé leurs chevaux disparus ou tués dans la tourmente) ramène petit à petit le calme dans nos esprits et nos souvenirs parviennent à se condenser. Les Héros - Traits de Courage de Nos Soldats et de Nos OfficiersNous songeons alors à ce vélocipédiste, attaché au quartier général de la division de cavalerie, le brave Royer, qui se porta résolument au cœur du combat pour rapporter un officier, le lieutenant de Waepenaere, blessé à la cuisse alors qu'il entraînait au feu des fantassins intimidés et non encore faits au combat. Ce généreux soldat retourna une deuxième fois dans la fournaise pour reprendre et rapporter sur une charrette une mitrailleuse abandonnée; puis une troisième fois pour aller tuer, à coups de revolver, deux cavaliers allemands embusqués derrière des gerbes et qui avaient tiré sur lui quand il revenait avec son lieutenant d'abord, avec la mitrailleuse ensuite. Il rapporte, cette fois, les deux casques. Ce « valeureux Liégeois », qui avait accompli ces trois traits de bravoure et de dévouement sous nos yeux, n'en parla jamais; il trouvait qu'il avait fait tout simplement son devoir de soldat. Aussi fut-il très étonné quand il fut nommé caporal en récompense de sa belle conduite. Il se montra, dans la suite digne de ses débuts, allant, le jour et la nuit, aux expéditions les plus périlleuses et terminant glorieusement sa noble carrière en se faisant tuer, dans une auto blindée, au combat de Pellenberg. Nous nous souvenons aussi de ce petit soldat blessé horriblement, le bras déchiqueté, qui, de son bras valide, tendait un morceau de fusil vers le général et criait: « J'ai encore mon fusil! » Et de cet autre qui, s'appuyant sur deux infirmiers, traînait obstinément une lance allemande comme un trophée. Nous revoyons, dans nos souvenirs, ces vaillants cavaliers: Thiery et le prince Baudouin de Ligne, volontaires engagés pour la durée de la guerre comme automobilistes, demandant et obtenant l'autorisation d'aller au feu avec les fantassins, pour les stimuler par leur exemple, en levant et occupant à six une tranchée, où, pendant une heure, ils tinrent seuls contre des forces très supérieures, cherchant à prendre une mitrailleuse. Nous reportons nos pensées émues vers tant de héros dont il serait trop long de citer tous les traits de bravoure: les majors Bour-gouis et Stacquet; les commandants Demaret, Vandamme, Wacquez; les capitaines Lequeux, Panquin, Van Vlierberghen; le lieutenant Stoops et le sous-lieutenant Marrée, tués; le major Rademaekers; le commandant Dujardin; les lieutenants Mortier, M. Van Damme, A. Desmet, Ch. Albert et le chevalier de Waepenaere, blessés. Notre race belge, notre corps d'officiers montra là dès ce premier choc, dès son premier baptême du feu, toute la valeur de sa froide énergie et de sa ténacité inébranlable. Lendemain de VictoireLe lendemain, il fait déjà grand jour quand nous nous reportons en avant, vers Haelen. Un mouvement intense règne à Loxbergen; les autos, les ambulances amènent constamment leur charge de blessés à l'infirmerie, installée dans l'école. Ils sont là, couchés côte à côte, sur la paille ensanglantée, dans une atmosphère imprégnée de l'odeur des désinfectants, tandis que des religieuses, des prêtres, des médecins, des infirmiers s'empressent autour d'eux, leur prodiguant les soins et les consolations, cherchant à soulager leurs souffrances, à amener dans leurs regards éteints un éclair où se lit le souvenir de la famille absente, du toit paternel, de la femme aimée, des enfants chéris... Le cœur le plus endurci est prêt à chavirer au spectacle de ces torses nus que la douleur étreint, de ces membres mutilés, de ces bras tordus et de ces regards suppliants au milieu des linges et des bandages, parmi les bottes, les équipements, les armes jetées en tas dans un coin, sur les pupitres de la classe, où peu de jours auparavant, une jeunesse insouciante apprenait à lire et à aimer la patrie belge. Le Spectacle du Champ de BatailleAu sortir de cet antre de douleur, nous éprouvâmes une sorte de soulagement à nous retrouver à l'air libre, mais nous sommes bientôt ressaisis par le spectacle du champ de bataille. Devant l'église du petit village gisent, déjà couverts de poussière, des cadavres de chevaux, des voitures renversées, de la paille piétinée, des restes de nourriture et de feux, le chaos infâme que laisse une armée derrière elle. A la limite du village, sur le chemin de Haelen, nous vîmes les premiers cadavres d'Allemands, la face tuméfiée, les membres crispés, couchés dans les positions les plus diverses et les plus surprenantes. Voici un cuirassier tenant encore en mains un chargeur muni de ses cartouches; plus loin, un dragon, couché la face contre terre, une jambe repliée en arrière. Nous arrivons à la petite ferme que l'on se disputa toute la journée; la maison est éven- trée à coups d'obus, la grange réduite en cendres. Les porcs, en liberté, rôdent autour de cette ruine. A mesure que nous avançons vers Haelen, le nombre de cadavres augmente. A l'endroit où le choc entre tirailleurs a eu lieu, une ligne presque continue de cadavres allemands et belges montre quel fut ici l'acharnement des deux partis. Un officier du 24e de ligne et un officier de dragons sont là côte à côte. Quel est celui qui a vu mourir l'autre? Quel drame cache le voisinage de ces deux corps?... A Haelen, le drame est poignant: la plupart des maisons montrent des trous béants et des murs déchiquetés. La rue est couverte de débris de toutes sortes. Des centaines de chevaux gisent, têtes fracassées, ventres ouverts, reins brisés. Et sur tout cela, se répand une odeur nauséabonde qui étreint la gorge. Des habitants dévoués ont déjà enterré les morts dans de grandes fosses creusées près du village et ils commencent à évacuer les cadavres des chevaux. Ici, à l'angle de la rue, un caisson et un canon ont été abandonnés, roues cassées; plus loin, un autre caisson encore rempli de munitions et qu'il faudra noyer dans la petite rivière; là, dans un large fossé, un cadavre de cheval recouvre en partie le corps d'un officier de dragons, dont la tête seule est visible et émerge de l'eau croupissante. Sur la place, nous ramassons le drapeau belge qui flottait à la maison communale; il a été arraché par les Prussiens, lacéré et traîné dans la boue. Nous le faisons arborer tel qu'il est, à sa place, et nous nous inclinons profondément, ne pensant pas à ce moment qu'il sera bientôt l'emblème de notre pauvre Patrie déchirée, violée et piétinée par une soldatesque barbare. Au retour, nous parcourons le sentier tragique où nos indomptables cyclistes résistèrent héroïquement: les vélos brisés, les cadavres de nos « diables noirs » et de leurs ennemis attestent leur vaillance et le mal qu'ils firent à ces cavaliers allemands, particulièrement à ceux du 17e dragons, régiment d'élite, composé de la fleur de la noblesse du Mecklembourg. Plus loin, nous rencontrons des soldats portant sur une échelle un sous-officier de lanciers blessé au genou. Il nous raconte, le sourire aux lèvres: « J'ai passé une nuit terrible, blessé, couché dans un champ de betteraves, à côté d'un sous-officier allemand blessé aussi qui, après m'avoir injurié, me tira trois balles de revolver, puis se logea la dernière dans la tête. Il est encore là dans ce champ ». Comme ce chemin de retour nous parut long! Nous aurions voulu fermer les yeuxl Nous songions aux mères, aux sœurs, aux familles de tous ceux que nous venions de voir là, morts pour leur Patrie, victimes d'un despote sanguinaire, brutal et parjure. Pensées affligeantes qui jetèrent un voile sombre sur les sentiments de fierté que faisaient naître en nous le souvenir de notre 1re victoire? http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_08.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:56 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_09.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 145, 18 juillet 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Combat de Budingen 18 Aout 1914' Recueillis par le Baron C. Buffin Combat de Budingen - 18 Aout 1914 Mort du Lieutenant Comte W. d'Ursel
par le colonel de Schietere de Lophem, commandant le 4e lanciersLe combat de Budigen est un épisode du forcement de la Gette par les avant-gardes de l'armée du général von Kluck. L'attaque s'étendit de Diest à Tirlemont et fut particulièrement violente â Tirlemont et à Hauthem-Sainte-Marguerite. Le 17 août, vers 18 heures et demie, je reçus l'ordre de me rendre à Budingen avec l'état-major du 2e groupe du 1er guides. De grand matin, les deux escadrons sous mon commandement avaient été envoyés de Geet-Betz en reconnaissance: le 3e vers Looz, le 4e vers Oreye. C'est donc sans troupe que j'arrive à Budingen vers 19 heures et demie et je m'instalie à la ferme Dubois, où se trouve déjà un poste de secours. Le passage de la Gette, dont le pont a été détruit, est défendu par une compagnie du 4e de ligne, installée dans de bonnes tranchées, mais son commandant, le lieutenant Dothée, me prévient qu'il a pour instructions de gagner Cumptich pendant la nuit. Comme je ne peux rester seul dans une localité si accessible à l'ennemi, je lui enjoins de prolonger sa mission jusqu'à ce que d'autres troupes viennent le remplacer et j'avertis mon colonel de la situation. Dans la soirée, je reçois comme soutien le capitaine commandant de Favereau, à la tête du 1er escadron du 2e guides qui s'établit au bivouac dans un champ voisin de ma ferme et qui, après avoir soigné ses chevaux et alimenté ses hommes, relève à 2 heures et demie la compagnie du 4e de ligne: le lieutenant de Formanoir occupe le pont et la rive gauche de la Gette, le lieutenant comte d'Ursel les tranchées au sud, étendant sa surveillance jusqu'au moulin de la ferme Saint-Job, et entre eux s'intercale le peloton du lieutenant vicomte de Jonghe d'Ardoye; établi à la chapelle, à 300 mètres à l'est du pont, un poste surveille les routes de Graesen et de Léau. Pendant la nuit, aucun indice ne signale l'approche de l'ennemi et la tranquillité était complète lorsque vers 6 heures et demie arrive le 4e escadron du 1er guides (commandant van den Branden de Reeth), dont les hommes, épuisés par une pénible reconnaissance, prennent quelque repos et se ravitaillent avant d'occuper le secteur nord. Vers 7 heures, je fais une inspection des positions: la défense ne s'étend pas suffisamment vers Geet-Betz, aussi envoyé-je, à 300 ou 400 mètres plus au nord, l'élève à l'Ecole militaire baron de Crombrugghe avec une dizaine de cavaliers; d'un autre côté, près du moulin de Saint-Job, je découvre une petite passerelle que j'ordonne immédiatement d'encercler de ronces artificielles, arrachées aux propriétés voisines; ce passage devient ainsi impraticable. Partout les soldats sont à leur poste, impatients de combattre, désireux de se distinguer. Lors de mon retour le long de la Gette, une détonation retentit. C'est le lieutenant d'Ursel qui vient de tirer sur des soldats allemands, cachés dans les couverts, à quelques centaines de mètres. Je m'arme également d'une carabine et, bientôt, j'aperçois deux Allemands accroupis, se disposant à nous fusiller. J'en abats un, d'Ursel se charge de l'autre; nous tiraillons depuis quelques instants et nous avons déjà mis plusieurs adversaires hors de combat, lorsque soudain une balle siffle et produit un léger claquement à ma droite. Tournant la tête, je vois d'Ursel, étendu inanimé, sur le talus de la tranchée. Il semble mort. Le cavalier Simon s'approche, soulève le colback et découvre une plaie béante que le malheureux officier porte à la partie postérieure de la tête. Quelle pénible impression! Quel sentiment de profonde tristesse étreint le cœur d'un chef en voyant tomber à ses côtés un de ses plus braves officiers. Le combat s'est engagé sur toute la ligne, de nombreuses balles sifflent à nos oreilles. En toute hâte, je cours à la ferme Dubois et ordonne au commandant van den Branden de mener ses chevaux à la place de rassemblement, à l'ouest de la gare, et d'occuper immédiatement, avec le plus grand nombre d'hommes possible, les tranchées au nord du pont, tandis que l'escadron du 2e guides continuera à défendre celle du sud. Après avoir expédié une patrouille à cheval vers Glabeek, surveiller le cours d'eau entre ce hameau et la Gette, j'invite les médecins du poste de secours à relever d'Ursel et à le soigner. Le combat continue, violent, l'ennemi nous envoyant continuellement des balles et des shrapnells. Nos cavaliers ripostent avec précision; tous les tirailleurs ennemis qui s'avancent en dehors des couverts sont abattus. Heureusement, vers 8 heures, survient le maréchal des logis Bonnejonne, du 1er chasseurs, avec un fusil mitrailleur, qui se place en position au sud du pont, sous la direction du lieutenant de Jonghe. Quelques minutes plus tard, je reçois par téléphone l'ordre suivant: « Au cas où la ligne d'eau serait forcée, ralliement au Grootenbosch pour se porter sur Vroen et Kersbeck-Miscom », et en même temps l'avis: Commandant escadron 2e guides à Budingen. Par ordre général commandant division cavalerie, vous passez sous mes ordres et avez pour mission de défendre à outrance le pont de Budingen. Une mitrailleuse est à votre disposition. Communiquez avec moi à Geet-Betz. - Colonel 1er guides. Comme j'avais la direction du combat de Budingen, je m'attribuai ces prescriptions. Parcourant de nouveau les tranchées au sud du pont, je parviens à l'endroit où d'Ursel a été frappé. Le lieutenant, couché au bas du talus, paraît dormir; une blessure presque imperceptible marque d'un point rouge le coin de l'œil gauche. « Eh bien, d'Ursel, demandai-je, comment vous sentez-vous? » Avant même d'ouvrir les yeux il me répond: « Ah! c'est vous, major? » et j'ai la surprise de lui voir un regard clair et vif. « Souffrez- vous beaucoup? » - « Pas trop. » - « J'ai donné des ordres pour que vous soyez relevé et transporté au poste de secours. Entouré de bons soins, vous serez vite rétabli. » II me remercie beaucoup, me disant toutefois: « Si je n'en échappe point, dites à ma femme que ma dernière pensée a été pour elle. » Je le lui promets et l'assure encore que sa blessure n'est nullement mortelle et que des médecins le panseront à l'instant. En le voyant si conscient, si calme, parlant si aisément, j'espérai que la balle avait contourné le crâne et que la plaie de la partie postérieure de la tête n'était qu'un arrachement produit par la sortie du projectile. En partant, je recommande à mon adjoint, le capitaine Baes, de faire évacuer le blessé. L'attaque allemande devient plus forte et décidée; les shrapnells ennemis atteignent les tranchées; le nombre des assaillants augmente de minute en minute; à la chapelle, dont le poste de surveillance s'est replié, se présentent des masses de fantassins ennemis que décime le feu du fusil mitrailleur et des pelotons des lieutenants de Jonghe et d'Ursel. Il est 9 heures et quart. Un nouvel ordre me parvient: « Au cas où l'eau serait forcée, se rallier sur Vroen. - Le colonel 1er guides (porteur: brigadier Brewer, 1er groupe, 5e escadron). » Ayant reçu précédemment des instructions me prescrivant de tenir à outrance, j'estime que mon devoir est de résister encore. Mes cavaliers se comportent toujours très vaillamment; cependant plusieurs prétendent entendre siffler des balles dans leur dos. « Vous faites erreur, répliquai-je, le bruit que vous entendez provient des balles qui s'écrasent sur les murs des maisons avoisinantes ». Le fusil mitrailleur s'étant encrassé, il faut interrompre le tir; le maréchal des logis Bonnejonne est blessé; le lieutenant de Jonghe parvient à remettre en marche le mécanisme et tire lui-même. A 9 h. 30, je me rends sur la place du village, où se trouve le commandant van den Branden: deux obus éclatent à peu de mètres de nous. A ce moment, le brigadier Desterbeck, du 4e escadron du 1er guides, de patrouille vers Glabeek, accourt m'avertir qu'une compagnie ennemie, précédée de nombreux tirailleurs, se dirige le long du chemin de fer de Geet-Betz vers Budingen. Dès lors, mon dispositif est tourné, des forces supérieures vont m'attaquer en flanc et rendre toute résistance inutile: je donne l'ordre de retraite et désigne Grootenbosch comme point de rallie: ment. Déjà des Allemands occupent les maisons du village; d'autres ont gagné la grande ferme et les bâtiments à l'ouest de la halte. C'est donc dans des conditions désavantageuses que s'effectue la retraite des deux escadrons qui, pour regagner leurs chevaux, doivent traverser un espace déjà battu par le feu de l'adversaire. Fâcheux contretemps! Au cours du combat, un certain nombre de chevaux, affolés par le bruit de la fusillade et de l'éclatement des shrapnells, se sont échappés des mains de leurs gardes et galopent dans la plaine. Alors, sous la protection du peloton du lieutenant Terlinden, commence une poursuite folle des cavaliers derrière leurs montures. Quand, enfin, ils sont en selle et effectuent leur retraite, les Allemands cachés dans les fermes tiraillent tant qu'ils peuvent. Heureusement leurs coups, mal ajustés, ne portent pas, ce qui fait qu'un petit nombre seulement d'hommes sont frappés, plus ou moins gravement, entre autres le capitaine commandant de Favereau, qui a le bras gauche fracturé par une balle et son cheval tué sous lui. Le moment est critique, car les fantassins ennemis garnissent, de plus en plus nom- breux, les maisons voisines et nous envoient toujours aussi maladroitement d'innombrables balles. Si leur tir avait été bien dirigé, pas un de nous n'aurait échappé. Il n'y a pas de temps à perdre et une galopade rapide soustrait les escadrons aux projectiles ennemis. Comme j'étais resté un des derniers sur le lieu du combat, quand je me rends à l'emplacement des chevaux haut-le-pied, cavaliers et montures sont partis. Il ne reste plus que le maréchal des logis Keucker de Wattlet et deux ou trois autres cavaliers. Impossible de retrouver mon cheval. Pour me soustraire au danger, car les balles sifflent de plus belle, je m'abrite derrière une maison proche. Quelle veine! un cheval passe, je l'attrape, saute en selle et me dirige au galop vers le Grooten-bosch, à travers un espace découvert, frôlé par des centaines de balles. Comment échappai-je? C'est incompréhensible. Je m'arrête près d'une briqueterie et appelle à moi des cavaliers qui courent épars dans la campagne: une quarantaine d'hommes m'ont déjà rallié quand un groupe nombreux d'autres guides, revenant vers moi, me signalent la présence de cavalerie entre Dries et Miscom. A la tête de ces hommes, je me porte vers Hoogen, à cent mètres à l'Est du Grootenbosch, où je rencontre le lieutenant de Formanoir avec son peloton. Aussitôt je donne l'ordre à cet officier de reconnaître la cavalerie signalée dans la plaine. Il revient vingt minutes après et m'apprend que c'est le 1er régiment de guides qui gagne Kersbeek-Miscom. Il est environ midi. Je crois intéressant de reproduire un extrait d'une lettre que m'adressa le docteur Lepape, blessé durant le combat et fait prisonnier: « Au début de l'engagement, je me trouvais avec le docteur Spelkens, près de la ferme Dubois, aménagée tant bien que mal en poste de secours; nous nous sommes alors quittés afin de prendre les dernières mesures pour l'acheminement de nos blessés. A ce moment rares étaient les balles qui sifflaient sur la route tandis que quelques coups de feu venaient, parallèlement au chemin de fer et le railway. Ce fut de ce côté que je fus appelé en premier lieu pour donner mes soins: pendant que j'effectuais mais pansements, j'assistai à la débandade des chevaux, se cabrant et tiraillant leurs longes pour fuir; les gardes et maréchaux ferrants se démenaient en vain, puis s'efforçaient de les ralier vers le passage à niveau; pendant cette opération, je constatai la mort du maréchal ferrant Gevaert, atteint d'une balle au front. C'est au moment précis oh, voyant l'inutilité de mes soins, je me relevais, qu'une balle m'atteignit au genou; heureusement, il me fut possible, après extraction immédiate et pansement compressif, de continuer mon service. Je vis ainsi arriver des soldats en retraite, suivis à une centaine de mètres d'uniformes gris se faufilant le long du chemin de fer. D'autre part, mon ordonnance accourait m'annoncer que nous nous retirions. Rentrant alors dans la ferme, je détruisis tous les papiers y laissés par des sous-officiers surpris par l'alerte (états des cadres, feuilles à en-tête du régiment, carnets de campagne, correspondance, etc.), puis je m'acheminai vers les troupes. J'eus la malencontreuse idée d'enfourcher un cheval sans tenir compte de ma jambe; aussi quelques mètres plus loin, je tombai et me fracturai une côte. Quand je revins à moi, j'étais dépouillé de tous mes papiers et armes; la plupart des maisons flambaient et quelques Belges, enfermés dans l'une d'elles, tiraient encore. Peu après, je voyais défiler, pendant près de deux heures, des troupes d'infanterie avec mitrailleuses et canons. « Quelques constatations me reviennent à l'esprit: « 1 Les officiers allemands avaient fait croire à leurs hommes que nous étions des Français et non des Belges (les culottes rouges en témoignaient). » 2 Systématiquement les portes et les fenêtres des maisons étaient enfoncées à coups de crosse de fusil, puis les habitations étaient incendiées au moyen de rondelles empilées en paquet que portaient certains soldats; en quelques secondes, la flamme apparaissait et s'étendait rapidement. » 3 Les Allemands voulaient fusiller des prisonniers, dont un maréchal des logis, parce qu'ils avaient tiré d'une fenêtre « ce qui, disaient-ils, était contraire aux lois de la guerre »; connaissant un peu la langue aile-allemande, j'ai voulu m'interposer, ce qui m'a valu des bourrades. Je ne sais ce qui en est résulté. » 4 Sur ma demande, les Allemands ont consenti à ne pas brûler le poste de secours ainsi qu'une maison voisine habitée par une femme in articula mortis. » 5 Les soins médicaux ont été parfaits; le service d'inhumation au contraire fut défectueux, les fossoyeurs ne s'occupant pas des cadavres belges, ceux-ci devant être inhumés par les habitants: inutile de dire qu'ils étaient dévalisés. » ... En ce qui concerne le lieutenant d'Ursel, je le savais blessé sous la tempe gauche, mais j'ai appris la nouvelle de sa mort, alors que j'étais à Saint-Trond; d'après les renseignements qui m'ont été fournis, quand on a identifié le cadavre de cet officier des guides, il était atteint à la figure et au cœur. » II résulte de ce récit que les Allemands ont attaqué le pont de Budingen avec des forces considérables, que les deux escadrons de guides ont résisté avec la plus grande bra- voure et, conformément à leurs instructions, ont défendu à outrance le passage de la Gette. A mon profond regret, j'ai dû abandonner le lieutenant d'Ursel sur le champ de bataille, mais j'affirme qu'il n'avait à ce moment qu'une blessure à la tête et que s'il a été frappé au cœur, c'est qu'il a été achevé, au mépris des lois de la guerre. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_09.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:56 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_10.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 145, 18 juillet 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Aerschot 19 Aout 1914'
Recueillis par le Baron C. Buffin d'après le rapport du capitaine commandant Gilson commandant la 4e compagnie du 1er bataillon du 9e de ligneL'armée belge, forte de 2 corps, avait conservé sa position d'observation du 5 au 18 août; elle avait résisté aux attaques de la cavalerie et des troupes légères de l'ennemi. Mais attaquée par 11 corps ennemis et 3 divisions de cavalerie, soit environ 500 000 hommes appuyés par 600 mitrailleuses et 1 800 canons, elle se retira sur Anvers. Une vive action d'arrière-garde s'engagea entre le IIe corps allemand et les 9e et 14e de ligne portés vers Aerschot. Le 18 août 1914, le 9e de ligne fut chargé de protéger le flanc droit de l'armée de campagne qui se retirait vers Anvers. Le régiment quitta Kessel-Loo à 14 heures et demie, atteignit Aerschot à 19 heures et s'établit au nord, sur la rive droite du Démer: le 1er bataillon faisant face à la route Aerschot-Hersselt; le 2e un peu à l'est, défendant le Doorenberg; château habité en temps de paix, dit-on, par un officier allemand; le 3e fut tenu d'abord en réserve, mais après la reconnaissance du terrain, deux de ses compagnies prirent des positions de repli, à l'effet de rallier les 1er et 2e bataillons et de couvrir la retraite. Les renseignements qui parviennent successivement apprennent que les Allemands s'avancent par la route Aerschot-Hersselt, occupée par la 4e compagnie du 1er bataillon. Aussitôt, son commandant, le capitaine Gilson, officier de grande bravoure, qui a fait ses preuves au Congo, s'efforce de consolider sa position par des ouvrages de défense: des barricades, des madriers, des amas de terre rapportés obstruent le passage à niveau du chemin de fer Anvers-Hasselt; des fils de fer barbelés sont tendus en travers de la route menacée, dont les plaines sont battues par deux mitrailleuses, placées à gauche et à droite et protégées par des épaulements en gazon. Quant à la compagnie, elle est disposée de la façon suivante: le 1er peloton (lieutenant Fauconier) s'échelonne le long du chemin de fer Aerschot-Herenthals; le 2e peloton (lieutenant Jaquet) et le 3e peloton (adjudant Theys) se déploient sur le remblai courbe de la route de Hersselt et gardent, l'un le secteur ouest, l'autre le secteur est. Un poste de surveillance, composé de douze hommes, commandé par le premier sergent Scheenaerts, est placé à 600 mètres de la borne 2, près du moulin d'Aurodenberg, sur le faîte duquel grimpe une vigie. Enfin, des sentinelles et des patrouilles sont poussées en avant et postées sur les flancs, de façon à empêcher toute surprise. Le 19 août, vers 5 heures, la vigie signale l'approche par la route de Hersselt d'une co- lonne d'infanterie et de cavalerie allemande. Ses éclaireurs atteignent bientôt le poste de surveillance qui se replie. Au loin, s'entend le bruit caractéristique de pièces d'artillerie roulant sur le pavé. La compagnie d'avant-garde ennemie s'arrête à la lisière des couverts, à environ 400 mètres au nord du chemin de fer, tandis que, à l'extrême droite, six éclaireurs continuent à s'avancer vers le passage à niveau. Le commandant Gilson recommande à ses tirailleurs de se dissimuler et de laisser approcher les ennemis; puis, lorsqu'il les voit à une centaine de mètres, il saisit un fusil, vise tranquillement, posément, et abat trois Boches coup sur coup; épouvantés, les trois autres se précipitent dans un fossé. De nouveaux éclaireurs, plus nombreux, les remplacent immédiatement et la compagnie allemande d'avant-garde se déploie à l'est et à l'ouest de la route et engage la fusillade. Les Belges ne ripostent pas, mais la compagnie ennemie ayant fait, de toute sa ligne, et quasi sans se cacher, un bond en avant, Gilson ordonne l'ouverture du feu, fusils et mitrailleuses. Ce dernier tir est remarquable et si précis que le commandant ne peut s'empêcher de crier « bravo » au pointeur le plus proche: sous cette avalanche, la compagnie ennemie est presque anéantie. A partir de ce moment, les Allemands ne cessent d'envoyer des renforts à la droite et à la gauche de leur déploiement initial. Ils débouchent des bois à 300 ou 400 mètres au nord de la ligne belge, mais, dès qu'ils se trouvent à découvert, leur marche est para- lysée par le feu de leurs adversaires. Quatre compagnies tentent en vain le passage et se retirent dans les bois, abandonnant un grand nombre des leurs dans la plaine. Vers 16 heures, l'artillerie allemande, placée au delà de la crête, sans doute vers la borne 3, ouvre le feu d'abord sur la lisière nord d'Aerschot, ensuite plus au sud, sur l'intérieur de la ville; quelques obus éclatent même dans la ligne belge. Une demi-heure après, deux mitrailleuses allemandes sont mises en action et l'on perçoit nettement leur « taratara » au milieu des détonations de la mousqueterie. Cependant par suite de l'absence de toute fumée, les Belges ne parviennent pas à discerner leurs emplacements. Enfin, grâce à ses jumelles, le commandant Gilson découvre sur un tas de bois une des mitrailleuses ennemies: un observateur accroupi donne des indications au pointeur. Il renseigne aussitôt l'objectif à la mitrailleuse voisine ainsi qu'à quelques tirailleurs et, en peu de minutes, la pièce allemande est réduite au silence. Les Boches en amènent une autre, dont Gilson, malgré sa proximité, a beaucoup de peine à déterminer l'emplacement exact. Dès qu'il le distingue, toujours grâce à ses jumelles, il dirige lui-même le feu et atteint deux servants. Ne parvenant pas à enfoncer le front belge, les Allemands exécutent un mouvement tournant vers notre gauche. Trois ou quatre compagnies glissent le long du remblai ouest du chemin de fer de Herenthals, tandis que d'autres troupes débouchent du bois « De Heide », situé plus à l'ouest encore. En outre l'artillerie se rapproche et se poste à environ 700 mètres, à côté du moulin, dont la galerie cache un observateur. Quatre pièces exécutent un tir rapide de shrapnells exactement au-dessus de la ligne belge; les autres continuent à bombarder la ville d'Aerschot et ses lisières. Sur la crête, à l'est, se profilent dans le lointain des masses grises qui dévalent. Afin de s'opposer à ce mouvement tournant et d'empêcher l'ennemi de le couper, le colonel Flébus, commandant le 9e de ligne, envoie une compagnie occuper la voie ferrée derrière Aerschot, à hauteur du kilomètre 23. Par là, il aura une retraite sûre, si la position devient intenable. Cependant tout l'effort ennemi porte sur la 4e compagnie du 1er bataillon, dont les hommes soutiennent depuis plusieurs heures un combat fort inégal. Par un cycliste, le commandant Gilson expédie un billet au major, notifiant: « 4/1 fortement engagée, Allemands nous débordent à gauche, puis-je compter sur renfort? » Cette demande ayant été transmise au colonel, celui-ci charge une compagnie de soutenir la 4/1, mais pour arriver à l'emplacement qu'occupe le commandant Gilson, cette compagnie doit traverser une zone découverte, balayée par l'artillerie ennemie à Geymelberg, dont le tir de barrage rend toute avance impossible. En vain les hommes essaient-ils de se creuser rapidement dés abris, la mitraille prend les tranchées d'enfilade et cause de nombreuses victimes. Dans ces conditions, le colonel juge la retraite nécessaire et il ordonne aux diverses compagnies de se retirer par la voie du chemin de fer, sous la protection des troupes placées en réserve. Mais les porteurs de l'ordre destiné à la 4e compagnie sont tués en cours de route et le commandant Gilson, resté sans instructions et sans renfort, voit successivement les compagnies qui occupaient sa droite se retirer vers Aerschot. Quel sera le sort de cette troupe qui va soutenir seule le choc del'ennemi? Le rapport du commandant Gilson nous l'apprend: « En voyant, dit-il, les compagnies prendre définitivement la direction d'Aerschot, je compris que la position du régiment était devenue intenable. Deux éventualités se présentèrent aussitôt à mon esprit: a) ou bien l'ordre de retraite m'a été envoyé et ne m'est pas parvenu; b) ou bien on me laisse d'office le soin de protéger la retraite. Étant donné la situation précaire du régiment en marche sous le feu de l'artillerie allemande, situation dont le danger s'aggraverait considérablement si je cessais d'arrêter les forces importantes de l'ennemi et si Je lui laissais la faculté de se jeter sur les nôtres, je résolus de couvrir le régiment, et de lutter au besoin jusqu'à l'épuisement de mon effectif. Néanmoins, afin d'encourager mes hommes, je leur criai: « Courage, tenons encore quelques instants, « voici les camarades qui viennent nous secourir. » Mais le renfort n'arrivant pas, mes soldats se rendirent bientôt compte de l'ultime sacrifice qu'on attendait d'eux. Au milieu du fracas du combat, je leur rappelai la promesse qu'ils m'avaient faite à Liège de lutter jusqu'à la mort. « C'est maintenant, ajoutai-je, qu'on connaîtra les braves. » Tous ceux qui m'entendirent répondirent pas un geste d'approbation, par un geste de défi aux Allemands. En même temps, j'adressai à mon major deux nouveaux billets, exposant ma situation et ma résolution; ils ne parvinrent pas à destination, les porteurs furent tués dans la rue d'Aerschot dont l'entrée était littéralement soumise à une pluie de projectiles. « Vers 7 heures, j'envoyai au carrefour un soldat chargé de s'assurer si tout le régiment s'était écoulé vers le sud. Lors de ma retraite, je trouvai son cadavre à l'entrée de la ville, la tête à moitié enlevée par un schrapnell. Je le reconnus aisément à sa besace en toile blanche. » A partir de 7 heures et quart, nous fûmes quasi entourés par des forces que j'estime au minimum à dix compagnies. Le feu était devenu tellement violent qu'il m'était impossible de communiquer avec le peloton du lieutenant Fauconier, en crochet défensif à ma gauche. « Vers 7 h. 30, le lieutenant Jacquet, placé à gauche de la route, me cria que la position était intenable, que les Allemands nous avaient tournés et nous tiraient dans le dos. Je le voyais bien, cependant j'estimai qu'il était trop tôt pour lâcher prise, l'ennemi pouvant encore accrocher le régiment. J'indiquai au lieutenant Jacquet, tant par cris que par gestes, qu'il fallait encore tenir malgré tout. Cet officier me répondit « compris » simplement en faisant le salut militaire. Le combat se poursuivit de la façon suivante: les Allemands avaient amené six mitrailleuses, deux sur notre front, deux sur notre droite, deux en seconde ligne. Les pièces d'artillerie tiraient continuellement les unes sur la ville, les autres sur notre ligne. Nous atteignîmes ainsi 7 h. 55. Une de mes mitrailleuses était hors de service (manchon crevé de balles), j'essayai de sauver la seconde: les servants tentèrent de la traîner en arrière; pendant les quelques minutes que demanda ce recul, la pièce fut frappée de balles et détériorée. Nous la jetâmes dans le fossé. A ce moment, le régiment devait être hors d'atteinte, il ne me restait plus qu'à sauver ce qui me restait d'hommes indemnes. Une centaine, tués ou blessés, étaient couchés sur le remblai, à leur poste de combat; d'autres étaient allés tomber à quelques mètres en arrière. Je sifflai pour la retraite, en commandant: « Par échelon, par la gauche, nous allons battre en retraite et lentement; adjudant Theys, avec votre section de droite vous protégerez le reste de la compagnie. » A cet instant, une balle me frappa au visage. Je fis signe au lieutenant Fauconier de commencer le mouvement; il partit, suivi du peloton Jacquet, puis du peloton Theys avec la dernière section, que j'accompagnais. La retraite s'effectua sans précipitation, de la seule manière possible: en rampant; malgré cela, beaucoup d'hommes tombèrent encore sur l'espace qu'il fallait parcourir avant d'atteindre l'entrée de la ville, entrée littéralement balayée par les balles et par les shrapnells; étant resté tout à fait à l'arrière, je me collai avec sept hommes, dont deux blessés, contre une habitation; je tirai encore cinq cartouches sur les ennemis qui nous serraient de plus près, ensuite j'enlevai à un soldat tué le rouleau de cartes au 1/40 000e dont je l'avais chargé et le jetai dans un puits. Pendant une accalmie, nous nous remîmes en marche et enfin nous atteignîmes la gare déserte. Nous nous enquîmes du régiment. Quelques habitants, affolés d'ailleurs, nous assurèrent que les troupes avaient pris la route de Louvain, nous suivîmes à pied la voie du chemin de fer pendant un certain temps, traversâmes des jardins, puis nous engageâmes dans la même direction. » J'ai l'honneur de signaler en tout premier lieu l'admirable intrépidité de mes trois chefs de peloton: lieutenant Fauconier, lieutenant Jacquet, adjudant Theys. Je ne trouve pas de mots assez forts pour dire combien leur conduite a été héroïque, combien elle a été sublime. Sous un feu décimant, ils sont restés absolument calmes et, avec un mépris complet de la mort, ils ont exécuté leurs ordres et accompli parfaitement la mission de protection que nous avions le grand honneur de remplir. Leur sang-froid, leur esprit d'abnégation, leur sentiment de compréhension d'un devoir sacré s'est transmis à leurs hommes. Je me permets d'insister pour l'obtention d'une distinction honorifique pour les trois chefs de peloton, qu'ils soient morts ou vifs. « Je ne sais pas encore quels sont les survivants de la compagnie, je sais seulement que les pertes sont grandes. Je salue avec une émotion intense la mémoire des braves qui sont tombés; je salue avec respect le courage de ceux qui vivent encore. Tous, je dis tous, se sont conduits en héros. Cependant, je signale particulièrement ceux qui sont restés auprès de moi en dernier lieu: sergent-fourrier van Wynendael; caporal Deltombe (blessé); caporal Bauwens (Fernand); soldat Berlens. Ces quatre militaires m'ont soutenu, presque porté par moment, pendant la retraite, quand par suite de la grande perte de sang je commençais à m'affaiblir et que ma vue se voilait... » « Le commandant Georges Gilson » Anvers, ambulance du gouvernement provincial http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_10.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:57 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_11.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 145, 18 juillet 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Quelques Épisodes de la Retraite de Namur' Recueillis par le Baron C. Buffin Quelques Épisodes de la Retraite de Namur par le capitaine commandant d'artillerie PaulisLe bombardement de Namur commença le 21 août à 10 heures et s'adressa simultanément aux forts d'Andoy, de Marchovelette et de Cognelée, ainsi qu'aux intervalles. Le 22 août, dans la matinée, la garnison poussa des pointes vers les lignes des assiégeants; elles furent accueillies par une fusillade nourrie et par le feu des mitrailleuses. Vers 10 heures, à l'arrivée de trois bataillons français, on tenta une attaque sur Wartet, mais les troupes durent se replier et le bombardement se poursuivit sans relâche. Le dimanche 23 août, à 3 heures du matin, après les rudes combats des jours précédents, accablé de fatigue morale et physique, j'avais fini par trouver un sommeil agité; un ordre qu'on apportait me jeta sur pied: les dernières batteries disponibles devaient être menées immédiatement à la citadelle, pour la défense du réduit de la ville. C'était la fin de la résistance. Namur, écrasée par le canon, vivait ses dernières heures, la retraite des troupes mobiles allait commencer. Un nouvel ordre m'enjoignit de conduire mon détachement d'artillerie à Bois-de-Villers et d'y attendre des instructions. Dans la radieuse clarté de ce beau matin d'été, tandis que crépitait la fusillade et grondait le canon, je dirigeai ma petite troupe vers l'Entre-Sambre-et-Meuse. Mes hommes étaient silencieux et mornes. Je voyais se refléter sur leurs visages les angoisses de mon âme. Nous avions vu à Liège, après une défense héroïque, les nôtres obligés de reculer devant l'étranger. A Namur, l'histoire se répétait; là-bas, comme ici, jusqu'à la dernière minute, nous avions tant espéré l'arrivée de renforts amis! Cependant, quelle différence! De Liège, on se repliait vers le centre du pays, on restait chez soi, on allait glorieusement rejoindre les camarades de l'armée en campagne. De Namur, hélas! on s'acheminait vers la frontière, on s'éloignait de ses frères d'armes, de ses amis, de sa famille... Après Liège, dans notre détachement, tout le monde avait répondu à l'appel; en quittant Namur, nous pensions douloureusement à ceux des nôtres qui dormaient pour l'éternité à la lisière du bois des Grandes-Salles ou qui agonisaient, dans la douleur, sur des lits d'hôpital. Allons! haut les cœurs! Jetons un voile sur le passé et regardons devant nous: il faut sauver les braves gens qui me sont confiés. Les renseignements que j'avais sur l'ennemi étaient très vagues; on disait les Alle- mands d'un côté arrêtés sur la Sambre et d'un autre refoulés vers Dinant, loin de la Meuse. La vérité, telle qu'elle nous apparut bientôt, était toute différente. A Bois-de-Villers, où j'arrivai vers 9 heures, je perçus une fusillade nourrie dans la direction de Sart-Saint-Laurent; le doute n'était pas permis, les Allemands avaient forcé les passages de la Sambre. Je poussai une reconnaissance rapide vers la vallée de la Meuse; les habitants m'y ap- prirent que les Français avaient placé des avant-postes jusqu'à Profondeville, mais qu'ils les avaient retirés la veille; des patrouilles ennemies circulaient sur la rive droite. Il était donc impossible de s'engager avec une colonne sur la route de Profondeville à Dinant; cette route, courant le long du fleuve, est en effet commandée, à courte distance, par les hauteurs de la rive droite. Il ne me restait qu'un parti: retourner à Namur chercher des instructions. A une heure de l'après-midi, je me retrouvais à hauteur du fort de Saint-Héribert. Le commandant m'apprit qu'il n'avait plus de communication téléphonique avec le gouverneur de la position; il pouvait, toutefois, me donner des renseignements qu'il tenait de source personnelle: les Allemands avaient passé la Sambre par grandes masses et étaient contenus, en ce moment, entre Fosse et Saint-Gérard, par une armée française; d'autre part la Meuse avait été forcée à Dinant. La situation était donc des plus critiques pour la garnison de Namur; elle était menacée d'un encerclement complet et n'avait déjà plus qu'un seul chemin pour assurer sa retraite vers la France. Je pris la résolution de me rendre à Ermeton-sur-Biert par Arbre et Bioul, et d'y attendre les événements. En route! Au moment où je faisais remonter à cheval, je jetai un dernier regard vers la ville. Le spectacle était grandiose et terrible. Dans Namur même, de nombreuses maisons brû- laient; la citadelle était auréolée par les éclatements floconneux des shrapnells; plus loin, les villages de Champion, Bonnine, Bouge étaient en flamme; de sourdes détonations, que se renvoyaient les échos, se répercutaient dans toutes les directions. Sur tous les chemins montant de Namur et de Flawinne apparaissent les têtes de colonnes des troupes de la 4e division, qui allaient tenter d'échapper à l'étreinte de l'ennemi. Pauvre Namur! Le cœur serré, nous commençâmes alors cette longue retraite qui, par les routes de Belgique et de France, devaient nous conduire jusqu'aux environs de Paris. J'arrivai à Ermeton-sur-Biert vers 8 heures et demie du soir! je dépassai quelque peu le village et allai établir le bivouac dans un champ d'avoine. Une fusillade ininterrompue s'entendait vers le nord; sur la moitié du tour de l'horizon, les villages et les fermes en flammes jalonnaient la marche des troupes allemandes; dans la direction du sud-est, une immense lueur, tranchant dans la nuit noire, nous révélait le crime incroyable de Dinant. Pendant que quelques-uns de mes canon-niers pansaient une demi-douzaine de blessés français que nous avions recueillis à Denée, pendant que les conducteurs ramassaient un peu de paille d'avoine pour leurs chevaux harassés, je me tenais anxieusement au bord de la route, interrogeant les ombres qui passaient dans la nuit. Les bruits les plus contradictoires circulaient; d'après les uns, les troupes britanniques avaient refoulé les Allemands entre Mons et Charleroi; d'après les autres, au contraire, nous étions déjà tournés par ces mêmes Allemands. Je me trouvais depuis une heure à mon poste d'observation, quand des batteries françaises défilèrent au trot; elles se dirigeaient vers le sud. Plus de doute, les Français battaient en retraite. Quelle que fût notre fatigue, il était indispensable pour nous de suivre le mouvement. En route encore! Il nous fallut trois heures pour parcourir les 8 kilomètres qui séparent Ermeton de Rosée; la route était encombrée de caissons, fourgons, de chariots d'émigrants, de véhicules de toutes formes, qui avançaient péniblement à trois ou quatre de front; des quantités de fuyards des villages voisins, hommes, femmes, enfants, se glissaient entre les voitures et les chevaux et ajoutaient à la confusion. La nuit, particulièrement sombre, n'était coupée que par les lueurs lointaines des incendies et, de temps à autre, par les éclairs lumineux des phares du fort de Saint-Héribert, qui semblaient nous adresser un ultime adieu. A 4 heures du matin, le lendemain, nous entrions à Philippeville. Pendant la nuit, ma colonne s'était augmentée de soldats de toutes les armes ayant perdu leurs unités; ils avaient senti d'instfnct qu'ils étaient perdus s'ils ne ralliaient pas un groupement commandé. La première personne que je rencontrai, en arrivant à Philippeville, fut le chef de bataillon français Duruy, que j'avais connu jadis comme attaché militaire à Bruxelles; il devait, trois mois plus tard, se faire tuer bravement dans les Flandres, à la tête d'un régiment colonial. Je le mis rapidement au courant de ma situation, puis lui demandai des nouvelles de la bataille; elles n'étaient guère rassurantes; sous le flot envahisseur, les alliés avaient été écrasés; ils reculaient pied à pied. Des instructions à notre sujet me parvinrent bientôt; l'officier général français, qui commandait dans la région, m'ordonnait de rassembler toutes les troupes belges qui se trouvaient à Philippeville et de les conduire à Rocroi. Nous devions être rendus à Rocroi dans la journée. Trente-cinq kilomètres à faire avec des troupes marchant depuis 24 heures; mais l'ordre était formel, et j'en sentais d'ailleurs la nécessité. En route encore une fois! Avant de partir, j'allai silencieusement serrer la main à mon brave camarade Hankar, hier encore fringant sous-lieutenant de l'école d'application, gisant aujourd'hui le pied fracassé par un obus, au fond d'une voiture automobile. Je ne pouvais rien faire pour lui. Quelle terrible chose que la guerre! Je fis également déposer, à une ambulance, les blessés français que nous avions recueillis à Denée. Je ne raconterai pas ce que fut le calvaire de cette longue route et les souffrances de mes soldats exténués; il était 8 heures du soir quand nous arrivâmes à Rocroi; les hommes purent prendre leur premier repas de la journée. Il fallait aussi songer aux chevaux et leur procurer de l'avoine. Je m'accuse ici d'une incorrection qui, je l'espère, me sera pardonnée. A cette heure tardive, le magasin à fourrages était fermé et le préposé ne se croyait pas obligé de me ravitailler avant le lendemain. Nécessité ne connaît pas de loi. Fort de cette morale facile, mais indispensable à la guerre, j'ordonnai d'enfoncer la porte du magasin à fourrages et fis enlever manu militari, l'avoine qui m'était nécessaire. Honnêtement d'ailleurs, je laissai un reçu de ce que j'avais pris. Je passai la nuit, au milieu de mes hommes, sur la grand'place de la ville, mais ne pus fermer l'œil. Trop de préoccupations \assaillaient mon esprit; ce que j'avais vu et entendu en cours de route me confirmait dans l'opinion que les Allemands seraient bientôt à Rocroi et qu'il fallait encore s'éloigner vers le sud. Mais où aller? Comment faire pour rejoindre l'armée belge dont nous ne savions rien? Je n'avais même pas une carte de la région. Dès qu'il fit jour, mon premier soin fut de me mettre à la recherche d'une carte; où la trouver dans une ville endormie? J'avais déjà frappé infructueusement à de nombreuses portes, quand je rencontrai un jeune cycliste, porteur d'une carte routière du nord de la France. Je m'arrête un moment, car j'ai à faire l'aveu de ma seconde indélicatesse; je m'approchai hypocritement du jeune cycliste: - Combien avez-vous payé votre carte? - Trois francs. - Je vous l'achète, voici cent sous. - Je ne la vends pas, je ne pourrai pas m'en procurer une autre. - Dix francs? - Non! - Dans ce cas, je vous la prends! Et avant que le jeune cycliste fût remis de sa surprise, je m'emparai du précieux papier et filai comme un voleur, que j'étais. Après avoir examiné différents projets qui se présentaient à mon esprit, je m'arrêtai à celui de me rendre à Rethel: c'est un nœud important de chemins de fer et de routes; je m'y mettrais en relations télégraphiques avec notre attaché militaire à Paris et pourrais ainsi recevoir des instructions. Nous partons. Comme je l'ai dit, mon détachement se composait en ce moment, de soldats de toutes armes, dont la plupart étaient nécessairement à pied. Ma marche était donc assez lente. Le problème de la nourriture de mon personnel me causait de sérieux tracas quand, à quelques kilomètres de Rocroi, je rencontrai, stationnant dans un petit village, une colonne de vivres. Un sous-officier, que j'envoyai en reconnaissance, revint me dire que l'officier commandant cette colonne avait reçu ordre de ne donner des vivres aux troupes belges que sur réquisition écrite du général commandant la 4e division belge. J'ai déjà avoué un bris de clôture et un vol, il me reste à avouer un abus de confiance: je fis un « bon » pour des vivres, que je signai bravement de mon nom, précédé de la formule. « Par ordre du général commandant la 4e division belge. » Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net... mais j'avais des vivres et, comme on le lira plus ioin, le lieutenant général Michel en personne pn fita quelque peu de mon indélicatesse. La scène se passe à Liart, où nous arrivâmes le surlendemain, voici dans quelles circonstances: Instruit par l'expérience, je m'arrangeais toujours pour bivouaquer à proximité d'endroits où cantonnaient des colonnes de vivres; j'envoyais ensuite un sous-ordre qui établissait une liaison intéressée entre cette colonne et la mienne. Une nuit donc, que nous logions à proximité de Liart, mon agent de liaison, en m'en- voyant des vivres, me fit savoir qu'un train de matériel devait retourner à vide, le lendemain, à Reims; il s'était arrangé avec le commandant militaire de la gare et je pourrais utiliser ce transport. C'étaient des fatigues épargnées et du temps gagné; j'acceptai. Je n'attendis pas le jour pour me mettre en route et me diriger vers Liart. Une surprise m'y était réservée. J'y trouvai le lieutenant général Michel, à la tête de sa division. Il n'était plus question pour nous d'utiliser le chemin de fer; à juste titre, il avait été réservé aux troupes à pied. Les armes montées devaient se rendre à Laon par la voie ordinaire; on en forma une colonne sous les ordres du colonel Iweins. Pendant que les hommes mangeaient, je me souvins fort à propos de quelques beeîsteaks que j'avais en réserve; le général Michel, qui passait aux environs, voulut bien me faire l'honneur de s'asseoir à ma tabie et de partager notre repas. Vous en souvient-il, mon général? Je ne vous ai pas avoué, à cette époque, que c'était vous qui m'invitiez, puisque c'était « par ordre » de vous que j'avais obtenu de la viande. Il nous fallut deux jours pour arriver à Laon; nul incident ne vint troubler le voyage. Une chose pourtant nous étonnait: nous ne rencontrions aucune troupe française. On croisait bien, de temps à autre, des colonnes de vivres ou de munitions, des voitures de services accessoires; mais de troupes combattantes, point. Cet étonnement alla croissant après que nous eûmes dépassé Laon; ni à Soissons, ni à Château-Thierry, ni à Coulommiers, ni nulle part, sur cette longue route qui nous conduisit au sud-est de Paris, nous ne rencontrâmes d'infanterie, ni d'artillerie, ni de cavalerie. Et nous nous demandions: « Mais où se trouve donc l'armée française? Y a-t- il vraiment une armée française? » Ce n'est que quelques jours plus tard, après la victoire de la Marne, que nous com- prîmes la merveilleuse manœuvre du général Joffre. Mais n'anticipons pas, et revenons à Laon. Nous y séjournâmes deux jours; ce temps fut mis à profit pour réorganiser notre colonne. Les canons et caissons d'ancien modèle furent embarqués et expédiés vers le sud de la France; les chevaux furent répartis entre les unités existantes; le personnel en surplus fut dirigé sur Rouen. On forma ainsi une colonne composée de cavallerie, d'artillerie, de gendarmerie et de services accessoires. Je me trouvai dès lors sans commandement, mais comme on parlait en ce moment de participation aux opérations de l'armée française, il ne me convenait nullement d'être envoyé dans un dépôt. Je sollicitai donc, et j'eus la chance d'obtenir, une place vacante d'adjoint à un com- mandement de groupe. Nous quittâmes Laon assez brusquement, nous dirigeant vers Soissons. Mes nouvelles fonctions m'obligeaient à faire les avant-gardes; avec quelques'adjoints, j'arrivais inopinément dans les villages où nos uniformes étrangers jetaient, la plupart du temps, un grand désarroi: on nous prenait pour des patrouilles allemandes. Afin d'éviter des méprises, je pris l'habitude de nous faire précéder d'un cavalier, chargé d'annoncer l'arrivée d'amis. Le talpack d'astrakan, dont j'étais coiffé, avait le don de plonger certaines populations dans la plus profonde stupéfaction; c'est ainsi que, d'un groupe de villageois, j'entendis partir la réflexion suivante: - Tu vois bien celui-là, avec son bonnet de fourrure; eh bien! c'est un officier de l'avant-garde russe. A quoi un autre, sans doute plus renseigné sur les distances, répliqua: - C'est impossible, les Russes ne pourraient pas être déjà ici! Il est juste de dire qu'à cette époque tous les journaux annonçaient, en grands caractères, des avances formidables de l'armée russe. Le lendemain de notre départ de Laon, nous arrivâmes à Sermoise-sur-Aisne; il s'y trouvait une patrouille anglaise commandée par un officier qui nous apprit que l'on signalait des forces allemandes au nord de l'Aisne. Le colonel Iweins, qui précédemment avait reçu le même renseignement, dit à l'officier anglais que des escadrons avaient déjà été envoyés en reconnaissance et qu'on attendait des nouvelles avant d'autoriser l'établissement du bivouac. Il ajouta qu'il chargerait un officier de transmettre les renseignements qui seraient recueillis au général anglais en ce moment à Soissons. Comme je servais d'interprête et que j'étais arrivé en avant-garde au gîte d'étape, le colonel Iweins me désigna pour cette mission. Il me fit savoir, en outre, que le détachement dont il avait le commandement devait s'embarquer par chemin de fer, le lendemain, à Soissons; j'avais à faire la reconnaissance de la gare et y attendre son arrivée. Les escadrons revinrent bientôt sans avoir rien signalé d'anormal; le bivouac fut dressé et je me mis en route. J'étais enchanté de ma mission qui me permettrait, lorsqu'elle serait remplie, d'abord de dîner avec autre chose que du lapin, qui faisait notre ordinaire depuis quelques jours, ensuite de me reposer dans un bon lit d'hôtel au lieu de m'étendre sur la paille du bivouac. Suivi de mon seul ordonnance, le cœur léger, la cigarette aux lèvres, j'entrai dans Soissons, après une charmante promenade. Il commençait à faire nuit. Personne dans les rues, un silence de mort planant sur la ville. Que signifie? Je rencontrai enfin un peloton cycliste anglais dont le chef m'apprit que les Allemands étaient aux portes de la ville, de l'autre côté de l'Aisne. Voyons! il doit y avoir erreur! Et le général anglais qui était à Soissons? - Nous avons battu en retraite dans la direction du sud-ouest et nous formons l'extrême arrière-gauche, me répondit l'officier cycliste. Je me rendis à la station, que je trouvai évacuée de tout son matériel roulant; je finis pourtant par rencontrer un employé. Étes-vous prévenu de ce que des troupes belges doivent venir s'embarquer demain à Soissons? L'employé semblait ahuri. - Demain! mais les Boches sont là, de l'autre côté de l'eau. La gare est évacuée et... Je n'en écoutai pas davantage et galopai jusqu'à la préfecture, où l'on me confirma que les avant-gardes allemandes étaient à proximité de la ville. - Mais, enfin! il reste bien une autorité militaire à Soissons? - Peut-être trouverez-vous encore le commandant d'armes; il habite par là, première rue à gauche, une maison à perron. Je finis par trouver. - Mon colonel, je viens de Sermoise et suis porteur d'une communication pour un général anglais que je comptais trouver ici; je suis chargé, en outre, de préparer un embarquement par chemin de fer pour des troupes belges. - Mais, monsieur, vous ignorez donc que les Allemands peuvent entrer d'un moment à l'autre en villle; j'ai donné l'ordre de faire sauter les ponts quand ils seraient en vue, et je pars moi-même, immédiatement après, pour Reims. Le quartier général anglais a été transféré aujourd hui à une quinzaine de kiiomètres d'ici; si j'ai un conseil à vous donner, allez-y porter votre communication et restez-y: la route n'est pas sûre. A cet instant, j'entendis de fortes détonations; les ponts de l'Aisne sautaient. - Au revoir, me dit alors le commandant d'armes en montant en auto, et bonne chance. Je restai un moment abasourdi; la communication dont j'étais porteur était devenue sans valeur; bien plus, elle était dangereuse, puisqu'elle donnait des renseignements erronés; il ne me restait qu'à crever mon cheval pour retourner à Sermoise et prévenir mon chef du danger qui nous menaçait. Une heure après, je pénétrais, tout essoufflé, chez le colonel Iweins; il était occupé à dicter ses instructions pour l'embarquement du le demain. Je le mis rapidement au courant de ce que je savais. Le bivouac fut levé en toute hâte et un officier, le major Joostens, monta en auto pour aller prendre les instructions du quartier général français. Il revint bientôt, avec l'ordre de partir immédiatement pour Château-Thierry. La grande route de Sermoise à Château-Thierry traverse Soissons; il existe un autre chemin, mais en terrain tourmenté, difficilement praticable à l'artillerie; on risquait de s'y attarder alors que les instants étaient comptés. Le colonel Iweins décida donc d'envoyer ses cavaliers garder les passages de l'Aisne; pendant ce temps les batteries et les voitures des services accessoires traverseraient Soissons au galop; les escadrons, se repliant ensuite, protégeraient éventuellement la retraite. Il fut ainsi fait; il n'était que temps. Le fourgon de la gendarmerie, qui était resté quelque peu en arrière, fut attaqué et capturé par les Allemands. Sur la route de Château-Thierry, je vis se renouveler les mêmes spectacles de désolation que j'avais déjà vus en Belgique; je veux parler de l'exode des populations. C'est un entassement de gens et d'animaux qui se pressent et se heurtent, de véhicules qui s'accrochent, qui encombrent; dans leur affolement, dans leur hâte de fuir, les conducteurs entravent tout passage et augmentent la confusion. De toutes les misères de la guerre, celles qui atteignent des êtres inoffensifs et faibles sont certainement les plus poignantes. Au cours de cette longue étape, je rencontrai des familles belges du Hainaut, qui, chassées par les barbares de leurs paisibles villages, erraient depuis des semaines. Partout où elles avaient trouvé asile, elles y avaient été traquées et elles allaient mainte- nant, résignées, vers l'inconnu. Quand donc, pour elles et pour nous, sonnera l'heure de la délivrance? Nous nous arrêtâmes une nuit à Château-Thierry; le lendemain, notre colonne fut scindée; un détachement se dirigea yers Coulommiers, l'autre vers La Ferté-Gaucher. Je faisais partie de ce dernier détachement, qui était commandé par le major Capilion, et comme d'habitude, j'en assurais l'avant-garde. Les batteries arrivèrent assez tard au gîte d'étape; il faisait nuit quand l'installation fut terminée. Très fatigué, j'allais aller me reposer, qua d j'appris que les deux détachements devaient s'embarquer, le lendemain, par chemin de fer, pour le Havre. Des ordres ultérieurs devaient nous parvenir. Quand tout le monde fut couché, avant d'en faire autant, poussé par je ne sais quel pressentiment, je me rendis à la gare. Il était à ce moment 10 heures du soir. Au moment où j'arrivai, le chef de station était au téléphone; ce que j'entendis, malgré moi, me fit sursauter: les Allemands étaient à Château-Thierry, que nous avions quitté dans la matinée; ils y étaient entrés dans l'après-midi, avaient bombardé la station, dépassé la ville et s'avançaient vers iSeulom-miers et La Ferté-Gaucher! Je me précipitai au téléphone, demandai la communication avec Coulommiers et fit chercher un officier. Ce fut le major Joostens qui répondit à mon appel. - Savez-vous que Château-Thierry a été occupé aujourd'hui par les Allemands et qu'ils ont dépassé la ville? - Que me racontez-vous là? C'est impossible! Nous avons fait 80 kilomètres depuis Soissons; une armée ne marche pas à cette allure. - C'est pourtant ainsi; informez-vous sans tarder, car nous risquons d'être enlevés. - Attendez, je vais aux renseignements et vous téléphonerai aussitôt que j'aurai des nouvelles. Un quart d'heure plus tard, le major Joostens me confirmait ce que je lui avais appris et m'annonçait qu'il faisait envoyer, d'urgence, des trains à La Ferté-Gaucher. Il me priait de donner l'alerte dans le cantonnement et de faire commencer l'embarquement la nuit même. Jamais un homme, à lui tout seul, ne fit, je crois autant de tapage nocturne que j'en effectuai cette nuit-là à La Ferté-Gaucher. Nous croyant suffisamment loin de l'ennemi, les logements avaient été répartis très largement, dans toute l'étendue de la ville. Pour la première fois, depuis un mois, chaque homme avait un lit. On peut me croire quand j'affirme qu'ils n'étaient pas faciles à réveiller. A minuit et demi pourtant, la première batterie arrivait à la gare et l'embarquement commençait immédiatement. Par suite des installations défectueuses, les opérations prirent un temps considérable; à midi, nos éclaireurs nous signalaient l'approche des Allemands. On prit des dispositions pour faire évacuer par la route ce qu'on n'aurait pas le temps d'embarquer, mais on ne dut pas en venir à cette extrémité; il y eut heureusement un temps d'arrêt dans la marche de l'ennemi, qui s'arrêta à quelques kilomètres de La Ferté-Gaucher. J'avais été désigné pour commander le dernier échelon; à 4 heures, tous les caissons étant sur wagons, je fis replier et embarquer le peloton de gendarmerie qui me servait de soutien et le train partit. Quel soupir de soulagement je poussai alors; nous avions maintenant la certitude de pouvoir rejoindre l'armée belge et de contribuer avec elle à la défense de la Patrie. On sait que Coulommiers et La Ferté-Gaucher furent les points extrêmes atteints par l'invasion allemande sur le sol français. Du Havre, des transports nous ramenèrent à Zeebrugge d'où nous rejoignîmes Anvers par voie ferrée. Nous y retrouvâmes nos régiments d'infanterie qui nous avaient précédés; la 4e division se trouva dès lors reformée et contribua glorieusement, par la suite, à la défense d'Anvers et à celle de l'Yser. Je dédie, les quelques pages qui précèdent aux soldats qui se trouvèrent sous mes ordres, pendant cette période de la guerre. Ils se composaient d'hommes des plus anciennes classes (14e et 15e) et de jeunes volontaires. Tous se sont conduits en gens de cœur. Plusieurs semaines après les événements que je viens de raconter, alors que j'avais cessé d'être le chef direct de ces braves soldats, je reçus d'eux la lettre collective suivante, qui m'émut jusqu'aux larmes, et que je conserve comme ma plus belle récompense. « Vieux-Dieu (fort 4), le 21-9-14 « A notre commandant Paulis, « Les sous-officiers de votre ancien groupe vous prient d'accepter, en leur nom et celui de tous les brigadiers et soldats ayant été sous vos ordres, leurs respectueux hommages et l'assurance de leurs plus sincères sentiments de reconnaissance, en souvenir de la façon avec laquelle vous les avez conduits au feu et sauvés pendant les retraites de Liège et de Namur. « Soyez persuadé, commandant, que nous garderons de vous un souvenir impérissable et que nous mêlerons intimement votre nom aux vœux ardents que nous formons tous pour notre Roi, notre Patrie et nos familles. » (Suivent les signatures.) Pervyse, le 15 octobre 1915 http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_11.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:57 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_12.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 147, 4 aout 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Mort du Caporal Trésignies' Recueillis par le Baron C. Buffin soldat belge mettant le feu pour détruire un pont Mort du Caporal Trésignies d'après le récit du premier sergent-major ... du 2e régiment de chasseurs à piedLe 20 août, l'armée belge, appuyée sur la ligne des forts d'Anvers, a pris position sur le Rupel et la Nèthe; devant elle sont établis les III" et IXe corps allemands. Le haut commandement, apprenant que de violents combats se livrent sur la Sambre et vers Mons, exécuta une sortie les 25 et 26 août: la 6e division s'empara de Hofstade et des bois de Schiplaeken, les 1re et 5e divisions prirent Sempst, Weerde et Eppeghem; mais à l'aile gauche, la 2e division ne put déboucher sur la rive ouest du canal de Louvain et au centre la 6e division ne put occuper Elewyt; aussi l'armée rentra-t-elle dans le camp retranché. Le 26 août 1914, vers 9 heures du matin, un peloton du 2e chasseurs à pied, commandé par le premier sergent-major ..., occupe à Pont-Brûlé une tranchée construite par les Allemands sur la rive sud du canal de Willebroeck. Des lignes ennemies part une pluie de balles qui rend bientôt, même pour les tireurs couchés, la position intenable. D'aucun côté la retraite n'est possible, il faut traverser le canal, coûte que coûte: un pont existe à quelques mètres, mais son tablier est levé et la manivelle du treuil se trouve sur la rive opposée. Que faire? Le sergent essaie de construire un radeau, travail rendu presque impossible par le manque de matériaux et par la fusillade de l'ennemi. Il faut y renoncer. « Un nageur de bonne volonté pour passer le canal, crie-t-il alors. - Présent! » répond le soldat Trésignies. Et il se lève. « Mon ami, dit le sergent, il s'agit d'aller baisser le pont. - Bien, sergent. » Et tranquillement, en s'appliquant, Trésignies sur un bout de papier écrit ces mots pour sa femme: « Adieu, c'est pour le Roi », et confie le message à son chef. Alors, en un clin d'œil, il s'est déshabillé et a sauté dans l'eau. Il nage déjà lorsque le sergent lui crie: « Trésignies, au nom du colonel, je vous nomme caporal. » Et Trésignies, ayant remercié par un sourire, traverse le canal, atteint la rive, grimpe sur la culée du pont et empoigne la manivelle. D'abord, il tourne en sens inverse et le pont se relève davantage, mais vite, il remarque son erreur et rectifie son mouvement. Le pont s'abaisse graduellement. La haute stature de l'homme se profile sur l'horizon, semblable à une statue antique. De toutes parts des coups de feu sont dirigés contre lui. Déjà Trésignies est atteint aux cuisses et aux bras; le sang jaillit, coule en ruisselets le long de son corps; impassible, il tourne encore, accomplissant son œuvre de délivrance, il tourne, il tourne jusqu'au moment où une dernière balle le frappe au cœur et l'abat sur la pierre bleue; quelques soubresauts, et le corps reste inerte, la tête pendant dans le vide... En souvenir de ce héros, le conseil communal de la ville d'Anvers a décidé qu'une des rues de la métropole porterait à l'avenir le nom du caporal Trésignies et qu'une souscription serait ouverte au profit de sa veuve et de ses deux enfants. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_12.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:57 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_15.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 147, 4 aout 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Le 1er Régiment de Lanciers à Termonde' Recueillis par le Baron C. Buffin soldats belges à Termonde Le 1er Régiment de Lanciers à Termonde par le colonel adjoint d'état-major E. Joostens Les opérations du siège d'Anvers commencèrent le 28 septembre. L'ennemi bombarda les forts, dont la résistance fut compromise par le tir des pièces de 42 cm; en même temps, il chercha à forcer l'Escaut entre Termonde et Gand, dans le but de couper la retraite à l'armée belge. Le fleuve fut défendu par la 4e division d'armée, postée principalement vers Termonde. Le 1er lanciers était à l'extrême droite de cette division. Plus à l'ouest, vers Wetteren, s'échelonnait la 1er division de cavalerie qui surveillait la rive gauche de la Dendre. L'organisation de l'armée belge sur pied de guerre prévoyait un régiment de cavalerie pour chaque division d'armée. Les hasards de la campagne firent que seuls les 1er et 3e lanciers restèrent d'une façon permanente auprès des grandes unités auxquelles ils étaient organiquement attachés. Alors que la majeure partie de notre arme s'attendait à garder des éperons chaussés bien haut et préparait ses fanfares, le 1er lanciers, au point de vue cavalier, ne pouvait émettre les mêmes prétentions puisqu'il était destiné à suivre le sort de la 4e division d'armée pendant presque toutes ses opérations. Néanmoins, il y avait du bon ouvrage à faire et, dès le début, tant sur les rives de la Meuse qu'autour de Namur, des reconnaissances hardies firent voir ce que valait l'outil. Dans le secteur nord, le major adjoint d'état-major Lemercier, aujourd'hui brillant colonel du 5e lanciers, prend la direction des combats de Boneffe et du Moulin de Sauvenière. Au sud, notre regretté camarade, le lieutenant Moreau, pousse une reconnaissance avec la plus grande hardiesse. A la tête de deux pelotons, il atteint Ciney, encombré d'Allemands. Au retour, sa petite troupe est complètement cernée, mais le lieutenant ne se laisse pas intimider, il bouscule son adversaire et, grâce à son énergique intervention personnelle, sauve la vie ou tout au moins la liberté d'un de ses camarades, entouré par des uhlans qui s'apprêtaient à lui faire un mauvais parti. L'esprit de nos cavaliers est merveilleux; combien d'entre eux se livrent à des prouesses individuelles. Je me souviens, entre cent, de ce joyeux trompette qui s'était spécialisé dans la chasse aux Boches. Partant seul à l'affût, il était tout penaud quand il n'en portait que deux ou trois à son tableau journalier. Parfois pourtant, il en accusait une dizaine et, ces jours-là, son œil éveillé brillait un peu plus que de coutume. Vint l'évacuation de Namur le 23 août: pénible et douloureuse retraite! L'étape était longue, les montures épuisées, la température très haute, les uhlans parfois un peu près, mais qu'importait tout cela? Il nous fallait avant tout rejoindre nos frères d'armes à l'armée de campagne. Et l'on arrive ainsi, après de nombreux incidents, à Coulommiers et à La Ferté! Puis c'est le Havre et les quelques jours de vie calme au milieu d'une population accueillante qui laissera tant de souvenirs reconnaissants dans nos cœurs belges, et enfin quatre steamers qui nous ramènent à la mère patrie. Le temps de nous rééquiper et au bout de quelques jours passés à Contich, nous parti- cipons aux opérations autour du camp retranché. Ce sont alors des reconnaissances au nord de Malines, vers Louvain, Lippeloo, etc., etc.. Partout nos officiers rivalisent d'entrain et d'audace; la troupe n'a rien à envier à ses chefs. Au début d'octobre, les assiégeants prononcent l'attaque générale de la position organisée sur la rive nord de la Nèthe. En même temps, ils font des tentatives pour le passage de l'Escaut à Baesrode, Ter-monde et Schoonaerde. La 4e division d'armée et la 1re division de cavalerie les arrêtèrent. Le rôle du 1er lanciers, pendant cette période, fut de lancer des reconnaissances au delà de Termonde, à Gyseghem etAudeghem; puis, quand l'ennemi devint par trop pressant, d'assurer la surveillance de l'Escaut et, le cas échéant, la défense du fleuve, entre Dyck et Schoonaerde. Vers le 4 octobre, la situation devint assez critique. Voici un extrait d'une relation du capitaine commandant Cartuyvels de Collaert qui la dépeint fidèlement pour son escadron; les autres sont logés à peu près à la même enseigne: « Une compagnie d'infanterie en première ligne et mon escadron en deuxième ligne devaient empêcher les Boches de passer le pont à moitié détruit de Schoonaerde. » Le 4 octobre après-midi, nous subissons un feu des plus violents; vite j'évacue les chevaux, et une partie du hameau de Dac!, au sud de Beriaere, où ils se trouvaient, est littéralement broyée. » Pendant le bombardement, le colonel adjoint d'état-major Joostens, alors major, arrive à Beriaere pour se porter au pont de Schoonaerde. Je suis arrêté par les obus aux dernières maisons au sud de Dael et me jette dans un fossé à deux mètres à l'est de la route, en avant d'une ferme qui reçoit bien quatre à cinq projectiles. Peu après, accourt le commandant adjudant-major adjoint d'état-major Yperman: « - Où est le major? me demande-t-il. « - Là, lui dis-je, en montrant l'Escaut. Et au même instant une salve d'artillerie salue son arrivée. A tout seigneur, tout honneur! « - Je crois, me crie en riant le commandant Yperman, que tu veux me faire tuer! « A ma droite, de l'autre côté de la route, se trouvait un champ cultivé, puis une petite ferme entourée de haies. Je vis là un effet de feu qui me parut extraordinaire: les obus pleuvaient; tout à coup un globe de feu, qui pouvait avoir trois ou quatre mètres de dia- mètre, s'avance avec vitesse parallèlement à la route, vers la petite ferme, en rasant la terre, et franchit la haie, en l'effleurant à peine, comme aurait fait un bon cheval de chasse c'était très joli! « Nous n'avons pas eu de pertes ce jour-là. Hélas! ce ne fut pas la même chose le lendemain. A la fin de la journée, je reçus l'ordre de reculer et d'occuper avec mon es- cadron la lisière sud de Beriaere. Le lieutenant Roup reçut une balle de shrapnell dans la jambe, sans gravité heureusement. Le soir, nouvelle communication de service; mes braves lanciers devaient aller s'installer dans les tranchées que j'avais été reconnaître près du pont de Schoonaerde: les Boches étaient de l'autre côté du fleuve. « Le lendemain matin, 5 octobre, nous devions nous trouver à 4 ou 500 mètres à l'est du pont pour permettre à notre artillerie de tirer sur schoonaerde. A cet endroit, l'Escaut fait une petite courbe à concavité vers le nord, donc de notre côté. A 5 heures, les deux artilleries ouvrent le feu. J'avais deux craintes; d'abord que les Allemands, couverts par leur artillerie, ne passent le fleuve sans être vus de nous, qui étions assez loin du pont; ensuite, je redoutais d'être pris à revers à cause du mouvement de l'Escaut, car les sentinelles boches étaient visibles sur une espèce de coupole qui surmontait une usine allemande, près de la station de Schoonaerde, usine qu'en avait interdit d'incendier huit jours auparavant. Aussi, vers 6 heures et demie, je me porte au pont, ayant bien recommandé à mes hommes de se cacher dans les petites tranchées faites la nuit dans le remblai de l'Escaut. En arrivant à hauteur de l'église, j'entends un roulement de canon... mon cœur se serre et je me dis avec effroi que leur cible sera peut-être mon pauvre cher escadron. En effet, deux minutes après, une formidable rafale écrasait, et cela pendant une demi-heure, nos misérables petites tranchées... « Il ne restera pas un homme, pensais-je, et les projectiles passaient et passaient à vingt mètres devant moi avec un bruit d'enfer! Le sifflement des shrapnells, le ronflement des obus étaient épouvantables. L'air, comme déchiré, donnait des commotions terribles... « Voici un épisode de ce qui se passait dans les tranchées, d'après une lettre que m'écrivit, quelques jours plus tard, le lieutenant de Burlet: « A Schoonaerde, j'ai perdu sept hommes de mon peloton, dont un sous-officier et mon infortuné ordonnance que vous avez vu près de moi dans la tranchée: un shrapnell a éclaté à deux mètres de nous, enlevant la figure de mon pauvre Tuitinier. Je me suis couvert de son cadavre de 6 heures et demie à 7 heures trois quarts, heure à laquelle, après avoir évité mille dangers, et senti tressaillir sous des éclats d'obus le corps qui me protégeait, j'ai battu en retraite à votre coup de sifflet! »... « Enfin, continue le commandant Cartuyvels, vers 7 heures et demie le feu cesse. Je sors de mon abri et j'entends parler allemand de l'autre côté de l'eau... Pan!... Une balle m'arrive en pleine poitrine et, miracle, dévie sur un petit canif, puis une seconde me troue le genou gauche. « J'avais pour instructions de rester aussi longtemps que je jugerais la chose possible. Estimant la situation intenable et voyant que nous ne faisions aucun mal à l'ennemi, je donne ordre à mon escadron de battre en retraite. Je tâche de partir comme je puis, à trois pattes; j'entre dans un premier, puis dans un second fossé plein d'eau. J'en avais jusqu'au coup et je me traînais sur l'herbe mouillée, quand une balle me casse la cuisse droite, près de la hanche. J'étais bloqué! Je fis le mort; malgré cela, ces « cultivés » continuaient à tirer sur moi... Quelle retraite morale on fait lorsqu'on reste pendant douze à treize heures sous les balles ennemies! « J'écrivis sur mes manchettes à ma femme, à ma mère, leur disant « adieu », et j'attendis la mort! les obus continuaient à faire rage au-dessus de ma tête, les balles à siffler...; un fantassin rampait à quelque mètres de moi; une balle lui traversa la tête: il poussa un cri rauque et rendit l'âme; l'après-midi, je reçus une balle dum-dum ou de ricochet dans la cuisse gauche qui me fit beaucoup souffrir. « A la nuit tombante, grâce à un petit sifflet dont je me servais pour donner des ordres, je fus retrouvé par le maréchal des logis de Looz-Corswarem et le cavalier Thibaut de mon escadron; aidés d'un civil et d'un soldat d'infanterie, nommé Ledent, je pense, ils me placèrent sur une brouette et m'amenèrent à Dael: j'étais sauvé! « Sous la direction du docteur tjodenne, de Looz et Thibaut ramenèrent encore plusieurs blessés: ils furent décorés. Dix-sept hommes ont été tués ou ont disparu ce jour-là; sept ont été blessés et portés à l'hôpital. Sur trois officiers engagés dans le combat, deux furent grièvement blessés, un seul échappa en se faisant un bouclier du corps de son ordonnance. « Le 4e escadron avait bien mérité de la Patrie ». La journée du 6 n'eut rien à envier aux précédentes, les escadrons en réserve inter- vinrent à leur tour et tinrent à merveille; rien ne put les émotionner. Quels braves gens! Ils sont prévenus que si l'ennemi tente de les bousculer, ils devront se défendre avec la crosse de leurs carabines à défaut de baïonnettes! Ils acceptent cette perspective avec sang-froid et cette décision qui toujours fut leur caractéristique. Le lieutenant-général Michel voulut bien leur adresser, le lendemain, par mon inter- médiaire, ses chaleureuses félicitations. Je les transmis à ma troupe par l'ordre du jour suivant: « A la suite des combats livrés aux environs de Schoonaerde et Appels, le lieutenant- général commandant la 4e division d'armée a bien voulu me charger de transmettre ses plus chaleureuses félicitations à tous les officiers, sous-officiers, brigadiers et cavaliers du régiment, qui ont accompli pendant plusieurs jours consécutifs un service particulièrement pénible et exposé dans les tranchées. La tenue exceptionnellement ferme du 1er régiment de lanciers a provoqué l'admiration du lieutenant-général Michel et je suis infiniment fier et heureux de transmettre à qui de droit le témoignage de sa haute satisfaction. « Nous garderons un ineffaçable et pieux souvenir de nos camarades tombés au cours de ces cruelles journées, ainsi que de tous ceux que nous aurons perdus depuis le début de la campagne, et nous redoublerons de courage et d'activité pour venger et honorer leur mémoire. » La retraite devait ensuite nous conduire vers l'Yser, nous mettant souvent en contact très serré avec la cavalerie adverse, à Thourout, à Moerbeke, à Vladsloo, à Bovekerque, etc., puis, enfin, après la grande bataille, les escadrons, renonçant momentanément à leurs éperons, s'intercalèrent pendant de longs mois dans les rangs des fantassins pour participer avec eux à l'organisation et à la défense des tranchées. Le Roi daigna estimer que le 1er régiment de lanciers s'était particulièrement distingué à Schoonaerde, à Selzaete et en avant de Dixmude, et récompensa de nombreux de mes braves officiers en leur accordant les distinctions suivantes: Colonel A. E. M. Joostens; major A. E. M. Lemercier; capitaine commandant Cartuyvels: officiers de l'Ordre de Léopold. Major A. E. M. Yperman; capitaine commandant Chr de Mélotte: chevaliers de la Légion d'honneur. Capitaine commandant de Thier; Rossels: chevaliers de l'Ordre de Léopold. Lieutenants Pulincx; Delfosse; Deboek; Laffineur; Orban: chevaliers de l'Ordre de Léopold. Sous-lieutenants Dugardin; Cartuyvels de Collaert; Chrde Mélotte: chevaliers de l'Ordre de Léopold. Médecins Brasseur; Hallez; Godenne: chevaliers de l'Ordre de Léopold. Lieutenants Moreau; de Kerchove de Denterghem: chevaliers de l'Ordre de Léopold et cités à l'ordre du jour de l'armée. Lieutenant Rolin: chevalier de l'Ordre de Léopold et décoré de l'Ordre de Sainte-Anne (3e classe). Lieutenant Bertrand: chevalier de l'Ordre de la Couronne. Commandant Bosquet: cité à l'ordre du jour de l'armée. Médecin de régiment Evrard: cité à l'ordre du jour de l'armée. Lieutenants Verhaegen; Roup; Fichefet; comte d'Ursel (Georges): cité à l'ordre du jour de l'armée. Sous-lieutenant baron Sloet van Oldruyten-borg: cité à l'ordre du jour de l'armée. Il serait trop long d'énumérer les palmarès des gradés de rang inférieur et des cavaliers, je ne voudrais cependant pas terminer ce rapide exposé sans leur dire toute mon admiration, leur tirant très bas mon chapeau, en répétant ce mot d'un grand chef: « Ils sont à se mettre à genoux devant! » Wulpen, octobre 1915 Le Pont de Termonde par un officier du 4e d'artillerieLe 28 septembre 1914, le 1er groupe du 4e d'artillerie (capitaine-commandant t'Serstevens), après s'être distingué dans les combats livrés au sud de Termonde, à Saint-Gilles, à Audeghem et à Weize, vint relever à Grembergen les batteries de la 4e brigade mixte. De toutes les positions devant Termonde, celle du pont même, occupée par une pièce destinée à le prendre d'enfilade, à bout portant, était la plus dangereuse; tous les chefs de section du groupe à tour de rôle y prenaient le service. Deux d'entre eux, les sous-lieutenants Hiernaux et Mayat, devaient y laisser la vie. Le premier, Hiernaux, est tombé à sa pièce le 1er octobre, dans la nuit, au cours d'une attaque ennemie. Le pont de Termonde avait été détruit précédemment et un pont de bois avait été construit et miné par une section du génie qui se tenait là, prête à le faire sauter; nous occupions, avec le 13e régiment de ligne et une mitrailleuse, la rive gauche de l'Escaut, et les Allemands tenaient la ville elle-même, bâtie sur la rive opposée; le pont constituait donc un défilé commun et les organisations défensives, de part et d'autre, étaient pareilles et formidables: les rives n'étaient que des tranchées profondes et les maisons les plus proches des blockhaus pour mitrailleuses et petits canons. Nos guetteurs toujours à l'affût, cherchaient à surprendre les moindres préparatifs de l'ennemi dans les ruines déjà familières de la ville incendiée, dont les carcasses des maisons béantes avaient, la nuit, des aspects de squelettes sinistres. De temps en temps, entre les pans de murs, dans un rayon de lune, glissait une ombre aussitôt saluée par le crépitement d'une balle et qui disparaissait dans les décombres. Là-bas aussi, pareils à des feux follets, luisaient sans cesse de petites flammes bleues, coup de feu ennemis de quelques tireurs d'élite prenant comme cibles les têtes qui apparaissaient au-dessus de nos parapets. Cette nuit du 1er octobre était une belle nuit étoilée d'automne; l'artillerie allemande, après un bombardement excessivement violent, qui dura plusieurs heures et qui obligea l'infanterie, très éprouvée, à abandonner la digue et à s'incurver à l'entour du pont, avait ralenti son tir; les troupiers, maintenant adossés aux abris, respiraient l'air frais dans un calme relatif. Tout à coup, une sentinelle vigilante hèle son chef; elle vient de voir rouler une masse noir, épaisse, encore indécise dans la clarté lunaire, qui semble poussée vers le pont. Plus de doute, l'ennemi essaye de franchir le passage. Au signal d'alarme, fantassins, mitrailleurs et canonniers sautent à leurs postes et, à l'instant, se declanche l'orage. Sous la protection d'une fusillade nourrie, partie de la rive droite, une colonne d'assaut débouche de la rue principale de Termonde; les premiers portent des matelas, dont ils cherchent à se faire un bouclier, les autres suivent, en rangs serrés, sans aucun ordre, offrant l'apparence d'un troupeau plutôt que celle d'une troupe constituée. Ils chantent leur fameux cantique Gloria Victoria et semblent totalement ivres. Dès les premières décharges de mousqueterie, la pièce d'artillerie a son personnel hors de combat, à l'exception du sous-lieutenant Hiernaux et du chef de pièce, qui ouvrent à deux le feu sur les assaillants. La mitrailleuse entre également en action pendant que les soldats du 13e de ligne fusillent, presque à bout portant, les troupes allemandes, qui parviennent cependant à s'engager sur le pont. L'officier du génie, qui avait miné le pont, possédait deux mises à feu. Voyant que les assaillants tués sont remplacés instantanément et que l'ennemi menace la rive gauche, ce brave établit le contact de la mise à feu électrique. Stupeur! nulle détonation ne re- tentit! Déjà les Allemands atteignent l'extrémité du pont; sans se troubler, l'officier a saisi la seconde mise à feu: une explosion formidable éclate, projetant au loin des débris du pont, des morceaux d'êtres humains, des objets d'équipement, qui retombent pêle-mêle dans le fleuve et sur les berges, couvrant de sang et de lambeaux humains les soldats qui y sont dissimulés. Devant le désastre, le reste de la colonne d'assaut s'arrête, horrifiée, puis elle reflue en désordre vers la ville, tandis que de grandes flammes s'élèvent deë piles du pont, qui avaient été imbibées de pétrole. La surprise avait échoué; deux faibles essais furent encore brisés par nos obus. Ce fut alors la vengeance habituelle. L'artillerie ennemie concentra son feu sur les abords du pont; nos braves troupes vécurent là un de ces moments critiques où la puissance destructive de la machine humaine n'est vraiment comparable qu'à la grandeur des âmes prêtes au sacrifice. Pendant une longue heure nos soldats subirent une trombe d'acier qui, avec un fracas d'enfer, les menace d'un renouvellement d'attaque. Il fallait cependant vaincre la tension des nerfs, veiller sans cesse, scruter tous ces ouvrages qui se dressaient impénétrables et menaçants sur l'autre rive. Ce fut en examinant, par- dessus le bouclier du canon, les repaires de l'ennemi, que le sous-lieutenant Hiernaux tomba, dans le dénouement de l'action, frappé d'une balle entre les yeux. Et sa belle mort permit de constater une fois de plus tout ce qu'il y a d'énergie, de sang-froid et de courage dans notre cadre subalterne. Le maréchal des logis Francotte, chef de pièce, fit porter le corps de l'officier dans un abri voisin, le couvrit d'une couverture et prit sa place au canon, y maintenant pendant toute la nuit un personnel harassé, alors que les tranchées voisines, envahies par le gaz des explosions d'obus et rendues intenables, avaient été momentanément abandonnées. Le surlendemain, le sous-lieutenant Mayat était de service au pont. Dans l'après-midi, le commandant du groupe et son adjoint vinrent examiner l'organisation de l'adversaire. Les têtes des trois officiers, le sous-lieutenant Mayat au milieu, dépassent un instant le bouclier du canon. C'est une cible de choix pour les bons tireurs d'en face. Une balle siffle, une des têtes s'éclipse; Mayat, sans un cri, s'affaisse sur son chef et un flot de sang rosé, jaillissant de la tempe trouée, inonde son visage subitement livide. Maintenant les deux amis dorment côte à côte leur sommeil de gloire dans le petit cimetière de Grembergen, où nous les avons pieusement enterrés. Un jour viendra où ceux qui connaîtront leur belle mort, et qui, plus heureux, auront été épargnés, pourront aller fleurir leurs tombes et témoigner ainsi leur reconnaissance et leur admiration. Mais, de tous les hommages, aucun ne vaudra les larmes sincères de l'officier appelé à relever le sous-lieutenant Mayat, à la vue de son camarade gisant à son poste, dans la rigidité du dernier sommeil. | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:58 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_13.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 147, 4 aout 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'A la Première Attaque du Camp Retranché d'Anvers' Recueillis par le Baron C. Buffin A la Première Attaque du Camp Retranché d'Anvers par le P. Hénusse, S. J., aumônier de la 84e batterie d'artillerie
4 Septembre 1914Ce jour-là, l'état-major de la 5e division avait décidé une reconnaissance offensive qui, partant de Willebroeck, se dirigerait sur Lippelo. Vers 7 heures du matin, nous apprenions que les Allemands arrivaient en force à Breendonck. Aussitôt le commandant C... transmet ce renseignement à l'état-major, lequel, sans doute, le fait vérifier par sa cavalerie, car l'heure fixée pour le départ est depuis longtemps passée et nous sommes toujours-là; les fantassins bâillent derrière les faisceaux, les artilleurs flânent le long des pièces... Enfin, vers 10 heures, l'ordre arrive de partir quand même; seulement l'itinéraire est modifié; on prendra par Sauvegarde et Pullaer, au lieu de sortir de Willebroeck en longeant le réseau des fils de fer barbelés. Et la colonne s'ébranle... La 16e brigade mixte s'avance sur le chemin étroit qui débouche normalement à la ligne des forts; elle se dispose vers 12 heures et demie à prendre une position de rassemblement, quand, tout à coup, quatre détonations retentissent et autant de shrapnells s'en viennent éclater en tête de l'artillerie, tout autour du commandant du groupe, qui voit tomber son cycliste broyé, des hommes blessés, tandis que des chevaux s'abattent ou s'emballent. Le saisissement est si grand qu'un léger trouble se produit. Presque aussitôt survient l'explication: l'ennemi pousse une attaque brusquée contre le double intervalle Breen- donck-Letterheide-Liezelle; suit l'ordre pour l'artillerie: aller occuper vivement les positions organisées pour la défense desdits intervalles. La 84e batterie avait le secteur limité par le canal de Willebroeck et Breendonck; le 83e le secteur compris entre Breendonck et Letterheide; la 82e le secteur Letterheide-Liezele... - Demi-tour!... Et sur ce chemin large comme la main, le demi-tour s'effectue, impeccable. Pendant que les batteries gagnent rapidement les positions, les commandants se rendent non moins vivement à leurs postes d'observation. Celui du commandant de la 83e est merveilleux. A 9 mètres de hauteur, entre deux peupliers, une plate-forme a été dressée, protégée par un bouclier; une énorme échelle y donne accès; le tout vaste et solide, comme il convient à l'homme imposant qui doit s'en servir. Lorsqu'il y arrive, déjà les balles sifflent de tous côtés et les gros shrapnells éclatent au-dessus des forts. Il est évident dès lors que les Allemands brusquent l'attaque par masses et sans préparation préalable par l'artillerie. Le commandant escalade vivement son perchoir et se met à scruter l'horizon de ses jumelles. Dans la direction de Breendonck, le champ de tir est dégagé sur une profondeur de 800 mètres environ, en avant de la ligne des forts; toutes les maisons, sauf une, ont été démolies. Plus loin, à l'arrière-plan, des fermes isolées, les voies d'accès du village, des meules, des bouquets d'arbres; à l'avant-plan, d'immenses champs d'asperges d'un mètre de hauteur. Tout à coup apparaît du mouvement sur la route débouchant du village: une colonne ennemie s'avance par là;... elle se fragmente en petits paquets qui gagnent les couverts... Ce serait le moment de saisir le téléphone et de commander le feu à la batterie là-bas, à 1 700 mètres en arrière... Mais, hélas! le téléphone a été relevé en vue de la reconnaissance de ce matin et le supplice commence pour l'infortuné commandant. Avoir là, devant soi, une masse de plusieurs milliers d'hommes; là, derrière soi, les quatre cracheurs de fer qui pourraient semer la mort et le carnage dans cette masse et ne pouvoir leur faire signe, leur transmettre l'ordre! Tantale n'a rien enduré de semblable! Et les yeux du commandant vont, de l'ennemi qui s'avance, à la plaine où devraient apparaître les téléphonistes déroulant le fil, le précieux fil... Mais il n'aperçoit lui non plus que l'herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie... A la fin il n'y tient plus, dégringole de l'observatoire, salué par un vol de balles, qui ne font de mal qu'aux branches des peupliers, court à son cheval caché dans le petit bois, derrière, et file à la charge au-devant des téléphonistes. Les voici; il les presse fiévreusement et du même train revient à son observatoire. Montera-t-il? ne montera-t-il pas? Les balles sifflent et ricochent sur les montants de la vaste échelle. Un! deux! trois! il s'enlève et monte. Le cœur est bien un peu serré... Tant mieux, il offrira d'autant moins de surface à la balle! Et de nouveau l'observateur est à son poste. Seulement, cette fois, il s'étend à plat ventre sur la plate-forme et nerveusement les jumelles scrutent l'horizon devenu familier. Que s'est-il passé depuis tantôt?... Derrière les fermes isolées, derrière les meules, des colonnes ennemies s'avancent en rangs serrés; à l'avant plan, des tirailleurs se glissent en rampant vers les champs d'asperges. Pour sûr, il y en a déjà par centaines qui grouillent là dedans, on le sent... Le commandant rage. Il se rappelle ce soir de chasse où il tenait un superbe dix-cors au bout de son fusil, mais l'animal filait droit sur le poste de son voisin de battue, l'empêchant de tirer par crainte d'atteindre le confrère. Décidément il est né pour jouer les Tantale!... Ces téléphonistes n'arriveront-ils jamais? Pauvres diables, pourvu qu'ils n'aient pas été touchés eux-mêmes!... Non! les voilà! Us franchissent le chemin de fer, à 500 mètres. Qu'ils se baissent surtout, maintenant, qu'ils rampent même, car les balles sifflent sans discontinuer. En attendant, le commendant repère tous les objectifs, note les distances sur sa carte, savoure d'avance la belle joie de massacrer les plus odieux ennemis qui furent jamais, de briser soudain cette attaque qu'ils se flattent encore de mener à bien... Les minutes sont d'une longueur interminable; le sang lui bout et lui bat au cœur, au cerveau... Enfin! les téléphonistes sont au pied de l'échelle, la communication est établie et le premier commandement court commel'éclair... Quelques secondes se passent et la réponse est là: quatre shrapnells rageurs qui éclatent au-dessus des asperges, à la bonne hauteur. Et maintenant, en avant les brisants et en tir rapide! Les rafales se succèdent, arrosant, criblant les champs où fourmillent les Boches et, dans les jumelles, le commandant voit voler en l'air des choses hideuses qui sont des bras, des jambes, des têtes casquées. Il exulte; en même temps que ses commandements, le téléphone transmet à la batterie le résultat du tir et les canonniers croient voir de leurs yeux la magnifique œuvre de mort. Ils s'exaltent, ils rient, ils redoublent d'entrain et de célérité. Après les plants d'asperges, c'est le tour des fermes.Les obus brisants y tombent comme la foudre et les incendies s'allument. Cependant les balles continuent à siffler autour de l'observatoire. Évidemment il y a des tireurs embusqués quelque part et qui s'acharnent. A force de chercher, le commandant finit par découvrir leur poste probable; c'est cette maison unique que le génie n'a point démolie au bord de la route de Breendonck à Lippeloo et qui, depuis deux heures s'est subitement crénelée. Que faire? La bicoque est trop petite pour constituer un objectif de tir indirect; inutile donc de la renseigner à la batterie. Mais le fort de Breendonck pourrait sans difficulté la battre directement. C'est le petit téléphoniste qui vient d'avoir cette idée. Il la communique au commandant qui, de nouveau, a dégringolé de son perchoir devenu intenable. L'idée est excellente, mais comment arriver au fort? Il y a plus de 800 mètres à parcourir et presque tout à découvert... Le téléphoniste est déjà parti! Moins de dix minutes après, le fort ouvre le feu sur la maison et, au troisième coup, elle flambe comme une torche, puis s'écroule dans un immense bouquet d'étincelles... Le commandant regagne son poste aérien, mais la fête est terminée; les routes sont vides, les plants d'asperges, qui toujours ra-pellent sur eux ses jumelles, sont inertes; les fermes incendiées achèvent au loin leur agonie fumeuse; le canon ne gronde plus que comme un orage qui s'éloigne et meurt. Là-bas, derrière le village de Breendonck, on devine la retraite désordonnée des Boches, sauvant leurs canons, entraînant leurs blessés, courant cacher leur honte... Puis c'est la sortie de nos reconnaissances et de nos ambulances. Le bilan funèbre et glorieux de la journée va s'établir peu à peu. Demain, nous apprendrons que dans les champs d'asperges on a récolté 1100 plaques d'identité allemandes et le commandant, qu'on félicite, serrera la main des deux soldats du téléphone en leur disant: « Tout ça, grâce à vous, mes petits! ». La Reprise d'Aerschot par le sous-lieutenant Ch, Dendale, du 7e de ligneLes 7 et 8 septembre, le haut commandement apprit la diminution des forces assiégeant Anvers et il effectua avec toutes les troupes de l'armée de campagne une sortie destinée soit à infliger une défaite à l'ennemi, soit à l'obliger à rappeler sous Anvers une partie des forces dirigées vers la France. La sortie commença le 9 septembre et eut des débuts favorables; le 9, les débouchés du Démer et de la Dyle furent conquis, Aerschot fut prise; le 10, un peloton du 26 chasseurs à cheval pénétra dans Louvain, mais la 2e division fut arrêtée devant Wygmael et Putkapel. L'ennemi rappela alors la 6e division de réserve en marche vers la France. Le 11, la 3 division réussit dans une offensive sur Over de Vaart, la 6e division atteignit le chemin de fer de Malines à Louvain. Le 12, l'ennemi prit l'offensive à son tour, et refoula la 2 division à Rotselaer et Wesemael: ce recul entraîna celui de la 6e division, puis celui de la 3e division et le 13, l'armée se replia vers le camp retranché. Le but principal était atteint. L'adversaire avait été obligé non seulement de rappeler sur le front belge la 6 division du III6 corps, mais aussi de retarder pendant deux journées le IXe corps dans sa marche vers la France, précisément au moment où les armées allemandes, effectuant leur retraite sur la Marne, avaient un besoin urgent de renforts. Ceci n'est pas le compte rendu d'un fait de guerre particulièrement glorieux, mais l'exposé d'impressions ressenties au cours d'un combat qui, tout en étant le moins meurtrier de ceux auxquels j'ai assisté, a pourtant laissé dans ma mémoire le souvenir le plus vivace. Au cours de la deuxième sortie d'Anvers, le 27e régiment, débarqué à Heyst-op-den- Berg, dans la nuit du 8 au 9 septembre, reçut comme premier objectif: Aerschot. Tout le long de la route que nous suivons se détachent lamentablement sur le ciel bleu les ruines des habitations détruites par les incendiaires allemands. De ces débris fumants encore, se dégage une^odeur acre, spéciale, qui prend à la gorge, oppresse, étreint d'un malaise indéfinissable. On n'ose remuer les cendres dans la crainte de mettre à découvert des restes calcinés de martyrs, consumés avec tous leurs biens, sur le lopin de terre où ils ont vu le jour, ont grandi, lutté, souffert, où ils meurent enfin, les yeux emplis de visions d'horreur et d'épouvanté. Nous approchons de la ville; les Boches n'ont pas encore donné signe de vie. Tout à coup, mon attention est attirée par un bonnet de police détachant sa bande rouge sur le vert de la prairie. Je me précipite et m'arrête interdit, troublé. Le bonnet coiffe une petite croix de branchage plantée sur un léger tu-mulus. Mon cœur se serre douloureusement à cette première vision de la tombe anonyme du brave, mort pour la Patrie. Hélas! com- bien en ai-je vus depuis. Je reste là, songeur, et ma pensée va du héros tombé en pleine vie, en pleine lumière, aux pauvres vieux qui là-bas tremblent pour leur enfant, aux pauvres vieux qui ne sauront jamais où repose leur fieu. Nous entrons dans la ville, à la suite de l'avant-garde, qui n'a pas rencontré de résistance sérieuse. Ici, ce ne sont plus des ruines isolées, mais un amoncellement de décombres! Rien n'a échappé à la. rage destructive de l'envahisseur. Tout ce qui n'a pas été consumé par la flamme a été saccagé: les étalages vidés, les meubles éventrés, les glaces brisées, Ies effets jetés en un lamentable tas. Vraiment, on a dû s'acharner des journées entières à coups de bottes, à coups de crosses pour détruire toutes ces choses. Et ce qui étonne, c'est le nombre de bouteilles vides qui jonchent le sol, indice de « kolossales » beuveries. Peut-être, en accomplissant leur sinistre besogne, les soldats ont-ils manqué de courage, peut-être ont-ils senti se réveiller au fond de leur âme quelques sentiments d'honneur et de probité, qu'il a fallu étouffer en buvant jusqu'à en perdre la raison. Petit à petit, un peu de curiosité se mêle à notre émotion. Silencieux, atterrés, nous visitons ces ruines, inépuisable et glorieux reliquaire d'amour et de vertu patriotique. Tout ici, depuis les tombes jusqu'à la moindre pierre, atteste que les Belges préfèrent la mort à une lâche soumission, préfèrent souffrir plutôt que de forfaire à la parole donnée. Une atmosphère d'auguste sacrifice sanctifie ces lieux. Tout à coup, je pousse un cri. Là-haut, au frontispice d'un couvent, un grand drapeau allemand claque insolemment au vent. Je me précipite, déjà des soldats m'ont précédé et le colonel foule aux pieds l'emblème exécré. Nos yeux brillent de joie et d'espérance. Ce spectacle est pour nous un symbole, nous voyons la puissance allemande abattue, le bon droit triomphant! la Belgique libérée! Une confiance sans bornes nous emplit... Pif! Paf! On se bat là-bas. Ces détonations exaspèrent notre énervèment. Spontanément, nous nous élançons en une course folle, désordonnée: « Vive le Roi! ». Les Boches occupent et défendent les hauteurs à la sortie de la ville. Ils accueillent notre avant-garde par une fusillade très nourrie, mais heureusement mal ajustée. Notre bataillon court à la rescousse. Au moment de tourner un coin de rue pour entrer dans la zone battue par les balles, les premiers rangs ont un instant d'hésitation. Alors - oh, je n'oublierai jamais ce spectacle! -le porte-drapeau se précipite, la hampe haute, les trois couleurs déployées. Électrisés, les hommes se ruent en trombe, les clairons halètent l'assaut, une clameur confuse monte et grandit: « Vive la Belgique! » et le flot irrésistible de nos troupiers envahit les hauteurs. Les hommes sont déchaînés, le spectacle des atrocités allemandes les a exaspérés. Ils courent le cœur débordant de rage. « Pas de prisonniers! Pas de quartier! A mort les bandits! » Ces malédictions éclatent de toutes parts; les regards sont durs, farouches, impitoyables! « On les soignera, leurs blessés, et comment! » Je me retourne, notre docteur menace, l'expression de ses yeux m'effraie. Une flambée de haine embrase tous les cœurs. « Oui, nous sommes prêts à tout, nous voulons nous venger! Pas de pitié! Plus de conventions! Tant pis pour eux! Ils l'ont voulu! Ce sera leur châtiment! » Une immense joie nous envahit et nous transporte, la joie d'arracher à l'envahisseur un lambeau du territoire national... Le piteux troupeau des prisonniers allemands fait halte le long de la route. Le soleil darde. Nos hommes, ruisselants de sueur, les entourent curieusement. Mais que vois- je? Non, non, ce n'est pas possible! Les mêmes poilus tantôt ivres de carnage, de rage vengeresse s'empressent auprès des captifs. Celui-ci leur donne une cigarette, celui-là la dernière goutte du café de sa gourde. Notre « féroce » docteur, affairé, leur prodigue ses soins avec le plus grand dévouement et panse jusqu'à la moindre égratignure. Subitement calmés à la vue de la souffrance d'autrui, nous sommes redevenus les bons Belges, simples, accueillants, compatissants, suivant la tradition de la race. Émus de pitié, nous mettons tout en œuvre pour soulager nos ennemis blessés. Je considérais songeur cette scène poignante. Une émotion profonde m'étreignait, mes yeux se mouillaient de larmes, mon cœur se gonflait d'une joie, d'une fierté inexprimables, la joie, la fierté d'être Belge. Hôtel-Dieu, hôpital Albert 1er, le 9-11-13. Une Belle Capture Par le capitaine adjoint d'état-major Courboin 9 septembre 1914. - Aerschot, dévastée et pillée par les Allemands, est tombée au pouvoir des troupes belges, comprenant la division de cavalerie et la 7e brigade mixte. Surpris par l'action rapide des nôtres, les occupants ennemis, telle une bande de moineaux, s'enfuirent vers Louvain; mais, au sud de la ville, des détachements, ignorant sans doute la direction de retraite, résistaient encore. Nos troupes s'étaient rassemblées sur les hauteurs vers Nieuw-Rhode, attendant des ordres; je m'étais éloigné de mon unité et me promenais sur la lisière du S'Hertogerheyde Bosch, lorsqu'un soldat du 27e de ligne me signala que, d'après les dires d'une patrouille, un cavalier du 2e guides était étendu blessé sur le pavé traversant la forêt. Je demandai un fusil et des cartouches et proposai à un aumônier de m'accompagner... Aussitôt vingt soldats s'offrirent et j'eus de la peine à limiter la force de mon escorte à un caporal et à six hommes. Dix minutes après, le cavalier, mort malheureusement, était ramené dans nos lignes; mes hommes avaient essuyé un feu nourri, partant de la lisière sud du bois et attestant la présence d'au moins une compagnie ennemie. Mais les horreurs constatées à Aerschot avaient excité leur colère et ils me supplièrent de retourner en force, afin de venger nos malheureux compatriotes. Je n'aurais pu céder à leurs instances, si une circonstance imprévue n'avait justifié tant bien que mal notre escapade. Une auto-mitrailleuse de la 1re division de cavalerie, qui devait pousser une reconnaissance vers Nieuw-Rhode, réclamait une escorte d'éclaireurs. Je lui offris le concours de notre petite troupe et, peu d'instants après, nous nous aventurions à nouveau dans le Hertoger Heyde. Le bois paraissait évacué; mais, à notre arrivée à la lisière sud, un feu intense, provenant de la crête de Nieuw-Rhode, nous accueillft. Notre auto-mitrailleuse répondit avec usure, tandis que mes hommes fouillaient une à une les habitations bordant la route et s'embusquaient derrière les haies pour viser les têtes des Boches qui, très imprudemment, se profilaient sur le bleu profond de l'horizon. Nous arrivons par bonds jusqu'à une centaine de mètres de la crête. Le feu ennemi a cessé et nous distinguons déjà une quinzaine de blessés, affalés dans un fossé et implorant du secours. Est-ce un piège? Il est trop tard pour être prudent; nous nous sommes aventurés à 3 kilomètres des lignes ennemies; mes hommes sont là, frémissants d'impatience! Il n'y a pas à hésiter: quatre habitations occupent les angles d'un petit carrefour et doivent abriter des blessés et des fuyards. Aucune fenêtre ne donne vers nous; les jardins paraissent exempts de défenseurs, un dernier bond nous permettra de voir ce qui se passe derrière la crête. Arrivé là, je n'eus pas le temps de réfléchir, un cavalier qui, je dois l'avouer, ne semblait plus maître de sa monture, arrivait sur moi à bride abattue. J'épaulai mon fusil... Le Boche mordit la poussière. Le cheval affolé bondit dans les champs; mes hommes tirèrent, la mitrailleuse partit toute seule! Ce moment d'énervement nous sauva; l'ennemi nous crut en force!... Un fusil sup- portant un mouchoir blanc, passa par une lucarne! ils se rendaient! Je criai à tout hasard, en me collant contre le mur de la maison pour ne pas essuyer traîtreusement un coup de feu de la lucarne: « Gewehren heraus! » Un flingot s'abattit sur le pavé, puis un deuxième, puis un troisième... mes hommes comptaient, consternés et ravis: « Vingt, cinquante, cent. » Enfin au cent sixième, arrêt! Un sous-officier allemand sortit en parlementaire et demanda, dans un français très correct, la vie sauve pour le lieutenant, les cinq sous-officiers et les cent six hommes cachés dans la maison. Deux minutes après, le troupeau gris de fer et bleu était aligné sur la route, et un petit lieutenant, très prussien, me remettait son pistolet, qui rejoignit le tas de fusils entassés dans un fossé. Mes hommes n'avaient pas l'air ne se douter un seul instant de la bizarrerie plutôt inquiétante de notre situation: un peu d'énergie de la part de nos prisonniers et les rôles sont intervertis! Je me garde d'ailleurs d'y penser un instant et c'est sur un ton très énergique que je donne l'ordre à mon collègue boche de prendre le commandement de ses hommes. Avec une autorité incontestable, tapotant ses bottes d'un petit stick, le lieutenant com- manda d'un ton très rogue: « Achtung. » Je me demandai à nouveau si, à une de ses injonctions, lancées sur un ton guttural en langue allemande, toute la bande n'allait pas nous tomber dessus!... et instinctivement je serrai la crosse de mon mauser... Mais non, décidément, ces soldats avaient une mentalité spéciale et, subitement, le petit freluquet, sanglé dans son manteau gris, qui marchait à leur tête, me parut répugnant. Je m'imaginais que nos soldats, commandés par un de nos braves camarades, ne seraient pas restés longtemps dans la situation de cette bande de couards qui, ridiculement nombreux, escortés de sept poilus belges, s'acheminaient vers notre quartier général à Aerschot! Prisonniers! ils étaient prisonniers et... heureux. Je m'apprêtai à fermer la marche de la colonne, après avoir promis du secours aux blessés qui, sans discontinuer, gémissaient dans leur fossé: « Artz! Artz! » lorsqu'une grosse main calleuse saisit la mienne et la serra sans façon. C'était le caporal Dethier, du 27, un brave mineur liégeois: « Mon capitaine, me souffle-t-il, nous vous remercions tous! Quant à moi, je suis heureux, car je sens que j'ai été un soldat héroïque. » http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_13.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:58 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_14.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. No. 147, 4 aout 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Deuxième Sortie d'Anvers 9-12 Septembre 1914' Recueillis par le Baron C. Buffin
Deuxième Sortie d'Anvers - 9-12 Septembre 1914 Épisode de la bataille devant Over-de-Vaert à Haecht par le lieutenant L. Chardonne, du 14e de ligneJ'écris le récit de ce combat dans mon lit, à l'ambulance Elisabeth, souffrant depuis treize mois des blessures que j'ai reçues, j'écris sans prétention comme sans fausse modestie avec le seul souci de dire la vérité. C'était pendant la deuxième sortie de la garnison d'Anvers. Ma compagnie, la 2e divisionnaire de mitrailleuses Hotchkiss de la 3e division d'armée, qui avait passé la nuit du 11 au 12 septembre 1914 contre le talus du chemin de fer Malines-Louvain, à 500 mètres de la station d'Haecht-Wespelaere, reçut à 4 heures l'ordre de se porter en ligne pour soutenir le 14e de ligne. Joyeusement, mes hommes gravissent la pente, franchissent la crête et bientôt les deux pièces de ma section, la 52e et la 53e, s'enchâssent dans les tirailleurs de la compagnie du commandant Magnette, encadrant, à l'extrême gauche, la dernière section d'infanterie. Les tirailleurs ont occupé pendant la nuit une tranchée pour tireurs à genou, qu'ils sont en train d'approfondir. Vers ma droite, je vois leurs silhouettes se perdre dans la brume matinale. En arrière, les obusiers de 15, placés en deçà du chemin de fer, ont sonné le réveil, et aussitôt, sur la gauche, trois batteries de 75 de la 12e brigade reprennent le feu. Vers 8 heures, la brume se dissipe entièrement, découvrant le champ de bataille. Déjà nos pertes sont sensibles: le premier sergent-major Carlens, chef de section aux mitrailleuses, a été tué et Butjens, servant à la 52e, a eu la cuisse traversée. Je me suis réservé la 52e, que je pointe moi-même. Parfois, je crie aux lignards qui tirent au hasard: « Mais sur quoi tirez-vous? Ne tirez que quand vous voyez l'ennemi. » Cependant, pour leur donner confiance, je lâche de temps en temps une bande de trente cartouches sur des points que je suppose occupés, sachant combien le soldats se sent réconforté quand la mitrailleuse l'appuie. Devant nous - mais où? - la fusillade est continue, les Maxims allemands ne cessent pas un instant leur taratarata. Ce n'est qu'à dix heures que j'aperçois enfin les tranchées e.nemies. Jusque-là et pendant six heures, j'ai fouillé le champ de tir avec d'excellentes jumelles sans rien découvrir. Une tête de Boche, émergeant d'une embrasure, me ré- vèle toute la position. Pir.cés! J'éprouve une joie féroce. Du coup je peux régler mon tir, et mon ordonnance, Hubert Massart, me servant d'observateur, je réussis, en trois bandes de trente cartouches, à taper en plein dans le parapet et sur la plongée. Je me hâte de communiquer ma trouvaille à l'infanterie et à ma 53e, et dès lors, notre feu devient plus vif, quoique toujours intermittent. La matinée se passe sans incident notable et j'en profite pour examiner notre position. Devant nous s'étend un glacis, semblable à celui de Saint-Privât, mais dix fois plus meurtrier, étant donné la puissance des armes actuelles. C'est un fer à cheval de feu, bordé de maisons basses et allongées, remplies de défenseurs invisibles et presque invulnérables, et dont le fond est constitué par deux tranchées allemandes, séparées par une maisonnette toute blanche, aux murs de briques lézardés, qui sert d'abri à des légions de Boches. Pendant la matinée, les canons de 75 et les obusiers de 15 s'en prennent aux maisons qu'on renseigne comme occupées par des tireurs de choix ou des mitrailleuses. Nos artilleurs pointent avec une précision merveilleuse, mais leurs obus traversent le premier mur, éclatent dans la première pièce et laissent indemnes les suivantes. Une fois sur trois, nos projectiles allument un incendie, ce qui vaut mieux. Quant à moi, je suis installé derrière la première traverse d'une tranchée allemande abandonnée, légèrement en dehors et en avant de notre ligne, que je peux flanquer, le cas échéant, tout en faisant face à une attaque de flanc. Notez qu'à ma gauche il y a une trouée en face de l'artillerie, mais, de ce côté, on n'aperçoit aucun fantassin. A midi, les braves lignards franchissent tout à coup le parapet de leur tranchée et s'avancent en rampant et en tirant. Tout de suite, la ligne appuie légèrement à droite, ce qui dégage mes deux pièces. A notre tour, nous nous avançons dans le cercle ardent, dont on ne sort que mort ou vainqueur. Je décide de laisser la 53e en place continuer le tir et flanquer l'attaque, pendant que, profitant de la tranchée boche libre, je me porterai en avant avec la 52e et appuierai l'in- fanterie. « Enlevez le fusil, ordonnai-je au sergent Maréchal, fermez les boîtes à cartouches et suivez-moi. » Et je pars reconnaître le chemin à parcourir et l'emplacement de tir à occuper. Comme l'indique le croquis, je n'ai qu'à suivre la tranchée allemande, d'environ 200 mètres de longueur, dont je garde l'extrémité. Arrivé au bout, je constate, d'une part, que l'infanterie avance prodigieusement vite sous un feu de mousqueterie et de mitrailleuses des plus violents, et que, d'autre part, devant moi, sur ma droite, au delà d'un chemin de traverse, se trouve une seconde tranchée boche dont, chose curieuse, le faible profil m'a échappé. Je franchis les 25 mètres qui me séparent du chemin de traverse, dont je longe le fossé, et d'un bond j'atteins la seconde tranchée. Je cours à son extrémité qui forme un petit crochet et constate qu'elle offre une bonne position de tir. Je retourne au plus vite chercher mes hommes; ils étaient déjà parvenus au chemin de traverse. Malheureusement, il n'y a pas eu moyen de dégager le fusil du trépied de la Hotchkiss et, par suite de l'étroitesse du boyau, ce transport nous donne beaucoup de fil à retordre . En nous servant du fossé de la route, nous glissons vers la seconde tranchée allemande. A moitié chemin, je vois à droite, en plein champ, le caporal Boreux, du 14e, qui se traîne, les jambes ensanglantées. « Ne pourrais-je être soigné, mon lieutenant?» me crie-t-il. - « Mon vieux, tu vois bien que c'est impossible, flanque-toi dans le fossé, tu seras pansé dès que le combat sera fini. » Les braves fantassins sont déjà à l'extrémité de la seconde tranchée boche, quand j'y arrive et mets ma pièce en batterie. « Mon lieutenant, dit Maréchal, voilà une mitrailleuse qui tire sur nous. » En effet, à droite de la maisonnette blanche qui nous fait face, une pièce allemande nous envoie sa mitraille, je pointe immédiatement, à 200 mètres. Dès le premier coup, je lui impose silence. Son rôle est fini. Je commence donc à arroser les tranchées boches, à droite et à gauche de la maisonnette ma pièce marche merveilleusement, mes hommes sont d'un calme absolu. Les braves du 14e nous dépassent bientôt; en moins d'un quart d'heure, ils ont franchi 450 mètres. La ligne continue à appuyer à droite. « Maréchal, dis-je, je vous confie une mission de confiance. Allez chercher la 53e et amenez-la.ici ». Je reprends le tir, neutralisant la tranchée de droite. Notre artillerie à dû en effet suspendre le tir de ce côté, mais elle arrose la partie gauche et bat de ses shrapnells les murs et les maisons de la grande route de Louvain à Malines. Les Allemands n'ont pas d'artillerie, ce qui est singulièrement heureux pour nous. Cependant ma 53e n'arrive pas. J'étais résolu, dès qu'elle viendrait me relever, à rejoindre l'aile gauche de mon régiment, pour donner à ces braves, fût-ce au prix d'un sacrifice, le réconfort de la présence d'une mitrailleuse; je voulais les accompagner jusqu'au bout. Craignant d'arriver trop tard, je me décide à avancer: « Allons, mes amis, dis-je; le moment est venu de donner le grand coup. En avant! » J'empoigne le pied droit de ma pièce, Massart prend le gauche, Jaassens la bêche de crosse, Fraikin et Collard les boîtes à cartouches. D'un effort, nous sortons de notre abri et rous nous engageons en plein champ. C'est plus qu'une imprudence, c'est une témérité. Mais mon tir s'est révélé si supérieur à celui des Boches et l'élan de l'attaque me donne de telles espérances! Nous parcourons une dizaine de mètres, entourés d'un essaim de balles. En effet, à droite et à gauche, les tranchées allemandes ont recommencé leur tir; à 300 mètres, les tireurs spéciaux et les mitrailleuses nous prennent à partie. Tout à coup, Massart tombe, étouffant un cri de douleur. Tout le monde se colle à terre; sur nos têtes, le kiss, kiss, kiss bien connu sifflote. « Qui est blessé? C'est toi, Hubert? Où ça? - Au bras, mon lieutenant. » Les autres mitrailleurs rentrent en rampant dans la tran- chée que nous venons de quitter. « Mon lieutenant, ne pourrais-je être soigné de suite? - Par qui do c, mon pauvre Hubert? Sales Boches! je m'en vais les arranger; en atten- dant, traîne-toi près de la tranchée, appuie-toi la tête contre le parapet et ne bouge plus. » Nous croyant morts, le kiss, kiss a cessé. Il a d'autres objectifs. Je me redresse et je recommence le tir, mais je suis seul au milieu d'un cercle de feu. Mon cousin, le lieutenant Fernand Marissal, qui a amené ses pièces sur ma droite, a cessé de tirer pour la seule raison possible: il vient d'être tué; des Boches, embusqués dans une maison, lui ont envoyé à bout portant, une balle dans la tête. Les tirailleurs n'existent plus: le brave commandant Magnette est tué à leur tête. Je dois donc faire face à trois côtés. Je commence par réimposer silence à la tranchée de gauche, et je reçois à la figure une balle qui m'érafle la joue droite et le nez. Choc violent. Mon visage est en sang, heureusement mes yeux sont saufs! Je continue le tir contre les maisons de droite, dont j'arrose avec précision portes, fenêtres et toits, puis je reprends la tranchée qui me tire dessus. Une balle me frappe à l'avant-bras droit, me coupe une veine et provoque une forte hémorragie. Je retrousse la manche de ma vareuse et ma chemise apparaît toute rouge: mes doigts bougent encore, mais difficilement. Je fais payer cela aux embusqués de la grande route. Mon pauvre Hubert s'est traîné jusqu'à la première tranchée et il dit à ses camarades, qui tirent maintenant au fusil: « Comment le lieutenant, déjà blessé deux fois, tire tout seul? N'y aura-t-il personne pour l'aider? » Ce furent ses dernières paroles; blessé mortellement, ce héros consacra son dernier souffle à exhorter ses compagnons au devoir. Janssens sort de la tranchée et vient charger ma pièce; je vais tirer quand je reçois sous le genou un choc tel que je suis jeté à terre: « Tonnerre! Ils m'ont cassé la jambe! » En effet, elle a une position anormale, je la redresse et retends devant moi. Je tire la bande chargée et toutes celles qui restent encore dans la boîte près de moi. C'est tout. Janssens est rentré dans la tranchée. J'enlève mon éperon- droit, qui tord ma jambe brisée, et je me couche sur le dos, la tête sur mon shako, une carte sur le front pour me protéger contre les ardeurs du soleil. Il est 12 h. 30. Le ciel est d'une limpidité profonde, avec, cà et là, des nuages blanchâtres. De temps à autre, des corbeaux passent, d'un vol lent, poussant des cris stridents. - « A vos ordres, mon lieutenant. » Je sursaute; c'est le brave Maréchal qui arrive avec le caporal Treize et le premier soldat van Herck de la 53e. - Eh bien, et la 53e? - Mon lieutenant, elle a refusé de fonctionner. - Où est-elle? - Nous l'avons mise complètement hors d'usage. - Il n'y a donc plus rien à faire? - Si, mon lieutenant, nous allons vous enlever. - Non, mes amis; pendant l'action, on ne relève pas les blessés. Je ne pouvais naturellement pas accepter, pour moi, et que j'avais refusé à deux reprises à des soldats. - Mettez plutôt la pièce hors de service. - Nous la sauverons, mon lieutenant. Profitant d'une accalmie, il saute avec deux hommes sur la pièce et parvient à la traîner dans la tranchée. C'est une joie pour moi. L'assaut a échoué. Derrière la première ligne massacrée, les soutiens se sont arrêtés. En arrière et à droite, la compagnie Darche, du 14e, occupe le chemin de traverse où les deux pièces de mon pauvre cousin ont été remises en action. Plus loin, et à gauche, la compagnie Moreau, en échelon, défend la tranchée Magnette. Les balles de cette com- pagnie, comme celles de l'ennemi, passent au-dessus de ma tête. Avant de s'éloigner avec ma 52e, mes braves insistent affectueusement pour m'emporter. Je refuse catégoriquement, ne voulant pas, moi officier, séparer mon sort de tant de braves soldats tombés comme moi à l'attaque. Je mets une huitième cartouche dans mon browning, décidé à me défendre jusqu'à la mort. J'entends bientôt mon pauvre Hubert Massart râler. Une significative crispation des dorsaux lui bombe la poitrine; son nez s'effile. J'assiste, impuissant, à sa mort. Quant à moi personnellement, je suis heureux et très fier. Je saigne beaucoup et je n'ai pas de sachet de pansement. Heureusement, ma culotte serrante et ma jambière moulée font attelle et je lie, aussi vigoureusement que le permet ma dextre ankylosée, la courroie de mes jumelles autour de ma cuisse. Le combat continue par intermittence. A 5 heures et demie, quelques obus boches tombent çà et là, dans le champ de tir. Un d'eux s'enfonce à quelques mètres sur ma gauche. Les terres projetées par l'explosion me recouvrent en partie. Je résolus de re- joindre la compagnie Darche et commence à me traîner sur le dos, à l'aide de ma jambe et de mes coudes, laissant derrière moi une traînée de sang. De temps à autre, je lève le bras, pour montrer mes galons aux amis et j'entends distinctement crier: « Attention au lieutenant. » J'atteins vers 6 heures et demie le chemin de traverse et je franchis seul, par un prodige, le premier fossé. Un tirailleur me prend par les épaules au moment où j'arrive au second et me traîne le long du fossé jusqu'à la gauche de sa compagnie. Là, se trouvaient déjà le caporal Boreux et d'autres blessés. Nous étions sauvés! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_14.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:59 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_17.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Combat de Wavre-Sainte-Catherine' Recueillis par le Baron C. Buffin soldat allemand dans les ruines du fort de Wavre Ste. Catherine Combat de Wavre-Sainte-Catherine 28 septembre-10 octobre 1914 par le sous-lieutenant Heuroz commandant la 1er compagnie du 1er bataillon du 2 régiment de carabiniers de forteresse Sans cesse harcelés par l'armée belge et inquiets pour le flanc de leur ligne de communication, les Allemands résolurent de s'en prendre à la forteresse d'Anvers, refuge de notre armée après chacune de ses opérations offensives. A la fin du mois de septembre, l'ennemi avait reçu du renfort en troupes de toutes armes, particulièrement en artillerie de siège et en pionniers, rendus disponibles par la chute de Maubeuge. Le 27 septembre, à 7 heures du matin, je reçois l'ordre d'occuper les tranchées avec ma compagnie et de suspendre tous les travaux. Ma compagnie se trouve dans l'intervalle de Dorpveld et du front de Wavre-Sainte-Catherine. Elle est appuyée à droite par la compagnie du capitaine-commandant adjoint d'état-major Havenith, commandant de l'intervalle. Ce jour-là, les Allemands ont commencé à refouler le détachement de la lre division d'armée qui tient les abords de la ligne. Nous savons donc que les Allemands vont nous attaquer, mais nous sommes persuadés que nos positions sont inexpugnables, tant nous les ayons organisées et hérissées d'engins de toute espèce; aussi c'est avec la plus grande confiance que nous attendons le choc. Cette journée est très calme aux alentours du fort; un avion belge est abattu et tombe dans nos lignes, près de notre petit poste. Lundi 28 septembre. - Une belle journée se dessine. Bien loin, au fond, s'élèvent deux ballons captifs boches; ils se balancent au gré des vents, l'air menaçant; des avions font entendre le ronronnement de leurs moteurs: prévisions certaines d'une attaque imminente. Vers 11 heures, un sifflement lointain retentit qui bientôt se transforme en un grondement de tonnerre, sans cesse grandissant, pour se perdre dans une explosion formidable! Par la visière de la tranchée, chacun voit, à 150 mètres en avant du fort, une colonne de fumée d'au moins 20 mètres de haut. C'est un 420 millimètres qui vient d'éclater. Exactement onze minutes après, un second obus, avec le même fracas, tombe à 50 mètres des glacis du fort. Tout le monde est sur pied, tous les yeux fixent le fort avec angoisse; le troisième obus ne se fait pas attendre: onze minutes après, il vient s'écraser en plein sur le fort... « Pauvre Catherine! » disent les hommes. Malgré ses blessures, Catherine continue à cracher sa mitraille. Le feu des 420 se succède à intervalles de onze à douze minutes, durant toute la matinée; dans l'après-midi, il devient plus intense, les obus arrivent alors par salves de deux. Beaucoup manquent leur but, heureusement pour le fort. Cependant sa résistance est sérieusement compromise. Les bétonnements, les cuirassements n'ont du reste été calculés qu'en vue du bombardement par des pièces de 21 centimètres au maximum. Ainsi, voit-on souvent sortir, des souterrains de l'ouvrage, cinq ou six artilleurs, qui rapidement, entre deux rafales, grimpent sur le fort et en toute hâte comblent, au moyen de sacs de terre, les excavations produites par les projectiles, puis filent à toutes jambes à l'approche des bolides. Certains mêmes, bravant ces mastodontes de métal, continuent le travail; ces vaillants donnent aux soldats delà tranchée un bel exemple d'héroïsme; nous les regardons émerveillés, nous sentons notre courage grandir. Le bombardement cesse à 16 heures et demie exactement. La masse de béton du fort est fissurée, les couloirs bouchés par l'odeur écœurante des gaz de trotyle. Aucune victime de part ou d'autre. Le fort de Wavre- Sainte-Catherine a reçu te baptême du feu. Mardi 29 septembre. - Les lre et 2e divisions se trouvent alors dans le 3e secteur, Waelhem-Lierre; les 3e et 6e dans le 4e; Waelhem-Escaut; la 4e division occupe Ter- monde; la 5e forme la réserve générale. Le bombardement recommence à la pointe du jour; bientôt, les grosses marmites tombent dru sur le fort. Parfois une de ces niasses, mal dirigée, éclate dans l'intervalle. C'est un véritable tremblement de terre, le sol oscille, on croirait que la terre va s'entr'ouvrir et nous engloutir. Bientôt le feu redouble d'intensité. A certains moments, le fort est canonné à la vitesse de 20 à 25 coups par minute avec obus de tous calibres. Le fracas, est assourdissant, on s'entend à peine parler. Chacun craint pour le fort et chaque fois qu'un obus est « but », les hommes murmurent: « Pauvre Catherine ». Vers 10 heures, le tir à shrapnells contre les intervalles commence. Ordre m'est donné par le commandant Havenith d'occuper avec une section la tranchée de combat; le restant de ma trou e s'établit dans la tranchée- abri, située à 50 mètres derrière. Pendant ce changement, une volée de shrapnells s'ébat sur le boyau de communication: quatre blessés très légèrement, dont le sergent Claudot, volontaire de guerre, qu'il faut évacuer. Ensuite, c'est au tour du village de Wavre-Sainte-Catherine d' « encaisser ». Plusieurs salves y font assez bien de victimes, dont plusieurs civils. C'est la panique; les gens affolés, terrifiés, se sauvent, emportant quelques objets hâtivement rassemblés; les femmes en pleurs entraînent leurs bambins qui, ne sachant quoi, poussent des cris déchirants. A la nuit tombante, plusieurs maisons sont en flammes. Nous assistons impuissants à ce lamentable tableau, furieux de ne pouvoir venger ces malheureux. De tous côtés, le canon gronde, l'air saiuré de fumée est acre, l'odeur de la poudre nous prend à la gorge. Enfin, peu à peu, tout rentre dans le calme, les sentinelles gagnent leur poste au delà du réseau des fils de fer barbelés. Jusqu'ici la cuisine s'est faite dans la tranchés, à côté d'an abri pour mitrailleuse; pendant le bombardement, un obus malencontreux plonge dans la douche, où cuit la soupe, projetant de toutes parts potage et viande; toutes communications avec l'arrière étant coupées, le ravitaillement est impossible. Je recommande aux soldats de ménager les vivres qu'ils ont encore et de conserver à tout prix leur ration de réserve. Les hommes, toujours calmes, oubliant déjà le danger qu'ils ont couru pendant la journée, ne protestent point; ils se rendent bravement à leur poste d'observation, pendant que leurs camarades vont prendre un peu de repos. La nuit se passe sans incident. Mercredi 30 septembre. - La compagnie occupe toujours la même position. A peine le soleil est-il levé, que le bombardement des forts, de l'intervalle et de la redoute reprend de plus belle. Je reçois un renfort, une compagnie du 6e de ligne qui vient occuper la tranchée-abri. Plus de 300 hommes grouillent dans ce trou. Je prévois un 42 sur cette tranchée! Quel carnage! Je tremble pour mes hommes en songeant au danger qu'ils courent. Mais eux n'y pensent pas; heureux du renfort inattendu, ils ne songent plus qu'à la victoire. Les obus de tous calibres pleuvent de toutes parts, les obus-mines éclatent avec un fracas épouvantable. Les coups se précisent et atteignent notre parapet. La tranchée oscille, va-t-elle s'écrouler? Les éclats d'obus tombent à nos pieds. Tout à coup, un obus tape sur la tranchée. La fumée dissipée, on s'aperçoit avec consternation que plusieurs hommes sont ensevelis sous les décombres! On les entend crier. Au premier moment, personne ne bouge, nous sommes cloues au sol par la stupeur et l'effroi. Enfin, plusieurs volent au secours de leurs camarades, je m'approche et vois avec horreur le pauvre Vander Stappen, complètement décapité. La tête intacte, gît à ses pieds; trois autres, dont le sergent Dooms, sont grièvement blessés. Les obus arrivent par rafales, c'est épouvantable! Les hommes atterés se sont couchés, leur couverture sur la tète pour se protéger des éclats et pour ne rien. voir. A côté de moi, un soldat sort d'un calepin le portrait de sa femme et de ses enfants, ils sont trois groupés autour de leur" mère. Pendant cet infernal bombardement, ce pauvre homme, voyant la mort si proche, aime à revoir les siens; les Larmes aux yeux, il secoue tristement la tête. Je m'assieds à ses côtés, et, après quelques bonnes paroles, je parviens à lui faire reprendre courage. Soudain il se lève, et tendant son poing vers l'ennemi, leur crie: « Arrivez donc, sales Boches, nous allons voir si vous êtes aussi forts à la baïonnette qu'avec vos 42. » A peine a-t-il lancé les derniers mots de son apostrophe qu'une explosion plus formidable que les autres nous fait sursauter. La poudrière du fort vient de sauter. « Pauvre Catherine! » Notre artillerie placée dans les intervalles, bien que soumise, elle aussi, à un bombardement violent, riposte avec vaillance. Nos hommes en sont encouragés; ils se sentent soutenus. Il est exactement 11 h. 45. Une estafette tout essoufflée me tend d'une main tremblante un pli fermé; c'est un ordre du commandant de la position fortifiée d'Anvers. « Malgré le bombardement, et si terrible qu'il soit, il faut résister à outrance, jusqu'à la mort! » On résistera. Je congédie l'estafette, un garçon de dix-huit ans, qui, sans se soucier des obus et des shrapnelles, s'encourt à son poste. Les Allemands bombardent toujours avec acharnement la redoute de Dorpveld. Un 42 s'abat sur une maison située près du fort. Il n'en reste que des décombres; des briques retombent jusque dans notre tranchée. Enfin les heures passent, la journée s'écoule tout doucement. Dans la soirée, la canonnade diminue d'intensité, les soldats en profitent aussitôt pour se promener et se dégourdir les membres. Ils sont gais, contents de se revoir, heureux d'avoir échappé à la mort; et c'est toujours pleins d'espoir qu'ils attendent l'arrivée des Boches. Résultats de la journée: un tué, cinq blessés. Les petits postes placés, chacun veille, personne ne veut se reposer. On croit à une attaque de nuit et tout le monde désire être là, pour donner le premier coup de feu, pour recevoir dignement l'ennemi. Contre toute attente, la nuit se passe sans incident, à part quelques patrouilles aperçues aux environs du village. Jeudi 1er octobre. - La compagnie occupe le même poste. Le bombardement, tant dans les intervalles que sur les positions arrières, recommence plus effroyable encore que les jours précédents; les Boches nous inondent de projectiles de tous calibres. Tout le monde reste inébranlable sous les averses de mitraille. Les batteries ripostent toujours. Seuls les forts se taisent, ils sont complètement détruits. Le bombardement se poursuit avec la dernière violence, comme si l'ennemi voulait nous écraser par les seuls eflets de son artillerie lourde, contre laquelle il nous sait impuissants. Le vacarme est indescriptible. En moins de vingt minutes, je compte trois tués et une dizline de blessés. Ma tranchée menace ruine; à tout prix, il faut la réparer; sur ma demande, quelques volontaires se présentent et malgré le bombardement travaillent avec ardeur. Les pertes sont grandes, mais nul ne songe à lâcher pied. L'ordre est venu de résister à outrance, de tenir malgré tout, nous obéirons, nous sommes résolus à mourir sur place. Les obus pleuvent toujours sans discontinuer. A Wavre-Sainte-Catherine village, les ravages sont terribles, la localité entière tremble dans un bruit continu de tonnerre. C'est dans cet enfer pourtant que doivent demeurer les soldats chargés de la défense. Le sous-lieutenant Blanckaert et ses mitrailleuses tiennent toujours près de l'église; ils s'abritent comme ils peuvent et leur impassibilité dans ce bombardement infernal n'est pas un des spectacles les moins impressionnants. L'artillerie ennemie, toujours avec la même rage sacrilège, vise l'église, qui reste debout; le clocher est à peine touché; des maisons s'écroulent. De temps en temps une explosion plus puissante se fait entendre, quelqu'un déclare alors simplement: « Encore un 42 ». Il est visible que l'ennemi tente, par l'intensité de son bombardement, de rendre nos positions intenables, espérant nous démoraliser. De notre pauvre tranchée qui oscille, qui tangue à donner le mal de mer, le spectacle est effrayant. Chaque fois qu'un obus de gros calibre l'atteint, des positions entières s'éboulent ensevelissant morts, blessés, vivants. Deux, trois, quatre grosses marmites s'y abattent par minute. Le capitaine du 6 de ligne tombe à mes côtés, l'épaule fracassée. Dans les tranchées, les hommes tiennent bon, malgé l'horrible crispation des nerfs, la soif, le spectale de leurs camarades déchiquetés, le gémissement plaintif des blessés. Le sergent-major Démarche est blessé également. Nos batteries tirent à toute volée. Pour- tant elles ont fort à souffrir, car elles sont repérés exactement par les maudits ballons captifs. Des schrapnells brisants, des obus-mines éclatent jusque sur nos pièces; elles sont démolies les unes après les autres et les braves artilleurs gisent à leurs pieds. Hor- rible! la situation devient de plus en plus critique. En l'absence du capitaine du 6e de ligne qui est évacué, je prends le commandement de la tranchée. Il est 14 heures et demie précises. Toui à coup, on aperçoit, à 200 mètres en avant du fort, deux hommes, dans le réseau cfe fils de fer. Pas de doute, ce sont des Boches. Que viennent-ils faire? Leurs obus ne tombent cependant pas loin d'eux. Soudain, trois salves partent des tranchées du capitaine-commandant A. E. M. Havenith; un boche tombe, se relève et tombe une seconde fois, l'autre s'enfuit. Un quart d'heure après, il revient accompagné de deux camarades portant un brancard et agitant un drapeau de la Croix-Rouge. Pas un coup de feu n'est tiré, le blessé est transporté vers les lignes allemandes. Le bombardement continue pour diminuer d'intensité vers la tombée de la nuit. Le commandant du ort, qui avait évacué son ouvrage, profite de cette accalmie pour le ré- occuper, mais celui-ci est à peu près anéanti. Le lourd cuirassement d'une coupole de 15 centimètres a complètement disparu, et l'incendie sévit dans les décombres. Je fais immédiatement ensevelir les morts et emporter les blessés. Vers 17 heures, je reçois l'ordre du commandant de l'intervalle d'occuper la tranchée de combat avec lés deux compagnies. On prévoit une attaque pour cette nuit. Mes sentinelles de surveillance à leur poste, nous attendons bravement l'arrivée des Allemands. Un instant de calme, nous en profitons pour casser une croûte. Les hommes en sont à leur dernière ration de vivres de réserve. Que mangerons-nous demain? Déjà la soif se fait sentir, la gorge brûle, et il n'y a pas d'eau. Des hommes en trouvent derrière la tranchée, elle est un peu trouble, mais qu'importe, cela rafraîchira bien. Devinant que je suis altéré, un brave me tend sa gourde. « Merci, mon vieux. Conserve cela pour demain, et puis je n'ai pas soif. - Mais, mon lieutenant, il y a du sucre avec!!! » Je vais visiter mes petits postes. J'ai à peine fait vingt pas que le caporal arrive en criant: « Mon lieutenant, les Boches sont ià, près des fils de fer ». Je tends l'oreille. Tout à coup les sonnettes accrochées aux fils de fer tintent; pas de doute, ce sont eux. Au commandement de: « Feu à volonté », les hommes ouvrent un tir nourri sur les réseaux. C'est un feu d'enfer. Les balles coupent les fils et font voler des milliers d'étincelles. Alors, la redoute que tout le monde croit morte s'allume comme un brasier et envoie sur l'assaillant des rafales de mitraille. Les hommes crient déjà victoire, heureux de faire le coup de feu, mais furieux de ne pas apercevoir les Boches. Il fait un noir d'encre. Impossible de voir à deux mètres devant soi. Les Allemands, surpris dans leur attaque, rispotent ferme, mais leurs balles, passent au-dessus de nous. De temps en temps, quelques balles ennemies semblent venir s'écraser derrière nous, contre un mur qui n'existe pas. Tout le monde a la même pensée: des balles explosives! Plusieurs patrouilles sont envoyées fouiller les alentours. Je fais reposer les hommes par moitié. Manquant presque totalement de munitions, j'envoie le sergent-major Cnirephout prévenir le commanda ,t Havenith qu'il me faut des cartouches à tout prix. J'ai su après que le sergent-major n'était jamais arrivé. Que lui est-il arrivé? Tué ou disparu? La nuit se passe sans autre événement. 2 octobre. - Le jour venu, la grosse artillerie ennemie reprend son tir d'écrasement. Le pont de Duffel est battu par des pièces de 13 centimètres. La gare reçoit plus de 250 obus en moins de deux heures et demie. Le fort de Wavre-Sainte-Catherine et la redoute Dorpveld sont à nouveau couverts de projectiles. Ce sont les préliminaires d'une attaque d'infanterie. Vers 6 heures trois quarts plus de 200 hommes débouchent en ordre serré de la route de Malines et, à travers champs, se dirigent au pas de course sur la redoute. Je commande aussitôt le feu rapide; à 200 mètres, les hommes tirent juste, des rangs entiers sont balayés, remplacés par d'autres, qui à leur tour tombent sous les coups de nos Mausers. Soudain, toute la bande s'arrête, quelques hommes agitent des drapeaux belges et des drapeaux blancs. Nous distinguons mieux leurs uniformes, ce sont des lignards. « Cessez le feu, ce sont des nôtres », crient les hommes. Malgré tout, j'ordonne de continuer le tir. Violant une fois de plus les lois de la guerre, les Allemands ont revêtu leurs troupes d'uniformes volés dans nos dépôts. La fusillade recommence aussitôt plus violente que jamais. De toutes ces troupes une trentaine parviennent à la redoute et se cachent dans les fossés. L'un d'eux, porteur de pancartes, les place au sommet de la redoute, le côté intérieur dirigé vers l'ennemi; je ne puis distinguer ce genre de signaux. La fusillade cesse; dix minutes après, une des deux pancartes tombe et une vingtaine d'Allemands s'enfuient vers leurs lignes... Quelques instants plus tard, nous entendons le mac... mac de leurs mitrailleuses placées au-dessus de la redoute; bien pointées, leur balles traversent nos créneaux. Le sergent Chaignot, volontaire de guerre, le fusil sur une des mitrailleuses, tombe raide mort, une balle au front. Le brave âgé de dix-sept ans à peine, est fils unique d'une veuve! Une brève accalmie me permet d'évacuer mes blessés. L'ennemi ne bombarde plus que nos positions arrière. Au moment précis où l'artillerie allemande allonge son tir, l'infanterie ennemie, sortie on ne sait d'où, se précipite en hurlant « Hoch! » sur le fort de Wavre-Sainte-Ca-therine. J'ai ordre de tenir jusqu'au bout, mais tourné à ma droite et n'ayant plus guère de cartouches, je vais être entouré. A droite, le capitaine-commandant Havenith débordé se replie en bon ordre; n'ayant donc plus de sûreté de ce côté, je me vois forcé de battre en retraite vers la chapelle, à 500 mètres derrière notre ligne. Le caporal Deron et une dizaine d'hommes restent à faire le coup de feu jusqu'à ce que le dernier soldat ait quitté la tranchée. J'ai à déplorer la perte de beaucoup de victimes. Les maudites mitrailleuses de la redoute me fauchent une vingtaine de combattants. Beaucoup d'entre eux, blessés, ne peuvent être transportés et restent malheureusement aux. mains des Allemands. Arrivés au poste de la chapelle, notre seconde ligne, je donne ordre d'occuper- la nouvelle tranchée. Nous n'en avons pas le temps, une cinquantaine de Teutons, que je n'avais pas vus, nous canardent de flanc, plusieurs des nôtres tombent. Nous devons nous retirer, abandonnant nos blessés. Nous sommes poursuivis jusque Poupelaerstraat, où fatiguée, exténuée, ma compagnie s'arrête pour prendre un léger repos. Nous étions tous heureux d'avoir échappé à l'ennemi: cinq minutes de plus dans la tranchée et nous étions prisonniers. Enfin je me dirige vers Elzenstraat pour joindre le lieu de concentration, le pont de Duffel. A l'entrée du village, je rencontre le capitaine- commandant Havenith; heureux de me revoir après ces terribles journées, il me félicite d'avoir tenu vaillamment avec mes hommes pendant cinq jours, sous un bombardement furieux, et de m'être retiré en bon ordre. Pendant le repos que je donne à mes hommes, je fais un appel général; 75 soldats manquent: tués, blessés et disparus. Deux gradés restent, le premier sergent Coppens et moi. Nous croyons avoir mérité quelques jours de repos à l'arrière, mais dès que nous sommes ravitaillés en cartouches et en vivres, nous recevons l'ordre de reprendre position entre Wavre- Sainte-Catherine et Duffel. Nous y sommes acceuillis par un nouveau bombardement. Contournés à notre droite dans la direction de Waelhem, nous sommes contraints de nous retirer sur Duffel. La traversée de ce village, bombardé par du gros calibre, nous demande longtemps. Bientôt l'ordre nous parvient de nous replier à tout prix. Nous passons au pas accéléré, nous traversons le pont de Duffel, canonné avec frénésie, en trombe et sans avoir perdu un homme, et nous nous arrêtons hors du village. Ordre nous est donné ainsi qu'au commandant Havenith de nous replier sur Linth, où nous arrivons dans la soirée. Le restant du régiment s'y trouve. Là, je fus témoin des félicitations que le chef de corps adressa au sergent Delobbel pour sa belle conduite au feu et sa bravoure pendant le bombardement. Il avait, au péril de sa vie, sauvé son commandant (le commandant Van der Minnen) enseveli dans sa tranchée. Un autre fait est à signaler concernant ce sous-officier: sa compagnie se trouvait immédiatement entre le fort de Koningshoyck et la redoute de Borsbeek; les artilleurs d'une bat-- terie de 75, qui appuyaient la tranchée à gauche, avaient abandonné leurs pièces. Et cependant, ces pièces étaient de la plus grande utilité pour contrebattre les pièces allemandes et l'infanterie boche installée à 800 mètres de la position. Sans hésitation et emporté par son patriotisme, Delobbel, qui savait manier le canon, se présenta pour remettre la batterie en action. Avec trois nommes, dont un artilleur blessé, il gagne la batterie dont toutes les défenses sont bouleversées, et qui n'a plus d'épaule-ment. Sous les feux directs de l'infanterie et des grosses pièces, le sergent Delobbel voulut commencer le tir à 600 mètres avec boîte à balles, mais malheureusement les artilleurs avant de s'enfuir avaient déboulonné les culasses et les tire-feu. Avec les bretelles de leur besace, nos gaillards improvisèrent un nouveau tire- feu et bientôt les pièces ouvrirent un feu d'enfer. Malheureusement, exposés au tir de l'infanterie, deux des servants improvisés sont mis hors de combat; un éclat de schrapnell tue le dernier. Deux pièces sont hors d'usage, qu'importe, notre sous-officier continue seul et les obus tombent dru sur les Boches. Mais bientôt, exténué, canardé à outrance et sa dernière pièce venant d'être i démolie, il est obligé de se terrer et ce n'est que dans la soirée qu'il peut regagner la t tranchée. Inutile de dire s'il y fut bien reçu! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_17.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Dim Jan 19 2014, 23:59 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_18.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'l'Agonie du Fort de Lierre' Recueillis par le Baron C. Buffin soldats allemands sur la coupole du fort de Lierre l'Agonie du Fort de Lierre par un officier de la garnison
Il ne faut pas chercher dans ce récit une moisson d'impressions. Si la garnison d'un fort paraît très agglomérée dans l'étroite surface occupée par l'ouvrage, elle est en réalité dispersée partout: trois hommes ici, dix là, dans les coupoles, les magasins à munitions, les postes de guet, etc.; chacun est dans son trou et le contact est beaucoup moins intime que les troupes de campagne. Lorsque, par suite de la destruction de certaines parties du fort, la garnison se rassem- blera peu à peu, la tension morale, l'absence de sommeil, l'irrégularité de l'alimentation l'auront transformée en une troupe passive sous l'avalanche des coups, encore capable sans doute de réaction ou d'efforts, mais d'efforts silencieux et machinaux. A part ceux qui ont vécu ces heures, nul ne saura jamais qu'elle intensité de souffrances elles ont value aux défenseurs des forts. 27 septembre 1914. - Le canon gronde dans le lointain et semble se rapprocher. Nous entendons distinctement Waelhem et Wavre-Sainte-Catherine tirer; de grands panaches de fumée blanche montent au-dessus des arbres à l'horizon. La tour de Malines disparaît dans la fumée. Depuis plusieurs jours, tout le monde est à son poste de combat. Des troupes allemandes, des patrouilles probablement,- sont signalées par nos guetteurs, à plus de 8,500 mètres du fort, trop loin pour agir contre elles. L'attaque est proche. Nos hommes sont résolus et ne demandent qu'à ouvrir le feu. La journée et la nuit se passent sans incidents. 28 septembre. - La matinée est calme pour nous. Le canon gronde toujours; des communications téléphoniques nous apprennent que Waelhem et Wavre-Sainte- Catherine sont violemment bombardés. A 14 heures, nos postes d'observation signalent l'occupation, par des groupes ennemis, de localités qui se trouvent dans notre rayon d'action. Les coupoles de 15 centimètres ouvrent le feu, qui se continuera jusqu'à la chute du jour. Notre premier coup de canon fut un véritable soulagement; l'enervement de l'attente a disparu; le fort est rempli d'une animation joyeuse. A 20 heures, bombardement par les forts des agglomérations situées le long de la route d'Aerschot et où l'ennemi est signalé en cantonnement. Ce jour, aucune riposte de l'ennemi. L'aviation nous avait signalé la construction de batteries de siège dans notre secteur de défense; nous ne pouvons rien contre elles à la distance où elles sont placées. 29 septembre. - Hormis notre tir de la veille, la nuit est calme. A 7 heures et demie précices, des sifflements caractéristiques nous avertissent que les obus passent au- dessus du fort; les éclatements ont lieu très loin, à Lierre sans doute; les rideaux d'arbres nous cachent la vue de la ville. Le téléphone nous confirme que des obus tombent à la Porte de Louvain. Nous ne tardons pas à avoir notre tour; des shrapnells d'abord dont l'éclatement strident et métallique étonne les hommes; puis des obus venant éclater surtout dans le massif de la caserne. Notre antenne de T. S. F. est coupée; première phase de l'isolement. Nous répondons avec vigueur au feu de l'ennemi. A 11 heures, suspension du feu. Les hommes apportent au bureau de tir des éclats d'obus et de shrapnells, des balles, des fusées, etc.. Une fusée nous apprend que le réglage des Allemands est fait à 5 200 mètres, ce qui est la moyenne de notre propre réglage sur les batteries signalées. A 14 heures, reprise du feu de part et d'autre. Nous recevons des projectiles de 13 cm. 5, dont un, qui a fusé, vient rouler devant le bureau de tir. La ville de Lierre continue à être bombardée; nous apprenons que l'hospice civil a été atteint et que l'on signale huit tués. A 17 heures, suspension du feu; reprise vers 19 heures et demie, tir de peu de durée et de peu d'efficacité. De tout cela le fort n'a pas trop souffert; des entonnoirs nombreux, surtout sur le massif de la caserne au-dessus de laquelle des simili-coupoles avaient été installées; une coupole de 15 centimètres éraflée, des carreaux cassés; tout va bien et le moral des hommes est bon. Ils s'enhardissent et il faut les empêcher de circuler à découvert. Soixante-quatre obus ont atteint le fort. Nous apprenons le soir par téléphone, que le fort de Wavre-Sainte-Catheriae, écrasé sous les obus formidables, est évacué; du fort de Waelhem, rien. Il aura sans doute subi le même sort. Cette triste nouvelle est annoncée aux officiers seuls. A 11 heures et demie, un observateur signale l'approche d'une colonne par la route d'Aerschot. Nous battons cette route et ses abords par un tir en dispersion jusque vers 1 heure et demie. 30 septembre. - A 3 h. 40, un rassemblement de troupes ennemies est signalé au delà du village de Koningshoyckt. En même temps le fort de ce nom et la redoute de Tollaert, attaqués, demandent l'appui du fort de Lierre. Sur les renseignements et avec l'aide de leurs observatoires d'intervalle, nous ouvrons le feu, qui continuera jusque 6 heures. Nuit blanche pour tout le monde; ce ne sera pas la dernière; à partir de ce moment, il faudra renoncer à tout repos. A 8 heures, le bombardement recommence, non seulement sur le fort de Lierre mais aussi sur les travaux des intervalles et les forts et redoutes à notre droite. Quelques shrapnells d'abord, puis un déluge d'obus de tous calibres. Pas un carreau ne résiste; le sol tremble sous nos pas. Cette sensation du sol élastique persistera plusieurs jours encore après le bombardement. Ail heures, silence complet. Les terre-pleins intérieurs sont bouleversés, la circulation dans le fort devient difficile; notre armement est cependant encore en parfait état. A 12 h. 20, un sifflement sinistre, d'abord, puis un bruit semblable à celui d'un express en marche. Le projectile tombe au-dessus de la caserne et détonne formidablement; une pluie de béton et de maçonnerie tombe sur tout le fort. Nous venons de recevoir le premier obus de 420. Sans relâche, jusque 18 heures, toutes les six minutes, un projec- tile semblable nous arrive. Nous en reçûmes ainsi 57. Les entonnoirs mesurent 8 à 10 mètres de diamètre. Les bouchons de culots sont projetés à 50 mètres de haut et retombent comme un nouveau projectile. Un des premiers obus vient tomber près de nous. Le culot, lancé verticalement, s'abat ensuite sur le bord de l'entonnoir. Les dimensions sont anormales. L'ajusteur reçoit ordre d'aller, après le bombardement, ramasser le culot afin de le peser et de le mesurer. Mais il part aussitôt, sous le bombardement, et, après vingt minutes d'efforts, traîne la pièce au bureau de tir. Semonce pour cette inutile imprudence, le soldat répond simplement: « Mais il n'était plus chaud! » Le culot mesure 388 millimètres de diamètre et pèse 66 kilogrammes; d'autres éclats ramassés sont à bords tranchants; l'un d'eux mesure 85 centimètres de longueur. L'explosion produit une fumée noire, acre, très dense, se déroulant en volutes sur le sol et se dissipant difficilement. Les communications téléphoniques intérieures fonctionnent toujours, sauf avec la batterie annexe du glacis du demi-front de gorge d,e gauche. La caserne est à demi effondrée; le pavillon des officiers est coupé en deux; nous ne nous en préoccupons pas, les locaux ayant été évacués depuis plusieurs jours avec défense d'y séjourner. De la caponnière du front de gorge, on téléphone que la voûte est cravassée, que les embrasures sont obstruées par la terre et les débris de maçonnerie, lancés par les explosions voisines. Cette partie est évacuée. De la coupole de 15 centimètres gauche, on signale que la cuirasse de 5 cm. 7 du saillant I a été projetée en l'air et est retombée à une vingtaine de mètres de la tour. Un obus était tombé devant l'entrée de la poterne, longue d'une cinquantaine de mètres, et la compression de l'air avait produit ce dommage. Un canon de 8 c. 7 disposé pour le tir contre aéroplanes et zeppelins est projeté loin de son emplacement, l'aflût complètement retourné et une roue brisée. Pendant la suspension du bombardement, nous nous précipitons pour constater les dommages pendant que nos canons continuent à tirer pour soulager le fort de Koningshoycht, dont plusieurs pièces sont hors de service, et la redoute de Tallaert menacée d'une attaque frontale. Partout les voûtes sont lézardées; les pavés ont jailli hors du sol qui est crevassé et bombé. Des gaines de communications sont démolies. Le diamètre des entonnoirs est supérieur à la distance qui sépare les pieds-droits; ceux-ci se sont affaissés et les voûtes de béton, privées de leur support, se sont brisées net comme sapées par un gigantesque coup de hache. Ce bombardement avait peu ému les soldats. Lorsque la maçonnerie ou le bétonnage était atteint, une pluie de briques et de galets couvrait le fort, pénétrant avec violence par toutes les ouvertures. La première fois que la chose arriva, deux hommes qui se trouvaient à l'entrée d'une poterne furent contusionnés par les galets. Un loustic fit cette remarque: « Bon! Voilà qu'ils mettent des cailloux dans leurs obus! » Mais des plaintes partent des ruines de la caserne. Nous en retirons un homme blessé et deux tués. Ce sont des ouvriers civils venus pour établir des téléphones haut parleurs. Le blessé nous signale que deux ou trois hommes, dont un soldat, doivent se trouver sous les débris du local qui servait de mess à la troupe. Impossible de les retirer de l'amoncellement de débris. La batterie annexe du glacis a été bouleversée par deux projectiles. Nous n'y trouvons ni morts ni vivants. Qu'est devenu le personnel qui la desservait? Tout n'est pas perdu; sauf la coupole de 5 cm. 7 du saillant I, tous les organes de défense sont encore en bon état et les hommes ne manifestent aucune anxiété. 1e octobre. - Par ordre supérieur, et de concert avec les forts voisins et les batteries d'intervalle, nous ouvrons un feu rapide de vingt minutes de durée, à 2 et à 4 heures, sur les localités et les routes en avant de la ligne de défense. A 7 heures, nous enterrons nos morts. Dès 8 heures, les intervalles, le fort de Koningshoyckt et la redoute de Talîaert sont vivement bombardés. Notre tour n'arrive qu'à 10 h. 15: Neuf projectiles seulement nous sont envoyés. A 13 heures, le bombardement recommence et, comme la veille, toutes les six minutes, un obus nous arrive. Vers 15 heures, la demi-caponnière de droite est atteinte par un coup trop court, le tir ayant été généralement dirigé sur la moitié gauche du fort; la majeure partie du personnel s'y trouvait réfugiée. Aucun blessé, mais la coupole de 15 centimètres est immobilisée par des blocs de béton provenant de la tour à demi démolie; certains blocs mesurent près de 1 mètre cube. Le personnel est évacué rapidement au front de tête. Un canonnier, porteur de bulletins de renseignements arrive alors, couvert de boue. Comme les coupoles avaient été maquillées au moyen de terre détrempée, on crut qu'il avait enlevé le maquillage en rampant sur la coupole et des camarades le lui reprochèrent. Etonnement du brave! Il avait, sous le feti, roulé dans un entonnoir dont il était sorti dans ce bel état. Le bombardement ne cesse pas et nous voyons se restreindre nos abris intacts. Le commandant d'artillerie du fort a fait une chute dans un entonnoir; incapable de marcher, il doit être transporté à l'infirmerie. Le commandant des fusiliers, surmené et intoxiqué par les gaz des explosions, tombe en défaillance. Un des médecins est malade. Les gaz exercent une influence de plus en pius angoissante. Des hommes ont des syn- copes, d'autres pleurent; certains, abattus, semblent attendre l'obus qui les écrasera. Ni exhortations, ni menaces de la part du commandant du fort, aidé par le médecin-chef de service et par l'aumônier, ne parviennent à relever le moral de ces hommes qui attendent la mort comme un bétail inconscient. Vers 19 heures et demie, ce bombardement infernal se ralenti; bientôt, il cesse. Le fort a reçu 60 obus de 420. Le commandant de l'intervalle Lierre-Tallaert annonce une attaque par l'infanterie ennemie appuée par l'artillerie de campagne. Les hommes se ressaisissent, les coupoles sont occupées et la ligne de feu se garnit de mitrailleurs et de fusiliers. La redoute de Tallaert ne peut agir que faiblement et demande du secours. Nous battons avec toutes nos pièces le terrain qui précède les défenses accesoires de l'intervalle. L'attaque ennemie échoue sous ce feu vers 21 heures. Toute la garnison a pris part au combat, même les malades. Le commandant des fusiliers a réoccupé son poste de rempart. Alors le fort est de nouveau bombardé et, à 23 heures, une nouvelle attaque de l'inter- valle se déclanche sans plus de résultat que la première. 2 octobre. - A 2 heures, troisième attaque de l'intervalle. La ligne de feu du front de tête du fort est inondée de balles par les mitrailleurs ennemis. Les fusiliers ripostent avec rage. Leur commandant doit se dépenser pour régulariser le tir. Les fusils échauffés se calent. N'importe! L'Allemand ne passera pas! Nos canons tirent à toute volée, le vacarme est assourdissant. Pendant plus de deux heures, nous vivons au milieu de cet enfer et nous n'entendons même plus les balles ennemies sifflant en essaims autour de nos têtes. Un des canons de la traditore vient d'être mis hors de service par le tir; le second met les bouchées doubles, mais ne tarde pas aussi à ne plus rentrer en batterie. A 4 heures et demie, les fusées rouges de l'ennemi nous apprennent sa retraite. L'inter- valle n'est pas fauché; pas un fil des défenses accessoires n'est coupé. Ce succès rend aux hommes espoir et confiance; ils sont presque joyeux. Cependant leur fatigue est évidente. Aussitôt l'attaque ennemie refoulée, le bureau de tir cesse de répondre aux appels. On va voir; tout le personnel dort; l'officier, écroulé sur une paillase, titube quand il se redresse. Un répit de quelques minutes avait eu lieu et tout le personnel, n'étant plus en éveil, s'était affalé. Le commandant du fort lui-même s'était peu auparavant endormi dans une coupole en pleine action. Le commandant d'artillerie du fort, toujours dans l'impossibilité de marcher, est évacué avec un autre blessé. On distribue des vivres et l'on répare les dégâts. Le réapprovisionnement en munitions des coupoles s'effectue par les gaînes restées intactes. A 7 h. 20, le bombardement reprend de plus belle. Des avions ennemis sont venus se rendre compte de l'état du fort et la destruction devient systématique. Toutes les six minutes, un projectile de 420 nous arrive « le train bloc », disent les hommes. Nous suivons avec anxiété la marche du bombardement. Les projectiles s'annoncent de loin, frappant successivement la gauche et la droite du fort. Les saillants des flancs étant très rapprochés, le coup atteint indifféremment l'un ou l'autre de ces saillants. Des soldats l'ont remarqué et engagent des paris dès que l'arrivée du projectile est signalée. Le saillant I est d'abord copieusement arrosé, puis le tir approche du front de tête. La gaîne de droite du front de tête s'affaisse. Par là s'effectuait le ravitaillement en munitions des coupoles. Combien d'hommes sont restés sous les débris? Un appel est impossible. Nous devons évacuer en partie le front de tête et la moitié du personnel se réfugie dans la demi-caponnière de droite. Toutes les communications téléphoniques et télégraphiques sont coupées; le bureau de Lierre ne répond plus, la ville étant évacuée. Le tir s'approche de la dèmi-caponnière de droite et un obus vient éclater à quinze mètres de l'entrée. Les hommes reçoivent l'ordre de se transporter à l'autre extrémité du fort que le bom- bardement vient d'abandonner. Impossible de prévenir ceux restés à la caponnière du front de tête. Les explosions se succèdent de six en six minutes et le bombardement est systématiquement conduit par série dans un sens invariable. En observant les points de chute, on pouvait donc prévoir le moment où il était temps de partir. Le coup du début était seul dangereux. Dès que les explosions se rapprochaient trop, les hommes se rassemblaient au coup de sifflet, attendaient la chute du projectile, puis filaient vers leur nouvel abri. Cependant ce jeu ne peut durer longtemps. Les projectiles semblent nous suivre, les voûtes s'effondrent au fur et à mesure que nous les abandonnons. Vers 14 heures, ordre est donné au commandant des fusiliers de faire rejoindre ses hommes par groupes et de gagner, dans les intervalles des coups, la poterne d'entrée du fort, qui jusqu'alors est restée intacte. Le mouvement s'exécute dans un ordre parfait. Par miracle, nous passons entre les projectiles. Le tir se maintient pendant tout un temps sur la partie gauche du fort et les hommes se rangent sur la berme contre le talus extérieur du demi-front de gorge de droite. A ce moment était tombé dans l'ouvrage lé deux cent trente-cinquième obus de 420. A part des morceaux de maçonnerie et des éclats qui n'atteignent personne grièvement, la sécurité y paraît assez grande. Vers midi, les projectiles se rapprochent, les hommes qui se trouvent sous la poterne d'entrée et dans le corps de garde sont appelés à l'intérieure. Tous les organes de défense sont à ce moment détruits ou immobilisés. Les couloirs et poternes sont obstrués par de monstrueux blocs de maçonnerie. Seule la coupole de 5 cent. 7 du saillant IV paraissait en bon état; mais il était impossible d'y parvenir. Le dernier abri de la garnison est bientôt menacé à son tour. Un projectile vient éclater au bord du fossé, à quelques mètres au delà de l'entrée du fort, provoquant un moment de panique. Le bombardement continue et ne permet pas de réoccuper l'ouvrage. A 14 heures et demie une détonation formidable et une fumée intense nous font présumer que le fort de Koningshoyckt vient de sauter. Nous voyons le tir de nos batteries de campagne, en position derrière nous, se raccour- cir pour couvrir la retraite des troupes des intervalles et leurs shrapnells éclatent à notre hauteur. Des batteries allemandes viennent s'installer à droite du fort; nous sommes pris entre deux feux. Réintégrer le fort en ruines n'est plus possible. Les obus de 420 continuent à le battre de six en six minutes avec une régularité désespérante. Les vivres de réserve, les cartouches sont ensevelis sous les décombres. Plus d'eau potable, les fusils sont vides et les hommes affamés. Il est encore temps peut-être d'éviter l'encerclement. C'est ce que nous tentons sous une pluie de schrapells. Les hommes sont épuisés et c'est avec un immense sentiment de tristesse et de découragement qu'à 18 heures les officiers se décident à les ramener vers Lierre. La défense avait duré quatre jours interminables, sous un bombardement qui ne laissait aucun repos au personnel et qui ne permettait aucune relève. Escomptant prématurément les effets démoralisateurs de leurs terribles engins, les Alle- mands crurent que, dans la nuit du 1er au 2 octobre, une attaque de vive force les ren- drait maîtres du fort. Leurs trois tentatives d'assaut furent autant d'échecs. Quand, vingt-quatre heures plus tard, ils y pénétrent, c'est un monceau de ruines qui tombe entre leurs mains. Se battre n'est rien! ... à condition qu'on puisse rendre les coups. Or, la portée de l'artillerie ennemie, considérablement supérieure à celle de nos pièces, la mettait à l'abri de notre tir. Nous en étions ainsi réduits à nous croiser les bras et à attendre que la mort voulût bien de nous. Cette attente dans un obscur boyau de maçonnerie, que l'on sait voué à la destruction et qui, toutes les six minutes, risque d'être écrasé par un projectile que l'on entend approcher est une agonie à répétition. Elle agit sur les nerfs les mieux trempés, et l'héroïsme de ceux qui attendirent la mort, uniqvement parce qu'on leur avait dit qu'il le fallait, est d'autant plus admirable qu'il fut déployé dans l'ombre et que nul n'en a jamais rien su! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_18.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:00 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_20.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Les Derniers Débris d'Anvers' Recueillis par le Baron C. Buffin illustration allemande de la retraite des belges et anglais Les Derniers Débris d'Anvers par le capitaine d'artillerie M. C.La RetraiteOn approche de la frontière... Derrière ces arbres, à 500 mètres, c'est la Hollande, la fin de la Patrie; si l'on passe cette ligne, c'est la fin de la résistance... Que va-t-on faire de nous? Songerait-on...? Ah non! A cette pensée, une révolte monte en moi et me raidit contre la force des choses. Passer la frontière, jamais! Et de nouveau, se fige dans mon cœur cette idée qui m'emplit depuis le départ d'Anvers: « Rejoindre le Roi ou mourir ». C'est bien, je me sens prêt à tout. Autour de nous, c'est le désarroi. Tout s'enchevêtre dans un inextricable désordre. Dans les ruelles étroites du village frontière sont entassés, pêle-mêle, des hommes de toutes les armes et de toutes les unités que la retraite a fait affluer vers ce point. Des soldats cherchent leurs chefs, des gradés cherchent leurs troupes, et tandis que des officiers s'efforcent de ramener l'ordre dans ce chaos, des chariots de toute nature tentent de se frayer un chemin au travers de cette foule grouillante. Jamais je n'ai senti comme en ce moment l'horreur de la déroute et l'étrange impuissance dont elle frappe la troupe qu'elle atteint. Ces débris lamentables sont les restes de la garnison d'Anvers. Assaillis de toutes parts dans l'extrême réduit de la place, ils ont tenu tête à l'ennemi victorieux jusqu'au dernier moment. Les canons, traînés à bras sur des kilomètres, ont été retournés et pointés, face en arrière, vers la ville d'où débouchaient déjà les Allemands. Puis ça a été la retraite, l'interminable et épuisante retraite, pour échapper à l'enveloppement, marche sans trêve parmi la poussière, le soleil, et la faim qui tenaille et la soif qui consume, et les partis ennemis qui nous harcèlent en flanc et menacent de nous couper... Maintenant, nous voici acculés à la frontière, dans une impasse sans issue. La nuit tombe et nous sommes cernés. Nous sommes sans vivres depuis deux ou trois jours; les hommes sont tellement harassés qu'ils n'entendent plus les ordres. J'en avise un, qui erre de mon côté, et lui indique son unité; il me regarde avec des yeux hébétés. Je le saisis aux épaules et le pousse vers sa troupe sous l'impulsion de la force acquise, l'homme fait quelques pas, puis roule dans un fossé et y reste étendu, inerte. Cependant, de vagues rumeurs circulent, sinistres et déprimantes : des troupes ont- passé en Hollande; nous allons suivre, caria retraite est coupée et l'ennemi est très près... Des coups de feu déchirent les ténèbres, toute hâte, je prends mes dispositions pou parer à une attaque, car je me trouve arrière-garde. Tout à coup, dans le village, un bruit sou et prolongé... J'envoie une estafette et rends aux avant-postes. Le maréchal des logis Snytsers, un vieux, volontaire de guerre, m'accoste, l'air inquiet: - Lieutenant, dit-il, est-ce vrai qu'on passe en Hollande? - Mon cher, nous n'irons pas en Hollande si nous n'y voulons pas aller. Sommes-nous d'accord? - Ah! bien alors! Car moi, vous savez... Et il esquisse un geste nerveux et énergique. - Où sont les autres? Les autres, ce sont quelques braves sous-officiers qui, avec mon ami Snytsers, m'ont promis de me suivre, quoi qu'il advienne, à travers tout, à travers l'ennemi, à travers la mort. Ils sont là, dans un coin, à m'attendre. - Mes amis, leur dis-je, il me semble que cela va plutôt mal. Le moment va venir de montrer qu'on a du poil aux dents. Sommes-nous toujours décidés? - Lieutenant, dit le grand Van Bastelaer, tout, mais pas prisonniers! - C'est bon. Cependant, mon courrier ne revient pas. Au village, la rumeur s'éloigne et s'apaise. Je vais voir: dans les rues pleines de nuit, silence complet... plus un homme, plus une ombre. Que se passe-t-il? Sur la place déserte, j'aperçois une petite troupe et, à sa tête, je reconnais le major S... - C'est vous, L...? crie-t-il, puis, plus bas: Ils ont passé la frontière, nous restons seuls... Avez-vous encore des hommes? - Oui, mon major; j'occupe les avant-postes. - Rassemblez immédiatement votre personnel sur!a place. Le rassemblement fait, le major nous adresse, gravement, ces paroles: - Mes amis, nous sommes cernés par de grosses forces; il ne nous reste plus qu'à passer en Hollande. Ceux qui ne désirent pas me suivre sont libres. - Bien, mon major, je le ferai jusqu'à la frontière, pas au-delà. Le major a un mouvement de colère, puis se ressaisit. - Que comptez-vous faire? - Percer les lignes allemandes, ou me faire tuer. - Mais c'est de la folie! - Mon major, il ne me plaît pas de rendre mon sabre tant que je saurai m'en servir. Il réfléchit un instant, puis me tend la main. - C'est bien, dit-il, vous êtes libre. Adieu. Quatre hommes sont sortis des rangs: ce sont mes quatre amis, qui à la servitude, préfèrent une mort glorieuse. - Garde à vous! - Par le flanc droit - droite! - En avant, marche! Silencieuse et traînante, la troupe s'en va, s'éloigne et disparaît dans l'ombre... C'est fait: nous restons seuls, séparés de l'armée par les flots ennemis, au sein desquels il va falloir nous jeter, pour passer ou périr. Haut les cœurs! Enfin le moment est venu où nous pourrons témoigner de notre amour filial à la Patrie aimée! Nous ne sommes pas vaincus, nous autres. Et malgré le désastre qui plane autour de nous, en dépit de la mort qui nous attend là-bas, nous sentons qu'en ce moment nos cœurs sont pleins de joie et d'espoir, et d'orgueil... Dans les lignes allemandesAvant de partir, nous tenons conseil, quelques secondes: les Allemands se sont étendus aujourd'hui depuis Saint-Nicolas jusqu'à la frontière; dans un mouvement aussi rapide, ils auront probablement laissé des trous entre ces deux points, par lesquels nous tâcherons de passer. Je prends la direction, et en route. Un grand signe de croix, je recommande mon âme et celle de mes compagnons au Dieu de justice; puis, munis chacun d'un bon fusil et d'une baïonnette, les poches bourrées de cartouches, nous nous mettons en marche, à travers champs, dans les ténèbres ennemies. Au bout de 50 mètres, je suis forcé de m'arrêter; la tension nerveuse qui m'a soutenu tant que j'étais devant la troupe a soudain disparu, et, tout d'un coup, les fatigues des journées précédentes semblent refluer en moi et raidir mes membres;? en un vertige noir, la campagne tourne autour de moi, je tombe, le corps plein d'une immense lassitude... Et pourtant, il faut marcher. En avant donc, pour le Roi! Halte! - Un croisement de chemins: derrière la haie, quelque chose a bougé; un de nous rampe vers le point, puis fait signe; ce n'est rien, le vent aura remué quelque branche dans l'ombre. On avance, on avance toujours, droit devant soi, dans l'immense polder, sautant les fossés pleins d'eau, butant à tous les pas dans les champs de navets qui se succèdent sans fin. Tout en marchant, j'arrache une betterave et la dévore à belles dents. Au loin, un groupe de maisons se détache vaguement sur l'horizon: ce doit être la digue, qui donne passage sur la ligne d'eau. Si ce point est gardé - chose probable - il s'agira d'ouvrir l'œil. Nous approchons: les maisons sont éclairées; ce ne sont pas les paysans qui font de la lumière à cette heure: donc... Je m'approche à pas de loup d'une fenêtre et coule un regard avide par la fente du volet; une chambre pleine de Boches en manteaux gris, les uns ronflant, les autres discutant. Nous nous glissons vers l'entrée de la digue: au coude, immobile, une sentinelle. Je me gratte le menton... Voyons. En longeant l'eau par le talus en contrebas, il doit y avoir moyen de passer, s'il n'y a pas là une seconde sentinelle. Retenant nos souffles, le regard scrutant chaque buisson, nous rampons lentement... Ça va; voici le bout de la digue, et personne! Premier obstacle franchi sans encombre! Que Dieu protège le sommeil des Boches! Et de nouveau, dans le désert sans fond, butant dans les sillons,' mordant dans les navets, nous allons par les champs, le regard fixé vers un vague point de direction qui recule à mesure qu'on avance, l'esprit figé dans la vision lointaine de l'armée qui, là-bas, attend nos bras et fascine nos cœurs... Un hameau: pas de lumières. Si les Allemands n'y sont pas, peut-être y trouverons- nous un abri pour le jour. On y va: dans une cour, des fourbis et des armes; dans les hangars, des ronflements sonores... Passons, et en douceur. C'est plaisir de constater comme ces Prussiens se gardent mal. Si pourtant, ils savaient que cinq Belges bien armés sont occupés à se balader dans leurs cantonnements! Et nou-s allons toujours. Maintenant ce sont des prairies, avec des haies et des clôtures en fil de fer à passer. Par-ci, par-là, des maisons isolées...! Attention! En voici une dont la fenêtre est éclairée. Nous faisons un détour pour l'éviter. Tout à coup, le gros Jeanjean, qui marche en tête, s'écrie: - Par ici, lieutenant! Il y a un bon chemin! A peine a-t-il terminé que j'entends le bruit d'un formidable plongeon et d'un corps qui se débat dans l'eau: le malheureux a pris pour un chemin un de ces larges canaux cou- verts de mousse qui sillonnent la région, et s'y est lancé avec une conviction digne d'un meilleur sort. Aussitôt un coup de feu retentit. Jeanjean se dépêtre et sort du bain; mais les balles sifflent à nos oreilles: nous sommes découverts. Nous longeons en rampant le malencontreux fossé, nous en sautons un autre, nous nous faufilons le long des haies comme des renards traqués, toujours poursuivis par les balles. Devant nous, au bout d'un champ, se dresse une rangée de maisons: gare! A droite, le bâtiment éclairé que nous avons évité tantôt; à gauche, encore des maisons, au-dessus desquelles surgit un clocher. Diable! C'est un village: ce doit-être Saint- Gilles-Waes, et cela est plein d'Allemands! J'avise un massif de grands choux; nous y courons en rampant, et, le doigt sur la détente, nous nous tapissons dans les feuilles, attendant les événements. Cependant, la fusillade s'apaise: les Boches auront perdu nos traces; mais il s'agit de filer d'ici avant que le jour se lève, et il est grand temps. Doucement, nous sortons de notre cachette, et, à 50 mètres d'une sentinelle, qui semble nous tourner le dos, nous rasons le derrière des fermes ou grouille l'ennemi. En passant devant la maison éclairée, je vois une ombre qui se penche à la fenêtre, puis la lumière s'éteint. Derrière- nous, le village s'anime: la poursuite commence. Soudain, à 100 mètres devant nous, un groupe d'hommes débouche d'un chemin: une patrouille. A plat ventre, nous rampons le long d'un talus, puis, un à un, nous nous coulons dans un petit fossé que des coudriers couvrent de leurs branches. La patrouille passe et disparaît. Mais le temps presse: déjà l'aurore pointe; mon pauvre Jeanjean grelotte de tous ses membres. Nous ne pouvons songer à passer la journée ici. J'avise une habitation, isolée du village, qui paraît bien tranquille. Peut-être n'est-elle pas occupée... Allons voir. A l'abri des fossés et des haies, nous arrivons derrière la maison. Dans la cour gisent des fusils et des sacs. Cela sent mauvais! Mais cet enragé de Van Bastelaer a déjà franchi la clôture. - Lieutenant, dit-il, ce sont des havresacs belges: On hésite un instant, on entre, et nous voilà tous les cinq dans la cour, les uns en train de fouiller les sacs, d'autres commençant à explorer la maison. Quant à moi, je vais jeter un coup d'œil dans la ruelle qui accède à la route. A l'autre bout, à 10 mètres de moi, se trouve un auto, et à côté ... un officier allemand! Or, comme je regarde de son côté, lui tourne la tête du mien : nos regards se croisent. Je reviens vers mes hommes,.mais le Boche m'a suivi. Nous sommes à trois pas, les yeux dans les yeux; d'un geste fébrile, il saisit son pistolet et me met en joue; moi je dégaine mon sabre et lui en mets la pointe sous le nez... Jamais je n'oublierai ce que je vis alors: l'officier prussien pâlit soudain affreusement; je vis, l'espace d'un éclair, une indicible épouvante passer sur son visage; puis, brusquement, avant que je n'eusse le temps de le frapper, cet homme, qui avait tenu ma vie entre ses mains, tourna les talons et disparut dans la ruelle. Mais, en même temps, branle-bas général dans les granges à côté; des têtes sortent de partout: cette fois cela va chauffer... Sans demander notre reste, nous sautons la palis- sade; le premier s'accroche et dégringole, le second tombe sur lui, si bien que tous les cinq nous roulons l'un sur l'autre dans le fossé, riant à faire enrager tous les Boches de la ferme. Devant nous s'étend un immense espace découvert, plat comme un glacis; rien à faire, il faut passer par là: et au pas gymnastique, nous nous précipitons à travers les labourés. Nous n'en pouvons plus. - Ce coup-ci, dit Snytsers haletant, je crois que nous sommes f... - Oui, répond Jeanjean, qui souffle comme un phoque. - Ça t' fera du bien pour ton rhume, lui lance le petit Gilissen, qui fait arrière-garde. Et tous les cinq, toujours détalant, nous rions aux éclats. Une route: Jeanjean s'y précipite, puis s'arrête et grogne: - Attention, lieutenant! Je regarde: à cinq mètres, près d'un petit bâtiment, une sentinelle allemande stationne, appuyée sur son arme... Ce n'est pas le moment de manœuvrer: je me tourne vers mes gars, et, tout en courant, je crie tout haut: - Es geht wohl! Kommen sie hierduch! Nous traversons la route à son nez et nous élançons dans un petit bois qui borde l'autre côté: l'Allemand n'a pas bougé, trompé sans doute par le petit jour, par mes paroles, et aussi, peut-être, par l'audace même de la manœuvre. O bonheur! A l'autre bout du bosquet, une ligne sombre apparaît, qui s'étend devant nous: c'est le labyrinthe, fouillis de sapinières, de hauts genêts et de taillis, qui borde le nord du pays. Nous traversons une clairière, puis un bois clairsemé, nous coupons le chemin de fer, où le poste ennemi n'a pas le temps de nous arrêter, puis de nouveau un bois; enfin, nous voici dans le fourré; derrière nous le bruit tombe, les coups de feu s'espacent et s'éloignent... Toujours courant, nous décrivons une série de zigzags et de courbes savantes, laissant derrière nous fossés, taillis, clairières... Enfin, au milieu d'un carré de jeunes sapins, je me laisse tomber; pour rien au monde je ne saurais me relever. Les quatre autres s'étalent près de moi, et nous restons étendus comme des morts dans les herbes mouillées. Le jour s'est levé; une pluie fine tombe avec persistance et nous trempe jusqu'aux os. Nous grelottons de tous nos membres; Jeanjean tousse, ronfle et rêve tout haut; mes deux Flamands rigolent, sacrent et s'injurient, se traitant mutuellement de couards. Seul, Gilissen, le petit « rossai » de Liège, ne dit rien, mais tâche consciencieusement de dormir d'un œil tout en fouillant les abords de l'autre. Je lui rappelle le temps, où, en obser-Vation pour le fort de Barchon, il était resté quarante-huit heures perché sur son clocher, entouré par les Allemands, pour rejoindre ensuite le fort avec tout le matériel du poste. Jeanjean, qui décidément, ne sait pas dormir, se met en devoir de dresser le menu: anchois, truites saumonées, poularde farcie, choux à la crème. Que sais-je encore? Je retrouve dans ma poche un demi navet, Gilissen possède trois bonbons, près de nous le sol est jonché de glands: cela va bien, on peut soutenir un siège en règle! Je consulte ma carte - une vague carte du Touring-Club, qui seule me reste encore. - Horreur! Les péripéties de la nuit et nos trop multiples crochets nous ont fait décrire un immense demi-cercle, et pour l'instant nous sommes de nouveau à moins d'un kilomètre de la frontière, entouré d'Allemands de toutes parts! Dans le bois, la fusillade reprend, s'éloigne, s'approche: c'est une battue en règle. Bien- tôt la poursuite se dessine, inquiétante; autour de nous, les balles cassent les rameaux; on nous déloge de-notre abri; nous longeons un fossé profond, au bout duquel nous débouchons... sur une troupe de Prussiens - à dix mètres; on se jette dans un fourré, et la chasse recommence. Nouveau répit. Soudain, à quelque distance vers le sud, une vive fusillade éclate. Qu'est-ce? On dirait un engagement: y aurait-il encore par là quelque troupe belge qui, comme nous, tenterait de se dégager? Si extraordinaire que semble l'hypothèse, c'est la seule qui paraisse probable. Dans ce cas nous devons à tout prix la joindre et travailler de concert; peut-être notre intervention inattendue, si minime soit-elle, décidera-t-elle de l'issue du combat. Nous avançons: à peine avons-nous fait deux cents mètres, qu'un groupe de paysans débouche dans une clairière. Ils ont l'air terrifiés. On les interroge: ce sont les Boches qui sont en train de tirer dans les maisons du village, sous prétexte que les habitants ont caché des soldats belges! Oh! les brutes! Instinctivement, je me porte en avant. Mais bientôt de nouveau, les balles passent à nos oreilles, presque à bout portant. Cette fois il en vient de toutes parts: à droite, à gauche, les Allemands sont partout; c'est une fourmilière. De taillis ei taillis, de fossé en fossé, nous nous débattons sous l'étreinte, mais hélas! on recule, et derrière nous, c'est la frontière... C'est tait: voici la ligne; cette éclàircie, à cent mètres de nous, c'est la Hollande, et c'est le seul côté où ne fauche pas la mort! Snytsers blasphème comme un démon. Nous tenons conseil, à voix basse: trois parties s'offrent à nous: ou bien nous rendre aux Allemands; de cela, il n'en est pas question; - ou bien nous faire tuer ici, sur le dernier coin de la Patrie: c'est un geste tentant... mais ce n'est qu'un geste, et bien sûr qu'après cela nous ne rejoindrons plus l'armée de campagne; - ou bien... si l'on essayait, en longeant la frontière, d'échapper à la fois à la poursuite allemande et aux postes hollandais? Ce parti semble le plus sage: les cent mètres sont bientôt franchis. Une borne de fer au coin d'un bois. Allons! Un pas: nous sommes en Hollande. PrisonniersL'ennemi, ce sont maintenant les postes de surveillance, qu'il faut éviter pour passer. Nous nous engageons dans un chemin de sable qui coupe une sapinière épaisse. Nous n'avons pas fait cent mètres, que nous nous trouvons inopinément devant un grand ser- gent hollandais qui nous arrête du geste. Je jette autour de moi le coup d'œil circulaire du gibier dépisté: dans l'éclaircie d'où sort le sous-officier, une multitude de soldats à galons orange se promènent sur une route, mêlés à des civils! Diable! Nous sommes en pays neutre, il faut bien se montrer convenables: j'entre en négociations avec le Hollandais; j'essaie de lui faire entendre qu'il arrive à tout le monde de se tromper de chemin; je fais mine de m'éloigner en m'excusant, annonçant que nous repassons la frontière par le plus court chemin. Mais il ne s'agit pas de cela: le grand escogriffe, répond à mes discours par un sourire amène, et, très calme, nous invite à le suivre. Force nous est de nous exécuter, car déjà les soldats nous entourent, et ils ont tous l'air sérieux en diable! Je cache mon sabre sous un buisson, j'enlève mes insignes d'officier pour les dérober à la honte et pour être moins remarqué. Au poste, nous jetons nos bons fusils sur un monceau de butin, et on nous emmène... Désarmés! Prisonniers! Ah! nous ne rions plus maintenant! Mes quatre loups, trans- formés malgré eux en agneaux, se rongent les poings, furieux; quant à moi, je me sens dégradé, et je voudrais pleurer de honte et de rage! Il me semble lire, dans les yeux de ces gens qui nous regardent passer un sourire de pitié et de mépris, et je sèche de douleur d'avoir exposé à un tel déshonneur le noble uniforme que nous traînons ici. Ah! combien je regrette maintenant d'avoir passé la ligne fatale! Est-ce assez bête de s'être laissé prendre ainsi! Aucun de nous ne dit mot; nous ne répondons pas aux questions qu'on nous pose; mais nous semblons des félins pris au piège, qui cherchent, l'œil en dessous, l'issue où s'échapper. C'est notre idée fixe: demain nous devons être en Belgique - nous y serons! On nous joint à un convoi de prisonniers. Comment décrire la douloureuse étape de ce lamentable troupeau? Oh! l'humiliant cortège que celui de tous ces soldats sans armes! » - A un tournant de route, nous filons: on nous ramène aussitôt. A Terneuzen, deuxième évasion; avec un nouveau camarade qui s'est joint à nous, nous cherchons des vêtements civils; peine perdue! tous les magasins de confections sont fermés, personne ne veut nous fournir d'effets. Alors je mets mes hommes sur deux rangs, je reprends mes insignes d'officier, et, au pas, nous nous dirigeons vers la porte de la ville. Un poste nous arrête: - Où allez-vous? - Au Sas-de-Gand. - Quoi faire? - Prendre des attelages pour les voitures d'ambulance. - Qui vous envoie? L'officier qui est au pont. Le gradé n'a pas l'air trop convaincu... - En avant, marche! Et nous passons. A la poterne d'enceinte, nouvel interrogatoire. Comme nous avons l'air très assurés et très bourrus, le stratagème prend encore. Nous voici sur la grand'route de Selzaete: dans deux heures nous foulerons le sol belge, si tout continue -à aller bien; nos pieds ont des ailes... Hélas! à mi-chemin, un poste nous attend, prévenu téléphoniquement de notre escapade. Il a beau jeu, dans ce pays de canaux et de digues! Nous sommes arrêtés et ramesnés à Terneuzen entre deux rangs de soldats, baïonnette au canon. Une nouvelle tentative achève de nous mettre en mauvaise posture: nous sommes notés comme individus dangereux, jetés sur un ponton et étroitement surveillés. Puis une péniche, bourrée de prisonniers, nous emmène vers une destination inconnue. Il fait nuit. Étendu sur le pont, par un froid glacial, je regarde les étoiles, tandis qu'à nos côtés les quais fuient derrière nous. Pendant un temps, nous sommes en mer: nous passons sans doute devant Flessingue; puis de nouveau des canaux, qui se succèdent et s'enchevêtrent à n'en plus finir... Où allons-nous? Toute la nuit nous marchons de la sorte. Au matin, on fait halte. Attention! Sur le quai, la foule accourue lance des pains et des fruits: bousculades, cris, cohue; c'est le moment. Nous enjambons le bastingage, sau- tons sur le quai et courons nous cacher dans d'énormes caisses à fumier entassées tout près .de là. Oi ne nous a pas vus: tout va bien. Déjà le remorqueur siffle pour le départ. Malheureusement, nous sommes trop connus: on remarque notre absence; recherchés, découverts, nous sommes, de force, ramenés à bord. Et de nouveau, pendant des heures, on navigue dans d'immenses bras de mer, sans s'arrêter nulle part. De l'eau, toujours de l'eau! Comment parviendrons-nous à nous tirer de là? En tout cas, la première chose à faire, c'est de trouver des vêtements civils. Sur le bateau, certains prisonniers sont déjà en bourgeois. Nous parlementons dans les coins, troquons nos uniformes contre leurs hardes, et bientôt nous nous retrouvons dans les plus belles tenues de débardeurs qu'il soit possible d'imaginer. Nous ne pouvons nous tenir de rire, à voir notre mine sinistrement canaille sous ces nouveaux dehors: Snytsers est un véritable apache, Jeanjean exibe un tennis tout râpé, qui moule avantageusement son gros ventre, Gilissen a l'air d'un charbonnier, moi j'ai l'aspect chétif d'un mendiant miséreux; c'est encore Rolent, notre nouvelle recrue, qui, avec son chapeau mou, conserve l'extérieur le plus décent. Seul, cet entêté de Van Bastelaer n'a pas prétendu quitter son uniforme. Mal lui en pris: désormais il ne pourra plus nous suivre. Enfin voici Dordrecht: on débarque le convoi pour faire manger les prisonniers à la caserne: après quoi, on nous dirigera sur Groeninghe, en Frise, pour y être internés. Groeninghe! Miséricorde! Il faut absolument nous échapper d'ici: c'est la dernière bonne carte qu'il nous reste à jouer. On nous forme par quatre, et, entre deux haies de soldats, la troupe se met en marche. Les rues sont pleines de curieux qui demandent des boutons et des cartouches en souvenir. C'est ce-qu'il nous faut: l'un de nous, à un tournant de rues, se met à en distribuer tant et si bien qu'il se produit un rassemblement, du désordre, une rupture dans le cordon de troupes. C'est cela: sans avoir l'air de rien, nous faisons un quart de tour à droite, et, le plus simplement du monde, nous regardons défiler le cortège comme de braves spectateurs... 0 liberté! Il faut t'avoir perdue pour goûter ta douceur recouvrée! Avec quelle joie nous enfilons les rues étroites où nul ne nous connaît! Avec combien d'entrain nous discutons maintenant notre plan de retour vers la « Libre » Belgique! Le RetourNous eûmes la bonne fortune de trouver à Dordrecht un brave batelier belge qui nous hébergea à son bord et nous fournit le moyen de regagner Flessingue. Là, confondus avec le flot des réfugiés, nous n'eûmes pas de peine à passer inaperçus. Maintenant, en route pour la Belgique: bateau, train, voitures, auto, charrettes, tous les moyens de transport furent successivement mis à contribution pour hâter le retour: notre air rébarbatif avait raison de toutes les résistances. Enfin, voici la frontière: nos pieds foulent la terre belge! 0 bonheur! Aucun mot ne saurait peindre l'indicible sentiment qui nous prit en ce moment. C'est alors que je com- pris, dans sa plénitude, ce qu'est l'amour de la patrie: l'air nous semblait meilleur, la terre avait un autre aspect et nous reconnaissions ses senteurs et les herbes qui croissaient aux fossés de la route; les arbres nous faisaient accueil et les rameaux nous redisaient de vieilles choses connues avec des gestes familiers qui éveillaient tout au fond de nos cœurs d'adorables et mystérieux souvenirs. Oh! cette vie profonde éparse dans les choses, comme elle buvait, comme elle absorbait la vie de nos âmes! et avec quel bonheur celles-ci s'y épandaient pour s'unir de nouveau à elle! L'âme de la patrie s'ouvrait autour de nous en murmurant sa captivante chanson, et, avec son sourire tout ensemble joyeux et triste, elle semblait à la fois nous prendre sous ses ailes et implorer notre aide. Pauvre Belgique, mère de mon sang et de ma vie, j'aurais voulu baiser ton sol martyr. Mais ce qu'un brûlant baiser n'a pu te dire alors, mon sang, qui est à toi, te le diras un jour, en t'arrosant, joyeux, pour féconder en toi le germe de ta liberté! Et nous marchions, heureux et pleins de fièvre, hâtant la course de toutes nos forces, pour prévenir le flot envahisseur qui allait atteindre la côte et pouvait nous couper une seconde fois. Enfin, à Ostende, nous trouvâmes l'extrême queue de nos colonnes serrées de près par les Allemands; avec elles, nous arrivâmes à Furnes où se trouvait le Roi. On hésita à nous reconnaître, tant nous avions l'air misérable. Nous étions, tous les cinq, à bout de forces; certains ne savaient plus marcher, d'autres étaient malades. Mais nous avions puisé dans la lutte, avec la joie du devoir fait, une force infiniment plus grande et plus précieuse que les forces du corps: celle du cœur qui aime, et qui veut puissamment, et qui fera ce qu'il veut parce qu'il aime! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_20.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:00 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_21.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'A Tournai' Recueillis par le Baron C. Buffin
A Tournai Par le général FrantsA notre arrivée à Tournai, vers la fin de septembre 1914, nous y fûmes accueillis en sauveurs. On croyait que notre venue annonçait la reprise de toute la province du Hainaut. Et ce qui contribuait à faire entrer cette illusion dans le cerveau des braves habitants déjà éprouvés par une première invasion, c'est qu'en même temps que mon état-major, mes troupes et moi, étaient survenus des Français. Oh! si peu! Un bataillon de territoriaux qui n'avaient jamais vu le feu; un escadron de chasseurs à cheval, également territoriaux, commandé par un vieux capitaine âgé de 50 ans, deux escadrons de goumiers algériens de tout âge, de toutes tribus, à la mine superbe, des cavaliers à visage brun et à burnous blanc, le long fusil mince en bandoulière, dont les cheiks, qui avaient déjà combattu pour la France, étalaient fièrement sur leur poitrine la Croix de la Légion d'honneur. Ces troupes ne semblaient pas en nombre suffisant pour défendre la ville, et le baron Stiénon du Pré, bourgmestre de Tournai, demanda, lors de son entrée, au commandant des troupes françaises « si c'était un soutien sérieux ou bien si c'était une apparition de troupes sans renforts, qui allait, à la première attaque, abandonner Tournai et ses habitants à leur triste sort... » II faut savoir que lors de la première arrivée des Allemands à Tournai, la ville avait été frappée d'une contribution de 3 millions et que en attendant la réunion de cette somme pour laquelle il fallut quêter de porte en porte, le bourgmestre et d'autres notables furent amenés à pied comme otages à Ath d'abord, à Bruxelles ensuite, et emprisonnés pendant neuf jours quoique la somme requise eût été remise aux mains de l'ennemi. Cette demande du baron Stiénon avait été interprétée par le commandant français comme un accueil peu sympathique, et, dès mon arrivée à Tournai, je demandai des explications au bourgmestre qui, devant moi, vint se confondre en excuses et protesta en son nom comme au nom de ses échevins d'un loyalisme ardent. Cet incident fut donc clos et les Français n'eurent pas à se plaindre de, la réception des habitants de Tournai. Néanmoins, le souvenir de leurs souffrances morales était trop récent pour que les notables n'en craignissent pas le renouvellement. Et l'on remarquait parmi les Tournaisiens une crainte, une appréhension provenant des mauvais jours vécus sous la botte prussienne. Ainsi tout le temps ces braves gens nous demandaient « si cette fois c'était pour de bon, si les Allemands étaient définitivemenf refoulés, etc.. » Et mes renseignements sur l'ennemi ne me permettaient malheureusement pas de leur donner plein espoir. Pendant plusieurs jours nous vécûmes à Tournai sous la menace de l'invasion. Dès mon entrée en fonctions, j'eus soin de réarmer les chasseurs éclaireurs de la garde civique. Mais leurs fusils étaient dispersés en France et en Belgique et mes chasseurs éclaireurs, au lieu de recevoir leurs Mausers, furent munis de fusils Gras. Ceci n'était pas pour leur inspirer confiance. Toutefois, à part leur manque absolu d'initiation à la guerre, je n'eus pas à me plaindre de leur bonne volonté. Comme forces principales belges, j'avais une centaine de gendarmes de la province du Hainaut, sous les ordres du lieutenant-colonel Bloem, de la gendarmerie. D'emblée, je nantis mes hommes et plus tard mes volontaires de cinquante-sept bicyclettes neuves, que les Allemands, dans leur retraite précipitée, avaient abandonnées à l'Hôtel de ville. Grâce à ces engins éminemment pratiques, j'envoyai des patrouilles au loin, qui réussirent à rapporter des renseignements et à faire beaucoup de tort à l'ennemi en tuant ou en faisant des uhlans prisonniers. En même temps je donnai à l'ennemi la conviction que de nombreuses troupes étaient établies à Tournai et aux environs, prêtes à lui barrer le passage, et cette illusion retarda considérablement sa marche. Sur ce point, le fameux service d'espionnage allemand avait été en défaut, et nos ennemis furent si mal renseignés sur l'effectif des trouves qui s'avançaient vers Tournai, qu'en se retirant, ils ne crurent pas avoir le temps d'emporter leurs blessés et qu'ils en abandonnèrent un certain nombre dans les hôpitaux. Je me hâtai de les expédier comme prisonniers à Bruges. J'arrive à la veille de notre retraite de Tournai, c'est-à-dire au 30 septembre 1914. Ce jour-là, d'après mes renseignements, des troupes de toutes armes, évaluées à 10 ou 15,000 hommes, avaient atteint Ath et avaient poussé dans l'après-midi leurs avant- postes à Ligne, presque à moitié chemin de Leuze. Nous devions par conséquent nous attendre à être attaqués le lendemain. J'adressai un appel de secours au lieutenant- général Clooten, qui m'envoya une centaine de volontaires d'Eecloo, dont l'instruction était assez rudimentaire, mais qui étaient animés d'un excellent esprit. Comme nous n'avions pas d'artillerie, j'en demandai d'urgence au commandant de la division française de Douai, qui me put me venir en aide, menacé lui-même de trois côtés à la fois. Nous étions donc réduits aux gendarmes, aux chasseurs éclaireurs et aux volontaires d'Eecloo, augmentés d'un corps de cyclistes du lieutenant Gérard. Cet officier avait été chargé de détruire la pont de Thulin, sur le canal de Mons à Condé; malheureusement, les Belges, trahis par une femme des environs, étaient tombés dans une embuscade et avaient perdu 40 hommes sur les 120 dont se composaient leur détachement. Les autres s'étaient retirés vers Tournai. C'étaient tous des jeunes gens hardis, pleins de feu, prêts à remplir dans les lignes allemandes les missions les plus'dangereuses. Je me rappelle, entre autres, un soldat du 12e de ligne qui avait fait des lieues en transportant un camarade blessé dans une brouette. C'est la veille de la retraite de Tournai que, vers 10 heures du soir, le lieutenant Gérard vint se mettre à ma disposition: je le mis au courant de la situation et, la nuit même, il alla faire sauter plusieurs ouvrages d'art sur la ligne du chemin de fer entre Ath et Leuze. A minuit, le lieutenant Gérard vint m'an-noncer qu'il avait poussé au-delà de Ligne et avait réussi son coup de main hardi. Grâce à cette audacieuse expédition, les premières patrouilles de uhlans ne se présentèrent à Tournai que vers la fin de la matinée du lendemain. Comme nous étions menacés en même temps par le sud-est et par le sud, je dus répartir mes faibles forces de façon à barrer le passage à l'ennemi dans ces diverses directions et même vers le nord-est, route de Tournai-Frasnes. Dans les plaines, mes patrouilles de gendarmes et de volontaires battaient le terrain. J'avais pour principe de former de fortes patrouilles de 20 hommes, moitié gendarmes, moitié volontaires, et je leur donnais pour instruction d'attendre les patrouilles de cavalerie ennemies jusqu'à 100 mètres afin de tirer à coup sûr et que ni un cavalier ni un cheval n'échappe. C'est ainsi qu'à la lisière nord d'un petit bois, à 2 kilomètres à l'ouest de Ramecroix, au sud de la route Tournai-Leuze, une patrouille de 20 hommes, sous les ordres du capitaine de gendarmerie Motry, laissa approcher une patrouille ennemie (composée de 7 hommes commandés par un officier) jusqu'à 100 mètres, et abattit d'une seule salve chevaux et cavaliers. Nos soldats prirent les mors des chevaux et les capotes des tués afin de me montrer le résultat de leur prise, et déguerpirent sans délai, car ils étaient tournés par le sud du bois, où une autre patrouille ennemie arrivait au secours de la première. Mal lui en prit du reste, car bon nombre de uhlans de cette nouvelle troupe mordirent aussi la poussière. Néanmoins, nous ne pouvions résister à la poussée de hordes vingt fois, cinquante fois supérieures en nombre. Vers midi, les Français battirent en retraite et ce au milieu de l'exode des malheureux habitants. A hauteur d'Orcq, je montrai au major commandant un magnifique champ d'où il pouvait balayer tout le terrain jusqu'à la sortie de Tournai; il y prit position, mais peu après il reçut l'ordre de continuer son mouvement de retraite vers l'ouest, c'est-à-dire vers Lille. J'oublie de signaler qu'en se retirant les Français avaient laissé en arrière, à la caserne Saint-Jean, tous leurs impedimenta: blessés, malades, chevaux, bagages, etc. Avant de quitter Tournai, j'eus l'idée d'aller m'enquérir de ce convoi. Bien m'en prit: ces gens ne se doutaient pas de l'imminence du danger qui les menaçait, je n'eus que le temps de donner l'ordre au plus ancien maréchal des logis de rassembler tout, hommes, chevaux et bagages et de se diriger vers la route de Tournai-Lille où il retrouverait les troupes françaises. En même temps, j'ordonnai à mes patrouilles de garder toutes les issues, afin de permettre à ces goumiers et chasseurs à cheval de garder leur ligne de retraite vers le poste de Lille. Ils furent sauvés! Me voici installé avec mon état-major au couvent de Froyennes (route de Tournai-Courtrai), où un téléphone me permet de me mettre en communication avec les divers postes de gendarmerie, etc. Les Frères de la Doctrine chrétienne, presque tous Français, nous accueillent à bras ouverts et malgré nous, pendant que nous recevons des renseignements et que je donne des ordres, ils nous préparent une collation et nous comblent de prévenances. Leur couvent est converti en hôpital. Hélas! ce devait être pour les blessés boches qu'ils s'étaient mis en frais! Car je reçus l'ordre formel - si les Français quittaient Tournai - de battre en retraite vers Courtrai et d'organiser la défense du canal de l'Espierres. Je partis donc et j'arrivai sur l'Espierres le jeudi 1er octobre; d'emblée je constate que tous les ponts-levis du canal se lèvent du côté sud, c'est-à-dire du côté de l'ennemi, et qu'il est impossible de déplacer le contrepoids et de faire en 'sorte que les ponts se manœuvrent de notre côté, c'est-à-dire du côté nord. C'est là une circonstance fort désanvantageuse et qui montre une fois de plus combien peu nous songions à la guerre! J'installe mon état-major à Dottignies et je me mets en mesure de garder les nombreux points de passage sur le canal entre le village d'Espierres (Escaut) et le chemin de fer Herseaux-Tournai. Ceci malheureusement m'oblige à m'étendre et à répartir mes faibles forces; car il existe là de nombreux ponts et passerelles. Pendant trois jours, nous sommes en contact avec l'ennemi; nous refoulons ses patrouilles et nous faisons des prisonniers. Mes jeunes volontaires voyaient le feu pour la première fois, mais ils sont tellement valeu. reux et avides de se battre, que le deuxième jour, je nomme caporaux sept soldats qui se sont bien conduits devant l'ennemi. Cela leur donne de l'ardeur: tous voudraient se signaler. Le samedi 3 octobre, à la tombée du jour, l'ennemi, refoulé plusieurs fois, est revenu en force et repousse deux de mes postes à l'extrême droite, tandis que, d'autre part, il s'avance par Herseaux et Estampuis; je suis tourné sur ma droite et en même temps enfonce" à Espierres. Je n'ai que le temps de constituer une forte flanc-garde de gendarmes et de volontaires cyclistes pour m'opposer au mouvement enveloppant et de battre en retraite vers Courtrai. Nous étions toujours poursuivis et notre marche était entravée par l'obscurité. J'arrête un tramway vicinal venant de Courtrai et j'y fais monter les gardes civiques de Tournai, lesquels, soit dit entre nous, n'avaient pas la moindre notion d'un combat en retraite. A mi-chemin de Courtrai, je rencontre les gendarmes de la Flandre orientale qui viennent à notre secours et, sous leur protection, nous atteignîmes Courtrai. En faisant l'appel de mes soldats, je constatai qu'il manquait trois de mes volontaires. Je les crus tués, blessés ou prisonniers. Nullement, voici ce qu'avaient fait ces braves petits soldats: le dimanche matin, 4 octobre, deux de mes hommes manquants arrivent à Courtrai chargés chacun d'une selle de uhlan complètement paquetée. Ils ont porté ce poids (environ 40 kilogrammes) depuis l'Espierres, à travers les lignes ennemies, et ce, sur une distance de 20 kilomètres. Interrogés, ils déclarent qu' « ils ont bien appris qu'on battait en retraite vers Courtrai, mais qu'il leur fallait à chacun leur Prussien avant de rallier ». Poursuivis par des cavaliers, le long de la berge du canal, ils franchissent sur une planche le ruisseau boueux d'Espierres (qui, comme on le sait, coule parallèlement au canal; les cavaliers veulent en faire autant, s'embourbent et sont achevés par nos deux soldats qui dépêtrent les chevaux et s'emparent des selles afin de bien montrer qu'ils avaient atteint leur but. Un troisième soldat (le troisième manquant) ramène à Courtrai un chevai tout équipé dont il avait tué le cavalier. Il revient aussi tout seul avec son butin. N'est-ce pas superbe, et cela à travers une région envahie! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_21.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:01 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_23.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 158, 20 octobre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Huit Jours à Dixmude' Recueillis par le Baron C. Buffin carte postale belge - les combats à Dixmude, octobre 1914 Huit Jours à Dixmude
Extraits du carnet d'un observateur d'artillerie par le lieutenant d'artillerie F. de Wilde, de la brigade B ancienne 12e brigade mixte19 octobre 1914. - Depuis trois jours, nous sommes à Nieuwcapelle. La guerre devient pittoresque: des burnous bleus ou rouges défilent sur la route; les chevaux sont petits, les cavaliers perchés sur leurs selles à la manière des singes. Toute la tribu a dû se mettre en branle, plusieurs générations voisinent, des adolescents côtoient des vieillards au visage parcheminé. A 8 heures, ordre de rassemblement à Oudecapelle. Nous y retrouvons la horde des goumiers, piquant d'une pointe d'orientalisme le paysage morne des Flandres. Nos hommes fraternisent: des détails sur la vie arabe abondent immédiatement. Ces bédouins ont 3 francs de solde et droit de pillage en pays ennemi, aussi demandent-ils à tout bout de champ s'ils ne sont pas encore en Allemagne. Armés de grands couteaux, ils font continuellement le simulacre de couper des têtes, en découvrant leurs dents blanches. Ils ont aussi les oreilles en particulière estime. Parmi eux, un grand nègre, en très mauvais français, répète à qui veut l'entendre: « Francise, Belgise, Anglise, tous camarades. » Et il exhibe une main énorme en faisant le geste d'enfiler des gants, manière expressive d'en demander. Le pays est mauvais pour eux, coupés de fossés larges et vaseux, où les .chevaux s'embourbent jusqu'au poitrail. Dans le lointain, la flotte anglaise canonne la côte et les colonnes allemandes venant d'Ostende. Les fusiliers marins, suivis de la 5e division, se dirigent vers Beerst. Un violent combat s'engage. Beerst pris, perdu, est repris par les fusiliers. Des renforts allemands, arrivés de Roules, obligent tout le dispositif à battre en retraite. Décision est prise de défendre la tête de pont de Dixmude; notre brigade et les fusiliers marins en sont chargés. Nous passons sous le commandement de l'amiial Ronarc'h. Maigre chère au quartier général de l'amiral. Nous trouvons finalement un biscuit et une boîte de viande conservée. Nous trouvons mieux: un sommier. 20 octobre. - Une attaque de la tête de pont est imminente. Nous recevons ordre de prendre position avec nos trois batteries, 40e, 41e, 42e à Kapelhoek. Dès le matin, la canonnade sévit violente, ininterrompue. Les shrapnells masqués de nuages blanc, les obus-mines s'entourant de bruit de ferraille et de fumée noire tombent sur Dixmude et y éclatent avec un bruit assourdissant. Nous campons dans une ferme abandonnée. Les chiens ont perdu la voix, le bétail erre à l'abandon. A 11 heures, la 40e batterie (commandant Aerts) est expédiée au nord de Dixmude, près du moulin de Keiserhoek, et la 41e (commandant Huet) vers Eessen. A midi, au moment où mijotait sur le feu un quartier de porc atrocement salé, on nous envoie avec la 42e batterie (commandant Schouten) prendre position à Keiserhoek, auprès de la 40e, afin de soutenir le 12e de ligne. Nous partons en avant, le major Hellebout, commandant l'artillerie de la brigade B, l'élève à l'Ecole militaire Hazard, un trompette-brigadier et moi. Nous trottons bon train sur les pavés, traversant sans mot dire le pont et les rues qui mènent à la grand'place. Quelques compagnies d'infanterie, rangées contre les maisons, nous regardent passer avec ahurissement. Arrivés rue d'Ouest, halte et pied à terre, à hauteur de la maison du notaire Baet, en ce moment abandonnée. Nous y laissons nos chevaux avec le trompette et nous continuons à pied la traversée de Dixmude vers Keiserhoek. L'aspect de la ville est terrifiant: les rues, absolument désertes, sont remplies de débris de toute nature et de trous d'obus, les maisons sont défoncées, les murs lézardées, les tuiles en morceaux, les carreaux brisés. Dans la rue qui mène à Keyem, d'énormes flaques de sang et des éclaboussures de matière cérébrale sur les murs frappent partout nos regards. Inutile de chercher le côté de la rue le mieux abrité, nous marchons dans l'axe même du tir. Tout à coup, sur un appui de fenêtre, nous apercevons, tremblant d'épouvanté, Max, jeune chien de berger malinois, adopté par nos soldats à Boom et qui, sur l'un ou l'autre caisson, nous a suivis partout. Nous l'emportons et continuons à avancer. Un caisson revient avec la moitié de ses attelages. Toute la route est balayée par les shrapnells; pas moyen de passer. Nous prenons à droite par le canal de Handzaem et nous nous mettons à la recherche du lieutenant- colonel van Rolleghem, commandant du 12e de ligne. Grâce aux arbres de la rive, nous arrivons aux tranchées. Personne! « Voyez de l'autre côté du canal, » nous dit-on. Une barque s'offre, nous traversons sous le sifflement aigu des shrapnells et nous découvrons finalement le colonel à l'extrémité de la ligne tortueuse des tranchées de Blood Putteken. Impossible d'employer ici la 42e batterie. Déjà la 40e, qui n'est parvenue qu'à mettre deux de ses canons en batterie dans un verger, à notre droite, n'a pu rester à Keiserhoek;.elle a des chevaux tués et aurait perdu une pièce sans le dévouement du maréchal des logis Vivier. Les tranchées encaissent. Une erreur d'appréciation fait concentrer le tir allemand sur une I ligne de saules, dont la silhouette imprécise apparaît dans les projections de terre, à cent mètres des retranchements. Ordre nous est donné de retournera Kapelhoek. Nous repassons donc l'enfer de Dixmude. Au moment ou nous nous engageons sur la grand'place, un gros obus de 21 centimètres tombe à vingt mètres, au coin de la rue d'Ouest, emplissant celle-ci d'une fumée grise opaque que nous traversons en courant, au milieu d'un amas de pierres, de briques et de poutres. Un autre projectile entre par le soupirail d'une maison et anéantit la musique du 12e de ligne, réfugiée dans la cave. Sur ces entrefaites, la 41e batterie, revenant d'Eessen, nous rejoint et les trois batteries franchissent le pont sur l'Yser, arrivent au trot sur les emplacements de Kapelhoek, et ouvrent un feu violent sur le terrain au sud du cimetière, d'où elles obligent les Boches à déguerpir. Dans la soirée, nous pénétrons dans une ferme et trouvons cinq défaits qui témoignent d'une fuite précipité; nous nous y jetons tout habillés. Au fracas alourdissant de l'artillerie se mêle le bruit sec de la fusillade; intermittente d'abord, elle devient de plus en plus nourrie et finit par être continue. Les mitrailleuses crépitent sans relâche; un soldat effaré vient nous annoncer l'attaque de la ville. Dans la nuit, c'est le tumulte du combat, le grondement du canon, le sifflement des balles, les clameurs sauvages. 21 octobre. Avec le jour, la fusillade diminue. Les Allemands se replient. Nos troupes ont été superbes: Trois assauts ont été repoussés. Une bande de prisonniers passe; presque tous sont jeunes et viennent de Bruxelles sans avoir combattu précédemment. A les entendre, beaucoup de leurs officiers auraient été tués hier; ils seraient mal encadrés et leurs gradés, inconnus pour eux, auraient été prélevés sur l'armée centrale. On a arrêté un officier allemand porteur de balles dum-dum.Interrogéàce sujet, il déclare que ces baHes ne lui appartiennent pas. Comme il devient arrogant, on l'oblige à tourner le dos. Il profite du premier moment d'inattention pour essayer de s'enfuir. On l'abat à 150 mètres. Son revolver est encore chargé des mêmes balles d,um-dum, et son cadavre est enterré sur-le-champ. Nous tirons sur Vladsloo et Eessen, La riposte ne se fait pas attendre et nous avons quelques blessés. La matinée est relativement calme. Vers une heure, la bataille reprend aussi âpre que la veille. C'est à nos chemins de retraite qu'ils en veulent cette fois. Le tir allemand est plus précis. Sur la route d'Oudecapelle, une masse de voitures stationnent. Aux pre- miers obus, elles partent au trot pour se garer. Trois caissons sont atteints, les attelages s'effondrent. Et la grande fête recommence. Le bombardement de Dixmude reprend avec vigueur. Un obus a mis le feu à la collégiale; la tour n'est qu'un brasier. Dans le caprice des flammes, on perçoit un instant une ogive et le campanile sombre dans une apothéose. Le soir tombe. A l'horizon, cinq incendies rougeoient. Dixmude s'emflamme par places. Un toit s'allume et jette une lueur vive et brève sur les pignons dentelés. Les Allemands tirent sans discontinuer, et l'éclatement de leurs projectiles soulève des nuées d'étincelles. C'est lugubre et grandiose. La fusillade ne s'arrête pas. Dans un moment d'accalmie, étrange dans ce bruit infernal, nous entendons sonner la charge, suivie d'une clameur immense et féroce, à laquelle répond aussitôt une fusillade très vive. Brusquement, tout se tait. Ce silence dans la nuit est plus impressionnant que tout. Ont-ils réussi? Sont-ils repoussés? Silence. Le feu reprend plus intense et au même endroit. On respire, la ligne n'est pas forcée. L'angoisse qui nous étreint cesse. Angoisse atroce de gens entendant sans rien voir, sans rien connaître de précis, sachant uniquement que leur vie et celle de tant d'autres se joue là dans la nuit mystérieuse. Nous gardons toutes nos positions. Depuis trois jours, c'est un combat incessant. Nos infanteries sont à quelques cents mètres l'une de l'autre, et sur l'Yser, au nord de Dixmude, elles tiennent chacune -une des rives du fleuve. Nous nous couchons tout habillés depuis quatre nuits, on n'a plus aucune notion du temps, on mange quand on peut, quelquefois bien, souvent mal. 22 octobre. - L'aube fait ralentir le feu. Les Allemands se retirent. Nous ouvrant un feu violent sur leurs directions de retraite. Puis le silence. Auraient-ils changé de points d'attaque? Vers 10 heures, une canonnade ardente éciate vers la droite. Nos divisions de cavalerie sont de ce côté et les Anglais poussent vigoureusement dans la même direction. A 11 heures, la bataille reprend. Le gros calibre abonde du côté des Allemands, qui nous arrosent de 15 et de 21 dans toutes les directions; rien n'est épargné. La terre se laboure avec fracas, et les champs s'étoilent d'entonnoirs énormes. Jusque maintenant, il y a plus de bruit que de mal. Dans l'après-midi et la soirée, les Boches esquissent encore quelques attaques, toutes échouent. Nous tirons avec rapidité, nos rafales leur font grand dommage et arrêtent net leurs tentatives. Des prisonniers racontent que nous avons anéanti un bataillon et un parti de cavalerie réfugiés dans le château, au sud de Dixmude. L'armée française nous avait demandé de tenir deux jours sur l'Yser, voilà huit jours que nos troupes résistent, voilà six jours qu'elles sont attaquées avec une opiniâtreté sans égale. 23, 24, 25 octobre. Les attaques d'infanterie s'est pacant. Par contre, l'artillerie ne chôme pas. Les Allemands ont une proportion effrayante d'artillerie de tous calibres et c'est leur canon qui fait la forte besogne. La lutte continue comme hier, comme avant-hier. C'est la bataille de l'Aisne qui se prolonge. Les adversaires se retranchent. Devant Woumen, surtout, les Boches amoncellent les terrassements. En observation chaque jour sur les bords de l'Yser, je vois leurs tranchées sortir de terre comme par enchantement, s'allonger, s'enchevêtrer à vue d'œil. Ils ont une faculté de travail et une activité remarquables. Là où il n'y avait rien la veille, on trouve le lendemain tout un réseau serré de tranchées, toute une série de nœuds et de boyaux de communication. On tire à outrance, on bouleverse leurs taupinières; quelques minutes après, on perçoit le mouvement rapide de terres remuées, ou le bruit de fers de pelle qui remettent en état les endroits endommagés. Dans le lointain, quelques patrouilles circulent; une batterie défile au trot dans un chemin creux. Dans les champs de betteraves, au sud de Dixmude, de longs corps gris gisent en avant des retranchements allemands. Zone neutre où personne ne peut pénétrer, rançon des combats de la veille, cadavres que l'on ne peut ramasser. Le 23 au soir, dans les herbes, dans les champs, des râles, des cris en mauvais français s'élèvent. C'est la seule fois que j'ai entendu crier des. blessés. Quelques voix jaillissent: « A moi, à moi, Français... blessés! » Quel est ce nouveau piège? C'en est un, ruse cousue de fil blanc. Personne ne bouge et la tranquillité renaît. Mais l'artillerie ne se tait pas. Le nombre des munitions consommées est considérable. Les Allemands bombardent avec une énergie sans égale. Le petit calibre a disparu en grande partie, seules les grosses pièces jouent leur rôle. Les obus-mines éclatent avec un bruit de tonnerre. C'est de la rage. Les Boches doivent tirer sans beaucoup d'observation, car après avoir encadré les batteries, au lieu de tirera démolir, ils changent de but, allongent, raccourcissent, arrosent absolument tout le pays, sans grand dommage d'ailleurs. Ils ont beaucoup de suite dans les idées et lorsqu'ils se sont mis en tête de battre un point, ils tirent au même endroit avec un entêtement admirable..., n'y eût-il rien' au point yisé. Un obus vient d'éclater au pied de nos fenêtres, brisant les vitres et tachant de boue les papiers de l'adjudant-tnajor. Notre toit n'est plus qu'une écumoire. Un de nous est en permanence au téléphone. Les lignes sont brisées à chaque instant par les obus. Les téléphonistes courent le long des fils et la communication est rétablie; de jour et de nuit, la sonnerie stridente retentit. Un renseignement parvient, un ordre arrive, un des officiers se lève, court à sa batterie... un coup de téléphone commande de suspendre le feu. Quand le renseignement est important, tout le monde part. La voix sèche et rauque de notre 75 se mêle, précipitée, aux grondements sourds des coups de départ lointains, à l'explosion formidable des coups d'arrivée. Puis tout le monde se recouche, les privilégiés dans les lits disponibles, les autres sur la paille que l'on étend chaque soir dans la cuisine. Voilà toute une semaine que nous sommes installés dans cette ferme. Nous avons trouvé quelques légumes pour notre cuisine, mais la viande se fait rare. Le premier jour, nous avons mangé des poules.Il n'y a plus de poules. Nous avons fait tuer un cochon. Aujourd'hui, nous . avons de la viande conservée, demain, je ne sais. La plus grande privation réside dans le manque de cigarettes; nous en sommes réduits à rouler d'informes cigarettes avec du mauvais tabac de pipe. On ne trouve plus rien. L'eau est salée, nous ne buvons que du café. Heureusement le lait ne fait pas ' encore défaut, les hommes vont traire de grand matin les vaches errantes, qui s'en donnent à cœur joie dans les betteraves. Pas un chien n'aboie. Ils rampent le long des bâtiments, la queu entre les jambes, et se précipitent éperdument, dans le premier trou venu, au moindre sifflement d'obus. Les projectiles ont fait de tous côtés une hécatombe de bétail. Toutes ces fameuses prairies de Dixmude et du Veume-Ambacht sont jonchées de vaches mortes, les pattes en l'air. Le gibier est affolé. La canonnade perdure; la fusillade, intermittente le jour, est continuée la nuit, et dans les accalmies qui parfois se produisent, le roulement prolongé du canon d'Ypres s'assourdit dans le lointain. Tout ce bruit crispe nos nerfs, atrocement tendus. 26 octobre. - Dixmude, Kapellehoek. A 6 heures du matin, nous sommes brusquement réveillés par une fusillade tirée presque à nos oreilles. Les balles s'écrasent contre nos murs. Alerte! Qu'est-ce? Un commandant rentre en criant: « Les Allemands sont à 400 mètres. » Surpris, nous nous levons précipitamment. Désarroi. Le nez dehors, nous sommes accuefllis par une grêlede balles. Elle semble venir de tous les côtés à la fois. Sommes-nous entourés? On se conserte rapidement. « Aux pièces et tir à schrapnells réglé court. » Impossible d'arriver aux batteries. Le brouillard du matin plane encore, on voit s'agiter des ombres confuses. La fusillade s'apaise un moment. Tout le monde court aux pièces. Le zèle d'un tireur est heureusement arrêté au moment où il tenait une de nos patrouilles au bout de la lunette, On interroge anxieusement: « Qu'est-ce? Où sont-ils? » Une cinquantaine d'Allemands ont passé l'Yser et l'on est à leur recherche. Je cours au quartier général prévenir, ramener des secours. Je rencontre une patrouille de dragons, une autre de fusiliers, une troisième de carabiniers. L'éveil a été donné. Au quartier général de l'amiral, tout le monde est debout, commentant l'incident. Un détachement ennemi a passé la rivière, jeté la panique par son feu, mais, à l'aube, les troupes se sont ressaisies, les positions'sont réoccupées, la chasse se fait. Je me dirige vers Dixmude. Dans un fossé, deux Allemands gisent le nez dans la boue. De l'autre côté, deux marins, la vareuse ouverte, perdent du sang abondamment. Une jeune fille, affolée, soutenant une vieille femme en larmes, se précipite sur moi: « Quelque chose pour transporter ma mère, monsieur; elle va mourir! » Je ne puis que leur indiquer d'un geste impuissant le quartier général. Une civière passe, portée par quatre fusiliers. C'est le cadavre du commandant Jeanniot. La figure est couverte d'un mouchoir, mais le bras pend déchiqueté et la cuisse porte une blessure affreuse, chairs en bouillie dans des morceaux d'étoffes et des esquilles d'os. Sur le pont même de Dixmude, des cadavres s'amoncellent. L'un d'aux est accroché encore au garde-fou, qu'il étreint dans un spasme suprême.Tous ont des blessures multiples: poitrine trouée, cervelle jaillie, yeux vitreux agrandis dans uue vision d'épou- vante. Au-delà du pont des cadavres en tas forment une bouillie innommable, un enchevêtrement de membres crispés, de fronts courbés vers Je pavé où s'est coagulé un sang noirâtre. Plus loin, des cadavres encore. Quelques Belges aussi dorment, sur le trottoir, de leur dernier sommeil. Des patrouilles circulent, fouillant les maisons, l'arme au poing, les yeux aux aguets. J'avance dans Dixmude: monceaux de décombres, murs calcinés, tronçons noircis, vitres brisées. Dans une maison, la façade s'est écroulée, laissant subsister tous les plafonds, comme un décor de vaudeville. Phénomène curieux, une maison intacte. La grande place est défoncée complètement, les entonnoirs s'y alignent dans une bordure de pavés. L'hôtel de ville érige le squelette de son clocheton et ses meneaux pleurent leurs vitraux. De la collégiale, la tour décapitée et les quatre murs seuls sont débout. En revenant, deux civières ramènent un viel officier allemand blessé mortellement et un autre, gaillard immense, large de carrure, aux lunettes énormes, cerclées de corne, que l'on porte avec peine. Rentré à la batterie, j'apprends que deux prisonniers ont été faits. Je visite le théâtre du dernier combat. Boueux, sanglants, une quinzaine de corps s'allongent dans un champ, quatre d'entre eux vivent encore. Le major qui les commandait gît sur le dos, la bouche ouverte, le crâne bleui, percé de part en part. Un lieutenant est tombé sur le côté, le bras déplié. Jeune, des traits fins, tenue très soignée, son linge est d'une finesse'extrême. Un marin s'approche, le retourne avec dextérité, plonge ses deux mains dans les poches: - « Ah! mince! on lui a déjà barboté les poches! » C'est tout l'oraison funèbre. Les autres sont couverts de plates, la baïonnette est une arme terrible. Un des blessés, par un trou de dimension, laisse s'écouler sa cervelle; malgré cela, il vit et agite d'un mouvement convulsif un doigt crispé devant son œil. Plus loin sont étendus les marins si lâchement assassinés. Leurs blessures sont épouvantables. Le menton et la lèvre inférieure de l'un d'eux sont complètement arrachés par un coup de feu. Après cette alerte, la matinée est presque tranquille. Dans l'après-midi seulement, l'artillerie reprend son tir énervant. 27 octobre. - Dixmude-Kapelhoek. Après leur insuccès d'hier, les Allemands semblent vouloir changer leur point d'attaque. Ils remontent vers le nord. Treize passerelles ont été jetées sur l'Yser vers Tervaete et une partie de leurs troupes a pris pied sur notre rive. Une division française, de renfort, a permis une vigoureuse contre-offensive sans regagner tout le terrain perdu. La lutte d'artillerie reprend plus acharnée que jamais. Les pièces lourdes tirent presque uniquement. Leurs projectiles déchirent l'atmosphère, l'explosion est terrible, projette en l'air des masses de terre énormes et la fragmentation des obus est telle qu'à 800 mètres des morceaux arrivent en tourbillonnant avec un bruit sinistre d'abeille. Nous ramassons un éclat de 45 centimètres, de long, sur 12 de large et 6 d'épaisseur. Des taubes nous survolent. Autour de Dixmude, le réseau des tranchées se complique; il se rétrécit peu à peu; l'encerclement commence. Nous restons à Dixmude jusqu'au 6 novembre, jour où des batteries françaises viennent nous relever, jour où nous n'avons plus qu'un seul canon sur douze, les onze autres ayant été mis hors de service. Nous voyons petit à petit l'étau se resserrer, la canonnade se fait plus violente, la fusillade plus intense, les assauts sont répétés. Quand la nécessité nous forcera à partir, nous aurons du moins vu l'inanité des attaques furieuses de l'adversaire et son recul devant l'eau montante et sournoise, devant l'inondation venue si à propos; nous aurons enfin, nous aurons surtout gardé intact le dernier lambeau de notre chère Belgique. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_23.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:01 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_26.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 158, 20 octobre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'La Charge de Tervaete' Recueillis par le Baron C. Buffin La Charge de Tervaete
Par le capitaine d'artillerie M... C...Accrochée à l'Yser, l'armée belge, haletante, lutte à corps perdu, disputant à l'ennemi le dernier lambeau de la Patrie. On lui a demandé de soutenir pendant quarante-huit heures ce combat gigantesque et par trop inégal; et voici cinq jours que la bataille dure: elle a décidé de mourir en ce point. Mais cette lutte opiniâtre a tellement énervé la force de l'héroïque armée qu'elle ressemble à un lutteur pressé, à bout de souffle, et que seules soutiennent encore l'extrême tension des nerfs et la puissance de l'idée fixe. A court de munitions et de réserves, ce n'est plus qu'un mince cordon d'hommes éreintés, fourbus, exténués; et il est à craindre que, sous la formidable poussée des Allemands, un point ne vienne à céder, entraînant la débâcle de cette ligne trop tendue. Or, à force de lancer sans relâche sur nos troupes harassées un flux sans cesse renouvelé de mitraille et d'assauts, les Allemands ont enfin réussi à percer à Tervaete. La brèche une fois ouverte, le flot a passé, en torrent déchaîné, sur la rive gauche du fleuve, refoulant en désordre nos bataillons désemparés. Avec d'affreux remous, tout cède sous l'effort de la masse. Une contre-attaque furieuse, muette, désespérée, s'est brisée et perdue dans ce gouffre de mort, écrasée sous l'étreinte, couchée comme une moisson par le fauchage mortel de deux cents mitrailleuses. Il y a, sur toute la ligne, un moment de terrible angoisse. Nos troupes, pliant sans céder, se sont arc-boutées des deux ailes sur l'Yser, aux extrémités de la grande courbe où les Allemands ont rompu la défense. Mais ce nouveau front semble un frêle rempart de terre, construit en hâte devant un flot puissant, et qui se désagrège sous la montée des eaux, à mesure qu'on l'élève. Plus d'unité organisée: chacun luttant pour soi, ce n'est plus qu'un amalgame d'hommes horribles, couverts de boue et de sang, le visage noirci parla fumée des explosions, n'ayant plus d'apparence humaine, qui se battent, avec des gestes las et des yeux hagards, parmi les éclairs blêmes d'une vision d'enfer. Que va-t-il advenir? Est-ce la fin de tout? Devant, l'attaque gronde, en vagues successives et toujours grossissantes, battant de toutes parts cette muraille croulante avec des chocs furieux; à ces assauts multiples, l'armée résistera-t-elle? A ce moment arrive l'ordre à ce spectre de troupe de prendre l'offensive, et, par une contre-attaque générale, de rejeter coûte que coûte l'ennemi au delà du fleuve. Les instructions portent ces simples mots: « Que votre charge soit une ruée sauvage. » Comme un courant, l'ordre se propage dans les rangs disloqués. Un frisson de gloire parcourt toute la ligne, redressant les fronts noirs, faisant blêmir les faces sous les masques sanglants et passer dans les yeux des éclairs d'au-delà. Alors, on voit une chose splendide, inouïe et grandiose. Tous ces débris flottants se reforment en bloc; dans le rang renaissant chacun prend une place, au hasard de l'endroit où il s'est trouvé;les blessés se relèvent, s'incrustant dans la masse pour augmenter son poids; des secteurs les plus proches, des troupes accourent et se fondent aux autres. Puis tout s'ébranle, d'abord péniblement, d'un formidable effort, dans l'ouragan de fer; puis, d'un sursaut farouche, un élan les jette dans les lignes prussiennes: fantassins, cavaliers, pionniers, artilleurs, soldats et officiers, valides et éclopés, tous se ruent pêle-mêle sur l'énorme adversaire, fonçant droit devant eux dans les brèches ouvertes au bout des baïonnettes. Par. endroits, dans le chaos informe des troupes entremêlées, une ligne plus nette marque les points que les troupes voisines sont venues renforcer: là sous l'impulsion d'une énergie plus fraîche, se dessinent des saillants qui poussent en avant en entraînant le reste. Et de toite cette mêlée, couvrant les fracas grondants de la bataille, un cri monte, vainqueur, poussé par une seule voix dans trois mille poitrines, croissant, s'enflant sans cesse de son propre délire, courant sur toute la plaine comme une rumeur d'orage: « Vive le Roi! Vive la Belgique!... » La première ligne ennemie est enfoncée d'un coup. Derrière elle, la seconde fléchit sous la poussée, puis, chaque vague refoulée refoulant la suivante, le désordre se met dans les troupes allemandes. C'est un carnage sans nom. Il n'est plus question de nombre ou de tactique: seule s'affirme maintenant, obscure et toute-puissante, dominant la matière, la force d'une volonté supérieure à la mort. L'Allemand, déconcerté, se sent pris de panique; d'un choc, irrésistible, nos soldats haletants, vrais fantômes de mort, écrasent sous leurs pas toutes les résistances. D'un élan, sans arrêt, ils poussent jusqu'à l'Yser les masses ennemies, les pressent contre la berge, les culbutent dans le fleuve, et, mourant de l'effort surhumain accompli, réoccupent la digue: le dernier lambeau de la Belgique est sauf. Une Reconnaissance
du carnet de campagne du P. Henusse, S. J. aumônier de la 84e batterie28 novembre 1914. - Ce matin, à peine avait-il commencé la lecture des ordres journaliers, que notre petit capitaine s'écriait: « C'est agaçant, à la fin. Cette passerelle tourne à la balançoire. On ne se moque pas ainsi de son public, voyons! » Et rejetant le papier sur la table, il sortit, nerveux. Je pris la feuille et je lus que, contrairement aux renseignements fournis par les reconnaissances aériennes des jours précédents, il existait bien une p asserelle sur l'Yser, entre la borne 15 et la borne 16, à hauteur des cuves à pétrole, en face de la « Nacelle ». C'était bien la dixième fois que cette passerelle était affirmée, après avoir été autant de fois niée alternativement et tantôt on nous demandait de détruire la dite passerelle à obus brisants et tantôt on nous priait de suspendre le tir, l'objectif étant illusoire. Ce petit jeu avait le don de mettre le capitaine hors de ses gonds. Ce matin-là, il me parut plus dégondé que jamais et quand il entra peu de temps après, je lui vis sa mine des grandes décisions, une petite mine fermée, concentrée, silencieuse, et je me dis: « Ou le capitaine va fulminer une « note » ou il va aller reconnaître la passerelle lui-même. » J'avais deviné juste. Il se chaussait, se guêtrait, se collait le browning en arrière de la hanche et, les jumelles au sternum, attrapant son képi, filait sans même dire son fameux: « Au revoir, mes enfants. » Il était 10 heures du matin, un vrai matin de novembre, gris, froid, humide, mais, à vrai dire, nous ne nous en apercevions pas. Toute la journée se passe à l'intérieur de cette infâme petite ferme que nous avons surnommée la ferme Tabou, parce qu'au milieu d'une plaine ravagée par les obus, seule elle est demeurée intacte. Deux ou trois marmites tombées dans la cour ont fait sauter toutes les vitres,maisc'est tout. Alors, on remplace les vitres par des planches et des paillassons et l'on vit dans la petite salle caverneuse, autour d'un poêle tout crevé, tout percé, où l'on ne brûle que du bois. Quant à mettre le nez dehors, merci! D'abord il y a la boue poldérienne, grasse, pro- fonde, tenace, vous mettant, au bout de dix pas, deux énormes gâteaux de vingt livres à chaque pied. Et puis il y a les cuves à pétrole, les deux énormes cuves, là-bas, au fond de l'Yser, dominant toute la région dénudée par l'automne, comme deux sentinelles de mort. Depuis lin mois, on les crible, le pétrole flambe. (Oh! la belle flambée, éclairant d'une gloire de feu la victoire de Dixmude!) Les cuves sont trouées comme des écumoires, l'une des deux s'est affaisée sur elle-même, mais l'autre reste debout, admirable poste d'observation pour l'artillerie ennemie, et nous ne nous soucions guère d'attirer sur la ferme Tabou les terribles marmites. A midi, le commandant n'était pas là. Nous attendîmes jusqu'à une heure avant de déjeuner et puis l'on décida de ne plus attendre davantage. L'inévitable soupe aux poix conservés et le sinistre bifteck de pneu me goûtèrent un peu moins encore que d'habitude. J'étais positivement inquiet de ce retard. Deux ou trois fois déjà, j'avais fait voir à la batterie si le commandant n'y était pas et l'on rapportait toujours la même réponse: « Nous ne l'avons pas vu depuis ce matin, ou il est venu remettre le commandement de la batterie au lieutenant. » Enfin, vers 3 heures, la porte s'ouvrit avec fracas, et il entra! L'air vanné, les yeux brillants de fièvre, tout constellé de boue, moitié radieux, moitié fourbu, drôle enfin, il se laissait tomber sur une chaise et s'écriant: «Eh bien! je l'avais toujours dit: il n'y a pas de passerelle! Seulement, mes enfants, encore un peu, il n'y avait plus de capitaine...! » - Quoi qu'est-ce! Dites! Racontez - nous l'entourions, le pressions. - D'abord, un bifteck, n'est-ce pas? Je crève de faim. Et du café, là! une soif!... Et se déchaussant, envoyant une bottine à gauche, l'autre à droite, ses guêtres au diable, il commençait son récit: - Donc, j'en viens! J'en avais assez, à la fin, de cette plaisanterie-là. Alors, nous avons filé avec le lieutenant De Zaeytydt et le le brigadier Marteau, en nous disant: II ne s'agit pas de tout ça, ici; on ira voir jusque-là s'il le faut, mais on en aura le cœur net! Jusqu'aux bords de l'Yser, vers la borne 16, ça va assez bien. Là, sont les dernières tranchées occupées par les territoriaux français, mais on n'y voit rien d'utile. En fouillant la vue, vers le nord, à hauteur des cuves, nous découvrons bien quelque chose qui ressemble à une passerelle sur l'Yser, mais ce n'est pas assez net et nous décidons d'avancer le long de la rivière. A ce moment, les obusiers français ouvrent le feu sur les cuves; tous les coups étaient trop longs de 80 à 100 mètres, puis tout à coup, c'est notre brave petite 84e qui a commencé de cracher. Vous ne sauriez croire le plaisir que ça fait de l'entendre ainsi tout près du but. Elle battait une maison en ruines et chaque coup était dedans. C'est le fameux cabaret où on nous disait qu'il y avait une batterie. Bonne blague! Pas plus de batterieque sur ma main. Mais,toutde même, on tirait bien... Nous quittons donc les territoriaux et nous voilà, moitié rampants, qui progressons le long et au pied du chemin de halage. A 100 mètres en avant, deux sentinelles françaises, qui nous souhaitent bonne chance, puis deux sentinelles belges du 2e chasseurs, dont on ne voit que la tête émergeant d'un trou, puis plus rien. A gauche, la nappe d'inondation, à droite l'Yser, et au-delà des ruines désertes apparemment. Nous allons toujours, quand nous nous butons à un gros arbre renversé et barrant le chemin de halage; nous quittons donc ce chemin et, pour contourner l'obstacle, nous passons d'abord derrière les ruines d'une petite maison, sise au bord de la route. Nous nous avançons ainsi vers l'inondation. Terrible! Des ruines crèvent de-ci de-là la surface du lac, ou encore des cadavres de chevaux, de vaches. Tout à coup, un cadavre d'homme, un pauvre petit chasseur belge. Il doit être là depuis la bataille de Dixmude, un petit blond, enfoncé dans la boue, son fusil sous le bras, la tête renversée en arrière, la barbe en pointe vers le ciel, un lorgnon aux yeux... Nous regagnons le chemin de halage et avançons encore un peu, vers la fameuse passerelle. La voilà à 100 mètres d'ici. Nous nous arrêtons et nous comprenons! Comprenez bien. Regardons la carte! Il y a donc l'Yser: sur la rive gauche, les deux cuves à pétrole, contre le chemin de halage où nous sommes, sur la rive droite, la Nacelle, indiqués sur la carte, mais à cet endroit, à 150 mètres, en amont des cuves, l'Yser fait un coude et par conséquent ce qui est au bord de l'eau sur la rive gauche se voit, d'où nous sommes en projection sur la rive droite. Or, il y a à gauche, partant des cuves et surplombant la rivière, deux grands tuyaux par où les péniches viennent embarquer le pétrole et ces deux tuyaux, vus en projection sur la rive droite, voilà la passerelle sur laquelle nous tirons comme des imbéciles. Plus loin, il y a une passerelle, là, en face du chemin de terre qui traverse sur la carte le dernier « e » de Oud-Stuyvekenskerke. Au moment où nous enre-gistrons cette observation, bzim! bzim! bzim! toute une collection de balles, qui viennent crever des mottes de terre autour de nous. A plat ventre d'abord, puis nous nous concertons. D'où viennent-elles? Pas moyen d'orienter ça! Mais indistinctivement, nous soupçonnons les cuves à pétrole et la terrible maison crénelée, à gauche des cuves, et la cuve bétonnée entre la maison et les cuves, où l'on voit la gueule noire des meurtrières, et nous décidons de traverser au galop le chemin de halage et de nous enfouir dans les tranchées abandonnées qui garnissent le talus dégringolant vers la rivière. Comme trois zèbres, nous filons. Bzim! Bzim! Bzim! et nous sommes dans nos trous, car ce ne sont pas des tranchées proprement dites, mais des trous pour tireurs individuels, séparés par des pleins. De Zaeydydt est dans un trou, Marteau dans un autre, moi dans un troisième, et nous sommes distants d'un mètre à un mètre cinquante. Un petit moment pour laisser calmer l'haleine et, de nouveau, conciliabule sans se voir. On décide alors la manœuvre suivante: comme il peut y avoir une vingtaine de trous chacun va bondir du sien, pivoter rapidement sur le ventre de manière à projeter les deux jambes dans le trou suivant et s'y glisser tout entier. Et en avant, au commandement: houp! Les Boches ont dû avoir un joli spectacle. Trois diables sortant de leur boîte, pirouettant sur l'abdomen et disparaissant dans la boîte suivante. Chaque fois du reste, c'était la salve: bzim! bzim! bzim! Lapins, mes frères, je connais maintenant vos états d'âme aux jours d'ouverture! A ce moment, je songe: « Et dire que je n'ai rien dit à l'aumônier, au brave petit père! » J'en ai un regret pénible, sans trop me rendre compte de ce que j'aurais pu lui dire. Nous arrivons ainsi aux derniers abris, le lieutenant me rejoint dans le mien et nous nous regardons: il rit comme un fou, moi je ne ris pas. J'appelle « Marteau!... Brigadier Marteau! » Pas de réponse. « Non d'un chien! Est-ce qu'il aurait été touché au dernier saut? Marteau!... » Une voix lointaine, souterraine répond: « Capitaine! » - « Tu es entier, mon garçon? » - « Oui, mon capitaine. » - « Bien joué! » Maintenant voici ce qu'on va faire. L'arbre en travers de la route est à cinquante mètres. Nous allons courrir jusque-là à toute vitesse, on le franchira, puis on se couchera derrière pour reprendre son souffle... Le lieutenant va partir. Aussitôt dit, De Zaeydydt file le premier. Les balles sifflent et claquent. Il arrive à l'arbre, s'empêtre dans les branches et roule par terre. Je le crois touché et je frémis. Il se relève, franchit l'arbre et disparaît. Je me dis: « Mon petit, tu es trop petit pour cette esalade. Dégringole plutôt de l'autre côté et contourne de nouveau l'arbre et la maison. - Marteau, je file, suis-moi.» Et je m'élance, Marteau me suit. Les balles pleuvent. Mais, zut! On n'était pas encore marqué pour cette fois-ci. - Bientôt nous étions aux tranchées françaises où les poilus nous accueillaient chaudement. « Ils n'avaient pas cru nous revoir jamais! » Savez-vous combien de temps avait duré le retour depuis la première balle jusqu'à la dernière? Une heure et vingt minutes... Ah! j'oublie encore de vous dire. Nous avons repéré sur la carte, au deuxième «e» de Kaesteelhoek, les lueurs d'une batterie boche. Elle aura son compte demain, celle-là! Le bifteck et le café s'amenaient; le petit capitaine se jeta dessus comme un loup qui aurait langui quinze jours dans la neige. Maintenant, il dort et j'écris ce joli souvenir de guerre, au coin du feu qui fume, car il pleut... il pleut... 6 décembre 1914. - Grande joie à la batterie. Le capitaine est décoré de l'ordre de Léopold « pour sa belle reconnaissance du 28 novembre 1914 sur l'Yser». l'Ironie du Destin
Par M. Sadsawska, garde civique, motocyliste au 1e de ligneNous occupons te secteur de Dixmude; nos tranchées sont creusées dans la grande route qui longe l'Yser et le régiment se terre au centre d'une vaste boucle en fer à cheval, tracée au gré de la rivière parmi les herbes des prairies. Le paysage est d'une morne tristesse. Au-delà d'une rangée d'arbres séculaires, ou plutôt de pauvres troncs pleurant leurs membres meurtris qui semblent monter la garde autour de nos abris, se profilent les ruines d'un pont de chemin de fer à demi immergé dans le cours d'eau, puis, sur le talus, entouré de poteaux télégraphiques brisés, tordus, de guirlandes de fils et de câbles enchevêtrés, gît une puissante locomotive renversée, les roues en l'air. La mélancolie du site ne trouble nullement notre âme; nous sommes pleins d'espoir, prêts à marcher vers l'assemblage de toits effondrés, de maisons éventrées, de murs branlants aux formes étranges qui forment Dixmude, l'ancienne cité flamande. Dans la brume des crépuscules, il nous semble quelaville tend vers nous ses bras mutilés et que le murmure du vent dans les ruines nous hèle: « Bon courage, venez. » Hélas! les quelques cents mètres de verdure que nos pensées, nos désirs franchissent allègrement, cachent en leurs replis les retranchements de l'ennemi, ses redoutes. Chaque nuit, les plus braves d'entre nous partent en patrouille et tâchent de reconnaître le moindre réseau de fis de fer barbelés, les embûches, les pièges toujours possibles. Ainsi se distinguait par son audace et son sans-froid le sergeant Renson, esprit aventureux, dont l'âge mûr n'excluait point les qualités d'un bon soldat, et qui dès les premiers jours de la guerre s'enrôla volontairement sous les drapeaux. Désireux de vérifier les renseignements apportés par une expédition précédente, renseignements qui par ces nuits d'encre auraient pu être l'effet d'une hallucination, il exprima le désir, la ferme volonté d'entreprendre seul, en plein jour, une reconnaissance vers les lignes ennemies. « Peu importe la mort, dit-il à ses chefs, j'ai toujours vécu à ma guise, aujourd'hui je me sens dispos, particulièrement décidé; je veux un résultat. Ne suis-je, ma foi, point libre de risquer ma peau et sont-ce mes quarante-deux ans qui susciteront des regrets? » Son insistance lui donna gain de cause. Par un terrier long et étroit, il accède maintenant à la berge de l'Yser où quelques planches forment un radeau, transport fort précieux la nuit, mais inutilisable le jour, car l'ennemi veille. Renson ne sait point nager; qu'importe pourcebrave, il traverse le courant accroché à un câble. Pour ses membres aguerris, c'est un vrai jeu d'enfant; déjà il aborde, se glisse dans un grand sac couvert de gazon et de fleurs et sous ce manteau de verdure, il rampe avec souplesse. En nos tranchées, l'émotion est intense, des yeux chacun le suit, point de créneau qui ne soit occupé; sous le soleil qui darde, des herbes mouvantes circulent à travers la prairie, avancent, reculent, tournent, s'arrêtent, paraissent ou disparaissent selon les ondulations du sol; de plus en plus, notre héros gagne du terrain: narquoisement il observe, semblant narguer la mort. Rien ne l'effraie, rien ne l'impressionne; tout à son aise, il se promène devant la ligne ennemie. Nos cœurs battent à tout rompre; chaque fois que siffle une balle, nous nous sentons angoissés; leâ minutes semblent éternelles. Enfin Renson fait volte-face, lentement, méthodiquement, il revient; quelques mètres encore, il sera sauf; le voici à la crête de la berge, il se laisse choir, repasse l'eau, se glisse dans le terrier et foule à nouveau nos tranchées, content, heureux, muni de pré- cieux renseignements. Et maintenant cet homme qui s'est joué de la mort, nous distribue en riant quelques fleurs des tranchées allemandes, Puis il regagne son abri, prépare un rapport, trace en détail l'itinéraire audacieux; voilà que le commandant l'interroge, il précise un endroit et pour mieux s'expliquer, ils s'approchent tous deux du créneau d'un boyau de combat; du doigt le sergent désigne dans le pré le point d'où l'ennemi surveille; quelques secondes encore, il se retire... Malédiction! Un sifflement cruel! Renson n'est plus: le crâne percé, il s'affale et le mur de terre se teint de son sang généreux. A Alveringhem, dans un paisible cimetière de campagne, sous une tombe fleurie surmontée d'une grande croix, gît l'adjudant Renson, chevalier de l'ordre de Léopold II, mort pour la Patrie. Une Patrouille
Par le capitaine commandant M... C...Tout rit, ce matin, aux avant-postes: le grand soleil radieux qui sature l'azur fait miroiter gaiement la nappe d'eau qui court, avec de petites vagues pailletées d'argent, jusqu'aux lignes ennemies. Les restes des toits rouges et des beaux pignons blancs ont pris un air de fête et se mirent, jolis, dans le lac qui les baigne, étonnés de se voir entourés de ces prairies mouvantes au lieu des prairies vertes où ils dormaient jadis. L'horizon a des teintes de pervenche et de lilas et des nuances rêveuses qui paraissent sourire au bleu profond du ciel. Pourtant le fond des choses est moins réjouissant que ce cadre charmant: les grands arbres violets qui sont beaux, là-bas, cachent des batteries qui tantôt vont vomir la mort autour de nous. Les joyeux pignons blancs ont de petits créneaux où sont pointés, méehants, fusils et mitrailleuses. Et sous les vagues d'or du grand lac verdâtre se cachent les cadavres et les moissons détruites qui pourissent dans l'eau. Malheur à qui voudrait s'aventurer dans les prés inondés! Il serait pris dans la vase, profonde et collante, dans les fils de fer à pointes, dans les canaux sans nombre qui sillonnent la contrée et se cachent traîtreusement sous les touffes de roseaux. Bientôt balles et shrapnells siffleraient à ses oreilles comme un avertissement avant-couceur de la mort. Au bord de l'inondation, deux soldats discutent, en examinant la grosse ferme qui émerge à six cents mètres au nord du poste. - J'te dis qu'y a plus personne dedans: y a plus rien dans les créneaux. - On n'sait jamais, avec ces bougres! - Yaqu'à aller voir. - Le sergent dit que le major il voudrait bien savoir ce qu'y a dans la ferme... - Eh bien donc! On y va? - Allons. Ils viennent trouver le lieutenant. - Mon lieutenant, c'est-y qu'on peut aller faire une patrouille à la ferme N..., rapport, à voir s'y a des Boches dedans? - Une patrouille? En bateau, alors? - Ça, on tirera son plan, mon lieutenant. Le lieutenant réfléchit, car lui aussi, la ferme l'intrigue, mais il est soucieux de la vie de ses hommes: - C'est trop dangereux, fait-il; et il s'éloigne. Mes deux hommes se regardent: - Il a pas dit non. - Non, il a dit: c'est dangereux. Ça, on le sait bien. - On va voir, hein? - On y va. Hs avisent une grande cuve qui traîne dans une cour, la vident, la mettent à l'eau, et, munis chacun de leur fusil et d'une perche, embarquent. Le premier enjambe le bord et assure son équilibre. Pouf le second, c'est plus délicat: la cuve oscille dans tous les sens d'une façon inquiétante.,. Enfin, ça y est. Ou démarre; une perche pousse sur la berge, l'autre garde le fond; la cuve se met en marche, lour- dement, gauchement, s'incline brusquement sur sa droite, se renverse sur sa gauche, et... fait une pirouette autour d'un invisible axe de rotation. Voilà ma patrouille à l'eau, et cette sacrée cuve, toute fière de son exploit, qui danse sur les vagues avec un petit air satisfait. Mes deux lapins se débattent, le fusil au-dessus de l'eau, atterrissent et se regardent en riant. Décidément, pas moyen de se mettre à deux là dedans: faudra trouver autre chose. On découvre un pétrin: c'est l'affaire. Le pétrin est lancé à côté da la cuve, chacun prend place, avec des gestes d'équilibriste, dans son embarcation, et voilà l'escadre en marche. Les deux navires ont des mouvements effrayants: la cuve, non contente de pencher, avec des soubresauts de chèvre, vers tous les points cardinaux, prend un malin plaisir à tourner sur elle-même, avec une telle vitesse qu'elle ne semble plus devoir s'arrêter. Le malheureux marin pique au hasard sa gaule dans la vase: l'esquif revêche se calme, fait mine de stopper, réfléchit un instant, puis repart dans l'autre sens, plus vite encore qu'avant, en un horrible mouvement giratoire. La perche s'enfonce plus loin: la cuve s'arrête net, plonge dans un remous et disparaît dans l'eau!... Un cri part de chez nous. Ah! la voilà qui remonte: ce n'était qu'une feinte! Et elle se remet en route, tournoyant de plus belle, toujours plus rétive et plus incohérente. Quant au pétrin, c'est encore plus affreux; j'ai le vertige rien qu'à le regarder: la perche du pilote sert à la fois de gaule, de rame et de balancier. Comme elle est absolument incapable de cumuler tant de fonctions, le pétrin a beau jeu; aussi il s'en donne à cœur joie. Il se débat avec de tels ressauts de tangage que chaque fois il paraît se retourner sur lui-même et plonger sous les vagues; et le mouvement s'accélère, toujours plus capricieux et plus désordonné, si bien que la malheureuse perche frappe l'eau en tous sens, éclabousse et barbote, fiévreuse, éperdue, si vite qu'on dirait l'aiguille folle d'une boussole déréglée. Son pauvre capitaine - qui est bien dans le pétrin! - chavire à tout bout de champ et ne s'arrête de brandir sa vertigineuse perche que pour vider l'eau de sa périssoire à l'aide d'une casserole. Pourtant, tous deux avancent, la cuve toujours tournant, le pétrin toujours tanguant, tous deux dansant une valse échevelée. La cuve, grâce à quelques vigou reux coups de gaule, a pris d'abord l'avance; le pétrin ne suit qu'avec peine; mais bientôt son pilote a trouvé le mouvement: à coups de rame énergiques, il regagne du terrain, rejoint son concurrent, qui paraît en détresse, et le dépasse, léger. Ils sont loin maintenant; nous suivons leurs mouvements en retenant nos souffles; à tout instant l'un des deux disparaît, semblant couler à pic. Enfin le pétrin, qui décidément est le plus fort, approche de la « côte ». Encore quelques coups de rame... c'est cela, il atterrit au bord de l'îlot vert. Quant à la cuve, elle bondit, et oscille et pirouette à faire frémir un démon. La voici qui échou sur une langue de boue: l'homme met pied... à l'eau, s'empêtre et se dépêtre, renfloue son appareil, mais c'est un drame que de se rembarquer là dedans en pleine mer! Il repart cependant, et sa traversée s'achève enfin sans.encombre. Nous respirons. Les deux patrouilleurs examinent le terrain, se consultent un instant, puis s'avancent vers la ferme mystérieuse: aucun indice de vie; mais nous tremblons pour eux, car on connaît la manière des Boches. En effet, ils sont arrivés à moins de cent mètres des bâtiments muets,quand les balles les accueillent, parties detrous invisibles. La ferme est occupée. Bon! le but de la patrouille est atteint, et nous nous attendons à vqir nos hommes revenir en rampant. Mais non: ils rampent, en effet, mais vers la tranchée allemande qui court à droite de la ferme, le long de la bande de terre. Ils ne prétendent pas avoir fait pour rien un si long voyage, et vont vérifier maintenant si la tranchée aussi est occupée. Ils approchent lentement, prudemment, levant parfois la tête pour voir si rien ne bouge; ils atteignent le parapet, s'y arrêtent un instant, l'enjambent et disparaissent dans le boyau. A côté de moi un homme murmure: - Faut être enragé!... Ping! Pang! Pétarade dans la tranchée! Cette fois les audacieux sont certainement touchés ou prisonniers... Mais non: comme deux diablotins, les voici qui surgissent, sautent pas-dessus le remblai et se mettent, à quatre pattes et ventre à terre, à courir avec une telle vélocité qu'on dirait deux lézards qui rampent dans les herbes. Seuls les fusils dépassent, avec de petits mouvements rapides de balanciers. Quant aux hommes, ils sont si bien aplatis et collés dans la vase qu'ils ont bientôt l'aspect de deux blocs de boue remuée par une main invisible. Parfois, après une salve, l'un d'eux reste étendu, inerte. Est-il touché?... Non, il fait le mort, car, au bout d'une minute, le voilà qui repart et se démène de plus belle. Après un bon quart d'heure de cette chasse émouvante, ils parviennent à l'eau. Ils attendent cinq minutes, puis, se relevant d'un bond, chacun empoigne son récipient, s'y installe dare dare, et les voilà en route, de nouveau valsant, tournant et chavirant sous une pluie de balles: vingt fois ils trompent la mort; enfin, suants, trempés, couverts de limon et de mousse, plus beaux que Neptune, ils accostent en riant, et vont rendre compte au lieutenant du résultat de l'expédition: - La ferme est occupée, et la tranchée aussi. - Je le vois bien morbleu! L'officier, partagé entre la colère et l'admiration, ne sait trop s'il doit réprimander ou louer. Il fait un peu les deux: et nos casse-cou, un peu honteux de l' « engueulade », mais contents de leur coup, vont laver leurs vêtements et se sécher au soleil qui sourit. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_26.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:02 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_27.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 161, 15 novembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'La Marche à la Mort' Recueillis par le Baron C. Buffin La Marche à la Mort
par le docteur Duwez médecin au régiment des grenadiersLa situation ne s'améliore guère. Les Allemands tiennent les tranchées depuis Het Sas jusqu'à Steenstraete. Leurs attaques se font plus pressantes. Ce soir, les zouaves vont attaquer Lizerne. A ce moment, toutes nos batteries font rage. Il est 18 heures. Les 75 hurlent en rafales. Nos sept-cinq au au bruit d'enclume précipitent leurs coups dans l'air vibrant, par salves, avec un sifflement déchirant. Voici Pypegale aux maisons ruinées. Des estafettes anglaises dissimulées nous regardent passer. A gauche s'étend la plaine verte qui conduit aux grands arbres du Kemmelbeeck. Ils se dressent en futaies, les branches encore dénudées. Plus loin ce sont les haies, les jardinets et dans l'angle où la vallée est coupée par la route, au milieu des taillis verts, des poiriers couverts de fleurs, on voit les toits rouges du petit village de Zuydschoote et son église toute blanche, calcinée. Sur ces couverts, les gros obus allemands tombent sans discontinuer. Ils soulèvent de grosses volutes noires en boule, ou bien éclatant dans les maisons, ils lancent dans l'air en poussière rosé les tuiles pulvérisées. On entend les faîtages qui craquent, les murs qui s'écroulent, les pannes qui dégringolent. Au-dessus du chemin de colonne naissent les nuages blancs des petits shrapnells. Ils se profilent sur le ciel bleu. Le vent doucement les étire, les déforme et les porte vers nous. Plus loin l'horizon, petit à petit, se voile dans un brouillard fait de fumée, de plâtras et de poussière. Voici, sur la gauche, la ferme où s'amorce le che-tnin. Nous traversons la grange dévastée. Les balles commencent à siffler et claquent contre les murailles. Les fenêtres sont sans carreaux, les chambres remplies de débris et de paille pourrie. Un grenadier se traîne vers nous, les traits tirés, le front couvert de sueur froide. Sa culotte est collée à sa jambe par le sang, et sitôt qu'elle est coupée, la plaie apparaît large, avec un fondplus sombre formé par les muscles, et un long filet rouge qui coule. Puis arrive un zouave, petit, râblé, qui vient gaillardement en soutenant son bras. Il nous le montre et dit avec un accent marseillais: « Je crois que cette fois ils me l'ont cassé, les cochons! Ils m'ont eu tout de même. » II parle avec volubilité, fait des gestes viojents. Quand le pansement est fini, tout à coup, il se tait, pâlit et s'appuie contre la muraille. Nous, nous regardons devant nous, pour voir par où nous traverserons le barrage de feu. Chacun donne son avis. Les zouaves là-bas, à la file, le long des haies, se dirigent vers Zuydschoote. On voit la tache jaune que fait leur veston, le voile bleu qui couvre leur chéchia. Le fusil à la main, ils avancent prudemment, en se dissimulant, comme des Indiens, sur le sentier de la guerre. Au fur et à mesure que nous approchons du Kemmelbeek, les balles de plus en plus sifflent, claquent, piaulent. Voici les passerelles, la niche de la sentinelle, couverte de gazon, les grands arbres dénudés, les bras en l'air. Le long du taillis, dans les fossés, des grenadiers en capote sombre, écussons rouges au collet, sont couchés parmi les zouaves au costume clair. A notre droite, la ferme en ruines, dont il ne reste que des pans de murs, au ras du sol, cache ses briques dans les herbes. Ici la zone est tellement battue qu'il vaut mieux courir. Nous traversons la route pour arriver à la petite maison du garde. Elle abrite toute une grappe de soldats, affalés dans le jardin, à l'abri des murailles et parmi les plantes vertes et les touffes de jonquille; leurs uniformes se marquent en teintes vives, plus vives maintenant que le soleil descend à l'horizon. La petite maison est intacte et c'est miracle. Les hommes jacassent comme des pies. Ils racontent déjà des exploits dans le fracas de la bataille. Ceux qui sont contre les murs sont accroupis, pressés les uns contre les autres, le reste est à plat ventre. A l'intérieur, des blessés se sont réfugiés. Il y a là deux petites chambres bondées de monde. Les blessés sont étendus sur la paille. L'un d'eux, un grenadier, râle le long du mur, avec une balle dans la tête. Un zouave accroupi dans un coin serre-sou bras contre sa poitrine; il ne dit rien, le regard fixé devant lui. D'autres s'agitent et se plaignent. Le sol est jonché de pansements ensanglantés, deïambeaux d'uniformes souillés, de sacs, de fusils, de baïonnettes. Une main que l'on me tend a les doigts presque arrachés. Un petit caporal gouaille, laid, les cheveux noirs, la moustache en brosse, les yeux vifs; il montre une fesse dont la moitié a été emportée, disant: « Ah! là là, qu'est-ce que je vais faire maintenant, c'est que je ne peux plus m'asseoir. » Dans la salle à côté, il y a des blessés aussi, entassés. L'aumônier, dans un coin, donne l'absolution. Deux officiers attablés soupent en isant des ordres, tandis que de dessous leur table sortent les godillots ferrés d'un mourant. - Docteur, docteur, est-ce qu'on va me laisser ici? » De partout s'élèvent des plaintes. Tout le monde parle à la fois, en sabir, en argot, en flamand. - « Mon pansement perce, Monsieur le major, je perds tout mon sang. » II y a là un pauvre diable qui a la jambe presque emportée, un. autre plié en deux appuie son front contre la muraille. Un autre encore, qui a la tête entourée de bandeaux ensanglantés, raconte: « J'avançais le premier de la section, tout à coup je reçois un choc... » II fait de petits gestes précis avec sa main sèche. En voici toujours. Le soir tombe. Le rouge des blessures devient noir dans l'obscurité. Les regards semblent plus profonds. On allume une bougie et les ombres maintenant s'allongent, énormes sur les murailles. Un blessé, dans un coin, a cessé de souffrir. Ses yeux grands ouverts regarder fixement dans la salle. Par les fenêtres, on voit la lumière verte des shrapnells et la flamme rouge des brisants éclairer la nuit en brusques éclairs. Des tuiles dégringolent, des mottes de terre viennent s'écraser sur le toit. Une lourdeur étrange pèse sur les têtes. Est-ce la fatigue? Une torpeur? Non, c'est autre chose d'indéfinissable. Au dehors la grappe humaine est toujours là. A droite, on entend le tac tac régulier d'une mitrailleuse. Un zouave, tendant le poing, s'écrie: «Ah! les vaches! Mais on les aura tantôt, à la baïonnette. » Des obus passent en sifflant au-dessus de la maison. Ils vont éclater dans les taillis avec un bruit de huée. Puis c'est le sifflement plus lourd, saccadé des gros quinze. Ram... ram... ram... Ils éclatent. Ils viennent par trois à espaces réguliers. D'une minute à l'autre peut-être surgira la grande lueur, le déchirement final qui enverra dans la mort tout notre îlot humain. Nos tranchées de piemière ligne sont là-bas. Voilà le moulin de Lizerne. Le village à droite. Le sol est noir, une vague clarté lunaire éclaire la plaine, où l'on voit l'amas de briques qui rappelle le moulin. En octobre, nous l'avons vu dans sa gloire, les bras en croix. Au travers du nuage de poussière qui traîne sur le champ de bataille, éclairé par les clartés déchirantes des shrapnells, dans la lueur blafarde qui plane, il prend l'aspect d'un paysage de rêve. Voilà le point qu'il faut atteindre. Les yeux se fixent sur lui, hypnotisés. Là, c'est la crête désolée, le terrain maudit, où les entonnoirs se creusent à côté des entonnoirs. Les balles sifflent, les mottes de terre tombent avec un bruit sourd. Des éclats s'enfoncent en ronflant. En avant. Il faut passer. Au fur et à mesure que l'on progresse, la silhouette du but grandit. Il est là, on trébuche,on tombe, on se relève. Voilà la maison ruinée, la butte qui portait le moulin maintenant écroulé, un abri y est creusé. Je pousse la porte, une bouffée d'air chaud me prend à la gorge, la lumière m'éblouit ,et dans l'atmosphère lourde c'est à peine si l'on reconnaît les visages. Ils sont bien à vingt là dedans, des blessés qui attendent, des officiers à leur poste de combat. Mais nous, nous allons plus loin. Nous prenons à peine le temps de dire quelques mots: «Adieu, bonne chance. » On se serre la main. Combien de tous ceux-là ne reviendront plus! C'est la dernière étape. Il y a un boyau maintenant. Nous nous glissons le long de la maison, ombres noires dans la nuit. Le boyau est bouleversé, obstrué, démoli. Il faut grimper sur les tas de sable, enjamber, sauter, se laisser retomber dans les trous. C'est un dédale de pans de murs, de terre remuée, au-dessus duquel les grands arbres ébronchés dressent leur squelette noir. Les obus arrivent systématiquement de quart de minute en quart de minute. Entre chaque éclatement on court, on se presse. Le cœur bat. Les balles claquent. Mais on ne pense pas à la mort. Il faut arriver, avancer, c'est une course à l'abîme. Et cette odeur qui monte aux narines en même temps que l'odeur de la poudre devient plus forte et se précise. Mais voici l'Yperlée, la passerelle, un bond et nous sommes dans le chemin couvert. L'arbre qui se trouvait en cet endroit a éclaté. Ses branches noires se sont enchevêtrées en s'effondrant et l'on voit le blanc de son aubier aux arêtes énormes. A nos pieds, quatre zouaves. L'un d'eux accroupi, le fusil entre les jambes, la tête sur la poitrine, les autres couchés. Ils semblent dormir. Et cette odeur devient entêtante. Agréable d'abord, jasminée, elle arrive à être écœurante. C'est elle qui nous poursuit depuis longtemps déjà. Par places, elle est plus violente. Le cercle serre davantage les tempes. Les yeux brûlent et les larmes coulent sur les joues. Il y a dans l'air comme des gouttelettes qui se déposent. Voici la tranchée, la lune rend les ombres énormes. La lueur brusque des shrapnells déchire la nuit au-dessus de nos têtes. Les obus hurlent. Ils passent lourds, comme s'ils avançaient péniblement. Soudain des 75 précipitent leurs coups, ils s'arrêtent, puis reprennent rageurs. L'horizon s'éclaire de brusques lumières. Dans le lointain, on entend le « boum » étouffé des grosses pièces, le son de cloche des 380 qui se prolonge et se prolonge. La canonnade se ralentit, on croit qu'elle va cesser, mais après un moment de silence, une pièce recommence, puis une autre, puis toutes ensemble. Nos grenadiers sont là, couchés sur les parapets, accroupis dans la tranchée, grandes ombres noires sur les sacs plus gris. Ils tirent Les balles claquent sur les sacs, sur la terre, dans les arbres. Des ombres se glissent, des hommes courbés en deux, le fusil à la main. Sur la droite, une large clarté rouge gagne tout le ciel. Ypres brûle. Les ruines d'Ypres sont en flammes. Les balles chantent, piaulent. D'autres s'enfoncent dans la nuit bleutéeavecunbruit répercuté. Elles vont loin, et brusquement finissent dans le sol. Il en vient d'en face, de devant, de derrière. Une fusée descend du ciel, étoile verte éclairant la tranchée d'une clarté irréelle comme un sourire diabolique. Les sifflements reprennent. Des shrapnells éclatent avec leur lumière glauque, encore, toujours. L'heure est merveilleuse et terrible. La Flandre saigne par toutes ses veines. Mais qu'importe, les Allemands ne passent pas. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_27.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:02 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_29.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 161, 15 novembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Une Garde à l'Yser' Recueillis par le Baron C. Buffin Une Garde à l'Yser Le Boyau de la Mort - 2 Juin 1915 par le caporal J. Libois du 12e régiment de ligne
Cette journée a été plus terrible que les combats de Dixmude. Je certifie que le caporal Libôis a fait un récit exact de la situation critique du boyau de la mort de la borne 16 de l'Yser.
Le sous-lieutenant Vuechs, du 12e de ligne
Extrait d'une lettre du 12-9-15L'offensive française d'Arras amena sur notre front une activité inaccoutumée. Notre régiment, revenu à l'ingrat secteur d'Oostkerke, connut pendant cette semaine des journées particulièrement pénibles, et des bataillons furent sérieusement éprouvés. Ce soir, notre compagnie fait la relève. Des sections désignées sont commandées pour les avant-postes. « Demain, nous dit le lieutenant Vuechs, nous occuperons une position sur la digue de l'Yser. Nos différents postes sont échelonnés le long d'un boyau creusé parlegénie, mais dans ce boyau, par suite des récentes attaques, se trouvent encore une trentaine de cadavres. Au fur et à mesure que nous rencontrerons les morts, nons les ramasserons et les placerons sur le parapet. Des brancardiers les évacueront ensuite. Encore un mot: le boyau pénètre dans les lignes allemandes qui sont de l'autre côté de l'Yser et se trouve donc sous le feu ennemi; il faudra se baisser, ramper même, quand le boyau manquera de profondeur. Beaucoup de prudence pendant le trajet. Voilà! Pour le reste, je compte sur vous. » Le lieutenant commandera la tête de sape, la tranchée numéro 1. C'est le poste le plus avancé: à trente mètres des Boches. J'en serai, ainsi que le sergent Deltenreetune dizaine d'hommes. Qu'adviendra-t-il? Du nouveau, sans doute, et l'on s'en réjouit. Tont doucement tombe le crépuscule d'été. Les soldats sont alignés, les lourds havresacs au dos, les besaces remplies de provisions pour deux jours. — « A droite, par quatre! Marche! » Et d'un pas tranquille, la compagnie défile en longue colonne à travers les prairies et les champs de féveroles suavement parfumées. Et l'on va fredonnant et chantant. A mi-chemin, halte et repos habituel. Les soldats couchés dans les champs, à la nuit tombante, forment un tableau qui ne manque pas de pittoresque. Les nuages empourprés de ce beau coucher de soleil des Flandres prennent peu à peu une nuance rosée. Devant nous, vers l'est, le clocher horriblement décapité de l'église d'Oostkerke se profile avec une étonnante netteté dans le grand disque rouge de la lune qui se lève. Et, dans le fond, jaillissent déjà de terre de mys- térieuses étoiles. Ce sont les brillantes et éphémères fusées ennemies. Le calme est absolu. Parfois un grillon répond à un grillon; un vent frais nous caresse et de-ci, de-là, dans les groupes, de mélancoliques refrains bercent l'âme et font rêver. Nos officiers semblent goûter cette poésie et prolongent le repos au delà du temps fixé. « Riez, chantez, songent-ils, soyez bien gais et bien joyeux; peut-être rapportera-t-on tantôt les restes, glorieux lambeaux, de quelque camarade qui est là, chantant. » Dans les plaines de l'Yser, il doit y avoir encore des places marquées pour beaucoup d'entre nous. Dieu sait si chacun tient à la vie et pourtant toute tristesse est bannie et, grâce à une force de caractère insoupçonnée, nulle part ne règne autant d'entrain et de franche gaîté que parmi les fantassins. — « Allons sac au dos. » Nous voilà repartis. Ce calme que nous quittons n'a été qu'une trêve. Le voici déchiré par les salves fracassantes des nôtres. On bombarde les lignes ennemies et c'est pour nous une joie profonde de voir là-bas, à droite, les lueurs pro- duites, parl'éclatementde nos obus.Nous entrons dans la zonedangereuse; l'obscurité est intense.On avance par pelotons, à la file indienne. Sur le fond éclairé presque constamment par les fusées lumineuses boches, se détachent des silhouettes qui se courbent, se baissent, se relèvent. Une vraie féerie! Nous atteignons nos tranchées. La relève se fait vite, sans stationnement. L'ennemi bombarde; mais son tir manque de précision. On aménage et on ré-fectionne les abris. Je fais une reconnaissance vers le boyau; j'en trouve l'entrée obstruée par l'évacuation des cadavres. Pénible besogne! Les brancardiers, rampant sur le dos, traînent par des cordes ces corps déjà en décomposition et qui n'arrivent au jour que déshabillés et écorchés. Des shrapnells éclatent tout près et nous collent contre le parapet. Et la nuit se passe sans autre incident qu'une visite du général de division. Au matin la veillée est terminée; les vigies placées, on nous accorde la permission de dormir. Toute la journée, nous restons emmurés dans nos tranchées de sac: des postes de Dixmude qui nous dominent, l'ennemi nous surveille et, au moindre signe de vie, il nous prouve sa vigilance. Par distraction, de temps à autre, il bombarde nos avant- postes. Le soir amène l'heure de la relève. On se ravitaille en café, cardans le boyau il « fait particulièrement soif »; on se charge de cartouches, de sacs de terre et de lourds boucliers, et, les havresacs laissés à la grand'garde.vers 23 heures commence la marche à travers le boyau de l'Yser, marche qui semble durer un siècle et que l'imagination de Dante n'a pas surpassée en horreur dans ses visions de l'enfer. Le boyau est étroit et longe le parapet de l'Yser. Son accès est difficile, pénible, et l'entrée se gagne dans de telles conditions qu'il est absolument inutile de songer à enlever à cette heure les morts qui l'obstruent. Pour y pénétrer,on doit imiter le serpent, le crapaud, la taupe. Les postes relevés, lors de notre croisement, se couchent à plat ven- tre dans le fond, tandis que nous rampons au-dessus d'eux. Personne ne dit mot. Des shrapnells éclatent, des balles sifflent continuellement et viennent s'aplatir sur le parapet. J'en vois qui labourent la terre à vingt centimètres à peine au-dessus de la tète de mes camarades et je crains que par ricochet elles ne bléssent l'un ou l'autre. Dans le boyau, on se sent serré comme dans un étau. Hâtivement, il faut tantôt avancer plies, les reins cassés, tantôt ramper, le ventre à terre, s'aidant des coudes et des genoux, laissant à l'abandon les boucliers qui encombrent et qui, en frottant les parois, résonnent bruyamment. Et devant les créneau, repérés par les tireurs d'élite postés de l'autre côté de l'Yser, il faut exécuter des bonds. Une sueur abondante ruisselle sur les visages. Dans l'ombre, tout à coup une masse sombre immobile, collée dans le fond du boyau. » Un génie peut-être? Dites, dites donc!... Et bien! approche donc! Allons! ré- ponds donc! » Le lieutenant secoue un bras qui retombe inerte. « En avant, au-dessus du cadavre. » Et frissonnant, haletant, on avance, les pieds foulent le mort, glissent sur la tête, enfoncent dans le ventre. Nous voici à la « maison démolie ». Le parapet ouvert par un obus peut trahir notre passage; il s'agit de ramper et de sauter en même temps... Horreur!... Je retombe la main sur le visage glacé d'un mort! L'artillerie allemande entre en jeu; la satanée batterie de Schoorbakke, qui prend toute la digue d'enfilade, nous bombarde. Ses obus arrivent en sifflant, éclatent dans un vacarme épouvantable, bouleversent la digue et nous arrosent de débris de mille espèces. Une seconde d'arrêt! A la lueur vive des fusées qui nous dominent, surgit un spectacle sinistre: les vivants grouillent au fond du boyau parmi des loques humaines en décomposition, des débris macabres, d'effrayantes épaves. Effroi, répulsion, dégoût, on doit cependant tout sur- monter. Il faut être surhumain: la sueur coule de nos visages sur les cadavres en putréfaction, pendant que nous rampons sur leur dos. Et au-dessus de nos têtes, les balles ne cessent de pleuvoir, les obus de siffler et les fusées de nous éclairer. Haletants, à bout de souffle, la langue pendante, les reins tellement douloureux que certains esquissent pour se relever un mouvement vite interrompu par le sifflement des balles, on avance. Un moment, nous perdons la file et craignons de dépasser le poste. Mon irère se met à la tête du groupe coupé et je ferme la marche. Heureusement nous rejoignons les camarades. A cet instant, nous atteignons une série de cadavres plus corrompus que les autres et que nous franchissons, notre figure frôiait la leur, nos genoux labourant leurs jambes, leur ventre. Et de cet amas se dégage une odeur fétide, infecte. Souvenir infernal! De nouveau nous nous heurtons à des corps humains. Cette fois, ce sont des vivants sur lesquels nous rampons. Enfin, nous voici à notre poste. Quel soulagement! La relève est faite. Personne n'est atteint. La consigne est siuiple; guetter et se défendre en cas d'attaque. Nous n'avons, pensons-nous, rien à craindre de l'artillerie, grâce à la proximité du premier poste allemand; il reste à nous garer des bombes et des grenades. Le service organisé, nous nous creusons de légers terriers qui éventuellement nous servirons d'abris. Le lieutenant me passe une bouteille et me charge de désinfecter un cadavre enterré dans la tranchée et dont, pafaît-il, une épaule est à découvert. Afin d'empêcher toute approche des Boches, nous tirons toute la nuit, sans nous découvrir, par-dessus le parapet. Vers 4 heures et demie, à l'aube naissante, je\ pars à la recherche du mort à désinfecter et, à quelques mètres, dans le commencement d'un second boyau, je trouve une masse informe couverte de linges. Est-ce le cadavre? Après hésitation, j'enlève l'espèce de chemise qui couvre les pieds: c'est un visage qui apparaît; sans aucune altération dans les traits, l'homme semble dormir. Je l'arrose de la liqueur du lieutenant et je recouvre doucement la figure. Le second cadavre, celui dont le lieutenant m'avait parlé, se trouve un peu plus loin; l'épaule, en effet, sort du parapet, on la recouvre de tenet Des brancardiers arrivent à 6 heures du matin pour enlever ces deux morts. Mais cette besogne est si dangereuse que le lieutenant la leur interdit. Ils évacuent les autres cadavres; tant mieux, cela rendra la sortie du boyau moins pénible. Au périscope, je surveille les tranchées allemandes, aussitôt l’instrument devient le pointdemire des balles. Que veut dire ceci? Les projectiles arrivent par derrière? Le lieutenant fait prévenir le sergent Denis qui est à l'avant-dernier poste... On nous rapporte que le sergent Denis vient d'être tué d'une balle à la tête. Au passage d'un créneau, on lui criait de se pencher, trop tard: une balle Tafoudroyé. Malheureux sergent! Hier soir, pendant que je rampais sur lui, il me disait: « A tantôt, au revoir » et je me demande, malgré moi, si le destin ne réalisera pas cet «au revoir». Il est tombé sur la poitrine du caporal G... sans dire un mot, en le fixant de tous ses yeux. Espérons que la compagnie n'aura pas à déplorer d'autre perte! J'observe au périscope et je tire par un créneau dans un créneau allemand. L'ennemi ne tarde pas à répondre et ses balles dum-dum démolissent notre créneau ou traversent les sacs supérieurs du parapet. De l'autre côté de l'Yser, dans la tranchée allemande, je distingue un périscope boche et je suis même tout ébahi d'apercevoir un buste de soldat au-dessus du parapet. Il n'y reste guère. Un sifflement lent et mou; c'est du nouveau, flou-ou-flou-ou-ou. Ce sont des grenades. Elles éclatent tantôt sur nos abris, tantôt au-delà. On en lance peu. Si lugubre que soit ce bruissement, il n'effraie pas. La journée est belle, ensoleillée. Dans le bleu du ciel, passent nos avions, poursuivis par les shrapnells impuissants des Boches. Notre artillerie tire près de nous et nous devons nous mettre à l'abri des éclats d'obus. Des amis, pendant? le trajet d'hier, ont perdu, l'un sa couverture, l'autre ses vivres. Ils sont séparés de nous par une traverse. Nous leur passons de quoi manger et échangeons des billets amusants. Le lieutenant, en guise de souvenir, fait signer chaque occupant du poste sur son carnet D'autres l'imitent. Et lentement, très lentement,'la journée s'écoule. Tout en veillant, nous causons avec le lieutenant de la guerre, de la paix, de nos occupations respectives. Nous nous communiquons nos sympathies, nous discutons nos goûts, tandis que là, à quelques mètres, des myriades de grosses buches bieues dansent ijne sarabande macabre autour du cadavre de notre pauvre camarade. La chaleur commence à devenir accablante; des bouffées d'air chaud et nauséabond nous montent aux narines et nous enlèvent toute envie de manger. Pour nous dédommager, le lieutenant promet un bon verre à chacun si tout le monde du poste 1 retourne indemne. Si nous ratons cette belle invitation, ce ne sera certainement pas notre faute. A 12 heures et demie, la vigie de la berge signale une ronde d'officier; nous sourions tous, croyant à une blague, lorsque, tout à coup, le colonel Rademakers, du 3e chasseurs, débouche au coin de notre tranchée. Stupeur générale! D'où vient-il? Sort-il du sol ou tombe-t-il des nues? Il est, en effet, absolument impossible qu'avec son embonpoint il soit parvenu à suivre le boyau sans se faire massacrer cinquante fois. Et cependant, il est là, bien vivant, sa figure sympathique dénotant une franche jovialité et une belle vaillance. Il regarde au périscope, se demandant si les Boches lui feront l'honneur d'une balle. Vraiment, c'est un « chic type ». Le soir est arrivé, le créneau repéré est changé de place et renforcé par un bouclier. La surveillance redouble. Vers 21 heures et demie, la fusillade devient violente. De nombreuses balles explosives éclatent sur le parapet et donnent l'impression que les Boches sont sur notre tranchée et tirent à bout portant, tant est violent le bruit sec des explosions. A notre poste, deux fusils ne marchent plus. Une attaque semble immi- nente. Nous mettons baïonnette au canon et tirons sans discontinuer. Un camarade exténué, épuisé, charge; assis, les fusils qu'un autre décharge... Il est minuit lorsque la relève arrive. Les consignes sont passées tout en tirant: « Surveillez la berge »; « attention à ce créneau»; «bonne garde»; «bonne chance». Le retour s'affectue non sans difficulté; mais s'opère cependant moins péniblement que l'arrivée. La plupart des morts sont évacués. Enfin, nous voilà sortis de cet enfer. Le poste est indemne. Des shrapnells éclatent non loin de nous et ici, aux tranchées de première ligne, où hier nous nous cachions et nous collions au parapet, nous nous croyons maintenant presque en sécurité! Nous voudrions faire halte en pleine zone dangereuse et reprendre un peu haleine, les*bffi-ciers nous exhortent à la prudence et nous quittons les tranchées. Au loin, nous apercevons les brancardiers qui transportent le corps du malheureux sergent Denis vers le cimetière de Lesenburg. Nous faisons repos sur la route, en arrière, et aussitôt chacun, communique ses impressions, narre de petits incidents ornés de détails pittoresques. En route! A 4 heures du matin, nous sommes rentrés au cantonnement. Il fait jour et depuis longtemps chantent les alouettes. Nous avons l'impression que tout ce qui nous entoura est nouveau, qu'il y a un siècle que nous n'avons vu ces paysages pourtant si familiers. Et nous éprouvons aussi une vive satisfaction, une joie profonde d'avoir accompli une tache difficile. Chacun est content de soi et voudrait pouvoir l'écrire à ses parents, à ses amis, à tous ceux qu'il aime et qu'il défend! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_29.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:03 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_31.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 161, 15 novembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'La Chapelle Sainte-Elisabeth' Recueillis par le Baron C. Buffin la reine Elizabeth dans les tranchées belges La Chapelle Sainte-Elisabeth
par Marcel Wiseur, greffier à la Cour militaire
La Panne, 26 août 1915
A l'admirable dévouement de M. Louis Gilmont.Tout le monde connaît l'œuvre admirable fondée par le docteur Depage; à La Panne: l'hôpital de l'Océan. A quelques kilomètres de la ligne de feu, il a créé de toutes pièces un établissement qui constitue le type le plus achevé du genre et qui rend quotidiennement, depuis plus d'une année, des services immenses. Depuis son origine, qui date de la fin de 1914, l'hôpital n'a fait que prendre de l'extension. A l'hôtel primitif, sont venus s'adjoindre des pavillons multiples, des départements nouveaux; les derniers progrès de la science et de l'hygiène y ont trouvé leurs applications et nous ne croyons pas qu'on puisse réaliser au front même une entreprise plus complète, et répondant aussi parfaitement aux besoins de la guerre. En rendant ici hommage à ceux qui mènent à bien cette œuvre d'utilité publique, nous ne faisons que donner un témoignage à la vérité et reconnaître aussi bien le mérite des promoteurs de l'œuvre que celui de tous ceux qui en constituent les collaborateurs dévoués, Médecins, infirmière;, nurses, ont droit plus qu'à la gratitude de l'armée et du peuple belges, ils méritent son admiration. Le dernier dimanche du mois d'août, nous avons assisté à l'achèvement d'une des nouvelles dépendances de ce vaste « tout » qui constitue l'hôpital de l'Océan; l'inauguration de la chapelle. A l'orée des dunes, la modeste église, surgie du sol comme par enchantement, regarde la mer et la campagne. C'est une bâtisse très simple, aux lignes architecturales primitives et que domine un petit clocheton trapu. Fallait-il davantage? Ce fut une fête, intime sans doute, mais combien empoignante de voir processionner, par cette claire matinée estivale, les fidèles que la clochette du couvent des Pauvres Claires de Nieuport appelait à l'office.Les trois nefs étaient combles. Dans le chœur, Sa Majesté la Reine, qui avait daigné rehausser la cérémonie de son auguste présence, avait pris place et, derrière Elle, se pressait la foule des blessés. L'autel miroitait du feu de toutes ses 'cires ardentes, l'encens fumait dans les encensoirs d'argent et là-bas, au jubé, les orgues chantaient la joie et le bonheur. Les bonnes saintes et les saints et les angelots joufflus n'en pouvaient croire ni leurs yeux ni leurs oreilles. Les pauvres, ils avaient bien cru mourir -dans l'écroulement de leurs églises bombardées et l'horreur infernale de la bataille qui rageait autour d'eux. Ils étaient arrivés un peu de partout; de Nieuport-la-Morte, de Caeskerke-la-Douloureuse, de Pervyse-la-Dévastée, de Ramscapelle-la-Solitaire... Un soir, ils s'étaiept rencontrés dans une maisen qu'ils ne conais-saient pas. Une lampe brûlait devant un tabernacle, il y avait là un banc de communion, un confessionnal, une chaire de vérité, et puis d'autres saints aussi étonnés qu'eux mêmes. Alors quoi, ils ne rêvaient pas? Leur cauchemar était fini? C'était une église, une vraie église comme leur église?... et elle était remplie de monde, on psalmodiait au lutrin... Tout cela leur paraissait plus beau que. le plus beau songe, et d'assister à cette fête, ils en oubliaient les angoisses et les cauchemars vécus. Le R. P. Hénusse, aumônier de la 84e batterie, avait accepté de prendre la parole au prône et ce fut au milieu du recueillement général qu'il prononça la splendide page d'éloquence sacrée qu'on va lire: « Madame, « Nous inaugurons une chapelle que le mouvement spontané de la reconnaissance a fait dédier à sainte Elisabeth. » Dans l'intention liturgique de cette dédicace, il s'agit bien de ce type admirable de femme royale que fut Elisabeth d'Anjou, l'héroïne de bonté, de douceur et de charité que l'église catholique a placée sur les autels et dont chacun connaît la gloire touchante; mais il y a encore autre chose dans cette dédicace et personne ne s'y est trompé, et, moins que personne, les Belges ne s'y tromperont; à nos yeux la bonne sainte du douzième siècle se dédouble et se réincarne au 'vingtième; de son auréole, quelques rayons se détachent qui viennent nimber un autre front; son nom se répète, mais avec un accent de vénération et de tendresse plus vives qu'il ne convient pour une reine étrangère entrée dans la mort depuis de longs siècles, et, bref, à nos yeux la chapelle de l'Océan a bien deux patronnes, celle qui trône là-haut dans la gloire, mais qui ne vit plus que dans le souvenir des générations chrétiennes, et celle qui règne sur les derniers sables de ce qui fut la Belgique, mais qui vit dans le cœur de tous. » Quand sera finie la longue épreuve de la guerre, cette humble chapelle en bois, que l'on voudra conserver à l'histoire, se revêtira d'un manteau de pierre, s'ornera de la splendeur des souvenirs rayonnant aux vitraux, éclatant dans' les fresques et, certes, alors on verra s'évoquer la douce figure d'Elisabeth d'Anjou, et le miracle des rosés et le miracle du lépreux - ce lépreux dégoûtant qu'elle coucha dans le lit du duc son époux, qu'elle soigna de ses mains royales et qui soudain se releva éblouissant de lumière en lui disant ce seul mot: «Elisabeth!...» et le lépreux c'était Jésus-Christ. » Mais à côté de ceux-là, les mères de Belgique exigeront d'autres vitraux et d'autres fresques; face à la Sainte et lui faisant un pendant harmonieux, elles voudront voir la Reine, la Reine qui d'abord, quand c'était la paix, aima leurs petits enfants, leurs pauvres petits enfants anémiés par la misère jusqu'à la tuberculose, qui, plus tard, quand ce fut la guerre, aima leurs grands enfants, leurs pauvres grands enfants, blessés, mutilés, ravagés par le combat; elles voudront la voir là, près de la Sainte, afin de pouvoir s'agenouiller devant Elle et lui dire, à genoux, l'ardente reconnaissance de leur cœur de mères; elles voudront la voir là, parce que c'est sa place, aux côtés de Celui qui a prononcé la parole surhumaine, créatrice de la charité: « Tout ce que vous aurez fait au plus humble des miens, c'est à moi, Dieu, que vous l'aurez fait», aux côtés du Christ qui interpellait si tendrement sainte Elisabeth et qui doit aujourd'hui redire pour une autre ce même nom très doux, avec l'accent d'infinie tendresse dont tous, Madame, nous le prononçons dans le silence respectueux et fervent de notre cœur. » Madame, » Mes chers Amis, » La grande âme royale qui a conçu le dessein d'établir un hôpital militaire à la côte, sur la lisière du champ de bataille, et les cœurs généreux qui l'ont aidée à réaliser ce dessein, ont rêvé de faire de -cet établissement une chose parfaite. » Ils y ont réussi, et l'ambulance de l'Océan excite l'admiration universelle. » Aujourd'hui, ils achèvent la perfection de leur grande œuvre humanitaire en ouvrant cette chapelle Sainte-Elisabeth. C'est qu'en effet, mes chers amis, la chapelle fait essentiellement partie d'un hôpital. D'une manière générale, la chapelle s'impose dans tous les lieux où l'homme souffre, puisqu'elle est le lieu où l'on prie. Or la souffrance possède ce mystérieux privilège de frapper fortement l'homme, de le faire réfléchir à la vie et se îeplier sur lui-même, de le faire beaucoup pleurer, se souvenir et rêver, et quand l'homme se livre à ce grand travail intérieur, il n'est pas éloigné de trouver Dieu, il est à la veille de prier. » Et la souffrance possède en plus le don précieux d'humilier l'homme, en lui faisant sentir le rien qu'il est et le peu qu'il vaut, et quand l'homme s'humilie, il n'est pas éloigné de sentir Dieu qui s'incline vers lui, il est à la veille de prier. » Et enfin la souffrance a pour effet de plonger l'homme dans une détresse profonde qui le rend malheureux et le force àpousserle gémissementsuprême: « A l'aide! Au secours!... » Et quand l'homme crie à l'aide du fond de ses entrailles, il n'est pas éloigné de percevoir en lui-même, comme réponse à son appel, l'écho de la parole infiniment douce qui plane sur la misère du monde depuis vingt siècles: « Venez à » moi, vous tous qui peinez et succombez sous le » fardeau, et moi je vous réconforterai. » C'est pourquoi l'instinct de l'homme qui souffre est d'entrer au temple. » Descendez la nef la plus sombre d'une église, aux heures où la foule n'y est pas conviée pour les exercices traditionnels du culte; qu'y verrez-vous? Des femmes,des hommes, des jeunes gens, qui prient avec, sur le front, dans les yeux, dans le geste, l'expérience de la douleur, de l'inquiétude, de la tristesse. » Demandez à vos mères, qui vous attendent là-bas dans l'angoisse, où ellesvont réfugier leur souffrance; elles vous répondront: « A l'église ». » Demandez où se réfugie, à l'heure actuelle, la grande souffrance delà patrie en deuil de sa liberté!... On vous répondra: « Dans'les églises où la présence » de Dieu leur assure le réconfort de voir encore flot-» ter le drapeau tricolore, d'entendre encore réson-» ner l'hymne de la nation, et d'y répondre par le cri » d'amour et d'espérance: « Vive le Roi! Vive la » Liberté! » Je vous dis que partout où l'on souffre, il faut une chapelle où abriter sa souffrance sous l'aile de Dieu! » Mais s'il est au monde un lieu de souffrance qui exige ce refuge sacré, c'est bien l'hôpital de guerre. Et pourquoi donc? A cause, mes chers amis, de la nature des souffrances qu'on y endure. » Quelle est votre souffrance? Pourquoi êtes-vou ici, blessés, malades,amputés d'un bras, d'une jambe, à tout jamais flétris dans la beauté de votre jeunesse? Pourquoi? Mais pour l'amour de vos frères! L'ennemi s'est présenté à la frontière, menaçant ce bien sacré qu'est la terre de la Patrie. Pour défendre-celte terre, occupée par sept millions d'hommes libres, deux cent mille d'entre eux se sont levés, ont saisi leur fusil et marché à l'envahisseur. Ces deux cent mille là se battent donc et peinent, et souffrent, et tombent, et meurent pour tous les autres, les femmes, les enfants, les vieillards - même les lâches qui n'ont point compris leur devoir - et leur souffrance est donc une souffrance d'immolation, de sacrifice, de dévouement, une souffrance d'amour... » Voyez-vous pourquoi il vous faut une chapeMe où vous puissiez venir trouver Celui qui a révélé au monde la beauté, le prix, la fécondité de cette souf' france, une chapelle où vous puissiez venir contempler longuement le crucifié,,l'homme de Nazareth qui s'en allait répétant: « Aimez-vous les uns les autres; » donnez votre vie les uns pour les autres; le grand » acte d'amour, c'est de donner sa vie pour ceux que » l'on aime », qui s'en allait le répétant jusqu'au jour où tout jeune encore, à trente-trois ans, en pleine jeunesse, pour joindre l'exemple à la doctrine, librement et courageusement, sous les yeux de sa mère navrée, il saisit sa croix, la traîna à travers la ville et la campagne jusqu'au Calvaire, s'y étendit, y agonisa trois heures sous le soleil et mourut pour ceux qu'il avait aimés. » II vous faut une chapelle pour .les heures mauvaises où tout à coup vous ne comprenez plus rien à votre souffrance et vous vous prenez à gémir intérieurement sur vous-même: «Pourquoi moi! Pourquoi » avoir perdu ce bras, cette main, ce beau membre » d'ouvrier qui faisait ma gloire de travailleur comme » il était mon gagne-pain? » Pourquoi ma vie coupée en deux par cette teirible » mutilation, ma jeunesse finie en son milieu, toute » mon existence condamnée à se traîner. Pourquoi? » Et de quelle utilité ce sang obscurément versé dans » la tranchée?... » Quand ces sombres pensées vous viennent et vous mettent dans l'âme une amertume d'agonie, il vous faut une chapelle où vous puissiez venir entendre la réponse divine à votre plainte humaine, de la bouche même de celui qui a révélé au monde la fécondité de la souffrance, le prix et la vertu du sang versé par amour. C'est ici qu'il vous redira et vous fera comprendre la mystérieuse parole qu'il adressait à ses disciples, trois jours avant de monter au Calvaire: « Si le grain de blé ne tombe en terre et » n'y meurt, il reste seul et ne produit rien; mais s'il » meurt, il germe, il donne l'épi, et les hommes ont » du pain. Ainsi en~sera-t-il du Fils de l'homme: » lorsqu'il aura été dressé entre ciel et terre, il attirera » tout à lui!» D'abord les disciples ne comprirent point, mais peu à peu, leurs yeux s'ouvrirent à cette lumière nouvelle et bientôt le monde connut la loi de vie qui sera une des plus belles vérités du christianisme: «Quand un juste meurt, de sa souffrance et » de sa mort il sort de merveilleux fruits de lumière, » de vérité, de justice, et la vie devient meilleure. » Courageusement, les martyrs donnent leur sang et, sur les tombes, leurs, frères répètent joyeusement le grand mot chrétien: sanguis martyrum semen Christianorum! Le sang des martyrs fait pousser des chrétiens. » Ici, mes chers amis, vous viendrez comprendre l'utilité sublime de vos blessures et de vos souffrances et que la tranchée n'est pas une tranchée, mais un sillon, et .que le sang que vous y avez versé est une semence, une semence qui donnera demain son beau fruit de bonheur et de liberté pour tous ceux que vous aimez. De votre sang, la patrie vivra! Venez-y donc souvent dans cette petite chapelle où le Christ vous attend; vous y êtes chez vous; il vous y attend comme ses frères, comme ceux qu'il aime le mieux, parce qu'ils lui ressemblent le plus; venez-y prier (votre prière est la plus puissante de celles qui se font aujourd'hui sur la terre, parce que c'est votre sang qui crie vers Dieu), venez prier pour tous ceux dont l'amour remplit votre cœur, pour votre vieille mère et pour vos petits enfants, et pour ceux qui vous attendent au foyer assombri; priez pour qu'ils gardent l'espérance et le courage. Venez prier pour vos frères d'armes, ceux qui continuent -à soutenir la grande lutte dans laquelle vous êtes tombés comme des braves; priez pour que Dieu les garde vaillants et forts. Venez prier pour ceux et celles qui se jdévouent ici même, si admirablement, à soulager vos maux ou à les guérir; priez afin qu'ils restent à la hauteur de leur tâche si pure d'abnégation et de charité. Venez prier pour la grande cause des Alliés qui est la cause du droit et de la justice, la cause même .de Dieu; priez afin qu'il la fasse bientôt triompher de façon éclatante. Venez prier pour la Patrie aimée, la noble martyre de l'honneur, priez pour qu'elle connaisse, comme le Christ, la grande réparation, la. suprême réhabilitation, et qu'après avoir été abaissée jusqu'à la mort, la mort de la croix, elle soit élevée par Dieu, qu'elle obtienne un nom au-dessus de tous les noms, que tout front devant elle dans l'Univers entier et que toute langue confesse que cette nation petite est vraiment grande entre toutes. Venez prier, venez prier souvent pour celui et pour celle qui représentent si magnifiquement la Patrie et l'incarnent à nos yeux, venez prier pour le Roi et pour la Reine... » Ainsi soit-il. » http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_31.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:03 | |
| En Flandres Du 31 juillet au 10 octobre 1917 http://chtimiste.com/batailles1418/1917flandres.htm Au mois de juin 1917, l'État Major anglais prépare dans les Flandres une offensive de grande envergure. D'accord avec le maréchal Douglas Haig, le général Pétain décide que des divisions françaises y prendront part, à la gauche des Armées britanniques, en s'intercalant entre celles-ci et le front tenu par les troupes belges. Le général Anthoine, qui s'est distingué à Moronvilliers lors de l'offensive du printemps, est désigné pour diriger l'opération. Bien que placé sous les ordres du Généralissime anglais, il demeure maître des mesures d'exécution. Le terrainLe commandant de la 1e Armée dispose des 1e et 36e Corps renforcés de bataillons sénégalais et de fusiliers marins. Le 1e Corps d'Armée, composé en grande partie de «gars du Nord», brûle de combattre en ces Flandres belges, sueurs voisines des Flandres françaises, toujours souillé par le contact de l'ennemi. La guerre, dans ce plat pays, revêt un caractère spécial. Des nappes liquides peu profondes, simples flaques ou marécages, y alternent avec un sol spongieux, polder ou prairie aqueuse. La proximité de l'eau, que la pioche rencontre à quelques centimètres, interdit là tout creusement de tranchées ou de boyaux. Les travaux ne s'y exécutent qu'en superstructure. On ne peut se protéger -- très précairement -- à la surface qu'au moyen de parapets en sacs à terre ou de murettes basses. En dehors de quelques rares monticules, pas le moindre relief à l'horizon ; aucune élévation n'émerge du soi: ni hauteur, ni butte, ni mamelon ne rompent la [Général ANTHOINE, commandant de la 1ère armée] monotonie de ces étendues, où le ciel morose rejoint la plaine morne, souvent noyées d'une pluie en grisaille, enveloppées d'un linceul [Maréchal Douglas HAIG] de brouillard, où l'eau, la terre, le nuage se fondent en une masse indécise, sans forme et sans couleur. Secteur désolé dont le séjour engendre une mélancolie profonde. C'est dans cette région que la 1e Armée du général Anthoine se transportait au milieu de juin.L'attaque étant fixée pour la fin de juillet, il restait seulement quelques semaines pour la préparation : mais l'esprit organisateur du chef et l'ardeur à la tâche des troupes suppléeront à ce manque de temps. Aussitôt arrivées dans le secteur, nos divisions se mettent au travail avec une rapidité surprenante. Progressivement nos unités remplaçaient les troupes belges en secteur, et cette relève se terminait le 11 juillet sans avoir éveillé l'attention de l'ennemi. Le front choisi pour la première attaque française (d'autres devaient suivre en conformité du plan général britannique) s'étendait sur 8 kilomètres au nord de Bixschoote jusqu'à Bœsinghe. Au nord de ce secteur s'étendait un marais immense, infranchissable. Dans cette région noyée, couverte de hautes herbes, passait en remblai la chaussée empierrée de Reninghe Nordschoote. Entre Nordschoote et la Maison du Passeur, de glorieuse mémoire, une bande de terrain, en partie inondée, séparait les lignes adverses. A la Maison du Passeur, nous gardions sur la rive est du canal de l'Yser un poste relié à la berge opposée par une simple passerelle. De là jusqu'à Steenstraet, les lignes ennemies, éloignées de 2 à 300 mètres, étaient établies sur un terrain sec, mais à sous-sol humide. Enfin, de Steenstraet jusqu'à Bœsinghe, le canal de l'Yser nous séparait des Allemands.Des parapets en sacs à terre, protégés par-des défenses accessoires, bordaient l'une et l'autre rive. Au nord de l'écluse de HetSas, le canal présentait une nappe d'eau de 25 à 30 mètres de large, profonde de 2,50m aux berges encaissées. Au sud, l'eau s'étant retirée avait laissé place à un bourbier couvert d'herbes et coupé de roseaux, constituant un obstacle encore plus redoutable; seul un filet d'eau de 3 mètres coulait au creux du fossé. La préparationLa traversée de cette région difficile nécessitait des moyens de franchissement spéciaux. Pour le passage de l'infanterie, on fabriqua un grand nombre de passerelles sur liège, de passerelles en arc à lamelles de bois, et d'ingénieux tapis déroulables, constitués d'une toile grossière sur laquelle on clouait des planchettes de caillebotis, disposées transversalement. La mise bout à bout de ces éléments permettait de jeter rapidement une piste praticable au milieu des bourbiers. Enfin, le service du génie s'approvisionnait en éléments de ponts sur pilotis et de ponts sur palées-semelles pour le passage des poids lourds. Une des difficultés de la préparation consistait dans l'absence totale d'observatoires naturels permettant de régler les tirs de destruction. On y suppléa, d'une part, au moyen d'une aviation fortement constituée et qui, pleinement maîtresse de l'air, sut garder sa supériorité sur l'ennemi ;d'autre part, en établissant des observatoires artificiels d'artillerie. Deux furent dressés à 2 kilomètres seulement en arrière de nos lignes, et ingénieusement camouflés en arbres ; l'un atteignait une hauteur de 27 mètres, l'autre de 24 mètres. Enfin, on organisa soigneusement le S. R. O. T. (Service de repérage par observatoires terrestres) fonctionnant par l'examen des lueurs des batteries ennemies, et le S. R. S. (Service de renseignements par le son) qui exigeait des outils délicats et un personnel de techniciens; le S. R. A. (Service de renseignements de l'artillerie) centralisait et recoupait les données fournies par les deux autres. L'attaque avait été dotée d'une artillerie très puissante et largement pourvue de munitions. En effet, si les parapets en sacs à terre ne donnaient qu'une protection fragile, l'ennemi avait jalonné ses positions d'abris imperméables en béton armé énormes blocs géométriques, aux parois formées de rails noyés dans une grande épaisseur de ciment, et constituant chacun une petite forteresse. Si le relief de ces blockhaus permettait de les repérer, leurs créneaux largement ouverts au ras du sol bénéficiaient de champs de tir considérables et dépourvus de tout angle mort. La destruction de ces centres de résistance d'un nouveau genre ne pouvait s'obtenir que par des coups directs des plus gros projectiles. L'attaque devait être menée par deux divisions du 1e Corps d'Armée, les1e et 51e, pendant que les 2e et 162e divisions demeureraient en réserve d'Armée. L’attaqueLe 15 juillet, la préparation d'artillerie (27e, 33e, 215e, 265e régiments d’artillerie) commence par, des tirs de réglage et de contrebatterie. L'ennemi réagit assez violemment, surtout la nuit. Malheureusement, dès le 17 juillet, le temps brumeux rend la visibilité presque nulle, la pluie aveugle nos observateurs et contrarie notre aviation. Le 21, le ciel redevenu beau et clair, le réglages reprennent avec activité. L'ennemi riposte par des tirs de nuit à obus toxiques. [YPRES : 1917]
Le 23 juillet, l'artillerie de tranchée et l’artillerie lourde commencent leurs tirs de destruction des premières positions allemandes complètement démolies surgissent des Allemands terrorisés, qui se jettent dans nos lignes et se rendent. Le 25 juillet, des reconnaissances exécutée sur la rive est du canal par nos groupes francs rendent compte que l'ennemi a abandonné sa première ligne. Cette constatation décide le Commandement à préparer le passage du canal en s'assurant une tête de pont préalablement à l'attaque. Dans la nuit du 27 au 28, sous la protection d'un violent tir de barrage et d'un encagement des deuxièmes positions ennemies par l'artillerie lourde, des éléments de la 1e division d'infanterie franchissent au sud de Het-Sas la région bourbeuse au moyen de passerelles et de tapis déroulables. Ils s'installent sur la berge opposée, où ils organisent une ligne de postes: celle-ci, faute d'une parallèle de départ impossible à creuser, allait constituer un tremplin et un point de départ pour l'attaque. La nuit suivante, la 51e division d'infanterie opère de même et prend pied solidement sur la rive opposée. Ces têtes de pont ne furent qu'à peine disputées par. l'ennemi. En effet, des reconnaissances poussées dans la nuit du 30 juillet jusqu'à la deuxième ligne allemande trouvent celle-ci inoccupée. Le jour J a été fixé au 31 juillet.La nuit précédente, relativement calme, a permis d'exécuter sans incident les dispositions préparatoires :lancement de passerelles, passage du canal, mise en place des troupes. Un brouillard assez dense favorise l'opération. A 4h26, les 1e et 51e divisions d'infanterie s'élancent pour le premier bond et progressent à l'abri du feu roulant, trouvant le terrain presque libre. L'ennemi réagit faiblement par un tir de barrage médiocre. Nos troupes ne rencontrent d'obstacle que dans le terrain crevé de trous innombrables ou l'eau souterraine commence à sourdre, et qui, promptement, se transforment en mares communicantes et en un bourbier sans fin. A 5h25, on annonce que l'objectif du premier bond est atteint avec des pertes légères et que la liaison a été établie avec les Anglais à droite. Successivement, à 7h20, puis à 9 heures, les divisions signalent que les objectifs des deuxième et troisième bonds sont atteints : mais, au point de soudure des Britanniques et des Français, l'ennemi tient toujours la ferme du Colonel, centre de résistance fortement organisé avec abris bétonnés. Cependant la progression continue; nos troupes enlèvent la tranchée du Coquelicot, le fortin de Bixschoote, et poussent sur le moulin Bleu. A 11h10, le général commandant le Corps d'Armée envoie les Sénégalais et les fusiliers marins à la disposition de la 51e division, pour nettoyer la presqu'île de Poësele. Bientôt, le 33e régiment d'infanterie annonce qu'il occupe les lisières nord et est de Bixschoote. Cependant l'attaque se stabilise ; les troupes s'organisent sur les positions conquises. Les Anglais, de leur côté, ont atteint tous leurs objectifs, même la ferme du Colonel qui tombe entre nos mains à 15 heures. En fin d'après-midi seulement, l'artillerie ennemie réagit avec violence. En résumé, la journée du 31 juillet s'achève dans un brillant succès. Grâce à la préparation très complète de l'artillerie, en dépit des difficultés considérables du terrain, grâce a l'élan magnifique des troupes, non seulement tous les objectifs fixés ont été atteints, conformément à l'horaire du plan d'engagement, mais encore nos lignes ont été portées au delà des points prévus. Nos pertes ne dépassent pas un millier d'hommes. Le secret de l'attaque a été si bien gardé que les Allemands s'imaginaient toujours avoir en face d'eux les troupes belges de secteur et ne furent pas peu surpris de voir surgir devant eux nos lignes bleu horizon. La nuit suivante fut assez calme, ainsi que la journée du 1e août ; mais le temps devint affreux; la pluie tombait à flots, faisant de ce terrain un vaste lac de boue. Nous occupions néanmoins la ferme des Lanciers. Le 2 août, l'artillerie ennemie recommence à réagir violemment, et contrarie le travail d'établissement des ponts sur le canal et des pistes dans le marécage, travail déjà rendu très difficile en raison du terrain défoncé par les obus et liquéfié par la pluie. Le 4 août, malgré un harcèlement ininterrompu par l'artillerie allemande: la partie sud-est de la tranchée de Korteker tombe entre nos mains. A partir du 10 août, nos observateurs ont pu repérer les nouvelles positions des batteries ennemies. Notre artillerie reprend aussitôt son travail et nos pertes en sont d'autant diminuées. Le 11 août, la préparation recommence et se poursuit les jours suivants en vue d'une nouvelle attaque. Celle-ci, menée var les 162e et 2e divisions d'infanterie, se déclenche le 16 août, à 4h45.La 162e division atteint d'un seul bond son premier objectif, puis son deuxième sans coup férir. Seul, le 127e régiment rencontre une certaine résistance devant deux points qui nécessitent une nouvelle préparation d'artillerie. L'un d'eux cède dans la matinée ; mais l'autre, résistera jusqu'au lendemain. Cependant les fusiliers marins enlèvent successivement leurs objectifs dans la presqu'île de Poësele et poussent jusqu'à Drie Gratchen, faisant de nombreux prisonniers. Une contre attaque ennemie, qui tente de déboucher de Merckhem, est rejetée dans les marais. Nos marins s'organisent sur les positions conquises, après avoir coupé les passerelles qui enjambent le Martjewaert. La 2e division d'infanterie éprouve plus de difficultés.A droite, le 8e régiment franchit le Steenbeck, mais se trouve bientôt arrêté par des mitrailleuses, installées dans les fermes de Brienne, Champaubert et Mondovi. La préparation d'artillerie reprend sur ces points qui tombent bientôt entre nos mains, sauf Mondovi. Les 208e et 110e régiments d'infanterie enlèvent de leur côté leur premier objectif, mais se heurtent ensuite à des centres de résistance intacts. Le Commandement décide de renouveler l'attaque le lendemain pour permettre a nos batteries de reprendre leur travail de destruction. Le 17 août, à 12h15, l'attaque d'infanterie repart; à 13 heures, elle atteint tous ses objectifs.Seul, Mondovi tient encore avec des mitrailleuses sous béton et nécessite une préparation d'artillerie à courte distance. Mais, dans la soirée, cette dernière résistance s'écroule. Pour ces deux journées, nos pertes ne dépassent pas 350 hommes hors de combat. L'ennemi a laissé entre nos mains 6 officiers, 417 hommes, 15 canons de 77 et de 105, 5 lance-bombes, 13 mitrailleuses lourdes, 6 mitrailleuses légères, de nombreux dépôts de munitions et une grande quantité de matériel. Les opérations des 16 et 17 août nous portaient sur une ligne générale : Grande-Éclusette, Drie Grachten, limite ouest des inondations du Martjewaert, ferme Carnot, fermes Mondovi et Champaubert, liaison avec le 14° Corps britannique. Cette avance de l'Armée française, au pivot du mouvement général, était complétée par la progression des troupes britanniques qui, les 20 et 26 septembre et le 4 octobre, venaient occuper la ligne des hauteurs entre Bacelaere et Poelcapelle. Ce brillant succès permettait une reprise de l'action collective.Tel fut le but des opérations concertées le 9 octobre, pour lesquelles, en ce qui concernait les troupes françaises, le 36e Corps recevait du Commandant de la 1e Armée la mission suivante : Continuant à tenir la ligne du Martjewaert et de Saint-Jansbeek, et agissant en liaison à droite avec le 14e Corps britannique, le 36e Corps s'emparera du plateau de Mangelaere; il s'organisera défensivement sur la position conquise et préparera le débouché ultérieur de la 133e division, au nord de Corvebeck, en protégeant ce mouvement contre toute attaque pouvant surgir de la forêt d'Houthulst. L'attaque sera menée par la 2e division renforcée par un régiment de la 51e. La vitesse de marche de l'infanterie et les modalités du barrage étaient réglées ainsi L'infanterie, partant à l'heure H, sera précédée par un barrage roulant se déplaçant à l'allure de 100 mètres toutes les six minutes, jusqu'au delà du premier objectif. Pour le deuxième bond, le barrage reprendra à l'heure H + 1h45 et réduira sa vitesse à 10 kilomètres pour huit minutes. Le dispositif est pris dans la nuit du 9 au 10 octobre, malgré un temps des plus défavorables. Au dire des prisonniers allemands, l'attaque s'est déclenchée avec une telle soudaineté que l'ennemi a été complètement surpris et qu'en maints endroits les mitrailleuses n'ont pas pu être mises en action. Les vagues d'assaut s'élancent à 5h20. Le 110e régiment effectue sans difficultés le passage du Steenbeck; ses bataillons de première ligne progressent sans incidents ; à 8h55 tous les objectifs assignés étaient atteints et leur organisation en centres de résistance immédiatement commencée. Mais l'ennemi déclenche deux contre attaques successives, à 10h30 et 13h30, qui lui permettent de reprendre deux points d'appui. Une nouvelle attaque est, aussitôt montée de notre côté : dans la soirée et dans la nuit, elle réussit à s'emparer définitivement des ouvrages contestés. Au 208e régiment, la traversée du Broenbeck s'opère aisément à droite, mais rencontre à gauche des difficultés qui occasionnent un peu de retard, par suite de l'étendue de la zone marécageuse Toute la ligne a pu cependant serrer à temps sur le barrage et atteindre à l'heure fixée le premier objectif. Au deuxième bond, l'attaque éprouve quelque résistance au sud-ouest de Mangelaere, devant un réseau non détruit et devant la ferme organisée Houchard; mais dans la soirée tous nos objectifs sont atteints. Le 8e régiment, de son côté, éprouvait des difficultés à franchir le Broenbeck, par suite de la largeur du cours d'eau et de ses abords marécageux : mais il atteignait son troisième objectif à 10h15 et repoussait dans la journée quelques contre-attaques locales. En résumé, d'un seul élan, et en se conformant presque rigoureusement à l'horaire fixé par le plan d'engagement, la 2 division, animée d'un magnifique esprit offensif, remportait un très brillant succès. Le communiqué du 10 octobre 1917 résumait ainsi cette opération de l'Armée française des Flandres: Après avoir franchi le ruisseau marécageux du Broenbeck, nos troupes ont enlevé avec un entrain admirable, sur un front de 2,5km ; les défenses accumulées par l'ennemi, en dépit des difficultés du terrain et des mauvaises conditions atmosphériques. Les villages de Saint-Jean, Mangelaere et Veldhoek, ainsi que de nombreuses fermes organisées en blockhaus, sont tombés en notre pouvoir. Notre avance, qui a atteint une profondeur moyenne de 2 kilomètres, nous a amené jusqu'aux lisières sud de la forêt d'Houthulst. En même temps que la valeur de notre Commandement, la troisième offensive de l'Armée française,des Flandres avait prouvé l'élan, l'énergie et la bravoure de nos troupes. Comme au 31 juillet et au 16 août, ce brillant succès, dû à la sage méthode des objectifs limités, était remporté avec un minimum de pertes. http://chtimiste.com/batailles1418/1917flandres.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:03 | |
| HOMMAGE AUX POILUS DE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE TOMBES SUR LE FRONT DE L’YSER ET INHUMES A LA NECROPOLE DE CHASTRE
LE COMBAT DE MARIALOOP
L’offensive finale en Flandres http://users.skynet.be/chercha/HOMMAGE.htm Le 28 septembre 1918, les troupes alliées entamèrent l’offensive fi nale en Flandres qui devait mettre fi n à la première guerre mondiale. Pourtant, personne ne pouvait prédire l’issue de cette offensive qui s’annonçait sanglante. Certains étaient persuadés que la guerre ne se terminerait seulement qu’en 1919 ou 1920... Les sept semaines entre le début de cette offensive et le jour de l’Armistice, le 11 novembre 1918, furent cruciales pour la Paix en Europe et dans le Monde… La ligne de front située en Flandres Occidentale coupait la province. Pendant quatreans, cette ligne n’avait guère bougée. De ce fait, les troupes allemandes ont largement eu le temps d’établir une barrière de défense afi n d’éviter une soudaine percée des troupes alliées. Les troupes belges, françaises et britanniques rassemblèrent leurs forces pour entamer la lutte fi nale. Albert 1er, roi des Belges, et le général français Degoutte prirent la tête du « groupement Armée des Flandres » composé de soldats français et belges. L’offensive fi nale se déroula en trois phases cruciales. Durant la première (du 28 septembre au 13 octobre 1918), les troupes franco-belges ont conquis les différentes barrières de défenses situées derrière la ligne de front mise en places par les troupes allemandes. La deuxième phase eu lieu du 14 au 31 octobre 1918. Durant celle-ci, les troupes allemandes se regroupèrent pour livrer une lutte sans merci. Contrairement à la première phase, les combats eurent lieu dans des zones peuplées. Des centaines d’habitants, hommes, femmes et enfants y trouvèrent la mort. Les combats tragiques et violents de cette phase se déroulèrent, entres autres, dans le village de Meulebeke et dans les prairies de Marialoop et des Paanders entourant le village. Durant 48 heures (le 17 et 18 octobre), les combats font rages dans et autour du village. De nombreux soldats français, allemands mais aussi des tirailleurs sénégalais tombèrent au champ d’honneur ou furent gravement blessés. De nombreux habitants de ce village et des alentours connurent également le même sort… Finalement, dans la dernière phase, après une lutte sans précédent, les Alliés atteignirent l’Escaut, endroit stratégique, où les Allemands tentèrent, dans une dernière tentative, de résister aux assauts des troupes alliées. Le rôle tirailleurs sénégalais durant l’offensive finale. Le 17 octobre 1918, les français délivrèrent le centre de Meulebeke des troupes allemandes. Au sud, près des Paanders, échouèrent des régiments belges de carabiniers. Ces troupes, après des journées entières de combats étaient affaiblies et épuisées. Durant cette nuit du 17 octobre, ces troupes furent relayées. Le 132ème bataillon français fit halte au nord (en direction de Marialoop), le 164ème bataillon français, lui, se trouvait au sud de Meulebeke (les Paanders). Ces deux bataillons étaient appuyés par, respectivement, le 75ème, 45ième et 43ème bataillon de tirailleurs Sénagalais (BTS). Ceux-ci ont reçu ordre de percer vers la Lys (Leie), cours d’eau situé à une dizaine de kilomètres du village et pour lequel les Allemands batailleront ferme. Le 18 octobre 1918, les Français avec l’appui des tirailleurs sénégalais attaquèrent les Allemands. Ce n’est que le lendemain, aux aurores du 19 octobre, que les troupes allemandes reculèrent pour laisser place à l’avancée des troupes alliées vers la Lys (Leie), étape vers la conquête de l’Escaut. La nouvelle de cette victoire des troupes françaises, composées d’Arabes, de Maures et de Sénégalais, fit grandir l’espoir au sein de la population locale. Les exploits de ces troupes coloniales restèrent gravés dans la mémoire des habitants. Même les chroniques allemandes font références à cet épisode de la première guerre mondiale. Après ce succès, les tirailleurs continuèrent l’offensive avec succès mais pas sans faire quelques victimes au sein des différents bataillons. Le combat de Marialoop est repris dans les fiches que l’administration militaire a établies par victime. Nous y retrouvons, les noms, dates et lieux de naissances – quelque part dans l’Afrique profonde – des tirailleurs sénégalais tués. Le combat de Marialoop fut apparemment assez important que pour être repris comme fait de guerre. Le cimetière “oublié” de Machelen-aan-de-Leie comptait 766 militaires français identifiés. 64 d’entres eux sont des tirailleurs sénégalais, tous originaires de l’AOF (L’Afrique occidentale française). Ces soldats moururent en héros durant la deuxième phase de l’offensive finale. http://users.skynet.be/chercha/HOMMAGE.htm | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre | |
| |
| | | | La Belgique et la Grande Guerre | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|