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 Le Drakkar

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MessageSujet: Le Drakkar   Le Drakkar Icon_minitimeSam Sep 28 2013, 08:35

Bonjour,

Reçu ce matin.

A lire et à méditer



UN HOMME NE PLEURE PAS. Quand ils avaient 20 ans, quand ils étaient dans les paras, ils croyaient à cette baliverne. Ils avaient ravalé leur chagrin, cadenassé leur douleur, tu leur détresse. Aujourd'hui, ils en ont 50 et se foutent bien du qu'en-dira-t-on. Ils savent que cette pudeur virile n'a fait que les détruire un peu plus, les ronger au plus profond, année après année. Alors, ils pleurent désormais. Ils chialent comme les gosses qu'ils étaient encore, ce 23 octobre 1983, à Beyrouth, quand l'immeuble Drakkar s'est effondré. Leurs copains sont morts. Eux s'en sont tirés, dans le sens où on les a sortis de là, blessés, miraculés, en tout cas vivants. Mais une partie d'eux-mêmes est restée là-bas, ensevelie sous les gravats, la plus belle peut-être : l'insouciance.

Ils venaient de milieux populaires, de petits patelins, de familles nombreuses souvent. Ils n'avaient pas poussé bien loin les études. Ils avaient pour horizon certain un travail à l'usine du coin et l'angoisse de la routine. Quand est venu le temps du service militaire, ils ont choisi les paras. Ils ont coiffé le béret rouge pour le voyage, pour l'aventure. Pour la solde, aussi, qui leur permettrait d'acheter une belle voiture et de payer une bouteille en boîte de nuit. Ils ont découvert l'amitié, une amitié qu'on aime bien moquer, de chambrée, de paquetage, de crapahutage, mais une vraie amitié, indissoluble, une amitié par-delà la mort, ils le savent bien aujourd'hui.

Ils appartenaient à la même compagnie, la troisième du 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP). Ils étaient basés à Pau, partageaient les mêmes piaules et les mêmes bordées. Quand la hiérarchie a demandé des volontaires pour aller au Liban, ces appelés ont dit oui ensemble, sans hésiter. Ils ne connaissaient rien de ce pays, sinon qu'il était en guerre.

"ASSIS LE CUL SUR UNE BOMBE"

On les a installés dans un des quelque trente casernements qu'occupait le contingent français de la force multinationale à Beyrouth. Ils portaient tous des noms de bateau. Eux, ce fut Drakkar. Ils ne sortaient que pour les patrouilles, dans le secteur qui leur avait été attribué. Ils n'ont pas tardé à comprendre qu'on les avait "mis au milieu d'un merdier", "assis le cul sur une bombe". D'une rue à l'autre, ils percevaient de la sympathie ou de l'hostilité. Dans les quartiers chiites où trônaient les portraits de Khomeiny flanqués de drapeaux noirs, ils ressentaient la haine.

Le dimanche 23 octobre, vers 6 h 30, alors qu'ils se préparaient, ils ont entendu une explosion du côté de l'aéroport, dans le secteur américain. Un champignon de fumée s'est élevé dans le ciel. Le siège des marines venait de sauter, faisant 241 morts. Une minute trente plus tard, les hommes ont entendu un énorme boum sous leurs pieds et vu sortir une boule de feu. Ils se sont sentis soulevés puis inexorablement tomber, tandis que les murs et les plafonds s'écroulaient sur eux. Cinquante-cinq paras du 1er RCP, trois du 9e RCP et, on les oublie souvent cruellement dans le bilan, la femme du gardien libanais et ses quatre enfants sont morts écrasés par l'effondrement de l'immeuble.

Pendant un mois, l'opinion publique s'est émue du drame. Les chambres des quinze blessés, à l'hôpital du Val-de-Grâce, étaient gardées par des gendarmes pour empêcher les journalistes et les groupies d'entrer. Les morts ont été enterrés dignement, avec une belle cérémonie dans la cour des Invalides. Et puis on a oublié.

TRENTE ANS N'ONT RIEN EFFACÉ, BIEN AU CONTRAIRE

Pour la quarantaine de survivants de la 3e compagnie, trente ans n'ont rien effacé, bien au contraire. Tous gardent des séquelles psychologiques graves. L'un, qui a passé quarante-huit heures dans les décombres, est devenu amnésique. Un autre s'est détruit les neurones par l'alcool et la drogue. Un autre est interné en psychiatrie. Un autre est mort dans un accident de voiture inexpliqué. Le 7 mars dernier, Christian Roulette, qui n'avait plus jamais donné de nouvelles, a été recontacté par un ancien copain. Ils sont restés quarante-huit minutes au téléphone. Deux jours après, Roulette avait disparu. La gendarmerie le recherche toujours.

Les survivants n'ont jamais eu le moindre suivi psychologique. Leur douleur et leur colère sont toujours là, prêtes à sortir en éruption. Aujourd'hui, ils pestent contre ceux qui lésinent sur des pensions d'invalidité de 100 ou 200 euros, comme une dernière forme de mépris. Ils se sentent abandonnés.

Ils sont amers, en veulent toujours à François Mitterrand de les avoir plongés dans ce piège. "C'est bien, vous êtes des guerriers", avait dit le président en passant les rescapés en revue, le soir même, à Beyrouth. On les avait désarmés avant.

"RAISON D'ETAT"

Ils ne croient pas à la théorie officielle du camion piégé. Ils assurent pour la plupart que l'immeuble, qui abritait auparavant les services syriens, a été miné. Qui l'a fait sauter ? Les Iraniens, les Syriens ? Pourquoi ? Ils ne le savent toujours pas comme ils ignorent pourquoi Nicolas Sarkozy a invité Bachar Al-Assad sur les Champs-Elysées, le 14 Juillet 2008. Et pourquoi, aujourd'hui, le président syrien est redevenu infréquentable. "Raison d'Etat", disent-ils, faute de comprendre.

Le 23 octobre prochain était prévu, pour la première fois, un voyage à Beyrouth sur les lieux du drame, organisé par le ministère de la défense. Il a été annulé en raison du conflit syrien. Quand on parle aujourd'hui d'intervenir à nouveau dans la région, ils sont contre, résolument, violemment même. Ils le disent à titre personnel et, jurent-ils, au nom de ceux qui ne peuvent plus parler depuis trente ans. Tous nous l'ont dit : c'est pour ceux-là qu'ils témoignent.


Sylvain Fresnay " Pour tout dédommagement, j'ai reçu 500 francs et un survêtement "

M le magazine du Monde | 20.09.2013 à 11h27 | Benoît Hopquin

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Sylvain Fresnay ne dira pas son nom mais il n'est pas un jour depuis trente ans qu'il ne pense à "l'autre". Le mercredi précédant l'attentat, un détachement du Drakkar avait été envoyé pour cinq jours de garde à l'ambassade de France, à la résidence des Pins. Au dernier moment, Fresnay avait été désigné à la place de ce camarade. Le dimanche matin, il attendait la relève pour rentrer à son casernement quand le détachement a entendu une première explosion, suivie d'une deuxième. Peu après est tombée l'annonce : "C'est Drakkar."

"On ne savait pas la gravité des choses. C'est quand les sacs blancs avec les corps ont commencé à arriver à la résidence qu'on a compris." Les linceuls sont entreposés dans une tente militaire. "En fin de matinée, ils nous ont dit qu'ils avaient besoin de nous pour identifier les corps. Ils ouvraient les sacs et nous demandaient qui c'était."

Sylvain Fresnay s'arrête de parler et part s'isoler. Il revient car il faut dire, il le doit. Un à un, jusqu'au lundi, il lui a ainsi fallu désigner les copains, parfois simplement reconnaissables à un infime détail comme un tatouage. Dans un sac, "l'autre" était là.

Ils sont vingt-cinq du Drakkar qui, pour diverses raisons, sont sortis de l'attentat physiquement indemnes. Ils étaient détachés à l'ambassade avec Fresnay ou, comme trois d'entre eux, partis chercher des croissants à la boulangerie installée dans un autre poste. Quand ils sont revenus, l'immeuble n'existait plus.

Tous ces hommes ont été mis à l'isolement trois jours sur un bateau ancré au large de Beyrouth. Trois jours à ruminer sans la moindre aide. Puis le commandement a décidé de les renvoyer à Beyrouth pour achever leur mission. L'aumônier, le père Yannick Lallemand, fut le seul à s'insurger contre cette ineptie. "Il a tapé du poing sur la table." Les hommes ont finalement été renvoyés à Pau où à nouveau ils ont été mis en quarantaine, avec interdiction de parler.

Les affaires de Fresnay sont restées dans l'immeuble. Il a perdu tous ses papiers, tous ses souvenirs. Il regrette surtout le pull que lui avait offert sa fiancée, Patricia. "Pour tout dédommagement, j'ai reçu 500 francs et un survêtement." On lui rendra plus tard quelques photos dans une enveloppe kraft. "Pas toutes. On les a triées." Sylvain Fresnay achève son service militaire dans les brumes de l'alcool. "Ma solde y passait." Avec d'autres rescapés, il casse deux fois de suite un bar où on s'était moqué des gars du Drakkar. Il refuse le galon de sergent qu'on lui propose. "Prends-le pour les copains", lui disent des sous-officiers qui étaient avec lui dans l'immeuble. Il accepte mais, en signe de protestation, il se présente à la remise avec le survêtement que lui a concédé l'armée.

Le para est issu d'une famille de sept enfants de Vendôme (Loir-et-Cher), père jardinier municipal, mère aide-soignante. Parti "gamin timide", il est revenu "barjot". Les repas tournent à la foire d'empoigne. Régulièrement, le rescapé boxe les murs avec son poing, jusqu'au sang.

Mais sa fiancée, Patricia, ne le lâche pas, le sort de l'ornière où il s'enfonce. Elle l'oblige à quitter l'armée, sitôt son temps accompli. Des mois de galère, de chômage. Il finit par décrocher un permis poids lourd, est embauché comme chauffeur routier. Le bitume comme une thérapie. "Mon psychiatre, il était sur la route." Il s'apaise ainsi, au volant des 44 tonnes de son semi-remorque Mercedes. Sauf quand revient le mois d'octobre. "Là, il change", dit Patricia. Son patron le sait aussi. Il peut tout lui demander, sauf à cette époque.

Il s'apaise mais ne guérit pas. "Si vous avez le médicament qui soigne ça, donnez-le-moi tout de suite." Alors il revient sans cesse à la boîte à chaussures où il a enfermé ses souvenirs, il pense à "l'autre", celui qui hantera sa vie jusqu'au bout.

Depuis 1988, il participe aux commémorations. "Le plus dur, c'est d'affronter le regard des familles." Il a renoué des contacts avec les uns et les autres. Il n'est guère de semaine sans qu'il appelle un rescapé. Ils discutent de tout et de rien, ça lui fait du bien.

Comme il n'a pas été blessé dans les décombres, Sylvain Fresnay n'a droit à aucune pension, à aucune médaille. Ses demandes pour obtenir un emploi civil réservé dans l'armée sont restées lettres mortes. Il est un des seuls, une fois terminé son temps d'appelé, à avoir vu un psychologue. "Alors, comment s'est passé votre service?", lui a demandé le médecin. Sylvain Fresnay a eu un rire chargé de bile. "Je vois que vous avez bien lu mon dossier", a-t-il ironisé. Il a tourné les talons et claqué la porte.

Benoît Hopquin
> Journaliste au Monde
Eric Mohamed "On se demande à quoi ça sert de rendre service à son pays"

M le magazine du Monde | 20.09.2013 à 11h23 • Mis à jour le 20.09.2013 à 11h25 | Benoît Hopquin

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Depuis trente ans, Eric Mohamed est incapable de fermer les volets de sa chambre. Il lui faut voir le ciel de son lit, sans quoi il se sent oppressé. Quand il était sous les décombres, une jambe écrasée sous un bloc de béton, le filet de lumière qui filtrait a été son seul lien à la vie. Grattant les gravats avec sa baïonnette, il est parvenu à glisser son bras par l'ouverture. Il a senti une main tendue à sa rencontre. Il l'a happée et ne l'a plus lâchée. C'était la solide pogne d'un autre para, Yves Verdier, son sauveteur. Des photographes ont saisi cet instant. Le cliché est devenu le symbole de cette journée tragique, par antiphrase, en ce qu'il recelait d'humanité.

Eric Mohamed vit aujourd'hui dans une chambre d'hôtel de 15 mètres carrés, à Corbas, dans la grande banlieue lyonnaise. Situé au milieu d'une zone industrielle, Chez Jeannot est aussi un restaurant apprécié des routiers et des ouvriers du coin. Il s'est installé là il y a quatorze ans, mène depuis une vie de petits boulots, d'intérim, entrecoupés de périodes de chômage de plus en plus longues. Il est en fin de droits depuis décembre 2012, touche le RSA. Le patron et la patronne ferment les yeux quand il tarde à payer les 450 euros de la chambre. "Ils savent que je le ferai." Pour lui venir en aide, ils l'avaient embauché au restaurant. Les temps étant plus durs, Eric Mohamed doit désormais se contenter de deux heures de plonge le soir. Mais ces gens sans prétention l'ont retenu dans sa glissade, qui le conduisait directement dans la rue.

Pour le reste, on l'a bien laissé tomber, le vieux para. Récemment, il a vu un reportage à la télévision sur des jeunes qui entraient dans son régiment, le 1er RCP. "L'officier disait : "Souvenez-vous de vos anciens qui en ont bavé." ça m'a fait marrer. Moi, ils m'ont bien oublié, va. On se demande si ça sert à quelque chose de rendre service à son pays."

A bientôt 51 ans, le 12 octobre, Eric Mohamed ne rêve plus d'être pilote d'hélicoptère. C'était là l'espoir déraisonnable de ce fils d'ouvrier, issu d'une famille de six enfants. Titulaire d'un CAP, il avait été embauché dans l'usine textile où travaillait son père, près de Bourgoin-Jallieu, dans l'Isère. L'armée l'a appelé. Il s'y est plu. Il avait envie de faire carrière et surtout de passer le brevet de pilote. Il venait de fêter ses 21 ans quand tout ça a volé en éclats.

Eric Mohamed a été retiré de l'immeuble avec une double fracture tibia-péroné, un traumatisme crânien et "une tête de bouledogue". En juin 1984, il a résilié son contrat militaire. "Quand je suis allé rechercher mon paquetage à Pau, ce n'était pas loin de "Casse-toi". J'étais considéré comme un lâcheur." Il est retourné chez lui, à Saint-Alban-de-Roche. Le maire lui a trouvé une place de peintre chez un artisan. Il y est resté treize ans, mais sans pouvoir vivre autrement qu'au jour le jour. Il avait coupé les ponts avec l'armée et ses amis d'alors. Il gardait pour lui sa colère. Est-ce à cette époque qu'il s'est mis à souffrir de psoriasis ?

En 1997, un ressort a lâché. Eric Mohamed a quitté son travail, vendu sa maison. Il a acheté un cabriolet et est parti vers la Côte d'Azur. Pendant trois ans, il a voyagé, dépensé sans compter. En 2000, ratiboisé, il a pris sa chambre Chez Jeannot. Un jour, un gradé a fini par découvrir son existence et l'a secoué. "Tu as des droits. Je connais du monde." Des anciens du Drakkar l'ont également retrouvé et lui ont tendu la main. Aujourd'hui, il se bat avec l'administration pour faire valoir ses droits et obtenir la CMU, qui lui permettrait de remplacer toutes ses dents abîmées.

Il n'a revu qu'une fois Yves Verdier, lors d'une cérémonie. La photo, elle, est devenue célèbre. Il y a quelques années, pour les cinquante ans de Paris Match, Eric Mohamed a été interrogé par Michel Drucker, dans le cadre d'une émission spéciale. Finalement le sujet n'est pas passé. "Ils ont préféré l'interview de Claudia Schiffer."

Benoît Hopquin
> édition abonné
Farid Guerdad " Dans mes cauchemars, je marche sur la tête de mes camarades "

M le magazine du Monde | 20.09.2013 à 11h24 • Mis à jour le 20.09.2013 à 11h25 | Benoît Hopquin

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Pendant des années, incapable de dormir, Farid Guerdad prenait sa moto et roulait toute la nuit en trompe-la-mort. Au bord de l'épuisement, il trouvait un endroit désert, ouvrait son blouson et en tirait une pochette rouge serrée sur sa poitrine. Elle contenait des coupures de presse sur l'attentat et des photos personnelles. Il avait aussi le "livre d'or du para". Dans cet album, les copains du 1er RCP avaient collé leur portrait et griffonné un mot amical. Il avait aussi mis leur surnom : "le Suédois", "l'Obscène", "Dents en or". A côté de sa moto, Farid Guerdad feuilletait ses souvenirs, s'arrêtait sur les têtes de ceux qui n'étaient pas revenus, pleurait en cachette, puis rentrait chez lui au petit jour, se murant dans son silence. "J'avais mis ma carapace." Même sa femme a longtemps tout ignoré, jusqu'au jour où, rangeant la maison, elle est tombée sur ses médailles et la valise qui contenait son passé militaire. Il lui a bien fallu parler.

Gamin de la DDASS élevé à Decize (Nièvre), battu par sa première famille d'accueil, recueilli par une seconde, des agriculteurs chiches en effusion, Farid Guerdad a appris très tôt à enfermer ses sentiments. Mais dans son pavillon de Malesherbes (Loiret), l'homme qui a fêté ses 50 ans en mars s'est apaisé. Il peut raconter ses nuits d'insomnie, le sommeil haché, peuplé toujours du même cauchemar : "Je suis dans le bâtiment et je marche sur la tête de mes camarades." Il ouvre le dossier rouge, aujourd'hui délavé, sort une photo prise sur la barge de débarquement, à Beyrouth. "Sur quatorze, nous ne sommes que quatre survivants." L'émotion le submerge.

Les copains, Farid Guerdad n'a pensé qu'à eux, après l'explosion. Il est sorti très vite des décombres, torse nu, groggy, le visage en sang. "J'entendais les gars hurler, je voulais retourner dans le trou pour aller les rechercher. Un para m'a emmené pour me soigner." Quand il revient à la caserne de Pau, on juge bon de le remettre dans son ancienne chambre. Sur les huit soldats qui l'occupaient avant le départ, deux seulement ont survécu, lui et Rani Niati. "Je ne l'ai pas supporté." Il s'enfuit et dort dans un hangar. Incapable de se réadapter, il quitte l'armée en mars 1984.

Suit une longue période d'errance, de nuits passées à s'étourdir. Il se retrouve à bout de ressource, écrit à François Mitterrand en août 1984. "Vous m'avez serré la main lors de l'attentat, vous m'avez décoré, vous m'avez présenté comme un héros [...]. Maintenant vous m'oubliez ainsi que mes camarades. [...] On m'avait porté en triomphe, me voilà moins que rien." Une allocation de soutien lui est accordée, qu'il brûle dans une vie dissolue. Lassée de cet homme qu'elle ne reconnaît plus, sa fiancée le quitte. Il la gifle. Il regrettera son geste, s'en excusera auprès d'elle des années après. "J'ai mal réagi mais j'avais besoin d'elle. Après, j'ai décidé de m'en sortir tout seul." Il se retrouve en région parisienne, est embauché dans une usine, demande à travailler la nuit. "Je voulais rentrer crevé, oublier mes démons pour pouvoir dormir."

Il rencontre une nouvelle femme, Frédérica, a deux enfants, ils s'installent à la campagne. Il retrouve un équilibre. Il y a cinq ans, il s'inscrit sur le site Copains d'avant, mentionne pour la première fois le Drakkar. Daniel Tamagni, avec qui il partageait sa chambre à Beyrouth, le contacte. Il refuse de lui parler au téléphone, sa femme insiste : "ça va te faire du bien." Il accepte de renouer. Il se rend à Pamiers, en Ariège, où a déménagé le 1er RCP, pour commémorer les vingt-cinq ans de l'attentat. Il y a les familles de ceux qui sont morts. L'émotion est telle qu'il déclenche un diabète. "Mais j'ai pu me libérer, parvenir à dormir la nuit." Une fois par mois environ, Farid Guerdad replonge dans le dossier rouge. Il a rapporté de Pamiers une plaque de verre, munie d'une lampe bleue, en hommage aux morts. Elle est dans le salon. Chaque 23 octobre, il l'allume. "Je n'arrive pas à oublier. Je n'y arriverai jamais."

Benoît Hopquin
Daniel Tamagni " Le 11-Septembre, les blessures du Liban se sont réveillées dans ma tête "

M le magazine du Monde | 20.09.2013 à 11h25 | Benoît Hopquin

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Régulièrement, d'anciennes douleurs se réveillent. La première fois, c'était en septembre 2001, quand les tours de New York se sont effondrées. Daniel Tamagni souffrait le martyr mais les examens ne montraient rien. Les médecins ont fini par comprendre. "Les blessures que j'avais eues au Liban se réveillaient dans ma tête." Daniel Tamagni a également un tympan perforé et souffre de la maladie de Ménière : il est pris d'acouphènes et de vertiges qui le laissent au bord de l'évanouissement. Régulièrement, un brouhaha se réveille dans son cerveau qui le sonne pendant des heures.

Le rescapé a un handicap évalué à 90 % et touche une pension de 602,48 euros par mois. Il lui a fallu des années de procédure pour arracher cette indemnisation. Alors, il s'est donné pour tâche de faire bénéficier les autres rescapés de cette expérience. "Je leur dis qu'ils ont droit à des aides. Certains ont honte de les demander."

Le garçon d'Issoire (Puy-de-Dôme) est un des rares à être allé jusqu'au bout de son contrat de volontaire service long. Il a ensuite poursuivi une carrière militaire. Il est reparti trois fois en opérations extérieures, en ex-Yougoslavie. Les ruines de Mostar et de Sarajevo ont réveillé des plaies. "Mais il est difficile de dire non quand l'armée vous demande de repartir." Quand il lui a été ordonné, des années plus tard, de retourner au Liban, il est tombé malade, le dos bloqué.

En 2004, à la fin de son dernier contrat, il est devenu personnel civil sur une base à Nîmes. C'est à cette époque qu'il s'est mis à rechercher la trace des anciens. "Dieu m'a donné une mission, donner aux autres la chaleur que je n'ai pas eue toutes ces années", dit-il.

Daniel Tamagni a aussi vécu Drakkar comme une initiation mystique. Pourquoi a-t-il survécu quand, à ses côtés, tant d'autres sont morts ? "C'est dur de rencontrer les familles lors des cérémonies. Moi, je suis là..."

Daniel Tamagni sait à quoi peut ressembler la mort. Quand il était bloqué sous les décombres, le bras perforé par un bloc de béton, la poitrine comprimée par les sacs de sable, il l'a vue approcher. "On ne crie plus, on ne souffre plus, on a une bouffée de chaleur, on voit une lumière au bout d'un tunnel. On s'endort avec le sourire." Après cinq heures de combat, les sauveteurs l'ont arraché aux décombres. "C'est comme si on me sortait du tombeau. Le corps est là mais l'âme s'en est allée."

Benoît Hopquin
Dominique Grattepanche et Lucien Jacquart "On oublie déjà les morts d'Afghanistan Alors les copains de Drakkar"

M le magazine du Monde | 20.09.2013 à 11h28 | Benoît Hopquin

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En 1985, Dominique Grattepanche et Lucien Jacquart se sont retrouvés par hasard près du stade Bollaert, à Lens. Deux ans auparavant, ils étaient dans les décombres du Drakkar. Lucien Jacquart (à gauche sur la photo) a été victime d'un double traumatisme crânien et de blessures aux jambes. Dominique Grattepanche est resté neuf heures enterré. "Il y avait un peu de jour qui filtrait. Alors, je me suis rappelé les histoires de mineurs bloqués par les coups de grisou. Quand il y a de la lumière, il y a de l'air et donc de la vie." Il s'en est sorti avec des égratignures.

Lucien venait de Lens, d'une famille de mineurs qui comptait dix enfants. Dominique habitait un coron à Douai. Sa mère avait été veuve à 24 ans. Ils ont commencé à travailler à 16 ans, avaient choisi de faire leur service dans les paras. Ils se sont connus à la caserne, ont sympathisé. Quand ils descendaient à Pau, ils faisaient le chemin ensemble.

De retour dans leur caserne, les deux hommes se sont retrouvés dans leur chambre emplie de la présence des morts. Dominique Grattepanche a été affecté au tri des affaires de ses camarades morts. Il devait les rendre aux familles. "Elles me demandaient des détails sur les derniers instants de leurs fils. Je leur disais qu'ils étaient morts sur le coup. Comment leur expliquer que j'entendais les copains crier après leur mère ?"

Lucien Jacquart et Dominique Grattepanche ont quitté ensemble l'armée, au début de 1984. Leurs histoires divergent ensuite. Le Douaisien décroche un emploi réservé comme ouvrier d'Etat dans l'arsenal de la ville. Il se marie, reprend ce qui avait les atours d'une vie normale, du moins en apparence. "J'ai toujours raconté mon histoire à ceux qui le demandaient. Drakkar fait partie de ma vie et de celle de ma femme et de mes enfants. Je crois que c'est ce qui m'a sauvé : j'ai vidé mon sac. Ceux qui se sont murés dans le silence sont plus démolis que moi..."

A la porte de la caserne, Lucien Jacquart, lui, se retrouve en perdition. "J'ai été lâché dans la nature du jour au lendemain. J'étais complètement perdu. J'ai fait des conneries." L'ancien para reste une semaine sans dessaouler. "J'étais un mec joyeux, avant, mais mon rire était resté là-bas." Il devient une boule de rage. "Je pétais les plombs sans cesse, je cherchais la bagarre. J'avais des flashs. Ma mère voulait m'enfermer chez les fous." Un médecin le bourre de médicaments. "Il m'a tellement shooté que j'étais dans le gaz du matin au soir. ça a duré deux ou trois mois et puis j'ai dit stop." Ce n'est que des décennies plus tard que sera diagnostiquée l'évidence : "syndrome post-traumatique aggravé". Le Lensois se marie aussi, une première fois. "Je lui ai fait vivre de mauvais moments."

Après les retrouvailles, Dominique aide Lucien à intégrer l'arsenal de Douai. Ils redeviennent inséparables, s'épaulent. Grattepanche réchappe d'un cancer quand on ne lui donnait plus que trois mois à vivre. Le voilà deux fois miraculé, avec une féroce envie de soleil. En 1995, il déménage à Toulon et devient chauffeur de la préfecture maritime. Jacquart, qui s'est remarié, le rejoint en 2012 sur le port militaire.

Aujourd'hui, Lucien Jacquart prend trois cachets le soir et un le matin. Ils l'aident à dormir et à se contrôler. "Mais, chaque mois d'octobre, je m'énerve. Ma femme tente de me calmer. Je ne peux plus regarder les infos à la télévision. Je gueule tout le temps contre ce que je vois." Régulièrement, "les jours de coups de blues", il s'enferme dans une pièce et sort les souvenirs. "Il faut que je revoie les copains." Ces soirs de déprime, il appelle Dominique, qui accourt.

Derrière ses airs forts, Dominique Grattepanche a aussi "des hauts et des bas". "Je vis avec ça, explique-t-il. Je me lève avec ça. Je me couche avec ça. Je fais des cauchemars. ça ne s'effacera jamais." Les nuits d'orage, dès que gronde le tonnerre, un réflexe le jette en bas de son lit. Un jour, il a assisté à la démolition par des artificiers d'un vieil immeuble de Toulon. Une sorte de thérapie de choc. Il n'aurait pas dû.

Les deux hommes participent à toutes les cérémonies officielles. Lucien Jacquart enfile son uniforme et porte le drapeau. "On oublie déjà les morts d'Afghanistan. Alors, les copains de Drakkar, vous pensez... Si nous ne sommes pas là pour honorer leur mémoire, qui le fera ?"

Benoît Hopquin



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MessageSujet: Re: Le Drakkar   Le Drakkar Icon_minitimeLun Sep 30 2013, 10:04

Merci Georges

A Pamiers , un ancien Colonel (a la retraite) , a poussé une gueulante devant les propos de certains , parlant de camions piégés

Il a confirmé la version de l'immeuble piégé , que nos petits étaient sur une bombe

Pauvres "ENFANTS de FRANCE"
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frenchbatt

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MessageSujet: Re: Le Drakkar   Le Drakkar Icon_minitimeMar Oct 01 2013, 23:41

je confirme tes échos....
la version politique et officiel ...occulte depuis longtemps le récit de ceux qui sont rentré..
la version du camion ne tient pas la route ,et je pense que nous en entendrons parlé..
pour en avoir parlé sur la st michel avec un des principaux rescapé de la 3.

___________________________________ ____________________________________

se défendre est un droit. croire le contraire est déja un acte de soumission ... Le Drakkar 401148
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